Comédie politique

Le Plus Beau Village de France   

Comédie de Jean-Pierre Martinez

12 ou 13 personnages : 3H/9F, 4H/8F, 5H/6F, 7H/5F, 8H/4F, 9H/3F, 3H/10F, 4H/9F, 5H/8F, 6H/7F, 7H/6F, 8H/5F, 9H/4F

Beaucon-le-Château va être proclamé Plus Beau Village de France. Dans le même temps, le deuxième tour des élections municipales pourrait bien porter à la mairie un candidat du Front Populiste. Au bistrot La Part des Anges, les forces vives de la ville débattent pour savoir lequel du maire sortant ou de son opposante l’emportera. Une série d’imprévus vient alors troubler le bon déroulement du scrutin, qui viendront conforter le célèbre diagnostic de Winston Churchill : la démocratie est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres.


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LIRE LE TEXTE INTÉGRAL

Le plus beau village de France

12 ou 13 personnages :

Jacques Robinet dit JR, maire sortant

Baronne de Carlsberg Kronenbourg, son opposante

Marcel(le), Adjoint(e) au maire et notaire

René(e), peintre désargenté

Maurice(tte), médecin pochtron

Charles, nouveau riche parisien

Dominique, colonel de réserve

Ramirez, policier municipal

Sanchez, son adjoint

Claude, patron(ne) du bistrot

Francine, bobo de Provence

Bernadette, sa fille starlette

Mario, homme à tout faire.

Le maire et la baronne pourront ou non être interprétés par le même comédien. Marcel(le), René(e), Maurice(tte), Dominique, Ramirez, Sanchez et Claude peuvent être hommes ou femmes

La terrasse d’un bistrot surplombée d’une enseigne : La Part des Anges. Quelques tables entourées de chaises sur lesquelles sont installés Maurice, notable un peu pochtron, René, genre artiste, et Dominique, allure martiale. On entend les cigales.

Maurice – C’est calme aujourd’hui.

René – Même les cigales chantent moins fort que d’habitude.

Dominique – Le calme avant la tempête…

Maurice – C’est vrai qu’il fait lourd, non ?

René – Ah oui, quelle chaleur !

Dominique – Si au moins il y avait un peu de mistral.

René – Le mistral, c’est la clim du pauvre.

Maurice – Tu travailles sur quoi en ce moment ?

René – Attends, je consulte mon thermomètre (Il sort un thermomètre médical de sa poche et y jette un coup d’œil) Ouh la ! 38,5 ! Je suis en arrêt de travail moi…

Maurice – Si tu as de la fièvre, il faut consulter. Je te rappelle que je suis médecin.

René – Je parlais de la température extérieure. Les cigales commencent à chanter au dessus de 23 degrés. Moi je ne commence à peindre qu’en dessous de 22.

Dominique – Il est encore plus fainéant que la cigale de la fable. Elle au moins, elle chantait tout l’été.

René – Qu’est-ce que tu veux ? Je suis une cigale qui ne supporte pas la chaleur.

Maurice – Pourquoi tu es venu t’installer dans le sud, alors ?

René – Et bien justement, pour me reposer. Comme Van Gogh.

Dominique – Van Gogh, il a quand même profité de son séjour dans le sud pour peindre quelques chefs-d’œuvre.

René – Il faisait moins chaud que cette année, sûrement…

Maurice – C’est vrai que ça donne soif.

Ils vident leurs verres.

René (en direction du bistrot) – Madame Claude, vous nous remettez ça !

Claude, la patronne, style tenancière de maison close, arrive avec un air renfrogné pour remplir les verres.

Claude – Rosé pamplemousse ?

Ils opinent du bonnet, et elle les ressert.

Maurice – Pas trop de pamplemousse pour moi, ça me donne des aigreurs d’estomac.

Claude – Vous avez raison Docteur, le jus de fruit c’est très mauvais pour la santé.

Maurice – Mais vous savez que le vin est un excellent antioxydant.

Dominique – Tu dois avoir une santé de fer, alors.

Le chant des cigales s’interrompt brusquement.

Claude – Ah, les cigales ont arrêté de chanter !

Maurice – Oui, ça se rafraîchit.

Dominique (à René) – Tu vas pouvoir te remettre à bosser.

René jette à nouveau un regard sur son thermomètre.

René – Pourtant il fait toujours aussi chaud.

Claude – Ces cigales sont complètement détraquées. Comme le temps…

Maurice – Ça doit être les pesticides.

René – Ou alors, c’est juste l’heure de la pause.

Claude – C’est ça, c’est la pause cigales. Elles aussi elles sont passées aux 35 heures. Elles sont en RTT.

Claude rentre dans son bistrot. Charles, style bcbg en vacances, arrive.

Charles – Quelle chaleur !

René – Oui, c’est justement ce qu’on était en train de dire.

Charles – Si tôt le matin. Ce n’est pas un jour à travailler.

Maurice – Ça tombe bien, tu es à la retraite.

Charles – Et vous les actifs, ça va ? Ce n’est pas trop dur ?

Dominique – Moi aussi, je suis à la retraite.

Charles – À ton âge, je ne m’en vanterais pas. Et après on s’étonne que la sécu soit en déficit.

Dominique – Je suis toujours colonel de réserve.

Charles – Et bien tu vois, de savoir qu’en cas de troisième guerre mondiale tu reprendras du service, je me sens tout de suite plus rassuré.

Maurice – C’est vrai. C’est les vieux qu’on devrait envoyer au front en cas de conflit. Une bonne guerre de temps en temps, et ça réglerait le problème des retraites.

René – Vous imaginez 14-18, avec de chaque côté des vieux en déambulateurs en train de se foutre sur la gueule à coups de cannes. Ça me donne une idée, tiens. Je me demande si je ne vais pas faire un tableau là-dessus.

Charles (à René) – Et si tu terminais d’abord celui que je t’ai commandé pour mettre au dessus de ma cheminée ?

Dominique – C’est quoi cette commande ?

Charles – Une reproduction de La Liberté Guidant le Peuple.

Maurice – Eh ben… Il y a du boulot…

René – À qui le dis-tu… (À Charles) Tu ne préfères pas que je simplifie un peu ?

Charles – Je veux une copie que Delacroix lui-même aurait pu signer.

Maurice – Mais dis donc, je ne te savais pas aussi farouchement républicain.

Dominique – Comme quoi on peut être à l’ISF et rester fidèle à l’esprit de la révolution.

Maurice – L’original est au Louvre, non ? Alors tu prends quoi comme modèle pour ta copie ?

René sort un Delacroix de sa poche et le montre.

René – Un ancien billet de cent francs.

Maurice – Ah d’accord… Je comprends mieux cette passion de Charles pour Delacroix. Nostalgie, quand tu nous tiens…

Dominique – C’est vrai que du temps des anciens francs, on n’avait pas encore inventé l’ISF…

Charles – En tout cas, j’aimerais bien l’avoir avant cet hiver, mon tableau !

René – Ne t’inquiète pas, il est presque fini.

Maurice – Il ne lui reste plus qu’à passer la deuxième couche.

René – Mais là il fait vraiment trop chaud…

Charles – Je suis un client moi, pas un mécène. Et je te rappelle que je t’ai déjà versé une avance.

René lève son verre.

René – Et crois-moi, elle a été très bien employée.

Il vide son verre cul sec.

Charles – Entre un artiste provençal qui ne peint que par grand froid, un médecin qui donne ses consultations au bistrot et un colonel qu’on paie à rien faire en attendant la troisième guerre mondiale… La France est bien barrée. Enfin, je viens d’installer la clim. Au moins, je serai au frais chez moi cet été.

René – Tu as raison. La canicule, c’est très mauvais pour les personnes âgées.

Maurice – C’est vrai qu’en 2003, ça a été une véritable hécatombe. On ne m’appelait que pour signer des certificats de décès.

René – Ça n’a pas beaucoup changé, d’ailleurs…

Charles – D’un autre côté, si le mistral se lève, j’aurais fait installer la clim pour rien. C’est que ce n’est pas donné, quand même.

Dominique – La clim, c’est comme l’arme atomique. Ça coûte cher à l’achat, mais le mieux c’est de ne pas avoir à s’en servir.

Madame Claude, la patronne, pointe son nez en terrasse.

Claude – Qu’est-ce que je lui sers ?

Charles – Quelle heure il est ?

Claude regarde sa montre.

Claude – L’heure du rosé pamplemousse.

Charles – Bon, un rosé pamplemousse, alors.

Maurice – Vous allez voir que ce parasite, qui ne survit que grâce au système par répartition, ne va même pas payer sa tournée…

Charles – Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ! Ce n’est pas avec ce que vous cotisez que je pourrais avoir une retraite.

Claude – Alors ?

Charles lui tend à regret un gros billet.

Charles – J’imagine que vous n’avez pas de monnaie sur 500.

Claude – Si.

Charles – Bon ben tant pis alors, arrosez cette bande de vieux débris. On ne sait jamais, ça pourrait les ramener à la vie.

Claude – Ou les achever… Ok, rosé pamplemousse pour tout le monde, alors.

Claude prend le billet et repart. Charles s’assied avec les autres. Dominique se plonge dans la lecture du journal régional.

Maurice – Tu n’as pas l’air dans ton assiette. Encore un souci domestique ?

Charles – C’est ma piscine.

René – Qu’est-ce qu’elle a, ta piscine ?

Charles – Elle fuit.

Dominique – Comment est-ce qu’une piscine peut bien fuir ?

Charles – Ben je n’en sais rien, justement.

René – Et comment tu t’es rendu compte que ta piscine fuyait ?

Charles – Ce matin, j’ai voulu faire un plongeon, comme tous les matins, et il n’y avait plus d’eau dedans.

Dominique – Heureusement que tu t’en est rendu compte avant de plonger.

Maurice – Une piscine c’est comme une maîtresse : c’est beaucoup d’entretien pour le peu qu’on s’en sert vraiment.

Dominique brandit le journal.

Dominique – Vous avez lu ça ? Beaucon-le-Château va être élu plus beau village de France !

Maurice – Ce n’est pas encore fait.

Dominique – Tout de même, on est en finale. (Jetant un nouveau regard au journal) Deux inspecteurs arrivent aujourd’hui en ville pour rendre leur verdict avant que le jury proclame le vainqueur.

Charles – Ah… C’est vrai qu’il fait bon vivre dans ce petit coin de paradis. Tous les matins, en ouvrant la fenêtre, je respire un grand coup en me disant qu’il y a encore quelques mois, c’est l’air du périphérique que je respirais à cette heure-là..

Claude revient avec les verres qu’elle dépose sur la table.

Claude – Et voilà…

Charles – On sent une drôle d’odeur, tout à coup, non ?

René – Oui, comme une odeur de morue avariée.

Claude – C’est pour moi que vous dites ça ?

René – C’est les remontées gastriques de Maurice. Tu as raison, tu devrais arrêter le jus de pamplemousse.

Dominique – Je crois surtout que c’est les remontées d’égouts. Dès qu’il pleut un peu, à Beaucon, ça déborde.

Charles – Ça fait au moins un mois qu’il n’a pas plu !

Dominique – Dans ce cas, il va falloir arrêter de prendre des douches. Au moins jusqu’à ce que ces deux inspecteurs soient repartis.

Claude – Oui… Et éviter de tirer la chasse…

Claude rentre dans le café.

Charles – Sacrée Madame Claude… Elle est typique, non ?

Maurice – C’est sûr. Pour celui qui vient à Beaucon, une visite s’impose.

René – Il paraît même qu’elle est sur le Guide du Routard à la rubrique « Vaut le détour ».

Charles – Et puis un nom pareil, ça ne s’invente pas… C’est vrai qu’on la verrait bien diriger un hôtel de passe.

Les trois autres échangent un sourire entendu.

Maurice – Sacré Charles…

Dominique – On voit que tu es nouveau ici, toi.

René – Tu n’as pas encore fait le tour de tous les charmes de notre petite ville.

Charles – Non ?

René – Disons qu’elle est en préretraite, comme la colonel.

Maurice – Mais en cas de besoin, elle aussi elle est toujours prête à reprendre du service…

Ils se marrent. Claude revient pour nettoyer une table. Ils reprennent aussitôt leur sérieux. Claude leur jette un regard suspicieux et repart. Ils trinquent et vident leurs verres.

Charles – Alors vous croyez qu’elle est pliée, cette élection ?

Maurice – C’est vrai que Beaucon-le-Château est un très beau village.

Charles – Je parlais des élections municipales.

Maurice – Ah, ça…

René – Laissera-t-on le plus beau village de France élire un maire Front Populiste ?

Dominique – Dieu ne le permettra pas…

Charles – Front Populiste, vous avez dit ?

René – Le Front de Gauche et le Front de Droite ont décidé de présenter une liste commune.

Dominique – Après tout, ils avaient déjà le même programme, la même rhétorique et les mêmes électeurs.

Maurice – Et presque le même nom.

René (grandiloquent) – Les forces vives de cette petite ville doivent se mobiliser pour empêcher cette infamie. Moi vivant, Beaucon ne sera pas administré par ces extrêmes qui se rejoignent.

Dominique – D’un autre côté, voter pour JR…

Charles – JR ?

Dominique – Jacques Robinet, le maire sortant.

Charles – Robinet…

René – Un nom prédestiné…

Dominique – C’est vrai que c’est en arrosant tout le monde qu’il a réussi à rester maire aussi longtemps.

Maurice – Et puis JR, ce n’est quand même pas n’importe qui. Il a fait Centrale…

Charles – Le Maire de Beaucon, il a fait Centrale ?

Dominique – Oui… Centrale Pénitencière…

Charles – Ah, d’accord.

René – Vous êtes pour JR, vous, ou pour la baronne ?

Charles – La baronne ?

René – La candidate du Front Populiste.

Maurice – Ouh là, moi j’attends de voir.

Dominique – Vous avez raison. Il ne faut jamais choisir son camp trop vite. C’est comme ça que mon grand-père s’est retrouvé tondu à la libération.

René – Ton grand-père avait couché avec un allemand ?

Maurice – L’occupation est une période assez confuse de l’histoire de France.

René – Et pas forcément la plus glorieuse.

Bernadette, jeune fille habillée de façon outrageusement provocante, arrive pour passer un coup d’éponge sur les tables.

Dominique – Mais c’est Bernadette, la fille de Francine !

Les regards de tous les hommes se posent sur elle.

Maurice – Bernadette, mais qu’est-ce que tu fais dans ce lieu de perdition ?

René – C’est tout ce que tu as trouvé comme job d’été, ma poule ? Je croyais que tu voulais être comédienne.

Bernadette – Justement, mon agent vient de me décrocher un premier contrat : une figuration dans Plus Belle La Vie. Je dois jouer un rôle de serveuse dans un bar du Vieux Port.

René – Et c’est pour ça qu’il t’a envoyé en stage chez Madame Claude ?

Bernadette – Ah non mais ce n’est pas ce que vous croyez… Là, je travaille mon personnage.

Dominique – Ah d’accord…

Bernadette – C’est la méthode Actor Studio. Il faut s’imprégner de la réalité. Devenir le personnage, quoi.

Maurice – Eh ben… Heureusement que tu ne dois pas jouer un rôle de…

Embarrassé, il ne finit pas sa phrase.

Bernadette – Un rôle de quoi ?

Bernadette prend un plateau et commence à débarrasser les verres en se penchant sur la table de façon suggestive.

René – Tiens de bonne sœur, par exemple. Tu imagines si tu avais dû faire un stage au couvent pour devenir ton personnage. Pas sûr que ta mère aurait été d’accord…

Maurice – Ni la mère supérieure, d’ailleurs.

Arrive Mario, beau ténébreux en bleu de travail maculé de cambouis.

Charles – Ah, bonjour Mario ! (Aux autres) C’est mon garagiste…

En apercevant Mario, Bernadette renverse son plateau.

René – Il faut que tu travailles encore un peu ton rôle, ce n’est pas tout à fait au point.

Charles – Alors mon brave, elle est prête ma BM ?

Mario s’assied un peu à l’écart.

Mario – Bientôt, Monsieur Charles. Bientôt, ne vous inquiétez pas. On ne m’a pas encore livré la pièce. (À Bernadette) Je prendrai un café…

Bernadette – Tout de suite…

Bernadette entre dans le bistrot.

Charles – C’est un excellent garagiste, il paraît. C’est mon notaire qui me l’a conseillé.

Maurice – Ton notaire ?

Charles – Il travaille au noir, et il arrive à avoir des pièces détachées d’occasion à des prix défiant toute concurrence. Je ne sais pas comment il fait…

René (ironique) – Oui, moi non plus…

Charles – Vous le connaissez ?

Dominique – Super Mario, si on le connaît…

Mario lance dans leur direction un regard vaguement menaçant. Les amis de Charles renoncent à commenter. Bernadette revient avec le café de Mario.

Mario – Merci.

Bernadette lui lance un regard un peu embarrassé. Claude sort du bistrot et observe le manège entre Mario et Bernadette.

René – Tiens Bernadette, tu nous remets ça, de la part des anges ?

Claude – Les anges ne font pas crédit.

Maurice – C’est bien ce qui me semblait…

Claude – Tiens Bernadette, va plutôt répéter ton rôle à la plonge. Ça déborde dans l’évier.

Bernadette entre dans le bistrot, suivie par Claude.

Charles – La Part des Anges… Qu’est-ce que ça veut dire, au fait ?

Mario – Vous vous n’êtes pas d’ici, ça se voit…

Charles – On ne peut rien vous cacher. Je suis de Paris.

Mario – Dans le domaine viticole, c’est la part de liquide qui s’évapore pendant la fermentation. Comme on ne sait pas qui l’a prise, on dit que c’est la part des anges.

René – C’est valable aussi pour la politique, d’ailleurs.

Charles – La politique ?

Maurice – La part de liquide qui s’évapore dans la nature quand tout ça commence à macérer un peu après les élections… C’est exactement ce qui s’est passé avec la municipalité sortante…

Dominique – Tiens, c’est comme pour ta piscine, Charles. Tu vois bien qu’il manque du liquide, mais tu ne sais pas où il est passé.

René – La part des anges… Elle n’est pas perdue pour tout le monde, c’est clair.

Maurice – Allez, nous notre part on va la boire tout de suite.

René – Avant que ça ne s’évapore.

Ils vident leurs verres. La baronne de Carlsberg Kronenbourg arrive. C’est une femme imposante, maquillée comme une voiture volée et habillée dans un style tellement bcbg qu’il en devient extravagant, genre Madame de Fontenay en pire. Le rôle de la baronne peut être joué par un homme travesti en femme (le même comédien que celui qui jouera le rôle du maire, par exemple).

Dominique – Tiens, voilà la baronne, justement.

Charles – La fameuse baronne de Carlsberg Kronenbourg… Elle est vraiment noble ou on l’appelle comme ça à cause des tonneaux de bière qu’elle ingurgite quotidiennement ?

Dominique – Madame la baronne est issue d’une des plus grandes familles de ce petit pays qu’est la Belgique. À ce qu’on m’a dit, elle serait même apparentée au roi.

Maurice – Quel roi ?

René – Le roi de la bière, peut-être.

Baronne – Ah mon petit Mario, merci pour ma Twingo. Depuis que vous avez changé le moteur, j’ai l’impression de conduire une Jaguar.

Maurice – C’est peut-être un moteur de Jaguar qu’il vous a mis dessus. Si c’est tout ce qu’on lui avait livré ce jour-là…

Baronne – Vous passerez au château pour que je vous règle. En liquide, comme convenu…

Mario – Très bien Madame La Baronne.

Baronne (aux autres) – Vous n’auriez pas vu mon chien par hasard ?

Charles – Je ne sais pas. Il ressemble à quoi ?

René – À un cochon, en plus petit. Il a même la queue en tire-bouchon.

Maurice – Alors, Madame la Baronne ? Toujours en campagne ?

Baronne – Plus que jamais ! Tenez, si vous voulez connaître le détail de mon programme…

Elle distribue quelques tracts aux présents ainsi qu’à Claude qui arrive pour prendre la commande.

Claude (lisant) – Votez Kronenbourg… C’est un slogan qui peut parler à beaucoup de monde… Qu’est-ce que je vous sers Madame La Baronne ?

Baronne – Donnez-moi une pression.

Claude – Heineken ? 1664 ? (La baronne lui lance un regard assassin). Je plaisante.

Claude s’en va.

Baronne – On ne peut quand même pas laisser réélire le maire sortant avec un bilan aussi désastreux ! Prenez la sécurité, par exemple. Une femme décente ne peut pas se promener seule en ville passé 18 heures sans être assaillie par toutes sortes de propositions…

Dominique – On vous a déjà fait des propositions ? À moi, jamais…

Baronne – Et la propreté ! Vous sentez l’odeur nauséabonde que cette mairie corrompue nous laisse en héritage ? Les égouts débordent, les rats se promènent impunément dans les rues, et le maire ne fait rien pour assainir la situation !

Maurice – Sans parler des problèmes de stationnement…

Baronne – Les gens se garent n’importe où ! Je vois même des handicapés stationner sur des places qui ne leur sont pas réservées . Et que fait la municipalité pour empêcher ça ? Rien !

Dominique – Il faut combattre les incivilités, c’est clair.

Baronne – Si je suis élue maire, je proposerai qu’on installe des caméras à laser partout dans les rues.

Dominique – À laser ? Pour la vision nocturne ?

Baronne – À laser, pour désintégrer aussitôt les contrevenants ! Je suis pour la tolérance zéro, moi !

Charles – Ah oui, c’est assez radical, quand même…

Baronne – Avouez qu’on n’est plus chez nous en France…

René – Mais vous êtes belge, non ? Au moins d’origine…

Claude revient avec le demi de la baronne.

Baronne – Une baronne belge se sent chez elle partout où il y a de la bière, des frites et un château. Non, je voulais parler de tous ces rastas extracommunautaires. (À Mario) Je ne dis pas cela pour vous Mario, vous travaillez au noir, mais au moins vous travaillez. Alors personne n’a vu ma petite chienne ?

Claude – Il ne faut pas vous inquiéter pour si peu. Elle est peut-être retournée toute seule au château. Elle connaît le chemin.

René – Et puis qui voudrait voler une chienne qui ressemble à une truie…

Maurice – Faites comme pour le Petit Poucet ! Suivez-le à la trace, votre clébard. Vous n’avez qu’à vous fier aux déjections dont il a sans doute jalonné son chemin.

René – C’est vrai, ça m’a toujours émerveillé ça. Comment un chien de la taille d’un porcelet peut-il produire une telle quantité de crottes ?

Baronne – Vous avez raison, je vais aller voir par là… Antoinette ! Antoinette !

Charles – Son chien s’appelle Antoinette ?

René – Non, c’est un diminutif. Son vrai nom c’est Marie-Antoinette.

La baronne s’en va.

Charles – Mais c’est qui, cette baronne, exactement ?

Maurice – D’après le peu qu’on sait d’elle, ce serait une réfugiée fiscale récemment arrivée de Wallonie. Elle a demandé et obtenu la nationalité française.

René – Il faut vraiment être belge pour demander l’asile en France pour raison fiscale…

Charles – Il y a beaucoup de Belges par ici ?

Dominique – Il y a des coins à truffes, ici c’est un coin à Belges.

René – C’est elle qui a acheté le château de Beaucon.

Dominique – Oui… L’affaire m’est passée sous le nez, d’ailleurs. La mairie avait fait valoir son droit de préemption pour m’empêcher d’en faire l’acquisition, et le lendemain le château était vendu à la baronne.

Charles – Baronne et châtelaine… Et c’est elle qui représente le Front Populiste ?

Dominique – C’est une royaliste de gauche, apparemment.

Charles – Je crois que je n’ai pas encore saisi toutes les subtilités de la vie politique locale…

Mario – C’est le sud, Monsieur Charles… Le sud.

Mario, qu’on avait presque oublié, se lève pour partir et tous les regards se tournent vers lui.

René – Il y a une classe moyenne très importante, à Beaucon-le-Château. Répartie en une moitié d’ISF et l’autre de RMI.

Maurice – Ce qui symbolise à merveille l’esprit d’ouverture et de fraternité de notre charmante cité par delà toutes les différences sociales et culturelles.

René – Mais forcément, parfois ça génère quelques tensions…

Dominique – Tenez, regardez dans le journal. Rixe après un concert de rock à Beaucon-le-Château. Moi je dis que les concerts de rock, il faudrait les interdire, tout simplement.

Maurice – C’est vrai que c’est très rare qu’il y ait des débordements à la sortie d’un concert de musique classique.

Bernadette revient et croise le regard de Mario qui s’apprête à partir. Dans une gestuelle très théâtrale, voire au ralenti sur une musique mélodramatique, ils s’approchent l’un de l’autre, se dévisagent, puis s’embrassent fougueusement sous les regards stupéfaits de tous les autres.

Dominique – Vous croyez que là aussi, elle répète son rôle pour Plus Belle La Vie ?

René – Là ce serait plutôt la Belle et la Bête…

La baronne revient affolée. Mario et Bernadette partent ensemble.

Baronne – Ma chienne a été enlevée !

Maurice – C’est peut-être la fourrière.

Baronne – En ouvrant ma boîte aux lettres, j’ai trouvé une enveloppe… qui contenait une oreille d’Antoinette !

Claude – Oh mon Dieu ! Une oreille ? Comme pour Van Gogh…

Dominique – Comme pour le baron Empain, vous voulez dire ? Parce que Van Gogh, lui, il n’a jamais été kidnappé.

Maurice – Oui, il est peu probable que le chien de Madame se soit coupé lui-même une oreille pour la mettre à la poste après.

René – Et puis pourquoi un chien aurait-il fait ça ? Un peintre d’accord, mais un chien !

Baronne – C’est un kidnapping, je vous dis ! Il y avait une lettre dans l’enveloppe avec l’oreille. On exige que je retire ma candidature aux municipales.

Charles – Non ?

Baronne – L’équipe du maire sortant cherche à m’atteindre à travers l’être qui m’est le plus cher au monde : Mon chien !

Maurice – Allons ! Ce n’est sans doute qu’une mauvaise plaisanterie ! Les carabins font souvent ça dans les écoles de médecine. Je me souviens, quand j’étais étudiant, nous avions déposé dans le casier d’un professeur…

Dominique (le coupant) – Vous êtes sûre qu’il s’agit bien de l’oreille de votre chien ?

Baronne – On veut me faire taire, mais je suis prête à tout pour sauver la démocratie locale. J’irai jusqu’au bout, quelles qu’en soient les conséquences. (Elle se drape dans sa dignité) Je fais don de ma personne à Beaucon-le-Château…

La baronne s’en va. René, Maurice, Dominique et Charles restent un instant silencieux.

Dominique – Vous pensez que cet enlèvement aurait pu être commandité par JR ?

Les autres semblent perplexes. Arrive Francine, une bobo bon teint.

Francine – Bonjour, bonjour.

René – Ah, bonjour Francine ! Bertrand n’est pas avec toi ?

Francine – Euh… non.

René – Il a tort ! Quand on est marié avec une belle femme comme ça, on ne la laisse pas sortir seule dans la rue même en plein jour…

Claude arrive pour prendre la commande.

Claude – Qu’est-ce que je lui sers ?

Dominique – Comment vas-tu Francine ? Justement, ta fille Bernadette vient de partir avec un client… Tu ne l’as pas croisée ?

Francine – Non. Quelle chaleur, hein ?

René – Tu connais Charles, je crois ?

Charles – Je n’ai pas encore eu le plaisir de rencontrer Madame. Je m’en souviendrais…

Échange de regards aimables entre Charles et Francine, sensible au compliment.

René (faisant les présentations) – Francine de la Chatelière, Charles Benamou. Vous feriez un couple épatant… Le charme discret de la bourgeoisie de province désargentée… et l’aisance un peu vulgaire du parisien nouveau riche.

Maurice – Charles a la clim, et une piscine qui lui coûte plus cher qu’une maîtresse.

Francine – C’est qu’il n’a pas encore rencontré une maîtresse qui vaille vraiment le coup.

Charles et Francine échangent un nouveau regard complice.

Claude (un peu plus haut) – Qu’est-ce que je lui sers ?

Francine – Ravie de vous connaître, Charles. Vous venez de vous installer dans notre charmante petite ville ?

Charles – Oui, je suis un nouveau… À propos, comment appelle-t-on les habitants de Beaucon-le-Château ?

Claude – Les Beauconchâtelains. Qu’est-ce que je lui sers ?

René – Contrairement aux apparences, Charles est un homme de goût, puisqu’il apprécie ma peinture. C’est un ami des arts et un généreux mécène.

Charles – Disons plutôt un collectionneur et un investisseur…

Claude (hurlant) – Qu’est-ce que je lui sers ?

Ils restent tous interloqués.

Francine – Je… Je vais prendre un thé. Qu’est-ce que vous avez comme thé ?

Claude – J’ai du thé Lipton.

Francine – Bon, un thé alors. Avec une rondelle de citron, s’il vous plaît.

Claude entre dans le bistrot. Le téléphone portable de Francine sonne et elle prend l’appel.

Francine – Oui bonjour, Francine de la Chatelière à l’appareil, je vous ai appelé tout à l’heure au sujet de… (Aux autres) Excusez-moi un instant…

Francine entre dans le bistrot pour s’isoler.

Maurice – J’ai une mauvaise nouvelle à vous apprendre. Sous couvert du secret médical, bien sûr…

Dominique – Nous serons muets comme des tombes.

Maurice – Le mari de Francine a eu un AVC.

René – Bertrand ? Mais c’est arrivé quand ?

Maurice – Il est à l’hôpital depuis hier soir.

Dominique – Si son mari meurt, elle ne restera pas longtemps toute seule avec sa fille dans cette grande maison…

Maurice – Bertrand avait déjà beaucoup de mal à l’entretenir. Je veux dire la maison. Enfin, sa femme aussi, d’ailleurs…

René – Tu cherches à acheter une maison ?

Dominique – Faut voir… (À Maurice) Grave l’AVC ?

Maurice – Un accident vasculaire, ce n’est jamais anodin.

Charles – En tout cas, elle ferait une belle veuve, c’est sûr…

René – Je te rappelle que toi aussi, tu es marié.

Dominique – Il y a un jardin, non ?

Charles – Ah oui ! Pas très grand, mais un beau jardin, oui.

René – Les maisons avec jardin, en centre ville, c’est très rare.

Maurice – Oui moi aussi, ça pourrait m’intéresser. Si le prix était raisonnable…

Dominique – Ah non ! Je me suis déjà fait doubler pour le château !

Francine revient.

Dominique – Tout va bien ?

Francine – Quelques soucis familiaux…

Dominique – Oui, on est au courant.

Francine – Ah oui ? (Maurice lance à Dominique un regard réprobateur). Et vous pensez que c’est grave, Docteur ?

Maurice – C’est à dire que… Je n’ai pas le dossier. Tout dépend de la rapidité avec laquelle il a été pris en charge…

Francine – Ah non, mais je ne parlais pas de Bertrand. Je viens d’avoir l’hôpital, je crois qu’il va s’en sortir avec une petite paralysie faciale.

Dominique – Tant mieux.

Francine – Non, je parlais de ma fille. Figurez-vous qu’elle voit la Vierge.

René – La vierge ?

Francine – Ben oui, la Vierge. La Vierge Marie !

Claude arrive avec le thé qu’elle dépose sur la table.

Claude – Bernadette voit la Vierge ?

Francine – Vous croyez que je devrais consulter, Docteur ?

Maurice – Ma foi…

Francine – Et puis pour son concours, je ne sais ce que je dois faire non plus. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Maurice – Quel concours ?

Francine – Elle se présente au concours Miss Bouches du Rhône, vous croyez qu’elle doit mentionner dans son dossier qu’elle voit la Vierge ?

René – Ça pourrait être un plus, oui.

Maurice – En tout cas, si Beaucon n’est pas élu Plus Beau Village de France, on pourra toujours en faire un lieu de pèlerinage…

Ramirez et Sanchez arrivent, look Blues Brothers.

Dominique – C’est qui ces deux clowns ? On ne les a jamais vus par ici…

René – C’est peut-être les deux membres du jury du concours…

Francine – Le concours des Miss Bouches du Rhône ?

Dominique – Le concours du Plus Beau Village de France !

Maurice – Ils sont là incognito, sûrement…

Ramirez et Sanchez s’installent à une table.

Dominique – Bonjour Messieurs, soyez les bienvenus dans notre charmant village. La patronne de ce modeste estaminet sera ravie, j’en suis sûr, de vous offrir un verre de bienvenue ?

Claude lui lance un regard incendiaire. Les deux autres échangent un regard méfiant avant de se décider.

Ramirez – Ma foi, pourquoi pas ?

René – C’est la tradition. Beaucon-le-Château est réputé pour son sens de l’accueil.

Claude – Bon… Rosé pamplemousse, comme ces messieurs dames ?

Sanchez – Jamais pendant le service.

Ramirez – Mais bon, une fois n’est pas coutume, nous ferons une petite entorse au règlement pour ne pas nous montrer grossiers. Un petit rosé pour moi, un jus de pamplemousse pour mon adjoint.

Sanchez accuse le coup.

Maurice – Vous allez découvrir tous les trésors que recèle ce village en plus de l’amabilité naturelle de ses habitants.

René – Figurez-vous que même les Belges viennent s’installer dans notre ville pour la douceur de son climat et de ses impôts locaux.

Maurice – Beaucon a toujours été une ville ouverte sur les autres cultures, pourvu qu’elles ne s’éloignent pas trop de la nôtre…

Claude les sert.

Ramirez – Merci !

Sanchez – Un tel accueil, cela fait toujours plaisir. Car dans notre profession, nous n’avons pas que des amis, comme vous le savez.

Charles – Alors ? Par quoi allez-vous commencer la visite ? Le château ?

Ramirez – Oh vous savez, nous n’en sommes qu’au début de notre enquête.

Marcelle arrive, genre cadre dynamique, portable vissé à l’oreille.

Marcelle – Oui… Oui Monsieur le Maire… Très bien Monsieur le Maire…

Maurice – Et si vous cherchez à acheter une résidence secondaire dans le coin, voici la personne qu’il faut absolument consulter… En tant que notaire et première adjointe au maire, Marcelle est la première au courant de toutes les bonnes affaires immobilières dans notre petite commune.

Dominique – D’ailleurs, c’est elle aussi qui délivre les permis de construire…

René – C’est très commode, vous verrez… La mairie de Beaucon-le-Château a inventé avant tout le monde le guichet unique…

Charles – Et si vous le souhaitez, elle peut aussi vous indiquer l’adresse d’un plombier honnête ou d’un bon garagiste qui travaille sans facture.

Marcelle range son portable.

Marcelle – Alors ? Vous avez fait connaissance avec les deux nouvelles recrues de notre police municipale, que la mairie vient de créer pour veiller à la sérénité de ses administrés ?

René – Une Police Municipale ?

Ramirez – Policier en chef Ramirez, et voici mon adjoint Sanchez.

Marcelle – Des pointures, croyez-moi. Avant c’était de vrais flics qui travaillaient pour la Police Nationale, mais malheureusement ils ont dû démissionner à la suite d’une bavure.

Sanchez – Nous enquêtons sur la disparition du chien de la baronne.

Ramirez – Sans exclure le fait qu’elle ait pu organiser elle-même cette disparition pour discréditer le maire sortant…

Le téléphone portable de Sanchez sonne et il répond.

Sanchez – Oui… Non ? Affirmatif… Je transmets… (Il range son portable) La baronne vient de recevoir l’autre oreille et la queue de son chien.

Marcelle – Mon Dieu, mais c’est épouvantable !

Ramirez – Les deux oreilles et la queue, ça commence à faire beaucoup.

Dominique – Pauvre Antoinette. Si ça continue, ils vont lui couper la tête.

Marcelle – Messieurs, nous ne vous retenons pas. Ce pauvre animal est un citoyen comme un autre, il a droit à la protection de notre nouvelle Police Municipale, dont vous êtes le fer de lance.

Ramirez – Vous pouvez comptez sur nous, Madame la Première Adjointe.

Marcelle – Ah, voici Monsieur le Maire, justement.

Jacques Robinet arrive, look de cow-boy : Mocassins, stetson et Ray Ban. C’est ou non le même comédien qui jouait la baronne.

Maire – Bonjour Messieurs. (À Ramirez et Sanchez) Nous n’avons pas encore eu le plaisir de nous rencontrer. Je suis Jacques Robinet, le maire de cette paisible petite ville. Mais vous pouvez m’appeler JR, comme tous mes amis.

Ramirez – Mes respects Monsieur le Maire. Sanchez, vous ne finissez pas votre jus de pamplemousse ?

Sanchez – Si, si…

Ramirez et Sanchez s’en vont.

Maire (à Claude) – Madame Claude, vous resservirez la même chose à ces messieurs et vous le mettrez sur ma note personnelle.

Claude – Vous voulez dire la note de la mairie ?

Maire – Lorsqu’on est maire, on l’est 24 heures sur 24, pas vrai ? On n’a plus de vie personnelle. Alors comment pourrais-je avoir une note personnelle différente de celle de la mairie ? Mes amis, je compte sur votre soutien pour cette élection, n’est-ce pas ?

Charles – Il faut voir… C’est quoi votre programme ?

Maire – Vous, vous êtes nouveau ici, n’est-ce pas ? Mais un bon candidat n’a pas besoin de programme ! Pas plus qu’un bon général n’a besoin de carte d’état major. Pas vrai colonel ? Un bon maire sait ce qu’il a à faire.

Dominique – Bien sûr Monsieur le Maire.

Maire – Et vous savez tous que vous pouvez compter sur moi. Tenez, pour l’élection du plus beau village de France, par exemple. Est-ce que je n’ai pas conduit Beaucon-le-Château en final ?

René – Mais l’élection n’est pas encore jouée.

Maire – Votez pour Jacques Robinet et croyez-moi, c’est comme si c’était fait… Le jury se réunit dans un établissement de Marseille où j’ai aussi mes habitudes. N’est-ce pas Madame Claude ? Un jury, c’est comme un parterre de fleurs. Il faut l’arroser abondamment si on veut obtenir de bons résultats. Sur ce je vous laisse. Le devoir m’appelle.

Il s’en va.

Maurice – Il a l’air pressé.

Marcelle (regardant sa montre) – Oui, moi aussi d’ailleurs. Il faut que je retourne à la mairie assurer l’intérim. Figurez-vous que je dois célébrer mon premier mariage gay…

René – Le maire n’a pas voulu s’en occuper lui-même ?

Charles – Mauvais point pour lui. Personnellement, je ne voterai jamais pour un candidat qui ne s’engagerait pas à respecter les droits de toutes les minorités.

Marcelle – Si, si… Non, non… Je peux vous assurer que votre maire est tout à fait en faveur du mariage pour tous.

Charles – Alors ?

Marcelle – Disons que… Il avait un petit empêchement.

Charles – Oui, on dit ça…

Marcelle – Bon, alors disons un gros empêchement. (À mi-voix) Il doit aller pointer pour son contrôle judiciaire. Allez, il faut que je vous laisse. L’amour n’attend pas…

Marcelle s’en va.

Charles – Vous croyez que JR a quand même une chance de passer ?

Maurice – S’il ne retourne pas en prison d’ici là.

Charles – Qu’est-ce qu’on lui reproche, au juste ?

Dominique – Corruption passive, comme on dit aujourd’hui. Autrefois on appelait ça pots de vin.

René – La part des anges, lui, il la prélève à la source…

On entend un crissement de pneu suivi d’un bruit de collision.

Dominique – Les gens roulent comme des fous. Vous savez que les Bouches du Rhône est le département le plus accidentogène de France ?

Maurice – Encore un accident sur l’Avenue des Platanes, probablement. Pourtant, il y a une ligne blanche.

René – Les seules lignes blanches que les jeunes respectent, ici, c’est les lignes de coke.

Le portable de Maurice sonne.

Maurice – Oui ? Non ! Si, si… Bon, j’arrive tout de suite…

Dominique – Ce n’est pas au sujet de Bertrand au moins ? C’est que nous sommes tous très inquiets pour sa santé…

Maurice – C’est au sujet de la baronne.

René – La baronne ?

Maurice – Elle vient d’avoir un accident de voiture…

Dominique – Grave ?

Maurice – D’après le nouveau shérif et son adjoint, sa Twingo ressemble à une compression de César. Il n’y a que son sac à main qui dépasse de cet amas de ferraille.

Francine – Oh mon Dieu ! Avec tous ces chauffards ! J’ai toujours peur pour ma fille lorsqu’elle est sur la route. J’espère qu’au moins la Vierge la protège…

Maurice – Bon, il faut que je vous laisse… On m’attend pour signer l’acte de décès.

Dominique – Déjà ? Eh ben ça ne traîne pas.

Maurice part.

Claude – Comme quoi baronne ou pas, on est bien peu de choses…

Claude rentre dans son bistrot.

René – Dis donc Charles, je me doute déjà de ta réponse, mais tu ne pourrais pas me refaire une petit avance ? C’est pour éventuellement participer à l’achat d’une couronne pour feu Madame la Baronne…

Charles – C’est ça, oui…

René – Bon, alors s’il n’y a vraiment pas d’autre issue… Je vais quand même aller bosser un peu, moi.

Charles – C’est ça, vas-y…

Francine – Allez, il faut quand même que j’aille rendre une petite visite à mon mari à l’hôpital, voir s’il a besoin de chaussettes propres ou quelque chose comme ça…

Dominique – Si ça ne te dérange pas, je t’accompagne. Histoire de me faire une idée par moi-même de son état de santé. Je t’ai dit que je cherchais une maison à acheter à Beaucon ? Avec jardin, de préférence…

Charles – J’y vais aussi, il faut que je m’occupe de ma fuite… Et puis je n’ai pas encore voté…

René et Charles s’en vont d’un côté, Dominique et Francine de l’autre.

Ramirez revient avec Marcelle.

Marcelle – Sale affaire…

Ramirez – Vous avez réussi à joindre le maire pour le prévenir ?

Marcelle – Pas encore. Son portable ne répond pas.

Ramirez – Ce n’est sans doute qu’un banal accident de la route mais évidemment, on ne pourra pas empêcher les mauvaises langues de constater que le hasard fait bien les choses pour le maire sortant…

Marcelle – C’est clair qu’il se débarrasse à bon compte de sa rivale aux élections…

Ramirez – Vous pensez que la Baronne de Corona 33 Export aurait pu être assassinée, comme la Princesse Diana ?

Marcelle – En tout cas, au moment de la mise en bière, cette mort subite apparaîtra suspecte… Vous avez intérêt à élucider cette affaire au plus vite, Ramirez, si vous voulez garder votre poste de shérif à Beaucon-le-Château.

Ramirez – Le légiste est en train d’autopsier les restes humains qu’on a retrouvés encastrés dans le moteur de cette Jaguar…

Marcelle – Une Jaguar ? Mais la voiture de la baronne était une Twingo !

Ramirez – En tout cas, le moteur que la baronne a pris dans le buffet est bien celui d’une Jaguar. Et croyez-moi, six cylindres en V qui moulinent à plein régime, ça cause de sacrés dégâts sur un pareil tas de viande.

Marcelle – Mais quelqu’un a pu l’identifier quand même ? Je ne sais pas, moi. Elle n’avait pas des enfants ?

Ramirez – Autant demander à un veau de reconnaître sa mère dans une pile de steaks hachés.

Francine revient, Marcelle l’interpelle.

Marcelle – Ah Francine, j’ai réfléchi à ce que vous m’avez raconté à propos de votre fille Bernadette. C’est vrai que si on pouvait faire de la ville un lieu de pèlerinage comme Lourdes ou Colombay, ce serait très bon pour les petits commerçants, qui constituent la base de notre électorat.

Francine – Vous croyez ? Je ne voudrais pas non plus traumatiser cette pauvre enfant. Mais si c’est bon pour le commerce…

Marcelle – Seulement, il faudrait qu’on puisse présenter un dossier sérieux au Saint Siège pour faire authentifier ces apparitions… Excusez-moi de vous demander ça, Francine, mais à l’époque où on vit… Vous êtes sûre que Bernadette ne se drogue pas ?

Francine – Franchement, je ne crois pas… Moi même, je fume un petit joint avec elle de temps en temps pour ne pas avoir l’air trop has been, mais aucune substance hallucinogène, je vous assure.

Marcelle – Et… elle n’aurait pas non plus une certaine tendance à la mythomanie ?

Francine – Vous prenez ma fille pour une affabulatrice, c’est ça ? D’accord, elle n’est pas baptisée, mais elle est quand même scolarisée dans une école catholique.

Marcelle – Vous savez ce que c’est à cet âge-là. L’exaltation de la jeunesse. Elles croient voir la Vierge et en fait, c’est Angela Merkel ou Madonna. Et où l’a-t-elle vu, cette Vierge, exactement ?

Francine – Sur son Ipad.

Marcelle – Son Ipad ?

Francine – Elle était en train de surfer sur Facebook et soudain, la Vierge lui est apparu, plein écran.

Marcelle – Une apparition de la Vierge sur Internet. Je ne sais pas si le Vatican pourrait homologuer ça. Vous êtes sûr que ce n’est pas un virus informatique ? Qu’en pensez-vous, Ramirez ?

Ramirez – Il faudrait que votre fille nous fournisse le signalement précis de la vierge qu’elle a vue. Nous ferons un portrait-robot, et ensuite on le soumettra au curé du village. C’est sans doute l’homme le plus à même de reconnaître une vierge quand il en voit une sur internet.

Marcelle – Bon, il faudra peut-être attendre un peu. Le curé était très proche de la baronne, à ce qu’il paraît… Enfin vous voyez ce que je veux dire. Il doit être très affecté par sa disparition.

Ramirez – Rassurez-vous, nous agirons avec tact.

Marcelle – Et votre fille, elle ne fait pas de miracle, par hasard ?

Francine – Pas à l’école, en tout cas… Pourquoi, c’est absolument indispensable ?

Marcelle – Disons que ce serait mieux… Une Sainte qui ne fait pas de miracles, c’est un peu comme un promoteur immobilier qui ne distribue pas de pots de vin ou médecin qui ne délivre pas d’arrêts de travail… À quoi ça sert ?

Sanchez arrive accompagné de Maurice, qui a revêtu une blouse blanche maculée de sang.

Ramirez – Ah voilà le médecin légiste, justement, il va pouvoir nous donner les premières conclusions de l’autopsie…

Marcelle – Maurice ?

Ramirez – Le légiste assermenté est en vacances aux Seychelles, alors nous avons réquisitionné le médecin du village. De toute façon, mieux vaut régler cette affaire en famille, pas vrai ?

Francine – Bon, il faut que je retourne à l’hôpital moi, il paraît que mon mari vient d’avoir une deuxième attaque. Les médecins m’ont laissé entendre que la troisième pourrait bien être la bonne…

Marcelle – Je ne voudrais pas me montrer trop insistante, mais si jamais votre fille Bernadette pouvait y aller aussi. On ne sait jamais, un miracle est toujours possible…

Francine – Je ne voudrais pas vous donner de fausses espérances. Il est déjà paralysé du côté droit.

Marcelle – Il suffirait d’un tout petit miracle…

Francine – Je vais voir ce que je peux faire.

Sanchez – Le Docteur a quelque chose à vous dire, et je vous préviens c’est du lourd…

Marcelle – Nous vous écoutons, Docteur, parlez sans crainte.

Maurice (à Francine) – Eh bien voilà Francine, normalement, c’est couvert par le secret médical, mais puisque nous sommes tous ici pour rechercher la vérité… Ta fille est enceinte.

Marcelle – Mais quel rapport avec notre enquête ?

Maurice – Est-ce que je sais, moi ? C’est à Starsky et Hutch de nous le dire, non ?

Sanchez – Je parlais des analyses que vous avez pratiquées sur la victime de cet accident…

Francine – Mais qui est le père ?

Marcelle – Ça l’enquête nous le dira peut-être, Francine… Maintenant si tu veux bien nous laisser. Toute cette affaire relève désormais du secret défense…

Francine s’en va. Les regards se tournent vers Maurice.

Marcelle – Alors ?

Maurice – Ah, oui, pardon… Alors, voilà… D’après mes constatations, on n’a retrouvé à bord du véhicule accidenté qu’un seul corps, et les analyses ne laissent subsister aucun doute : ce n’est pas celui d’un être humain.

Marcelle – Ne me dites pas que c’est un envahisseur qui conduisait la voiture de la baronne. Parce que les seuls envahisseurs que nous avons ici ne viennent ni de Mars ni de Vénus, croyez-moi…

Maurice – Non je vous rassure, il ne s’agit pas d’une créature extra-terrestre. Ce que je voulais dire c’est que… la victime de cet accident est un chien.

Ramirez – Un chien ? Mais enfin Docteur, un chien ne peut pas conduire une Twingo !

Sanchez – Ce qui pourrait expliquer qu’il ait eu un accident.

Ramirez – Voilà une bien étrange affaire… Et vous avez réussi à identifier ce chien, Sanchez ?

Sanchez – J’ai vérifié sur nos fichiers, chef. En tout cas, ce n’est pas un chien déjà connu des services de police.

Marcelle – Vous pensez qu’il pourrait s’agir du chien de la baronne ?

Sanchez – Je ne crois pas. Ce chien-là avait bien ses deux oreilles et sa queue…

Ramirez – Alors que les oreilles et la queue du chien de la baronne lui sont parvenues en Colissimo…

Marcelle – Suivez-moi à l’intérieur, j’ai besoin d’un petit remontant.

Ramirez – Oui, moi aussi. (Sanchez s’apprête à les suivre.) Sanchez, voyez avec le docteur s’il y a moyen de savoir à qui est ce chien. Je ne sais pas moi… Il n’avait pas sa ceinture, mais il avait peut-être un collier ?

Sanchez part avec Maurice. Ramirez et Marcelle rentrent dans le bistrot. René arrive avec un tableau sous le bras.

René – Ah Charles, j’ai fini ton tableau.

Charles – Déjà ?

René – Une fulgurance… Ça m’est venu tout d’un coup comme une apparition de la Vierge…

Charles regarde le tableau, qui représente une Vierge à l’enfant.

Charles – Mais ce n’est pas du tout ce que j’avais commandé…

René – Non mais c’est beaucoup mieux !

Charles examine à nouveau le tableau.

Charles – C’est vrai que c’est ta meilleure toile depuis très longtemps. Mais d’habitude, les sujets religieux, ce n’est pas vraiment ton truc…

René – Il faut croire qu’en vieillissant, je deviens plus mystique.

Charles – Et puis niveau dimension, je ne sais pas si au-dessus de ma cheminée…

René – Bon tu le prends ou pas ? Là tu as un tableau entièrement original, pas une copie d’ancien ! Vu le peu de toiles que j’aurai peintes dans ma vie, tu sais que ce tableau vaudra de l’or, quand je serai mort ! Ce qui est rare est cher…

Charles – Ok, je le prends.

Charles s’apprête à partir avec le tableau.

René – Et mon fric ?

Charles – Je te fais un chèque ?

René – Je préférerais du liquide…

Charles – Dans ce cas, il faut que je passe à la banque.

René – D’accord, je compte sur toi. Et crois-moi, tu fais une bonne affaire.

Charles s’en va. Dominique revient.

René – Alors comment va Bertrand ?

Dominique – Mieux, malheureusement.

René – Tu veux dire heureusement, j’imagine…

Dominique – Ce n’est pas ce que j’ai dit ?

René – Il va falloir que tu trouves une autre maison à acheter alors…

Dominique – À propos, tu savais que la baronne avait revendu son château en viager ?

René – Non, qui t’a dit ça ?

Dominique – Son notaire.

René – Marcelle ?

Dominique – En viager, tu te rends compte ?

René – Mais à qui ?

Dominique – Marcelle n’a pas voulu me le dire. Secret professionnel, il paraît. N’empêche qu’avec la mort de la baronne, on est en droit de se demander à qui profite le crime. Tu as déjà voté ?

René – Pas encore, je t’accompagne.

Ils s’en vont. Ramirez et Marcelle ressortent du bistrot.

Marcelle – Le maire n’est toujours pas rentré de son contrôle judiciaire, je commence à être inquiète…

Ramirez – Ils ont peut-être décidé de le garder.

Sanchez arrive.

Ramirez – Du nouveau Sanchez ?

Sanchez – Le boucher a procédé à l’analyse des oreilles et de la queue du chien de la baronne retrouvés dans l’enveloppe.

Marcelle – Le boucher ?

Ramirez – Je vous ai dit, le légiste est en vacances, et comme le vétérinaire n’était pas disponible non plus, on a dû réquisitionner la boucherie Halal de Beaucon.

Marcelle – Et alors ?

Sanchez – Les résultats sont sans appel : il s’agit de la queue et des oreilles d’un cochon.

Marcelle – Nom d’un chien ! Le clébard de la baronne était donc vraiment un cochon ?

Ramirez – Ou alors les oreilles et la queue retrouvées dans l’enveloppe n’étaient pas celles du chien de la baronne de Mutzig Kanterbrau.

Sanchez – Qui lui est bien mort au volant de cette Twingo équipée d’un moteur de Jaguar.

Marcelle – Décidément, cette affaire se complique… Qu’est-ce que vous en pensez Ramirez ?

Ramirez – C’était peut-être la baronne qu’on visait dans cet accident, et son chien est la victime innocente d’une méprise. Et si cet attentat contre la baronne n’avait rien à voir avec sa candidature aux élections ?

Marcelle – Le kidnapping du chien de la baronne ne serait donc qu’une diversion ?

Ramirez – Il pourrait y avoir un lien entre cet attentat manqué contre la baronne de Corona Desperados et la vente en viager de son château ?

Marcelle – Cela ne nous dit pas où est passé la baronne…

Sanchez – Ou alors elle est bien morte dans l’accident, et on a fait disparaître son corps.

Marcelle – Mais pourquoi ?

Sanchez – À moins que le corps ne se soit volatilisé.

Marcelle – Mais comment ?

Ramirez – Encore une question sans réponse…

Sanchez – Cette voiture aura été son tombeau… mais le tombeau est vide.

Le portable de Sanchez sonne.

Sanchez – Oui ? Très bien merci. (Il range son portable) J’ai lancé un appel à témoin, et je viens d’avoir un premier témoignage. Quelqu’un a cru voir la baronne dans un bordel à Marseille.

Marcelle – Elle serait donc bien en vie ! (Elle se tourne vers Ramirez) Vous avez l’air songeur Ramirez. Si vous avez une idée pour faire avancer cette enquête, c’est le moment de nous la faire partager…

Ramirez – Cela ne vous rappelle rien cette histoire de tombeau vide et son occupant qui réapparaît quelques jours plus tard.

Marcelle – Ma foi non…

Ramirez – La résurrection du Christ !

Marcelle – Mmmm… Ça pourrait avoir un rapport avec Bernadette qui voit la Vierge.

Sanchez – La baronne est peut-être une Sainte, et elle est venue à Beaucon-le-Château pour bouter les envahisseurs hors du Plus Beau Village de France.

Marcelle – La Pucelle de Beaucon… Ça aussi ça aussi ça pourrait faire vendre des souvenirs, des T-shirt et des porte-clefs….

Claude – Oui enfin… Jésus Christ n’est pas réapparu dans un bordel, tout de même…

Le téléphone de Sanchez sonne.

Sanchez – Oui ? Non ? Si, si… (Il range son portable) Il y a du nouveau. On a retrouvé la baronne, éjectée de sa voiture à plusieurs dizaines de mètres de l’accident. Elle était encastrée dans un platane, c’est pour ça qu’on ne l’a pas repérée tout de suite…

Marcelle – C’est grave ?

Sanchez – Le platane était déjà pourri. Il n’a pas résisté au choc.

Marcelle – Je parle de la baronne !

Sanchez – Ah oui, bien sûr. Les pompiers sont en train de la désincarcérer. Mais hélas, il semble bien qu’elle ait succombé, comme le platane.

Claude – Au moins ses proches vont pouvoir faire leur deuil.

Sanchez – C’est vrai qu’il est très rare qu’on ne retrouve pas le corps dans un accident de la route…

Marcelle jette un regard à l’écran de son portable.

Marcelle – Le maire lui reste introuvable. J’ai envoyé un texto au commissariat où il devait pointer. Ils viennent de me répondre qu’il ne s’est pas présenté à son contrôle judiciaire…

Claude – Il est peut-être en cavale…

Ramirez – Une disparition volontaire pour échapper à la justice ? C’est une possibilité… Parce que lui, s’il était passé en jugement, pas sûr qu’on l’aurait désincarcéré de si tôt…

Ils entrent tous dans le bistrot. Mario et Bernadette arrivent.

Bernadette – Il faut que je retourne travailler mon rôle… Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Mario – Tu m’aimes ?

Bernadette – Suffisamment pour être en cloque. Mais pas assez pour être sûre que c’est toi le père.

Mario – Alors je vais demander ta main à ta mère.

Bernadette – Ça je ne suis pas sûre qu’elle soit ravie. Depuis le temps qu’elle essaie de me caser avec son conseiller bancaire, pour qu’il accepte de fermer les yeux sur ses découverts. Tu ne veux pas m’enlever, plutôt ? Ce serait plus romantique.

Mario – Ne t’inquiète pas ma princesse, je saurai te donner l’écrin que tu mérites.

Bernadette – Un écrin ? Je préférerais un bijou…

Mario – C’est toi mon bijou. La place d’une princesse, c’est dans un château, non ?

Ils échangent un baiser. Bernadette entre dans le bistrot. Marcelle en ressort avec Ramirez.

Marcelle – Je viens d’avoir les résultats du premier tour : le maire sortant est en ballotage. Et c’est la baronne qui arrive en tête.

Ramirez – La mort de la baronne remet JR en selle.

Marcelle – Ça lui ouvre un boulevard pour le deuxième tour, c’est sûr.

Ramirez – Si on le retrouve d’ici là…

Marcelle – Sinon, c’est la vacance du pouvoir au plus haut niveau de la commune.

Ramirez – La porte ouverte à toutes les aventures…

Charles arrive, catastrophé.

Charles – Ma femme est morte !

Ramirez – Elle était à bord de la voiture, elle aussi ?

Charles – J’avais oublié de la prévenir pour la fuite. Elle a plongé dans la piscine alors que le bassin était vide…

Ramirez – Écoutez, mon brave, nous compatissons. Mais vous ne croyez pas que nous avons des affaires plus sérieuses à traiter en ce moment ?

Marcelle – C’est l’avenir de Beaucon qui est en jeu. Que dis-je ? Le sort de la démocratie !

Francine arrive.

Charles – Ah, Francine ! Je suis content de vous voir. Figurez-vous que je suis veuf…

Francine – Ah, ça c’est amusant, moi aussi. Mon mari s’est étouffé en avalant une compote de pommes zéro pour cent à l’hôpital.

Marcelle – S’étrangler en avalant une compote de pommes alors qu’on en est à sa troisième attaque cardiaque… C’est presque un miracle.

Claude fait une brève apparition.

Claude – Mais ça va être dur à faire homologuer autrement que par Vie de Merde point com.

Marcelle et Ramirez rentrent dans le bistrot. Mario arrive.

Francine – Ah Mario, il faudra que vous passiez chez moi, j’ai une fuite.

Charles – Comme ma piscine…

Mario – Très bien, vous pouvez compter sur moi.

Charles – Mais je ne savais pas que Mario faisait aussi la plomberie ?

Francine – Ce garçon sait tout faire, croyez-moi. S’il n’était pas roumain, ce serait le gendre idéal.

Mario – Justement, je voulais vous demander…

Charles lui coupe la parole.

Charles (à Francine) – Allez, je me jette à l’eau… En espérant ne pas m’écraser au fond… Vous êtes libre, ce soir ?

Francine – Ce soir et tous les autres soirs, Charles ! Je vous l’ai dit, je suis veuve depuis une heure à peine… Vous êtes l’homme que j’attendais pour combler mon découvert…

Charles et Francine repartent. René arrive.

Mario – Vous avez mon fric ?

René – Je l’aurai tout à l’heure, je vous assure…

Mario – Je ne fais pas crédit, moi. Un deal, c’est un deal.

René – Aujourd’hui, c’est promis, j’attends une grosse rentrée d’argent. Et en attendant, je compte sur votre discrétion, bien sûr…

Mario – Si je n’ai pas l’argent ce soir, je déballe tout…

Mario et René s’en vont. Maurice arrive. Marcelle et Ramirez ressortent du bistrot.

Maurice – Ah justement, je vous cherchais…

Marcelle – Du nouveau, Docteur ?

Maurice – Ah oui, on peut dire ça comme ça.

Marcelle – Bon je vous écoute.

Maurice – Les pompiers ont réussi à désincarcérer le corps encastré dans le platane, et j’ai pu procéder à un premier examen sommaire.

Ramirez – Bon ben allez-y, crachez le morceau.

Maurice – La victime avait bien ses deux oreilles, mais aussi une queue.

Marcelle – Je ne suis pas sûre de vous suivre, Docteur…

Ramirez – Moi j’ai peur de comprendre.

Maurice – La baronne était un baron…

Ramirez – La Baronne de Guiness Adelscot, un travesti ?

Marcelle – Oh mon Dieu ! Dans un sens, heureusement qu’elle est morte. Elle est arrivée en tête au premier tour. Vous imaginez ? Pour le Plus Beau Village de France avec pour maire une baronne belge travesti ?

Ramirez – Bon, et bien allons voir ça…

Ils sortent. René et Dominique arrivent.

René – J’ai appris le décès du mari de Francine…

Dominique – Oui, c’est bien triste.

René – Tu crois qu’elle va mettre sa maison en vente.

Dominique – En tout cas, je vais lui faire une offre.

René – Et dire que tu es la dernière personne à avoir vu Bertrand vivant…

Dominique – Oui… C’est même moi qui lui ai donné son dernier repas.

René – Qui lui est visiblement resté en travers de la gorge…

Dominique – Il arrive que dans la compote, il reste quelques pépins.

Francine arrive, effondrée. Claude sort du bistrot.

Claude – On a appris pour votre mari…

Dominique – Oui, toutes nos condoléances.

Francine – Ah oui, bien sûr…

Dominique – Vous avez l’air soucieuse… Il y a autre chose ?

Francine – Je viens d’apprendre que ma fille est enceinte.

Claude – Une candidate en cloque, ça ne va pas être évident pour le concours Miss Miss Bouches du Rhône…

Dominique – Et pour le pèlerinage non plus…

Claude – Il y a des jours comme ça où rien ne va.

Dominique – Et qui est le père ?

Francine – Elle dit qu’elle ne sait pas.

Claude – Ce n’est sûrement pas l’Esprit Saint, en tout cas…

Dominique – Je vais te raccompagner chez toi, ma pauvre… J’en profiterai pour revoir la maison. Ça va faire grand pour toi maintenant que ton mari est mort.

Francine – Oui… Mais maintenant que Bernadette est fille mère, il va falloir prévoir une chambre pour le bébé…

Dominique – Ah merde, je n’avais pas pensé à ça. Il faut absolument savoir qui est le père de cet enfant…

Ils s’en vont. Claude rentre dans son bistrot. Arrivent Marcelle, Ramirez et Sanchez.

Marcelle – Je n’ose même plus vous demander si vous avez du nouveau…

Sanchez – Hélas, si.

Ramirez – Les services municipaux de la voirie ont analysé l’ADN de la victime retrouvée encastrée dans ce platane.

Marcelle – Et ?

Ramirez – Je crois qu’il vaudrait mieux vous asseoir.

Marcelle s’assied.

Sanchez – C’est l’ADN du maire !

Marcelle (dépassée) – Vous pouvez développer un peu…

Sanchez – C’est le maire qui conduisait la voiture de la baronne, et c’est lui qui est mort dans l’accident.

Marcelle – Cela n’explique pas pourquoi il était travesti en baronne…

Ramirez – Vous avez raison, à chaque fois que nous progressons dans cette enquête, le mystère s’épaissit…

Sanchez – C’est donc le maire qui est mort, et non la baronne.

Marcelle – Et c’est bien la baronne que nous aurons pour maire. Puisque son opposant au deuxième tour est décédé !

Ramirez – La bonne nouvelle, c’est que la baronne n’est pas forcément un travesti.

Marcelle – Ça ne nous dit pas toujours où elle est passée…

Ils s’en vont. René arrive avec Charles qui tient son tableau à la main. Claude ressort.

René – Tu as mon fric ?

Charles – Oui, oui, je te donne ça tout de suite.

Claude – Qu’est-ce que c’est que cette croûte ?

Charles – C’est un tableau de René. Je vais le faire encadrer.

René – Pourquoi ? Vous vous y connaissez en peinture ?

Claude – Vous savez, dans notre métier, on rencontre toutes sortes de gens. Ma grand-mère tenait déjà une maison close, elle a eu pour clients les plus grands peintres de l’époque.

Charles (impressionné) – Votre grand-mère a couché avec les impressionnistes ?

René – Bientôt elle va nous dire qu’elle est la petite fille naturelle de Van Gogh…

Claude examine le tableau.

Claude – En tout cas, je peux vous dire que ce tableau date du début du siècle.

Charles – Quel siècle ?

Claude – Pas le 21ème, ça c’est sûr.

Charles lance un regard suspicieux à René.

René – Mais enfin, vous racontez n’importe quoi ! C’est moi qui l’ai peint, ce tableau !

Claude – La seule peinture fraîche qu’il y ait sur ce tableau, c’est la signature de René.

Charles lance à René un regard soupçonneux.

Charles – Tu veux que je le fasse expertiser ?

René – Ok, j’ai acheté cette croûte à Mario pour 50 euros, et je ne sais pas où il l’a trouvée.

Charles lui tend le tableau.

Charles – Une chance que je ne t’avais pas encore payé.

René – Tu es sûr que tu ne veux le garder ? Pour ta cheminée, c’est exactement la bonne dimension !

Charles lui lance un regard assassin.

Charles – Estime-toi heureux que je ne porte pas plainte. Parce que ça ne m’étonnerait pas qu’en plus, il s’agisse d’un tableau volé.

René – D’accord, je me remets tout de suite à La Liberté Guidant le Peuple…

Charles s’en va. Mario arrive.

Mario – Vous avez mon fric ?

René – Non, mais je vous rends le tableau… Mon acheteur vient de se désister…

René tend le tableau à Mario, et s’en va.

Claude – Vous permettez que j’y jette un coup d’œil à ce chef d’œuvre en péril ?

Claude entre dans le bistrot avec le tableau. Marcelle revient avec Ramirez.

Ramirez – Et pour le maire ? Vous avez prévu quelque chose pour lui rendre un dernier hommage ?

Marcelle – On va lui faire des funérailles municipales. Avec un peu de chance, il aura la Légion d’Honneur à titre posthume, et on oubliera ses démêlés avec la justice.

Ramirez montre le journal.

Ramirez – Un peu de baume sur toutes ces plaies… Vous avez vu ? Beaucon a été élu plus Beau Village de France !

Marcelle – Le jury s’est réuni à l’Hôtel Martinez. Et apparemment, avec l’aide de Madame Claude et de ses starlettes, le maire sortant a fait le nécessaire pour que cette élection se passe dans la joie et la bonne humeur.

Dominique revient.

Dominique – Je ne voudrais pas casser l’ambiance, mais la disparition de la baronne fait aussi peser des soupçons sur la personne qui lui a acheté son château en viager…

Marcelle – Je n’ai acheté que par procuration, je l’ai déjà dit.

Dominique – Mais vous refusez de révéler l’identité de l’acheteur ?

Marcelle – Qu’est-ce que tu veux insinuer ?

Dominique – Tu aurais pu acheter ce château pour ton propre compte…

Marcelle s’approche de Dominique, menaçante.

Marcelle – Mais puisque je te dis que ce n’est pas le cas !

Dominique – Sans compter qu’avec la disparition des deux principaux candidats aux municipales…

Marcelle – Quoi encore ?

Dominique – En cas de nouvelle élection, la Première Adjointe serait bien placée pour accéder à la mairie…

Dominique et Marcelle sont sur le point d’en venir aux mains.

Ramirez – C’est vrai que ça fait au moins deux mobiles… (Le portable de Ramirez sonne). À propos de mobile, le mien est en train de sonner… Oui ? Ah d’accord. Bon, je la préviens tout de suite…

Marcelle abandonne sa confrontation avec Dominique, pressée de savoir ce que Ramirez va encore lui apprendre.

Marcelle – J’ai peur de ce que vous allez me dire…

Ramirez – Le service culturel de la mairie a comparé les ADN du maire et de la Baronne, ainsi que leurs deux abonnements à la saison théâtrale.

Marcelle – Et alors ?

Ramirez – Le maire et la baronne sont une seule et même personne.

Marcelle – Vous allez rire, mais plus rien ne m’étonne.

Dominique – Je commence à comprendre…

Marcelle – Moi je ne comprends rien.

Sanchez – La baronne n’était qu’un faux nez du maire.

Ramirez – Un double, en quelque sorte.

Marcelle – JR et la baronne ? Vous voulez dire… comme Docteur Mabuse et Mister Hyde ?

Ramirez – Comme le maire avait pour seule opposante la baronne, il était sûr d’être élu sous l’une ou l’autre de ses deux identités.

Sanchez – Et sous l’une ou l’autre de ses deux étiquettes politiques.

Marcelle – Pour le coup, on peut parler d’une candidature de rassemblement… Toutes tendances politiques et sexuelles confondues…

Ramirez – Malheureusement, le maire et la baronne sont morts tous les deux dans l’accident, puisqu’ils n’étaient que les deux faces d’une même médaille.

Dominique – Et Beaucon-le-Château, n’a plus de maire du tout.

Le maire arrive, précédé de Maurice essoufflé, et suivi de Charles, René et Mario. Le maire est à moitié travesti mais dans un style assez trash du fait de son accident.

Maurice – J’ai été un peu vite à délivrer le certificat de décès… Le maire avait seulement perdu momentanément connaissance sous la violence du choc…

Maire – Rassurez-vous, je suis bien vivant. Et tout va pouvoir rentrer dans l’ordre. Votre maire est là, plus rien de grave ne peut vous arriver.

Dominique – Je crois quand même que vous nous devez quelques explications.

Maire – D’accord, je le reconnais, j’ai un peu déconné. C’est vrai, la baronne de Carlsberg Kronenbourg, c’est moi.

Charles – Vous avouez donc ?

Maire – J’ai inventé le personnage de la baronne pour fédérer les voix de l’opposition. Elle devait disparaître opportunément entre les deux tours après avoir joué son rôle de diversion électorale. En me laissant le champ libre pour être réélu au deuxième tour. Malheureusement, comme vous le savez, il y a eu quelques imprévus…

Dominique – Et dans cette histoire de viager ? Qui est l’acheteur du Château ?

Maire – C’est Mario.

Tous les regards se tournent vers Mario

Ramirez – Mario ?

Maire – Ça ne devait être qu’un homme de paille. Et j’aurais récupéré le Château après la disparition de la baronne.

Ramirez – Un château acheté avec le fruit de vos malversations, j’imagine…

Sanchez – Une bonne façon de blanchir la part des anges.

Marcelle – Mais il y a eu cet accident.

Ramirez – Allez savoir si la voiture n’a pas été trafiquée. En faisant disparaître le maire, Mario gardait le château…

Mario – Et c’est d’ailleurs ce que je vais faire. Sinon je balance tout à la presse, je vous préviens.

René – C’est vrai qu’avec une histoire pareille, il aurait de quoi faire une sacrée comédie de boulevard…

Ramirez – Si tout le monde en est d’accord, je crois qu’il serait préférable de trouver un bon arrangement et de classer l’affaire.

Sanchez – Un bon arrangement vaut souvent mieux qu’un mauvais procès.

Maire – Nous n’allons pas jeter le discrédit sur le Plus Beau Village de France. Après tout, il n’y a pas mort d’homme.

Marcelle – Très bien, alors la baronne est élue, et on n’en parle plus.

Maire – La baronne ? Comment ça, la baronne. Mais mon plan initial, c’était de faire disparaître la baronne…

Marcelle – Je vous conseille de ne trop pousser le bouchon, JR. Les faire-part sont déjà partis en ce qui vous concerne.

Maurice – Et puis de quoi vous plaignez-vous ? Vous aurez des funérailles somptueuses !

René – Peut-être même une statue sur la place du village. Comme si vous étiez mort en héros à Verdun !

Dominique – On peut ouvrir une souscription, vous étiez quand même très populaire, de votre vivant. Et vous savez que les morts bénéficient toujours d’un préjugé favorable.

Maire – Mais alors je vais devoir rester travesti en baronne jusqu’à la fin de mes jours ?

Maurice – Jusqu’à la fin de votre mandat, en tout cas.

Ramirez – Voyez le bon côté des choses. Comme ça vous échappez aux poursuites judiciaires.

Sanchez – Vous vous refaites une virginité en quelque sorte.

Maire – Mais politiquement, je vais devoir changer de bord !

Marcelle – Ce n’est pas la première fois que vous retournez votre veste, non ? Vous avez déjà changé de sexe, vous n’êtes plus à ça près.

Francine arrive d’un côté et Bernadette de l’autre.

Francine – Ah Bernadette, ma chérie !

Bernadette – Maman, je crois que Mario a quelque chose à te dire…

Mario – Madame, je vous demande officiellement la main de votre fille.

Bernadette – Selon toute probabilité, c’est le père de mon enfant.

Dominique – À moins que ce ne soit celui du jury du plus Beau Village de France…

Mario – Quoi qu’il en soit, vous allez être grand-mère, Francine.

Francine – Grand-mère ? Ne soyez pas grossier en plus.

Mario – Je vous ferais tout de même remarquer que désormais, je suis propriétaire du château de Beaucon.

Marcelle – La baronne n’est pas encore morte, mais je suis sûre que dans un esprit d’apaisement, elle vous en cédera l’usufruit…

Francine – Le château ? Vraiment ?

Claude ressort du bistrot le tableau à la main.

Claude – J’ai gratté un peu la peinture, et j’ai découvert qu’il y a un autre tableau sous cette croûte !

Charles – Et alors ?

Claude – Vous n’allez pas le croire.

Marcelle – Au point où on en est…

Claude – Il est signé Van Gogh !

René – C’est vrai qu’il a séjourné dans le coin autrefois.

Charles – Si cette toile est authentifiée, elle vaudra une fortune.

Charles s’approche du tableau mais Mario s’interpose.

Mario – Je vous rappelle que ce tableau est à moi. Puisque vous n’en n’avez pas voulu…

Francine – J’ai toujours dit que ce garçon était le gendre idéal. Et bien soit, nous célébrerons ce mariage au château de Beaucon et tout le village sera invité à la fête !

Marcelle – Le Maire en personne se fera un plaisir de les marier, n’est-ce pas Madame la Baronne ?

Les futurs époux s’embrassent. Musique nuptiale.

Maurice – Le mariage du RMI et de l’ISF…

René – Une autre façon de régler la lutte des classes dans le Plus Beau Village de France.

Noir. Apparition de la Vierge en diapo. Noir.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Octobre 2013

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-48-2

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Réveillon au Poste 

Christmas Eve at the police station –  Nochevieja en la comisaríaRéveillon na esquadra

Comédie de Jean-Pierre Martinez

6 à 10 comédiens :

Tous les rôles jouables indifféremment par des hommes ou des femmes

Le soir de Noël, deux inspecteurs sont de garde avec pour seule compagnie quelques naufragés du réveillon. C’est alors qu’un Ministre débarque pour rendre hommage au dévouement de la police. Évidemment, rien ne va se passer comme prévu…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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TEXTE INTÉGRAL

Réveillon au Poste

Personnages :

Commissaire
Flic 1
Flic 2
Flic 3
Chef de cabinet
Collabo
Clodo
Mytho
Travelo
Parano

De 6 à 10 comédiens ou comédiennes

Tous les rôles peuvent être joués indifféremment par des hommes ou des femmes.
Les cinq derniers rôles peuvent être interprétés par une ou plusieurs personnes.

***

Un bureau glauque dans un commissariat sans âge. Dans un coin, un sapin de Noël pathétique supposé apporter une touche de gaîté dans cette ambiance de film noir ou de mauvaise série télé. Deux flics un peu débraillés, portant chacun une arme dans un holster, terminent une partie de poker sur le bureau de l’un d’eux. Le premier abat ses cartes avec un air confiant.

Flic 1 – Paire de dames.

Flic 2 – Paire de rois.

Flic 1 – Et merde…

Il enlève sa ceinture et la donne à l’autre.

Flic 1 – Je m’arrête là… Je ne vais quand même pas jouer mon pantalon…

Flic 2 – Tu as raison… Si le chef arrivait et te trouvait en calbute, ça pourrait prêter à confusion…

Ils rangent les cartes.

Flic 1 – Il est quelle heure ?

Flic 2 – Tu m’as déjà demandé ça il y a cinq minutes. Il était dix heures moins cinq.

Un temps.

Flic 1 – Et alors ? Il est quelle heure maintenant ?

Flic 2 (montrant son front) – Il n’y a pas marqué horloge parlante, là !

Flic 1 – Je t’ai donné ma montre, tu peux au moins me donner l’heure !

Flic 2 – Je l’ai gagnée honnêtement… Avec un brelan d’as…

Flic 1 – Honnêtement, ça reste à voir… Et puis à quoi ça te sert d’avoir une montre à chaque poignet ?

Agacé, l’autre retire une des montres de son poignet.

Flic 2 – Tu me fais pitié, va… (Il balance la montre) Tiens, la voilà ta toquante…

Mais le premier ne parvient pas à rattraper la montre qui tombe par terre. Il la ramasse et la porte à son oreille.

Flic 1 – Et voilà, maintenant elle ne marche plus.

Flic 2 – Heure du décès ?

Flic 1 (regardant la montre) – Dix heures.

Flic 2 – Et bien maintenant, tu sais l’heure qu’il est…

Un temps.

Flic 1 – C’est calme, non ?

Flic 2 – C’est toujours calme à cette période de l’année…

Flic 1 – La trêve des confiseurs, comme on dit.

Flic 2 – Même les serial killers respectent les traditions… Ils doivent être en train de découper la dinde…

Flic 1 – Pourquoi il a encore fallu que ça tombe sur nous cette année ?

Flic 2 – On a tiré ça à la courte paille avec les collègues. Mais tu as raison, c’est louche. Ça fait quand même trois années de suite qu’on est de garde le soir de Noël…

Flic 1 –Tu crois qu’ils ont triché ?

Flic 2 – L’année prochaine on fera ça au poker.

Flic 1 – Comment on fait pour tricher à la courte paille ?

Flic 2 – Console-toi en te disant qu’à l’heure qu’il est, tu pourrais être en train d’ouvrir des huîtres pour tes beaux parents.

Flic 1 – C’est vrai que je n’aime pas trop ça, les huîtres, moi.

Flic 2 – Personne n’aime les huîtres ! Et puis c’est très dangereux, une huître…

Flic 1 – On n’a jamais vu personne porter plainte parce qu’il s’était fait attaquer par une huître.

Flic 2 – D’après les statistiques du Ministère de l’Intérieur, beaucoup plus de policiers se blessent en ouvrant des huîtres qu’en nettoyant leur arme de service.

Flic 1 – Ah, ouais…?

Flic 2 – Le jour de Noël, on se fait chier partout… C’est pour ça que les gens sont condamnés à rester chez eux à ouvrir des huîtres au péril de leur vie. Alors qu’ils détestent ça, et leurs invités aussi.

Flic 1 – Tu as raison, on est plus peinard ici.

Flic 2 – De toute façon, on n’a pas le choix. On est de garde jusqu’à demain matin huit heures.

Flic 1 – Il faut bien que quelqu’un se dévoue pour veiller sur les honnêtes gens qui picolent en famille.

Flic 2 – On est des super héros, mon vieux, il faut assumer.

Flic 1 – Même si personne ne reconnaît la valeur de notre sacrifice.

Flic 2 – Les soldats, sur les théâtres d’opérations extérieures comme on dit, tous les ans à Noël ils ont droit à la visite du Président de la République, en hélicoptère, avec dans sa hotte du champagne, du foie gras et des strip teaseuses.

Flic 1 – Du foie gras, tu crois ?

Flic 2 – Nous, les soldats de l’intérieur, on n’a même pas droit à la visite du préfet et de sa femme avec une bouteille de mousseux.

Flic 1 – Pourtant, la nuit du réveillon, il y a sûrement plus de bagnoles qui brûlent ici qu’à Bagdad ou à Kaboul.

Flic 2 – On a beau être des flics, on est des êtres humains, quand même… Nous aussi, le soir du réveillon, on a le cafard.

Flic 1 – On en a même plein, des cafards. (Il retire sa chaussure et écrase quelque chose avec) On ne sait pas comment s’en débarrasser…

Un troisième flic arrive (une femme ou un homme style gay).

Flic 3 – Vous avez de la visite…

Flic 1 – De la visite ?

Flic 3 – Même les prisonniers ont droit à des visites, le soir du réveillon. Et je crois que cette année encore, vous allez avoir droit à votre petit colis de Noël…

Un homme entre à la suite du Flic 3. Il a une bouteille à la main.

Flic 1 – Oh putain non, pas lui…

Flic 2 – Ah, bonsoir Monsieur Dumortier, comment allez-vous ?

Collabo – Bonsoir, bonsoir… Je passe en coup de vent vous souhaiter un joyeux Noël. J’espère que je ne vous dérange pas ?

Flic 1 – Mais vous ne nous dérangez jamais, Monsieur Dumortier.

Flic 1 – Justement nous parlions de vous… (Moins fort) Enfin, nous parlions des cafards en général…

Flic 2 – Heureusement qu’il existe des citoyens vigilants comme pour vous pour assister la police dans sa noble mission.

Flic 3 – S’il y avait plus de gens comme Monsieur Dumortier, c’est sûr, la municipalité n’aurait même plus besoin d’investir dans la vidéosurveillance.

Flic 2 – Alors Monsieur Dumortier, qui venez-vous dénoncer aujourd’hui ? Un polygame présumé ? Un fraudeur aux allocations familiales ? Un orphelin sans papier ?

Collabo – Simple visite de courtoise. Je viens en voisin pour rendre hommage au dévouement des forces de l’ordre, dont vous êtes le bras armé.

Flic 1 – Mais je vois que vous n’êtes pas venu les mains vides…

Collabo – Je sais ce que c’est que de passer Noël tout seul loin de sa famille, la mienne ne veut plus me voir. Alors si je peux apporter un peu de réconfort aux soldats qui protègent notre pays contre les dangers qui le menacent de l’intérieur. Tenez, vous m’en direz des nouvelles…

Il pose sa bouteille sur un bureau.

Flic 1 – Ah mais dites-moi, c’est de la fabrication artisanale, on dirait. C’est écrit à la main, comme sur les pots de confiture Bonne Maman.

Flic 2 (lisant par dessus son épaule) – Alcool de châtaignes…

Flic 3 – Je ne savais pas qu’on pouvait faire de l’alcool avec des châtaignes…

Collabo – On peut faire de l’alcool avec tout, vous savez. Pendant la guerre, mon grand-père en faisait même avec des épluchures de pommes de terre et de vieilles semelles en cuir.

Flic 3 – Ah oui, 53 degrés, quand même… Ça ne doit pas être mal… Comme antiseptique, en tout cas.

Collabo – Pépé m’en a laissé quelques bouteilles en héritage avant d’être fusillé à la Libération. Quand celle-ci a été distillée, vous n’étiez même pas encore nés…

Flic 2 – Vous savez que c’est strictement interdit de fabriquer de l’alcool chez soi, Monsieur Dumortier. Nous pourrions vous mettre en garde à vue pour infraction à la législation sur les vins et spiritueux…

Dumortier semble inquiet.

Flic 3 – Mon collègue plaisante, évidemment…

Flic 1 – D’ailleurs, il y a prescription, n’est-ce pas ? Hélas, nous ne pourrons pas trinquer avec vous. Vous savez ce que c’est : jamais pendant le service !

Collabo – Vous la boirez à ma santé pour le Jour de l’An, alors. Si vous n’êtes pas de garde encore une fois… Allez, je me sauve… Vous devez avoir des tas de gens à mettre en prison…

Flic 3 – C’est vrai que les jours de réveillon, ici, c’est comme au théâtre. On affiche souvent complet. Je vous raccompagne, Monsieur Dumortier ?

Collabo – Je connais le chemin, mais bon…

Flic 2 – Vous êtes presque de la maison, pas vrai ?

Flic 1 – Et encore merci pour la bouteille !

Dumortier s’apprête à tourner les talons, mais se ravise.

Collabo – J’en profite quand même pour vous signaler que mon voisin de palier n’a pas encore acheté son éthylotest. Vous voulez le numéro de sa plaque d’immatriculation ?

Flic 2 – Nous sommes un peu débordés pendant cette période de fêtes. Et en sous-effectif. Mais revenez donc nous voir pour les étrennes…

Collabo – Je n’y manquerai pas. Et bonne soirée quand même…

L’homme s’en va, suivi du Flic 3.

Flic 1 – Et après, on va dire que les gens n’aiment pas la police…

Flic 2 – C’est vrai, on se plaint toujours d’être mal aimés, et pourtant… On ne peut pas s’empêcher de trouver ça un peu louche, d’aimer la police à ce point.

Flic 1 – On a bien fait de ne pas trinquer avec lui, il aurait été foutu de nous dénoncer aux bœufs-carottes pour avoir picolé pendant le service.

Il débouche la bouteille, pendant que l’autre sort deux verres, aussitôt remplis. Ils trinquent.

Flic 1 – Bon ben … Joyeux Noël, alors.

Flic 2 – C’est ça, joyeux Noël toi-même.

Ils vident leurs verres cul-sec.

Flic 1 – Ah oui, quand même…

Flic 2 – 53 degrés.

Flic 1 – Ça ramone.

Flic 2 – Faudra qu’on lui demande la composition exacte.

Flic 1 – Ouais, il n’y a pas que de la prune là dedans.

Flic 2 – Il a dit que c’était de la châtaigne…

Flic 1 – Mmm…

Flic 2 – Je me demande si le grand-père ne rajoutait pas un peu de Destop pour rehausser le goût du fruit.

Flic 1 – Tu te rends compte, cette liqueur est plus vieille que nous…

Flic 2 – Le pépé devait fabriquer ça dans sa cave pendant le couvre-feu avec ce qui lui tombait sous la main.

Flic 1 – Sa façon à lui de résister à l’occupant.

Flic 2 – Allez, ressers-nous une tournée, va. C’est toujours ça que les boches n’auront pas…

L’autre remplit à nouveau les deux verres, qu’ils vident encore cul sec.

Flic 1 – Je ne sais pas s’il y a du Destop là dedans, mais c’est vrai que ça débouche la tuyauterie.

Le Flic 3 revient. Les deux flics planquent la bouteille et les verres à la hâte. Le Flic 3 traîne derrière lui un clodo en état d’ébriété.

Flic 3 – On l’a trouvé en train de montrer ses fesses juste en face du commissariat.

Flic 1 – Comme si on n’avait pas vu assez d’horreurs comme ça pendant la guerre.

Clodo – Mort aux vaches !

Flic 2 – Mort aux vaches… Un peu désuet comme expression, mon brave, non ?

Flic 3 – C’est du Brassens…

Flic 2 – Ah… Dans ce cas, moi je dis respect…

Flic 1 – Brassens, c’est indémodable.

Flic 2 – Et puis quelqu’un qui déteste les flics à ce point ne peut pas être entièrement mauvais. Je propose qu’on l’amnistie. C’est Noël, quand même…

Flic 1 – Ouais… Et puis je ne sais pas s’il est complètement mauvais, mais ce qui est sûr c’est qu’il sent très mauvais…

Flic 3 – C’est vrai qu’à lui tout seul, c’est une arme de destruction massive. Si Saddam avait pu mettre la main sur ce type à l’époque de la guerre du Golfe, il aurait sûrement gagné contre la coalition…

Clodo – Insulte à agent ! Vous n’avez pas le droit de me relâcher ! Je connais mes droits !

Flic 1 – Encore un qui ne veut pas passer le réveillon à se les geler dehors.

Flic 2 (au Flic 3) – Allez, tachez de lui trouver une cellule individuelle… Je ne voudrais pas que les autres nous accusent d’avoir voulu les gazer…

Clodo – Merci Messeigneurs… Dieu vous le rendra…

Le Flic 3 s’apprête à emmener le clodo, mais le Flic 1 l’interpelle.

Flic 1 – Attendez une minute… Donnez-moi votre ceinture…

Clodo – Pourquoi faire ?

Flic 1 – Vous êtes en garde à vue, c’est le règlement.

Le clodo s’exécute à regret et donne sa ceinture au flic.

Clodo – Vous voulez aussi mes lacets ?

Flic 1 – Merci, ça ira.

Le Flic 3 l’emmène. Le Flic 1, qui n’a plus de ceinture, met celle du clodo.

Flic 1 – Au moins, j’ai récupéré une ceinture.

Il ressort la bouteille et les verres, et ils boivent à nouveau.    

Flic 1 – C’est marrant, j’ai un vieux souvenir qui me revient, je ne sais pas pourquoi…

Flic 2 – Ne te sens surtout pas obligé de me le raconter.

Flic 1 – Je devais avoir cinq ans… Mon père tenait un magasin de jouets… Au Bonheur des Enfants, ça s’appelait…

Flic 2 – Ouf… Je craignais que tu me racontes ton enfance malheureuse…

Flic 1 – Malheureusement, mon père était très avare.

Flic 2 – Ah…

Flic 1 – Le soir de Noël, ma mère m’avait fait cadeau d’un énorme ours en peluche qui trônait dans la vitrine du magasin…

Flic 2 – Quelque chose me dit que cette histoire va mal finir…

Flic 1 – Quand il a vu ça, mon père est devenu fou furieux. Il a foutu une trempe à ma mère, il m’a arraché la peluche des mains et il l’a remise dans la vitrine…

Flic 2 – Hun, hun…

Flic 1 – Je me demande si ce n’est pas pour ça que depuis, Noël, ça me fout le bourdon.

Flic 2 – Et ben tu vois, tu viens d’économiser dix ans de psychanalyse. Et moi je ne t’ai rien fait payer pour écouter tes conneries à part ce que je t’ai pris au poker…

Silence pesant. Le Flic 1 semble passablement déprimé.

Flic 2 – Je me demande si je ne devrais pas te confisquer cette ceinture aussi. Tu ne vas pas te pendre avec au porte-manteaux dès que j’aurai le dos tourné, dis ?

Le Flic 3 revient avec une prostituée de sexe ambigu (femme un peu hommasse ou homme travesti).

Flic 1 – C’est quoi ça ?

Flic 3 – Distribution variable, comme on dit au théâtre.

Flic 1 – Je ne vais jamais au théâtre, ça m’endort.

Flic 2 – Ça veut dire qu’on ne sait pas si elle en a ou pas.

Travelo – Vous voulez vérifier ?

Flic 1 – Dans le doute, on vous appellera Madame.

Travelo – Mademoiselle, je préfère.

Flic 1 – Et alors ? Qu’est-ce qui l’amène la demoiselle ?

Flic 3 – Elle faisait le tapin devant une synagogue.

Flic 1 – Vous ne respectez donc rien.

Flic 2 – Si ça se trouve, elle n’est même pas circoncis.

Travelo – Ben quoi ? Vous préférez que je racole à la sortie de la messe de minuit ?

Flic 3 – Qu’est-ce qu’on fait ? On ne peut quand même pas la coffrer pour antisémitisme.

Travelo – Vous savez ce que Arletty a répondu quand on a voulu la tondre à la Libération pour avoir fricoté avec les frisés.

Flic 2 – J’aimerai assez que vous nous le rappeliez.

Flic 3 (répondant à sa place) – Mon cœur est français, mon cul est international.

Travelo – Et ben moi, mon cul, il est œcuménique.

Flic 1 – Pardon ?

Flic 2 – Laisse tomber, c’est sûrement un gros mot.

Flic 1 – Bon, et ben on la relâchera après la messe de minuit, alors.

Travelo – Et pour quel motif vous m’arrêtez ?

Flic 2 – Trouble à l’ordre biblique, ça vous va ?

Flic 1 – Allez, tu mets Mademoiselle dans la suite royale et tu veilles à ce qu’elle ne manque de rien.

Travelo – Vous le regretterez, je vous garantis. Vous ne savez pas à qui vous parlez. J’ai des relations, moi. Et pas seulement avec des ministres du culte.

Flic 2 – S’il vous arrive d’avoir des relations avec le Ministre de l’Intérieur, vous pourriez lui glisser sur l’oreiller qu’on est en sous effectif ?

Travelo – Bande d’enculés, va !

Flic 1 – C’est ça, joyeux Noël à vous aussi.

Le Flic 3 emmène la prostituée.

Flic 1 – C’est incroyable ce que les putes peuvent être vulgaires, de nos jours.

Flic 2 – C’est à croire que leurs parents ne leur ont rien appris.

Les deux flics continuent à boire.

Flic 1 – C’est curieux, mais il y a un autre truc qui me revient en mémoire, tout d’un coup…

L’autre, inquiet, regarde l’étiquette de la bouteille.

Flic 2 – Putain, mais c’est quoi ce tord-boyaux qu’il nous a refilé ? Un sérum de vérité ? Je me demande si tu ne ferais pas mieux d’arrêter d’en boire…

Flic 1 – C’était encore à Noël, mais cette fois, je devais avoir une dizaine d’années. Mon père venait de mourir, dans des circonstances assez obscures d’ailleurs…

Flic 2 – Oh non, c’est moi qui vais me pendre…

Flic 1 – Je croyais encore au Père Noël, et ma mère m’avait dit qu’il passerait vers minuit. Alors je l’ai attendu, pour le voir…

Flic 2 – Et évidemment tu ne l’as jamais vu.

Flic 1 – Si… Vers minuit, je me réveille. Je me lève pour voir ce que le Père Noël m’avait apporté, et ç’est là que je l’ai aperçu… dans le lit de ma mère.

Flic 2 – Et après tu te demandes pourquoi tu n’aimes pas les huîtres…

Flic 1 – Je suis allé me recoucher… Mais je crois que ce jour-là, si j’avais eu un flingue comme aujourd’hui, je l’aurais buté, le Père Noël. En fait, je crois que c’est pour en avoir un gros que je suis devenu flic.

Flic 2 – Un gros quoi ?

Flic 1 – Un gros pistolet ! Pour buter le Père Noël !

Flic 2 – Je crois que tu ferais mieux d’aller consulter, finalement. Même si ça doit te coûter la moitié de ta paye.

Le commissaire arrive. Les deux flics, un peu avachis, reprennent une position plus correcte, mais n’ont pas le temps de planquer la bouteille.

Flic 1 – Commissaire…

Commissaire – Je vois qu’on a commencé à célébrer la nativité.

Flic 2 – Un cadeau d’un de nos indicateurs, Commissaire.

Flic 1 – On n’a pas pu refuser de trinquer avec lui, ç’aurait été grossier…

Commissaire – Bien sûr… Et sinon, qu’est-ce qu’on a ?

Flic 1 – Oh, comme chaque année, vous savez… Quelques naufragés du réveillon… Un clodo, une pute, un exhibitionniste, un voyeur…

Commissaire – Il ne manque plus que le bœuf et l’âne, et vous aurez de quoi faire une crèche vivante.

Flic 2 – Oui… On attend les rois mages…

Commissaire – En attendant, vous n’avez qu’à mettre l’exhibitionniste et le voyeur dans la même cellule. Au moins ces deux-là passeront un joyeux Noël. Autre chose ?

Le Flic 3 arrive avec un autre individu.

Flic 3 – Je crois que ça, ça va vous intéresser, Commissaire… Monsieur est venu ici de son plein gré pour passer des aveux spontanés et se constituer prisonnier.

Commissaire – Allons bon… Vous savez que dans la police, on n’aime pas trop les aveux spontanés, ça gâche le métier. Déjà que le Ministère ne remplace plus qu’un policier sur deux… Alors mon brave, qu’est-ce qui vous amène ? Vous avez poignardé votre conjoint avec le couteau à découper parce que le gigot était trop cuit ? Ne rigolez pas, c’est arrivé l’année dernière.

Mytho – Non, pas exactement.

Commissaire – Simples coups et blessures, alors ? Il semblerait que pour certains, balancer des marrons à sa dinde avant de la fourrer, ce soit aussi une tradition de Noël…

Mytho – La raison de ma présence ici est beaucoup plus importante, Commissaire.

Commissaire – Je vous écoute…

Mytho – J’ai assassiné Pierre Bérégovoy.

Moment de stupeur.

Flic 3 – Je vous avais dit que ça risquait de vous intéresser…

Commissaire – Tant que vous y êtes, vous êtes sûr que vous n’avez pas assassiné Jaurès, aussi, comme ça on vous ferait le tarif récidiviste…

Mytho – J’étais sûr que vous ne me croiriez pas…

Flic 3 – En même temps, c’est vrai que c’est une histoire assez sombre, qui n’a jamais été vraiment élucidée.

Commissaire – Dites donc, Sherlock Holmes, si je n’arrive pas à résoudre cette énigme tout seul, je vous demanderai votre avis, d’accord ?

Flic 3 – Bien sûr, Commissaire…

Commissaire – Bon, alors voilà ce qu’on va faire. Ces messieurs vont vous donner un crayon et du papier, vous allez nous coucher vos aveux complets noir sur blanc, et on étudiera ça demain matin à tête reposée, d’accord ?

Mytho – Très bien. Merci de m’avoir prêté une oreille attentive, Commissaire…

Le Flic 1 donne au mythomane un bloc notes et un stylo.

Commissaire (au Flic 3) – Vous accompagnez Monsieur jusqu’à sa cellule ?

Mytho – Si ce n’est pas abuser, je peux avoir du café ? Ça risque d’être assez long…

Les autres lèvent les yeux au ciel.

Flic 3 – Combien de sucres ?

Le Flic 3 s’en va en emmenant le mythomane.

Commissaire – Je vous dis que tout à l’heure, on va voir débarquer l’assassin d’Henri IV…

Flic 2 – Pour lui, au moins, on est sûr qu’il y a prescription…

Commissaire – Encore un qui ne savait pas où réveillonner…

Flic 2 – C’est fou ce que la période des fêtes est cruelle pour les gens seuls.

Flic 1 – En même temps, on n’est pas les Restos du Cœur, non plus. Il ne s’agirait pas que trop de convives se pointent sans réservation, sinon on va devoir refuser du monde…

Commissaire – Bon, allez, ce n’est pas que je m’ennuie mais… j’ai une famille moi… Je vous laisse les clefs de la boutique ?

Flic 1 – Vous pouvez compter sur nous, Commissaire…

Commissaire – De toute façon, je reste joignable sur mon portable en cas d’urgence. Ah, au fait, j’oubliais… Il y a très peu de chance que ça tombe sur vous, mais bon…

Flic 1 – Oh, vous savez, ça fait trois années de suite que ça tombe sur nous alors…

Commissaire – Non, je voulais dire, euh… Comme vous le savez, cette année, le Ministre de l’Intérieur qui vient d’être nommé a décidé d’innover. Il visitera à l’improviste un commissariat choisi au hasard pour saluer le dévouement de la police.

Flic 1 – Tiens donc…

Commissaire – Le coup du ministre qui va saluer ses troupes le soir du réveillon. Un grand classique de la Défense Nationale que notre nouveau Ministre de l’Intérieur souhaite imiter en visitant lui-même le commissariat d’un quartier sensible.

Flic 2 – Mais nous serions très sensibles à cet honneur, Commissaire…

Commissaire – Bon, quoi qu’il en soit, gardez une tenue à peu près correcte, on ne sait jamais… Et ne forcez pas trop sur la bouteille.

Flic 2 – Allez Commissaire, vous allez bien trinquer avec nous avant de partir ! C’est Noël, quand même…

Commissaire – Bon, juste un verre alors…

Le Flic 1 remplit trois verres. Le commissaire regarde l’étiquette de la bouteille.

Commissaire – C’est quoi, ce truc ?

Flic 1 – Une spécialité régionale.

Commissaire – Quelle région ?

Flic 2 – La Seine Saint Denis, je crois. Vous allez voir, c’est le petit Jésus dans une culotte de velours.

Le commissaire boit et fait la grimace. Les deux autres se marrent.

Commissaire – Ah, oui, quand même…

Flic 1 – 53 degrés.

Commissaire – Je vous déconseille de fumer après avoir bu ça…

Ils reprennent tous une gorgée.

Flic 1 – C’est marrant, ça me rappelle quelque chose…

Commissaire (le coupant) – Bon, vous me raconterez ça une fois. Il faut vraiment que je file, là… Je suis déjà en retard…

Flic 2 – Et alors Commissaire ? Vous ne vous déguisez pas en Père Noël cette année pour nous apporter nos cadeaux au pied du sapin ?

Commissaire – Si vous avez été bien sages… Allez, bon courage pour cette nuit…

Flic 1 – Joyeux Noël, Commissaire !

Le commissaire s’en va, croisant le Flic 3 qui revient, poussant devant lui un individu à l’air passablement exalté.

Flic 1 – Qu’est-ce que c’est que ça, encore…

Flic 3 – Rien de grave, rassurez-vous. Mais il semblerait que la fin du monde soit pour le 31 décembre. Monsieur va tout vous expliquer.

Parano – Je vais essayer de faire bref, car le temps nous est compté. Je suis astronome amateur.

Flic 2 – Ça commence bien…

Parano – Depuis quelques semaines, j’ai repéré dans mon télescope un objet céleste qui s’approche de notre planète à la vitesse de la lumière.

Flic 2 – Hun, hun…

Parano – D’après mes calculs, il entrera en collision avec la terre très précisément le 31 décembre à minuit, à Fontenay-sous-Bois.

Flic 2 – Et en quoi ça concerne la police ?

Flic 1 – Des météorites qui tombent sur terre, il y en a souvent, non ?

Flic 3 – C’est là où ça se corse, si je peux me permettre. D’après Monsieur, cette météorite est grande comme deux départements français. La taille de la Corse, justement.

Parano – Et le plus curieux, c’est que cette météorite a exactement la forme de l’Ile de Beauté.

Flic 2 – Sans blague ?

Parano – Évidemment, le gouvernement et les médias sont au courant, mais ils ont préféré garder cette information secrète.

Flic 2 – On nous cache tout, c’est dingue…

Flic 1 – En même temps, la Corse, ce n’est pas si grand que ça… Et puis Fontenay-sous-Bois, entre nous… Ce n’est pas la fin du monde, quand même…

Parano – Vous plaisantez ! Une météorite de cette taille lancée à la vitesse de la lumière, dégagera en entrant en collision avec la Terre une énergie équivalente à plusieurs millions de bombes atomiques.

Flic 1 – Ah, oui, quand même…

Flic 2 – Dommage que ça ne tombe pas le 14 juillet, ça aurait fait un beau feu d’artifice…

Parano – Notre planète va littéralement fondre sous le choc, et puis ce sera l’hiver nucléaire pour quelques millions d’années. Nous allons tous être exterminés ! Comme les dinosaures. Au mieux, il ne restera plus que quelques cafards.

Flic 2 – Putain… On n’en sera même pas débarrassé.

Flic 1 – C’est vrai que c’est costaud, ces bestiaux-là. Nous on a tout essayé pour en venir à bout…

Flic 2 (au Flic 3) – Bon… Et pourquoi vous nous l’avez amené, Nostradamus, exactement ? Il veut porter plainte contre Dieu, ou quelque chose comme ça ?

Flic 3 – Tentative de suicide.

Flic 2 – Pardon ?

Flic 3 – Ce zouave-là s’est jeté dans la Seine depuis le Pont de l’Alma.

Flic 1 – Ça sert à quoi de se suicider à une semaine de la fin du monde ?

Flic 3 – Un dernier acte de liberté individuelle, j’imagine. Une façon de rester maître de son destin, malgré la certitude que nous avons tous de mourir tous un jour. Vous avez lu ce que Nietzsche a écrit au sujet du suicide ?

Flic 2 – Bon et alors ? On a encore le droit de se suicider, non ? Ce n’est pas un délit !

Flic 3 – Le problème, c’est qu’un bateau mouche passait juste en dessous quand Monsieur s’est jeté du pont, et il a atterri sur une touriste américaine. Un peu enrobée, heureusement. Pour lui, ça a amorti le choc. Mais l’Amerloque, elle, elle est dans un sale état. Alors évidemment, elle a porté plainte.

Flic 1 – C’est sûr qu’elle, elle a dû croire que c’était le ciel qui lui tombait sur la tête

Flic 2 – Ok, vous nous le mettez au frais jusqu’à demain, et on verra ça plus tard avec le commissaire.

Parano – C’est la fin du monde, je vous dis ! Dans une semaine exactement. C’est le moment d’expier vos péchés !

Le Flic 3 emmène l’illuminé.

Flic 2 – La Corse qui s’écrase sur Fontenay-sous-Bois… On ne nous l’avait encore jamais faite, celle-là…

Flic 1 – Remarque, ce que raconte ce type est tout à fait possible… C’est déjà arrivé, et ça arrivera sûrement encore, une météorite qui entre en collision avec la Terre. Alors pourquoi le 31 décembre, ce ne serait pas la fin du monde…

Flic 2 – Moi je te prédis un truc en tout cas : le 31 décembre ce sera la fin de l’année…

Flic 1 – Qu’est-ce que tu ferais, toi, si la fin du monde était dans une semaine.

Flic 2 – Je ne resterais pas ici à écouter tes conneries pour un salaire de misère, en tout cas… Tu vois, c’est ça finalement qui nous pourrit la vie…

Flic 1 – Quoi ?

Flic 2 – L’avenir ! Depuis qu’on est tout petit on nous apprend à renoncer à tous nos rêves pour assurer notre avenir. Finalement, c’est ce type qui a raison. On devrait tous vivre comme si la fin du monde était dans une semaine.

Flic 1 – Ouais… Enfin lui, ça l’a surtout conduit à se jeter d’un pont…

Flic 2 – Sur une Américaine ! Il aime peut-être les femmes rondes… Moi aussi, si je croyais que la fin du monde était pour bientôt, je me jetterais sûrement sur la première fille venue. Et à défaut, peut-être même sur toi…

Le Flic 1 le regarde avec un air inquiet, puis remplit à nouveau les verres.

Flic 1 – Pourquoi tu es devenu flic, toi ?

Flic 2 – Étant petit, quand je jouais aux cow-boys et aux indiens, je faisais indien. En grandissant, on m’a dit de penser à mon avenir… Alors j’ai fait cow-boy.

Flic 1 – Résultat, on n’a même jamais eu l’occasion de sortir notre flingue de son étui à part à l’entraînement.

Flic 2 – Heureusement, tu tires comme un pied ! Tu aurais pu blesser quelqu’un…

Flic 1 – Je tire mieux que toi.

Flic 2 – Tu me lances un défi ?

Flic 1 – Tu veux faire un carton sur les cafards, pour voir qui tire le mieux ? Tiens, j’en vois un sur le mur là-bas. Je te parie que d’ici, je lui mets une balle entre les deux yeux.

Le Flic 1 enlève le cran de sécurité de son arme et fait mine de viser.

Flic 2 – C’est qu’il le ferait, ce con. Allez, range ça, tu vas tuer quelqu’un, je te dis…

L’autre fait mine de tirer avant d’éclater de rire. Puis il range son arme dans son holster.

Flic 1 (levant son verre) – À la santé des cafards !

Flic 2 – Tu as raison. Après la fin du monde, il n’y a que sur eux qu’on pourra compter pour refonder la civilisation.

Ils boivent.

Flic 2 – Bon, je vais aux chiottes vider mon chargeur, moi. C’est vrai que ça débouche bien la tuyauterie, ce truc-là.

Le Flic 2 sort. Le Flic 1, passablement éméché, s’assoupit un peu sur sa chaise, s’avachissant progressivement, à tel point qu’il finit par tomber par terre. C’est alors qu’un type arrive déguisé en Père Noël avec une hotte. Il ne voit personne dans la pièce. Le Flic 1, à la fois bourré et somnolent, se relève de derrière son bureau dans un état second et l’aperçoit.

Père Noël (voix déformée par la fausse barbe) – Joyeux Noël !

Flic 1 – Oh, putain, le Père Noël ! (Il sort son arme) Depuis le temps que j’ai envie de me le faire, celui-là !

L’autre lève les mains, surpris.

Père Noël – Mais…

Flic 1 – Tu fermes ta gueule et tu ne bouges pas, d’accord ! Ah, tu fais moins le malin, maintenant, hein, le Père Noël ? Je ne sais pas ce qui me retient de…

Le coup part accidentellement.

Flic 1 – Merde, j’avais oublié de remettre le cran de sécurité…

Le Père Noël s’écroule par terre. Le Flic 2 revient alors des toilettes. Il aperçoit le Père Noël par terre.

Flic 2 – C’est quoi, ce bordel ?

Flic 1 – Je viens de buter le Père Noël…

Flic 2 – Ah, oui, là c’est la grosse bavure. Un 24 décembre au soir. Tu imagines tous les enfants que tu vas décevoir ?

Flic 1 – Le coup est parti tout seul…

Flic 2 – Ben tu n’auras qu’à dire ça aux bœufs-carottes. Homicide involontaire.

Flic 1 – Tu crois qu’il est mort ?

Le Flic 2 prend conscience que l’affaire est sérieuse.

Flic 2 – Tu lui as vraiment tiré dessus ? Mais c’est qui, ce type ?

Flic 1 – Je te jure que je n’en ai pas la moindre idée. Il a surgi comme ça tout d’un coup…

Flic 2 – Si seulement c’était le vrai Père Noël, on pourrait toujours espérer étouffer l’affaire.

Flic 1 – Tu crois ?

Flic 2 – Mais à ton âge tu sais quand même que le vrai père Noël n’existe pas. La dernière fois que tu as vu un Père Noël, c’était dans le lit de ta mère…

Flic 1 – Merde, alors qui ça peut être… Le commissaire ! Il a dit qu’il viendrait habillé en Père Noël pour nous apporter nos cadeaux ! Je pensais qu’il plaisantait…

L’autre se penche sur le corps.

Flic 2 – Et ben on va lui enlever sa capuche, sa barbe et ses moustaches, et on va savoir ça tout de suite…

Il s’apprête à le faire quand le commissaire revient, apparemment sous pression.

Commissaire – On en dans la merde, les enfants…

Flic 1 – À qui le dites vous…

Flic 2 – Un problème, Commissaire ?

Commissaire – Le Ministre ! On vient de nous annoncer son arrivée !

Flic 1 – Quel Ministre ?

Commissaire – Le Ministre de l’Intérieur ! Il a choisi notre commissariat pour sa petite visite de Noël !

Flic 2 – Non…?

Commissaire – Je vous avoue que j’aurais préféré réveillonner tranquillement chez moi, mais bon, on n’a pas le choix. Et puis si on arrive à faire bonne impression, c’est peut-être l’occasion d’obtenir les effectifs supplémentaires que nous demandons depuis des années.

Flic 1 – Vous pouvez compter sur nous, Commissaire !

Le commissaire aperçoit alors le Père Noël gisant par terre.

Commissaire – C’est quoi, ça ?

Flic 1 – C’est à dire que…

Flic 2 – Un coma éthylique, Commissaire… On l’a ramassé devant Les Galeries Lafayette alors qu’il était en train de montrer son zgeg à…

Commissaire – Je ne veux pas en savoir plus, je n’ai pas le temps. En tout cas, vous me virez ça d’ici tout de suite, d’accord !

Flic 1 – Ne vous inquiétez pas, Commissaire, on va le mettre tout de suite en cellule de dégrisement…

Commissaire – Et vous me rangez cette bouteille, bordel ! Le chef de cabinet est en train de garer la voiture ministérielle, mais il m’a dit que le ministre était déjà dans nos murs. Je m’attendais même à le trouver ici. Je vais voir ce qu’il fout ce con…

Le commissaire s’en va. Le regard des deux autres se tourne vers le Père Noël.

Flic 2 – Apparemment, ce n’est pas le commissaire non plus…

Flic 1 – Mais alors qui ça peut bien être ?

Flic 2 – L’urgence, c’est de planquer le corps avant que le Ministre débarque ici. Parce que le Père Noël victime de violences policières le soir du réveillon, je ne suis pas sûr que ça contribue à lui faire bonne impression…

Flic 1 – On n’a plus aucune cellule individuelle… On ne va pas le mettre avec les autres, ça ferait jaser…

Flic 2 – De toute façon, on n’a pas le temps. On va le planquer derrière le bureau en attendant. Tu as entendu le commissaire ? Le ministre va être là d’une minute à l’autre.

Les deux flics planquent le Père Noël à la hâte derrière le bureau. Le Chef de Cabinet du Ministre arrive.

Chef de Cabinet – Bonsoir Messieurs, et joyeux Noël à vous !

Flic 1 – Monsieur le Ministre…

Chef de Cabinet – Je ne suis que son Chef de Cabinet… Mais je pensais le trouver ici. J’étais en train d’essayer de garer la Twingo…

Flic 2 – La Twingo…

Chef de Cabinet – Qu’est-ce que vous voulez, c’est la présidence normale… Et le pire, c’est que je suis obligé de la conduire moi-même… C’est fou ce qu’on a du mal à se garer, dans votre quartier…

Flic 2 – Comme quoi, malgré la crise, les pauvres ont encore les moyens de s’acheter des voitures.

Chef de Cabinet – Et souvent plus luxueuses qu’une Twingo, croyez-moi… Bref, j’ai dû garer la mienne en double-file. Et avec cette neige…

Flic 1 – Ne vous inquiétez pas, si un collègue vous met une amende, on vous la fera sauter.

Chef de Cabinet – Ah, mais il n’en n’est pas question, vous plaisantez ! Comme vous le savez, nous sommes pour une république irréprochable !

Flic 2 – Bien sûr…

Chef de Cabinet – Je ne comprends pas… On devait se rejoindre ici. Lui est venu en traîneau…

Flic 1 – En traîneau ?

Chef de Cabinet – Évidemment, on n’a pas pu avoir de rennes, c’était trop cher. On les a remplacés par des chiens policiers… Alors vous ne l’avez pas vu ?

Flic 2 – Le traîneau ?

Chef de Cabinet – Le Ministre ! Vous n’auriez pas pu le rater, il est déguisé en Père Noël…

Flic 1 – En Père Noël !

Chef de Cabinet – C’est un peu potache, je sais, mais c’est un geste symbolique très fort. Une façon de montrer que pour le Ministre de l’Intérieur, tous les policiers sont ses enfants, et qu’il saura vous récompenser. À condition que vous soyez bien sages, évidemment. Donc, vous ne l’avez pas vu…

Flic 2 – Il est peut-être dans un bureau à côté…

Chef de Cabinet – Je vais aller voir, je vous remercie. Et bien sûr, nous repassons vous rendre une petite visite tout à l’heure.

Flic 2 – Très bien…

Chef de Cabinet – Et ne changez surtout rien pour nous. Faites exactement comme si nous n’étions pas là, d’accord ?

Le Chef de Cabinet repart. Les flics sont anéantis. Leurs regards se tournent vers l’endroit où le Père Noël est planqué.

Flic 1 – Le Ministre de l’Intérieur…

Flic 2 – Il y a du remaniement dans l’air.

Flic 1 – Oh putain…

Flic 2 – Ah oui, comme bavure, c’est difficile de faire mieux…

Flic 1 – Qu’est-ce qu’on fait ?

Flic 2 – On va bien trouver une solution..

Flic 1 – Tu crois ?

Flic 2 – Non, je disais juste ça pour te rassurer.

Flic 1 – En attendant, on ne peut pas le laisser là. L’autre a dit qu’il revenait dans cinq minutes…

Flic 2 – On n’a pas le choix, on va le mettre en cellule…

Ils sortent le Père Noël de derrière le bureau et commence à le traîner. Le Flic 3 revient.

Flic 3 – Vous avez besoin d’un coup de main ?

Flic 1 – Ça va aller, merci…

Flic 3 – Qu’est-ce qu’il a ? Quelque chose qui n’aura pas digéré ?

Flic 2 – C’est ça, des pruneaux…

Flic 3 – La période des fêtes est propice à tous les excès…

Flic 2 – Eh oui, et après on le regrette… (Au Flic 1) Pas vrai ?

Flic 3 – Un Père Noël, en plus… Quel exemple pour les enfants…

Le Flic 3 s’en va.

Flic 2 – Tu n’as qu’à le mettre avec le mythomane.

Flic 1 – Pourquoi ?

Flic 2 – S’il raconte qu’il a vu le cadavre du Ministre de l’Intérieur, personne ne le croira.

Flic 1 – Tu as raison, les mythomanes, ça a quand même du bon…

Flic 2 – Je reste là pour occuper le Chef de Cabinet.

Le Flic 1 sort en traînant le Père Noël par les pieds. Le chef de cabinet revient accompagné du commissaire, qui tente de faire bonne figure.

Commissaire – Vous n’allez pas le croire, mais nous avons perdu le Ministre… Il n’est pas passé par ici ?

Flic 2 – Je n’ai rien vu…

Chef de Cabinet – J’espère qu’il ne lui est rien arrivé…

Commissaire (plaisantant) – Que voulez-vous qu’il arrive à un Ministre de l’Intérieur dans un commissariat ?

Chef de Cabinet – Vous avez raison…

Commissaire – Il est peut-être… là où le roi lui-même va seul. On a beau être ministre, on a les mêmes besoins que monsieur Toutlemonde, pas vrai ?

Chef de Cabinet – Mais parfaitement. C’est ça aussi, la présidence normale…

Commissaire – Tout de même, que le Ministre soit aux toilettes et que son Chef de Cabinet ne soit pas au courant, vous avouerez…

Chef de Cabinet – Très drôle… C’est important, l’humour… Surtout quand on fait un métier comme le vôtre, j’imagine…

Commissaire – Allez, je vais vous faire visiter les locaux en attendant… Vous verrez, malheureusement, c’est très vétuste. À rafraîchir, comme on dit dans les petites annonces immobilières pour dire que c’est une ruine… Si vous pouviez en toucher un mot au Ministre, quand on l’aura retrouvé…

Le commissaire s’en va en entraînant le Chef de Cabinet avec lui. Le Flic 1 revient.

Flic 2 – Alors ?

Flic 1 – J’ai dit au mytho que c’était le Ministre de l’Intérieur déguisé en Père noël et que je venais de lui coller une balle dans le buffet.

Flic 2 – Et il t’a cru ?

Flic 1 – L’avantage avec les mythomanes, c’est qu’ils sont très crédules…

Flic 2 – Ça nous donne un peu de répit.

Flic 1 – C’est vrai que pour cacher un cadavre, un commissariat… Ce n’est pas l’endroit où la police pense chercher en premier, mais bon…

Flic 2 – En même temps, ça ne va pas être évident de faire sortir le corps d’ici discrètement. Il y a des flics partout… Alors tu imagines quand la disparition du ministre aura été signalée officiellement, ce qui ne saurait tarder… On va avoir la DST et le GIGN sur les bras…

Flic 1 – Tu as raison, il faut trouver une solution, et vite…

Flic 2 – Si on ne peut pas se débarrasser du corps, il faudrait pouvoir trouver une explication naturelle à sa mort…

Flic 1 – Naturelle… Avec une balle dans le buffet…

Flic 2 – Dans ce cas, il faut trouver quelqu’un pour porter le chapeau à ta place !

Flic 1 – J’imagine que tu n’es pas volontaire…

Flic 2 – Le mytho !

Flic 1 – Quoi ?

Le portable du Flic 1 sonne.

Flic 2 – Va le chercher, je n’ai pas le temps de t’expliquer.

Flic 1 – J’y vais…

Le Flic 1 répond.

Flic 2 – Ouais… Ah, bonsoir maman… Ben oui, je sais, mais qu’est-ce que tu veux… Évidemment, je préférerais être avec vous à manger des huîtres, mais bon… Oh, ici, tu sais, c’est plutôt calme, hein ? Le soir du réveillon… Bon, il va falloir que je te laisse là, parce que j’ai un petit problème à régler… Non, non, rien de grave, je t’assure… D’accord, vous me gardez un morceau de bûche, c’est gentil… Joyeux Noël à toi aussi, maman…

Le Flic 1 revient avec le mythomane.

Flic 2 – Alors, mon vieux, ça avance, ces Mémoires d’Outre-Tombe ?

Mytho – Ça va, je vous remercie… Mais je n’en suis qu’au tout début, vous savez… Alors si ça ne vous dérange pas trop…

Flic 1 – Vous avez bien cinq minutes, quand même…

Mytho – Bon, mais cinq minutes, alors…

Flic 2 – Asseyez-vous, je vous en prie. Vous voulez boire quelque chose ? Une petite liqueur de châtaignes ? C’est une spécialité de mon pays…

Mytho – Merci, je ne bois pas…

Flic 2 – Alors voilà… Comme vous nous êtes sympathique, mon collègue et moi, nous avons une petite proposition à vous faire… Une proposition très intéressante, vous allez voir…

Le Flic 1 se demande visiblement ce que son collègue a en tête.

Mytho (méfiant) – J’espère que vous n’allez pas encore me parler de prescription…

Flic 2 – Mais non, rassurez-vous. C’est même exactement le contraire… Parce qu’avec votre Ministre du siècle dernier, la prescription… C’est ce que vous risquez, vous en avez bien conscience…

Flic 1 (commençant à comprendre) – Même avec un bon avocat…

Mytho – Où voulez-vous en venir…

Flic 2 – Ça vous dirait d’être l’assassin du Ministre de l’Intérieur, plutôt ? Il vient tout juste d’être nommé…

Mytho – Mais… il est mort. Son cadavre est dans ma cellule…

Flic 2 – Oui… Mais c’était un homicide involontaire. Ce que nous vous proposons là, nous, c’est un assassinat. Un vrai.

Mytho – Je ne peux pas le tuer, puisqu’il est déjà mort.

Flic 2 – Justement ! Avec le petit arrangement que nous vous proposons, c’est sur vous seul que rejaillirait toute la gloire d’avoir attenté à sa vie…

Flic 1 – Et nous, disons que… ça nous rendrait service aussi.

Mytho – Ah non, je suis désolé mais… ça ne va pas être possible.

Flic 1 – C’est un ministre ! Un ministre ou un autre, quelle différence ?

Mytho – D’abord, moi j’ai assassiné un Premier Ministre…

Flic 1 – On ne va pas chipoter, non plus…

Le mythomane se lève.

Mytho – Non, vraiment, j’aurais aimé vous rendre service, mais…

Flic 2 – Mais pourquoi, Bon Dieu ?

Mytho – Mais parce que je ne veux pas mentir…

Le Flic 3 passe par là.

Flic 3 – Vous êtes au courant ? On a perdu le Ministre de l’Intérieur ! Ça commence à être la panique, le Commissaire est dans tous ses états…

Mytho – Le Ministre de l’Intérieur ? Il est avec moi dans ma cellule, et il est mort. Mais je vous jure que je ne suis pour rien dans cet assassinat.

Flic 3 – C’est ça mon brave, et je parie qu’il est déguisé en Père Noël…

Mytho – Exactement.

Le Flic 3 lève les yeux au ciel.

Flic 1 – Vous nous remettez Monsieur dans sa cellule.

Le Flic 3 emmène le mytho.

Flic 1 – Putain… Il a fallu qu’on tombe sur un mythomane qui refuse de mentir…

Flic 2 – L’inconvénient avec les mythomanes, c’est qu’ils sont persuadés de dire la vérité…

Flic 1 – Il y a bien la pute, mais je ne vois pas trop comment lui mettre ça sur le dos.

Flic 2 – Même si je ne serai pas surpris que le Père Noël soit un de ses clients.

Flic 1 – C’est sûr, il couchait déjà avec ma mère…

Flic 2 – Je parle du Ministre !

Flic 1 – Ah oui, pardon…

Ils réfléchissent.

Flic 2 – Le clodo ! Il roupille dans sa cellule, complètement bourré…

Flic 1 – Et alors ?

Flic 2 – Suis-moi, je crois que j’ai une idée…

Ils sortent. Le commissaire arrive avec le chef de cabinet.

Commissaire – Je ne comprends pas ce qui a bien pu lui arriver…

Chef de Cabinet – S’il ne refait pas surface dans les cinq minutes, je vais devoir prévenir le Président… Un Ministre de l’Intérieur qui disparaît dans un commissariat, ce n’est quand même pas rien. Autant vous dire que s’il lui était arrivé quoi que ce soit, ça ne serait pas très bon pour votre avancement.

Commissaire – Et vous dites qu’il était habillé en Père Noël… Avec un signalement aussi précis, on ne devrait pas avoir trop de mal à le retrouver…

Les deux flics arrivent avec le Père Noël, capuche baissée pour qu’on ne voit pas son visage, déjà camouflé par la fausse barbe.

Flic 1 – Ça y est, on l’a retrouvé !

Commissaire – Alléluia !

Cabinet de Cabinet – Mais qu’est-ce qu’il a ? Il n’a pas l’air très en forme…

Flic 2 – J’ai l’impression qu’il a profité de sa tournée des commissariats pour faire aussi la tournée des bars…

Commissaire – Mais je l’ai déjà vu, ce Père Noël…

Flic 2 – Oui, tout à l’heure, en effet… En fait, c’est une simple méprise.

Flic 1 – Comme il était complètement bourré en arrivant ici…

Flic 2 – Et déguisé en Père Noël, en plus…

Flic 1 – On l’a pris pour un clodo, alors on l’a mis en cellule de dégrisement.

Chef de Cabinet – C’est vrai qu’il ne sent pas la rose… Je suis vraiment confus, ce n’est pas du tout dans ses habitudes… En tout cas, merci de vous en être occupé. Et bien entendu, je compte sur votre discrétion en ce qui concerne ce petit incident…

Flic 2 – Vous pouvez être tranquille. Nous serons muets comme des tombes…

Chef de Cabinet – Je vais le ramener chez lui et le mettre dans son lit, ça ira mieux demain…

Le chef de Cabinet essaie de prendre en charge le Père Noël.

Chef de Cabinet – Vous pouvez m’aider à le charger dans son traîneau ? Je veux dire dans ma Twingo ? Il pèse comme un âne mort…

Commissaire – Mes hommes vont s’en occuper, ne vous inquiétez pas.

Chef de Cabinet – Merci Messieurs. Vous n’avez qu’à l’asseoir à la place du mort. Mais n’oubliez pas de lui mettre sa ceinture…

Les deux flics emmènent le Père Noël. Le commissaire brandit la bouteille.

Commissaire – Et bien voilà ! Tout est bien qui finit bien. Une petite larme, pour fêter ça ?

Chef de Cabinet – Bon, juste une goutte alors, et après je me sauve… Ah, quelle soirée, je m’en souviendrai…

Commissaire – À la bonne vôtre !

Ils boivent.

Chef de Cabinet – Ah, oui, quand même… Si c’est ça qu’il a bu, je comprends que le Ministre soit dans cet état… En tout cas, merci pour tout, Commissaire. Au nom du Ministre, je vous félicite pour votre dévouement et votre efficacité..

Commissaire – Hélas, nous sommes en sous-effectifs, mais…

Chef de Cabinet – Pour ce qui est des effectifs, je ne peux rien vous promettre . C’est la crise, comme vous le savez. Mais le Ministre saura vous récompenser de votre discrétion sur ce qui s’est passé ici ce soir. Lorsqu’il aura repris ses esprits, je lui toucherai un mot à votre sujet pour une décoration… Ça au moins, ça ne coûte rien…

Commissaire – La Légion d’Honneur, vraiment ? Ce serait un très beau cadeau de Noël, en effet…

Chef de Cabinet – Sur ce il faut que je me sauve…

Commissaire – Je vous accompagne. On m’attend moi aussi…

Les deux flics reviennent.

Flic 1 – Ouf… Maintenant qu’ils sont partis, on va être un peu plus tranquilles.

Flic 2 – Qu’est-ce qu’on fait du corps ?

Flic 1 – On n’a qu’à le balancer dans La Seine. Il y a des tas de gens qui se noient les soirs de réveillon.

Flic 2 – Mais pas tellement de ministres. Surtout avec une balle dans le buffet.

Flic 1 – Quand on est Ministre de l’Intérieur, on a beaucoup d’ennemis, forcément…

Flic 2 – Enfin… Il aura sûrement des obsèques nationales…

Flic 1 – En tous cas, je paierais cher pour voir la tête de la femme du ministre quand elle va se réveiller demain matin avec un clodo dans son lit…

Le Chef de Cabinet revient.

Chef de Cabinet – Le type que vous avez chargé dans ma voiture vient de se réveiller. Ce n’est pas du tout le Ministre !

Flic 1 – Sans blague…

Chef de Cabinet – Ça m’étonnait aussi. C’est vrai qu’il a tendance à picoler un peu, mais d’habitude, il tient l’alcool beaucoup mieux que ça… Celui-là a vomi partout dans la Twingo ministérielle…

Flic 2 – Je ne comprends pas ce qui s’est passé…

Flic 1 – Ça doit être un malentendu.

Chef de Cabinet – La bonne nouvelle, c’est qu’on vient de retrouver le Ministre.

Flic 1 – Non…?

Chef de Cabinet – Il vient d’arriver. Il a été un peu retardé sur le périphe avec son traîneau, mais il sera là d’un instant à l’autre…

Flic 2 – Ah oui ?

Chef de Cabinet – Bon, je retourne à la porte pour l’accueillir…

Il repart.

Flic 1 – Oh putain… Alors je n’ai pas tué de ministre…

Flic 2 – Ouf… Ça s’arrose…

Ils boivent.

Flic 2 – Oui, mais alors c’est qui le type que tu as buté…?

Flic 1 – On a fait le changement de costume dans la pénombre tout à l’heure pour ne pas attirer l’attention, je n’ai pas vu son visage…

Flic 2 – Et puis on était tellement persuadés que c’était lui… Moi non plus, je n’ai même pas pensé à vérifier…

Flic 1 – Tu crois que c’est le vrai Père Noël ?

Flic 2 – On va savoir ça tout de suite.

Ils sortent, et reviennent en traînant le corps qui ne portent plus le costume de Père Noël mais celui du clodo.

Flic 2 – Oh, putain, c’est Dumortier.

Flic 1 – Il a dû se déguiser en Père Noël pour nous faire une surprise.

Flic 2 – Remarque, c’est réussi…

Flic 1 – En même temps, c’était un cafard, personne ne le regrettera…

Flic 2 – C’est bien le seul dont on aura réussi à se débarrasser. Qu’est-ce qu’il avait amené dans sa hotte ?

Le flic 1 regarde.

Flic 1 – Des huîtres !

Flic 2 – On n’a même pas de remords à avoir, on déteste les huîtres de toute façon…

Flic 1 – Ah, il y a un petit mot, aussi…

Flic2 – Ses bons vœux pour la nouvelle année, sûrement.

Flic 1 – C’est le numéro de la plaque minéralogique de son voisin. Celui qui n’a pas encore acheté son éthylotest. Il y a un portrait robot du contrevenant, aussi.

Flic 2 – Fais voir… (Il regarde le portrait) Ah, oui, il avait un sacré coup de crayon, dis donc.

Flic 1 – Un véritable artiste.

Flic 2 – Oui, mais il va quand même falloir s’en débarrasser.

Ils soulèvent le corps et prennent la mesure de sa lourdeur.

Flic 1 – L’avantage, c’est que quand on va le balancer dans La Seine, avec le poids des coquilles d’huîtres, ça le maintiendra au fond pendant quelque temps…

Ils s’apprêtent à traîner le cadavre quand dans une lumière irréelle un Père Noël arrive et s’adresse à eux avec une voix semblant venir de l’au-delà.

Père Noël – Alors mes enfants, est-ce que vous avez été bien sages cette année ?

Flic 1 – C’est qui ça encore ?

Flic 2 – Le Ministre de l’Intérieur ?

Flic 1 – À moins que ce soit le vrai Père Noël…

Flic 2 – Tu veux dire celui qui nique ta mère ?

Flic 1 – Oh putain, cette fois, je ne vais pas le rater !

Noir. Musique de Noël (genre Petit Papa Noël de Tino Rossi), entrecoupée de coups de feu.

Flic 2 – Tu aurais au moins pu attendre qu’il nous donne notre petit cadeau.

Sirène de police.

Fin.

 

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Novembre 2011

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-39-0

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Crise et Châtiment

Crisis and Punishment  –  Crisis y Castigo – Crise e Castigo  –  KRISE A TREST

Comédie de Jean-Pierre Martinez

Distributions possibles :

à 4 : 1 homme/3 femmes ou 2 hommes/2 femmes
à 5 : 1 homme/4 femmes ou  2 hommes/3 femmes
à 6 : 1 homme/5 femmes ou 2 hommes/4 femmes
à 7 : 1 homme/6 femmes ou 2 hommes/5 femmes

Un comédien au chômage, recruté par une banque en faillite, découvre qu’il a été engagé pour faire office de bouc émissaire. Mais le cauchemar ne fait que commencer…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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TEXTE INTÉGRAL

Crise et Châtiment

PERSONNAGES :

Jérôme : Le comédien
Claude : La gérante (ou le gérant)
Dominique : L’assistante (ou l’assistant)
Marie : La femme du comédien
Bernadette : La première cliente
Madeleine : La deuxième cliente

Les personnages de Marie, Bernadette et/ou Madeleine peuvent ou non être interprétés par la même comédienne.

Un bureau d’aspect sobre mais imposant : une grande table sur laquelle trône seulement un téléphone faisant aussi office d’interphone, muni d’un voyant vert et un autre rouge, un fauteuil directorial à roulettes rembourré et pivotant, un guéridon sur lequel est posé une sorte de thermos en aluminium, surplombé par le portrait d’un homme dans un cadre. Dominique, l’assistante, caricature de la secrétaire maniérée et dévouée, entre dans la pièce, un dossier à la main, suivie par Jérôme, visiblement mal à l’aise dans le costume étriqué, assorti d’une cravate défraîchie, supposé le faire passer pour un cadre.

Dominique – Par ici, je vous en prie… Voici votre bureau, cher Monsieur.

Jérôme (épaté) – Mon bureau ? Vous êtes sûre ?

Dominique – C’est un peu austère, je sais. Mais si vous souhaitez égayer un peu tout ça en accrochant quelques tableaux contre les murs.

Jérôme – Pourquoi pas…

Dominique – En revanche, je vous déconseille tout ce qui est pots de fleurs ou vase.

Jérôme – Ah, oui…

Dominique – Bref, tout ce que quelqu’un pourrait avoir envie de vous jeter à la figure.

Jérôme (surpris) – Bien sûr…

Dominique – Évidemment, pas question non plus de laisser traîner un coupe-papier sur le bureau, ou même une agrafeuse.

Jérôme – Ma femme aussi déteste que je laisse traîner mes affaires…

Dominique – Enfin tout ce qui pourrait être utilisé comme une arme de poing.

Jérôme lui lance un regard inquiet.

Dominique – Madame Claude vous expliquera.

Jérôme – Madame Claude…?

Dominique – La chef de service. C’est elle qui vous a recruté. Elle n’est pas là pour le moment, mais elle ne devrait pas tarder à arriver…

Jérôme – Très bien… Mais votre activité, c’est…

Dominique – Gestion de patrimoine.

Jérôme – Tout à fait…

Dominique – Disons que nous aidons les gens riches à le devenir davantage.

Jérôme – Noble mission… Et ça marche ?

Dominique – Pas à tous les coups, malheureusement… C’est un peu pour ça que vous êtes là, n’est-ce pas ?

Jérôme – Ah, oui ? Je ne sais pas trop, en fait. C’est l’ANPE qui m’envoie… Mais… vous êtes sûre qu’il ne s’agit pas d’une erreur ?

Dominique – Une erreur ? Quelle drôle d’idée… Et pourquoi ça ?

Jérôme – Disons que je n’ai pas l’impression de correspondre vraiment à…

Dominique – Aucune erreur, rassurez-vous, Monsieur Charpentier.

Jérôme – Carpentier…

Dominique – J’ai ici votre dossier, et votre profil correspond parfaitement à ce que Madame Claude attend de la personne destinée à occuper ce poste…

Jérôme – Mon profil… Je ne savais même pas que j’en avais un… Il faut dire que d’habitude, il n’intéresse pas beaucoup les employeurs potentiels…

L’assistante ouvre le dossier et y jette un coup d’œil.

Dominique – Voyons voir… Vous êtes comédien, au chômage depuis environ deux ans…

Jérôme – Presque trois, en fait…

Dominique – Le psychologue de l‘ANPE vous décrit comme apathique, résigné, avec une tendance à la culpabilisation et à la dévalorisation de soi…

Jérôme – Et c’est le profil que vous recherchez pour ce poste ?

Elle préfère visiblement ne pas répondre.

Dominique – Je vous remettrai vos tickets restaurants tout à l’heure, n’est-ce pas. Vous désirez un café, Monsieur Charpentier ?

Jérôme – Merci, mais j’ai toujours peur que ça m’empêche de dormir… Enfin, je veux dire… que ça m’empêche de dormir la nuit.

Dominique – Très bien. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, je suis à côté. Vous avez juste à appuyer sur le bouton de l’interphone.

Jérôme – Ah, parce qu’il y a un… Comme dans les vieux films en noir et blanc, alors…

Elle lui montre la touche sur le téléphone.

Dominique – Et bien là, c’est en couleurs, vous voyez… C’est le bouton vert.

Jérôme – Parfait…

Dominique – N’appuyez sur le bouton rouge qu’en cas d’extrême urgence.

Jérôme essaie de plaisanter pour détendre un peu l’atmosphère.

Jérôme – Je vois… Le signal d’alarme…

Dominique – Tout à fait… Mais attention, c’est comme dans le TGV. Tout abus sera sévèrement puni…

Il ne sait pas trop si elle plaisante ou pas.

Dominique – Je vous laisse vous installer.

Jérôme – Merci…

Elle sort. Il jette un regard circulaire sur le bureau, ne sachant pas très bien quoi faire. Il se plante devant le portrait de l’homme au dessus du guéridon et le contemple avec perplexité. Il regarde ensuite ce qu’il prend pour un thermos, le prend en main en main, et hésite.

Jérôme – Je ferai peut-être bien de prendre un café quand même, ça va me réveiller un peu… (Il regarde à nouveau autour de lui) Il n’y a pas de tasse… (Il dévisse le bouchon) C’est peut-être le bouchon qui sert de tasse… (Il verse le contenu du supposé thermos dans le bouchon, mais c’est de la cendre qui en sort) Merde, c’est quoi, ça…?

Dominique entre de nouveau dans le bureau. Il essaie de remettre le bouchon en place à la hâte, mais ce faisant renverse la cendre qu’il contenait. La cendre forme un petit nuage qu’il tente de dissiper en agitant sa main. Dominique lui lance un regard réprobateur. Il a l’air d’un enfant pris en faute.

Jérôme – Désolé, je… Mais c’est quoi ce machin ? La lampe d’Aladin ? J’ai cru qu’un génie allait en sortir, et me demander de faire trois vœux.

Dominique – Croyez-moi, il n’y a aucun génie là-dedans. Mais je vous recommande quand même de ne pas y toucher… (Avec un regard inquiétant) Madame Claude n’aimerait pas ça… (Affichant à nouveau un sourire de commande, elle lui tend un carnet) Voici vos chèques déjeuner…

Jérôme – Merci…

Dominique (s’en allant) – À propos, Madame Claude a appelé, elle sera un peu en retard.

Jérôme – Très bien.

Dominique sort. De plus en plus embarrassé, Jérôme fait le tour du bureau, et tente de s’asseoir sur le siège. Surpris par sa profondeur, il se reprend pour adopter un maintien plus digne. Il pose les coudes sur le bureau, et essaie de prendre une pose directoriale. Il décroche le combiné du téléphone pour se donner une contenance. Il essaie de déplacer le téléphone mais se rend compte qu’il est fixé sur le bureau. À cours d’imagination, il bâille, et opte pour une position plus confortable en posant les pieds sur le bureau. Au bout d’un moment, il se met à somnoler. Il est réveillé en sursaut par la sonnerie agressive du téléphone. Surpris, il se casse la figure de son fauteuil. Il se relève et parvient à décrocher.

Jérôme – Oui…? Non, non… Si, si, passez-la moi, merci… Allo, chérie ? Oui, oui, tout va très bien, ne t’inquiète pas… (Essayant de plaisanter) En tout cas, je ne me suis pas encore fait virer… Il faut dire que je n’ai pas encore vu la chef de service… Et bien, je n’ai pas encore vraiment commencé à travailler, en fait… Ce que je dois faire ? Écoute, je t’avoue que je n’ai pas pensé à le demander… J’imagine que Madame Claude me l’expliquera… Oui, c’est le nom de la taulière… Je ne sais pas si c’est son nom ou son prénom… D’accord, je t’appelle dès que j’en sais un peu plus… Mais oui, ne t’énerve pas ! Je te rappelle, d’accord. Bisous.

Il raccroche, hésite un moment, et appuie sur la touche interphone verte.

Jérôme – Dominique ? C’est Jérôme… Oui, le Jérôme qui est dans le bureau à côté du vôtre… Très bien, excusez-moi, je saurai que ce n’est pas la peine de m’annoncer quand j’utilise l’interphone… Je voulais juste vous demander, euh… Je prendrai bien un café, finalement, si cela ne vous dérange pas trop… Combien de sucres ? Et bien… disons trois, si ce n’est pas abuser. Merci beaucoup, Dominique…

La seconde d’après, Dominique arrive avec son café.

Jérôme – Et ben… Le service est rapide… Vous êtes plus efficace que le génie enfermé dans ce thermos…

Dominique le regarde un peu de travers avant de déposer son café sur le bureau, en affichant à nouveau un air avenant.

Dominique – Vous désirez autre chose ?

Jérôme – Non, merci, ça ira… (Elle s’apprête à s’en aller) Enfin, si… (Elle se retourne vers lui) Je peux vous poser une question ?

Dominique – Je vous en prie…

Jérôme – C’est quoi, mon travail, au juste ?

Dominique – Votre travail ?

Jérôme – Qu’est-ce que je suis supposé faire ?

Dominique – Faire ?

Jérôme – Je ne vais quand même pas être payé à ne rien faire ? Non pas que cela me scandaliserait plus que ça, mais bon…

Dominique – Vous êtes là pour rendre service, Monsieur Charpentier.

Jérôme – Quel genre de services ?

Dominique – Disons que cela relève du Service Après Vente.

Jérôme – Je ne savais pas que dans un département de gestion de patrimoine…

Dominique – Madame Claude vous expliquera tout ça mieux que moi.

Jérôme – Bon…

Dominique – Autre chose que vous aimeriez savoir, monsieur Charpentier ?

Jérôme – Euh, non… Enfin, si… C’est qui, ce type, au dessus du thermos ?

Dominique – Le thermos ?

Jérôme – Sur la photo !

Dominique – Ah… Lui…

Jérôme – C’est l’employé du mois ?

Dominique – C’est votre prédécesseur.

Jérôme – Et il est où maintenant ?

Dominique – Dans le thermos.

Jérôme – Pardon ?

Dominique – C’est une urne funéraire.

Jérôme – Ah, d’accord… Ah, oui, c’est… Et il est mort de quoi, ce brave homme ? Pour que vous lui rendiez un culte domestique, comme ça…

Dominique – Il est mort dans l’exercice de ses fonctions.

Jérôme – Ses fonctions ?

Dominique – Celles qui sont appelées à devenir les vôtres.

Jérôme – Le Service Après Vente.

Dominique – C’est cela.

Jérôme – Un accident du travail ?

Dominique – On peut appeler ça comme ça. Autre chose ?

Jérôme (abasourdi) – Ça ira pour l’instant, je crois…

Dominique sort. Jérôme se plante devant le portait qu’il examine avec un regard nouveau et plutôt inquiet. Il saisit ensuite l’urne avec délicatesse.

Jérôme – Donc ce n’était pas du marc de café…

Le gros bouton rouge se met à clignoter, et une sonnerie de système d’alarme se met à retentir. Jérôme, paniqué, n’a même pas le temps de décrocher. Une femme, genre executive woman, arrive en trombe dans le bureau, tandis que la sonnerie cesse.

Claude – Alors c’est vous.

Jérôme – Oui, enfin… Moi ?

Elle lui flanque une baffe d’entrée .

Claude – Tenez, voilà pour commencer.

Jérôme (sidéré) – Bonjour Madame…

Claude – Soit vous êtes un escroc, soit vous êtes un incapable. Alors ?

Jérôme – Alors quoi ?

Claude – Vous êtes malhonnête ou incompétent ?

Jérôme – Je… Je ne sais pas… Il faut vraiment que je choisisse…?

Claude – C’est tout ce que vous trouvez à me dire ?

Jérôme – C’est à dire que…

Claude – Vous en voulez une autre ?

Jérôme – Euh, non… Pas si on peut éviter…

Claude – Vous savez combien ça va me coûter, tout ça ?

Jérôme – Je suis vraiment désolé…

Claude – Il est désolé… Non, mais vous vous foutez de moi !

Jérôme – Je vous assure que…

Claude – Et évidemment, vous allez me dire que vous n’y êtes pour rien.

Jérôme – Je n’irai pas jusque là, mais…

Claude – C’est la faute à pas de chance, c’est ça ?

Jérôme – C’est vrai que… Mais de quoi est-ce que vous me parlez, exactement ?

Claude – Bien sûr, faites l’innocent…

Jérôme – Excusez-moi.

Claude – Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

Jérôme – Je ne sais pas…

Claude – Vous avez une solution à me proposer ?

Jérôme – Aucune…

Claude – Vous êtes vraiment un pauvre type.

Jérôme – Oui, c’est ce que me dit souvent ma femme…

Claude – Mais évidemment, ça ne vous empêche pas de dormir, tout ça, hein ?

Jérôme – Je peux vous proposer un café ?

Claude – Ben voyons… Mais vous ne réussirez pas à m’amadouer.

Jérôme – Loin de moi l’idée de..

Claude – Et vous ne l’emporterez pas au paradis, croyez-moi.

Jérôme – Je vous le promets…

Claude (changeant de ton) – C’est curieux, cette expression, vous ne trouvez pas ?

Jérôme – Quelle expression ?

Claude – Vous ne l’emporterez pas au paradis… Quand on va au paradis, de toute façon, qu’est-ce qu’on pourrait bien avoir envie d’emporter, puisque c’est le paradis.

Jérôme – Oui… J’imagine qu’il y a déjà tout ce qu’il faut sur place…

Claude (se reprenant) – Mais n’essayez pas de détourner la conversation !

Jérôme – Pardonnez-moi, je…

Claude – Vous êtes un crétin.

Jérôme – C’est à dire que… Je débute et…

Claude – Vous voulez dire que vous débutez dans la crétinerie ?

Jérôme – Oui, en quelque sorte…

Claude – Et bien je vous prédis une grande carrière !

Jérôme – Merci…

Claude – Nous nous reverrons, cher Monsieur… Et plus tôt que vous ne le pensez…

Jérôme – Avec plaisir, chère Madame…

Claude – Et vous vous payez ma tête, en plus ?

Claude hésite, comme si elle cherchait quelque chose. Elle se dirige vers le portrait, le décroche, l’écrase sur la tête de Jérôme, et ressort comme une furie. Jérôme reste là ahuri, avec le cadre du portait sur les épaules. Dominique revient alors, comme si de rien n’était, pour reprendre la tasse à café vide.

Dominique – Tout va bien, Jérôme ?

Jérôme – Euh, oui, merci…

Dominique – Une autre tasse de café ?

Jérôme – Merci, ça ira…

Dominique lui lance un regard et voit le cadre autour de ses épaules.

Dominique – Vous permettez ? (Elle s’approche et ôte le cadre, qu’elle raccroche à son emplacement habituel) Ne vous inquiétez pas, on le remplacera. Nous avons l’habitude.

Jérôme – L’habitude ? Mais… c’était qui, cette folle ?

Dominique – Ah, ça… Eh bien c’était… votre premier rendez-vous.

Jérôme – Mon premier rendez-vous ?

Dominique – Madame Claude vous expliquera…

Jérôme – Ah, non, ça suffit ! Votre Madame Claude ne m’expliquera rien du tout ! Je ne suis pas là pour me faire tabasser, moi !

Dominique – Mais… si bien sûr.

Jérôme – Pardon ?

Dominique – C’est pour ça que vous êtes là, Monsieur Charpentier. Comme votre prédécesseur.

Jérôme – Pour me faire insulter et recevoir des gifles ?

Dominique – Ce sont les risques du métier…

Jérôme – Quel métier ?

Dominique – Celui pour lequel vous percevrez un salaire !

Jérôme – Et si je ne suis pas d’accord ?

Dominique – On ne va quand même pas vous payer à rien faire, Monsieur Charpentier. Il faut être raisonnable… Je vous rappelle que vous n’avez aucune compétence. Vous êtes comédien…

Jérôme – Très bien… Dans ce cas, je démissionne… (Il s’apprête à s’en aller) Je ne resterai pas une minute de plus dans cet asile de fous…

Dominique – Je vous en prie, attendez au moins le retour de Madame Claude. (Elle se tourne vers la porte) Ah, tiens, justement la voilà…

Madame Claude, la cliente qui a giflé précédemment Jérôme, arrive. Stupéfaction de ce dernier en la reconnaissant.

Jérôme – Madame Claude, c’est vous ?

Claude (très aimablement) – Enchantée, cher Monsieur.

Dominique – Je vous laisse…

Jérôme – Je ne comprends rien… C’est un cauchemar…

Claude – Pardonnez-moi de vous avoir joué cette petite comédie, mais il s’agissait en réalité d’un dernier test en conditions réelles. Avant votre baptême du feu…

Jérôme – Mon baptême du…

Claude – Considérez ça comme un entretien d’embauche ! Entretien que vous avez parfaitement réussi, d’ailleurs. Bravo, Monsieur Charpentier !

Jérôme – Merci, mais… vous pourriez m’expliquer en quoi consiste mon job, à la fin. Votre assistante n’a rien voulu me dire…

Claude – En fait, c’est très simple. Vous allez tout de suite comprendre. Car je sais que vous êtes quelqu’un d’intelligent, Monsieur Charpentier, même si vous avez une tête d’abruti et aucun diplôme pour prouver que vous n’en êtes pas un.

Jérôme – J’ai quand même fait le Cours Florent en auditeur libre…

Claude – Et croyez-moi, ça peut beaucoup vous aider dans vos nouvelles fonctions… Comme vous le savez, nous sommes un département de gestion de grosses fortunes.

Jérôme – Oui…

Claude – C’est à dire que nous nous occupons de faire fructifier l’épargne de nos riches clientes, en leur vendant toutes sortes de produits financiers plus ou moins frais.

Jérôme – Seulement des clientes ?

Claude – Si je vous disais le pourcentage de la richesse nationale qui en France est détenu par des veuves, vous seriez surpris. Vous avez entendu parler des fonds de pension ?

Jérôme – Vaguement…

Claude – Les fonds de pension, c’est l’argent des retraites, et figurez-vous que la plupart des retraités de par le monde sont des veuves.

Jérôme – Je vois…

Jérôme – Alors vous voyez aussi pourquoi nous soignons particulièrement notre clientèle féminine.

Jérôme – Bien sûr…

Claude – D’autant que les femmes ont aussi l’énorme avantage pour nous de ne strictement rien comprendre aux placements financiers que nous leur proposons.

Jérôme – Je ne suis pas sûr moi-même de…

Claude – Ne vous inquiétez pas. Je vous avoue que je n’y comprends pas grand chose non plus. D’ailleurs, personne n’y comprend plus rien depuis longtemps… En tout cas depuis la mort de mon mari…

Jérôme – Vous êtes veuve ?

Elle fait un geste en direction du portrait accroché contre le mur.

Claude – Hélas… Mon cher époux nous a quitté il y a quelques temps déjà…

Jérôme – Ah, parce que c’est votre…

Claude regarde en direction du cadre et constate les dégâts.

Claude – Mais qu’est-ce qui lui est arrivé ?

Jérôme – J’allais vous poser la même question…

Claude – Ah, oui, c’est vrai… Je me suis un peu laissée emporter, tout à l’heure… Mais vous savez ce que c’est… Vous êtes comédien… Quand on est complètement investi dans son personnage… Bref, notre cliente type, c’est la veuve de Carpentras, comme on dit dans notre jargon.

Jérôme – Très bien…

Claude – Mais à la bourse, c’est comme au casino : il n’y a que la banque qui gagne toujours sur le long terme. Le client, lui, ne peut pas gagner à tous les coups. C’est ça que la veuve de Carpentras a du mal à comprendre. Vous me suivez ?

Jérôme – J’essaie.

Claude – Et puis on a beau dire, cher Monsieur, mais tout de même : pour les riches aussi, c’est la crise.

Jérôme – Bien sûr…

Claude – Et quand les riches sont moins riches, c’est leur banque qui s’appauvrit.

Jérôme – Cela va de soi.

Claude – Entre nous, nous sommes au bord de la faillite…

Jérôme – Ah, bon ?

Claude – Évidemment, le contribuable viendra encore une fois à notre secours, alors pour nous ce n’est pas si grave que ça, mais bon… On en a vu d’autres, pas vrai ?

Jérôme – Si vous le dites…

Claude – Mais la veuve de Carpentras, elle, elle ne reverra jamais son pognon. Alors on peut comprendre qu’elle ait besoin de se défouler un peu.

Jérôme – C’est bien normal.

Claude – De passer ses nerfs sur quelqu’un en particulier.

Jérôme – Hun, hun…

Claude – Et c’est là où vous intervenez…

Jérôme – Moi ?

Claude – Considérez que vous êtes une sorte de sparing partner pour millionnaires ruinés qui éprouvent momentanément l’irrépressible besoin de boxer quelqu’un.

Jérôme – J’ai plutôt l’impression d’être un punching-ball…

Claude – Allons, Jérôme ! Un grand garçon comme vous ! Ce ne sont que de faibles femmes, après tout !

Jérôme – Non vraiment, je ne pense pas être l’homme de la situation…

Claude – Je vous rappelle que vous avez signé un contrat, Monsieur Charpentier…

Jérôme – Et pourquoi est-ce que vous ne les recevez pas vous-mêmes, ces clientes que vous avez ruinées ?

Claude – Mais parce qu’en tant que directrice de cette filiale, je représente la continuité de l’institution financière. Je suis responsable de tout, mais comme un ministre de la santé ou un ministre du culte, je ne peux être coupable de rien, sauf à compromettre gravement la crédibilité de tous ceux qui sont au dessus de moi. Il en va de la survie même de cette société, Monsieur Charpentier. Que dis-je ? De la société toute entière ! Le Très Haut ne saurait être tenu pour coupable de quoi que ce soit. C’est à celui qui est tout en bas de l’échelle de payer pour tous les autres. Et le plus bas que nous ayons pu trouver sur l’échelle des hominidés, Jérôme, mais à qui néanmoins on puisse passer un costume sans avoir à rallonger les bras, c’est vous ! Un comédien au chômage !

Jérôme – Et votre mari ?

Claude – Mon mari avait une belle tête d’abruti, un peu comme la vôtre.

Jérôme – Je vois…

Claude – Allez au moins au bout de votre période d’essai, vous prendrez votre décision après…

Jérôme fait un signe en direction du portrait.

Jérôme – Si je suis encore vivant…

Claude – Pensez à votre salaire, et à la situation de l’emploi dans notre pays… Pour les pauvres aussi, c’est la crise, Jérôme. Pensez à votre femme. À vos enfants.

Jérôme – Je n’ai pas d’enfants.

Claude – Pensez à votre femme. À la tête qu’elle fera si vous revenez ce soir à la maison pour lui annoncer que vous vous êtes encore fait renvoyer de votre job dès le premier jour…

Jérôme – Vous ne me laissez pas tellement le choix…

Claude – Je suis certaine que vous êtes fait pour ce poste, Monsieur Charpentier. Et croyez-moi, j’ai vu défiler pas mal de candidats. Vous avez touché le fond, Jérôme. Là où vous en êtes, vous ne pouvez que remonter. On vous a déjà dit que vous aviez une tête à claques ?

Jérôme – Oui, ma femme me le dit souvent. Mais je ne suis pas sûr que dans sa bouche, ce soit un compliment…

Dominique arrive.

Dominique – Le rendez-vous de Monsieur vient d’arriver… Je la fais patienter ?

Claude – Allez, faites encore un petit essai. Vous verrez. Je suis sûre que cela finira par vous plaire.

Jérôme – Ce n’est pas encore un test, au moins ?

Dominique – Ah, non, croyez-moi, celle-là, c’est une vraie cliente. Et elle n’a pas l’air contente du tout…

Claude – Bonne chance, Jérôme… Et souvenez-vous : vous êtes coupable de tout, mais vous n’êtes pas responsable de rien…

Claude sort. Dominique se dirige vers le guéridon, retourne le « thermos » comme pour le remettre dans le bon sens. Elle décroche le cadre, et sort avec. Le bouton rouge se met à nouveau à clignoter et l’alarme à retentir. Bernadette, style grande bourgeoise BCBG, arrive en trombe.

Bernadette – Espèce de salaud ! Vous m’avez ruinée !

Jérôme – Asseyez-vous, je vous en prie…

Bernadette regarde autour d’elle, surprise.

Bernadette – Il n’y a pas de chaise !

Jérôme – C’est vrai… Vous faites bien de me le faire remarquer.

Bernadette – Et s’il y en avait une, je vous la briserais sur le crâne.

Jérôme – Ça doit être pour ça qu’il n’y en a pas…

Bernadette – Mais vous ne payez rien pour attendre…

Elle sort de son sac à main Vuitton un revolver qu’elle braque sur Jérôme.

Bernadette – Si vous croyez en Dieu, c’est le moment de faire une dernière prière.

Jérôme – Je crois que c’est surtout le moment où jamais d’appuyer sur le bouton rouge…

D’une main tremblante, il appuie sur la touche rouge du téléphone.

Bernadette – Vous faites moins le malin, maintenant, hein ?

Jérôme – Attention, je vous en conjure… Ça part tout seul, ces engins-là…

Bernadette – Parfait, je n’aurais qu’à dire ça ! Le coup est parti tout seul, Monsieur le juge !

Jérôme – Mais… qu’est-ce que vous attendez de moi ?

Bernadette – Je veux que vous me rendiez mon argent.

Jérôme – Ça malheureusement, ce n’est pas en mon pouvoir, Chère Madame. Je vous le promets… Je suis coupable de tout, mais je ne suis pas responsable de rien.

Bernadette – Très bien, alors c’est ma mort que vous aurez sur la conscience.

Elle retourne l’arme contre elle et la braque sur sa tempe. Il panique.

Jérôme – Je vous en prie, ne faites pas ça… Ce n’est que de l’argent, après tout.

Bernadette – Trois millions d’euros.

Jérôme – Ah, oui, quand même…

Bernadette – Il me reste à peine de quoi vivre !

Jérôme – Combien ?

Bernadette se relâche un peu.

Bernadette – Environ dix millions.

Jérôme – Ah, oui, quand même…

Bernadette – Oh, avec dix millions, maintenant, on ne va pas très loin, vous savez…

Jérôme – J’imagine…

Claude arrive. Surprise, Bernadette a un geste de recul et braque à nouveau le revolver sur sa tempe.

Bernadette – Pas un geste ou je me fais sauter la cervelle !

Claude – En tant que chef de service, chère Madame, je tiens d’abord à vous assurer de toute notre solidarité.

Bernadette – Y compris financière ?

Claude – Psychologique, plutôt. Écoutez Geneviève, vous permettez que je vous appelle Geneviève ?

Bernadette – Si vous voulez, mais je m’appelle Bernadette.

Claude – Vous venez de perdre trois millions d’euros, alors naturellement, vous êtes en état de choc.

Bernadette – C’est vrai…

Claude – En réalité, vous êtes à peu près dans le même état de perturbation mentale qu’un smicard qui viendrait de gagner au loto.

Bernadette – Vous vous foutez de moi !

Claude – Laissez-moi terminer ! Dans le même état, mais à l’envers : vous, vous devez accepter l’idée que vous n’êtes plus aussi riche que vous l’avez été.

Jérôme – Il lui reste quand même dix millions d’euros…

Bernadette – Vous on ne vous a rien demandé ! D’ailleurs tout ça c’est à cause de votre totale incompétence en matière de placements financiers ! Osez dire le contraire ?

Jérôme – Je… Non…

Bernadette – Vous voyez ? Il le reconnaît lui-même. C’est un imbécile !

Claude – J’y viens, chère Madame. Nous avons tout à fait conscience des insuffisances de cet être flasque et visqueux, qui a malheureusement abusé de notre confiance comme de la vôtre.

Bernadette – Couille molle.

Claude – Et même si malheureusement, pour des raisons légales assez obscures, nous ne pouvons pas le mettre à la porte, nous veillerons à ce qu’il soit sévèrement sanctionné.

Bernadette – Ah, oui ? Et comment ?

Claude – Nous envisageons tout d’abord des châtiments corporels. Vous ne trouvez pas que ce type a une tête à claques.

Bernadette – Si…

Claude, par surprise, flanque une claque à Jérôme, qui en reste éberlué.

Claude (à Bernadette) – Allez-y, ne vous gênez pas, vous non plus… Vous verrez, ça va vous soulager…

Bernadette – Vous croyez ?

Claude – Faites-moi confiance, chère Madame.

Bernadette flanque aussi une gifle à Jérôme.

Claude – Alors ?

Bernadette – C’est vrai que ça fait du bien…

Jérôme – Oui, ben moi, ça ne me fait pas du bien !

Claude – Je me demande même s’il n’est pas possédé par le démon de la finance…

Claude sort un crucifix de sa poche et le dirige vers Jérôme.

Claude – Jérôme Kerviel, sort de ce corps immédiatement ! (À Bernadette) Ça marche à tous les coups, mais l’effet n’est pas toujours visible immédiatement…

Bernadette – Vous ne pensez pas qu’on devrait le brûler, pour plus de sécurité ? Comme on brûlait autrefois les sorciers…

Claude – En tout cas, à terme, on pourrait envisager l’incinération…

Le portable de Bernadette sonne, et elle répond.

Bernadette – Oui ? Ah, oui, excusez-moi… Non, non, je serai chez vous dans une petite demi-heure… Merci, à tout à l’heure… (Rangeant son portable) Excusez-moi, c’était mon coiffeur… J’avais oublié que j’avais rendez-vous ce matin… J’étais tellement contrariée…

Claude – Et ça se comprend…

Bernadette – Il faut que j’y aille… Vous savez ce que c’est ? Le temps que ça prend pour obtenir un rendez-vous chez un coiffeur digne de ce nom… Et je marie ma fille demain… Et dire que mon mari ne pourra pas voir ça.

Jérôme – Et pourquoi ça ?

Bernadette – Mais parce qu’il est mort ! (À Jérôme) Vous, vous ne payez rien pour attendre… (À Claude) Merci, vous aviez raison, ça m’a un peu soulagée…

Claude – Mais, je reste à votre service, Chère Madame.

La cliente s’en va.

Claude – Ça s’est plutôt bien passé, non ? Pour un baptême du feu… Bravo, vous vous en êtes très bien tiré.

Jérôme (se frottant la joue) – Ah, vous trouvez ?

Claude – Enfin, vous vous en êtes tiré… Quand elles sont suicidaires, comme ça, il faut absolument canaliser leurs tendances autodestructrices pour les transformer en une agressivité positive qui puisse se tourner vers autrui…

Jérôme – Et autrui, c’est moi…

Claude – Je suis très contente de vous, Jérôme. Si vous continuez comme ça, dans trois mois vous passez en CDI.

Jérôme – Je ne sais pas trop… Non mais vous avez vu ? Elle a failli me tuer !

Claude – Mais elle ne l’a pas fait.

Jérôme – Elle m’a quand même collé une baffe ! Et vous aussi !

Claude – Je vais être franche avec vous, Monsieur Charpentier.

Jérôme – Carpentier.

Claude – Avec votre tête de looser et votre CV qui ressemble au menu de Noël des restos du cœur, qu’est-ce que vous pouvez espérer faire dans la vie ?

Jérôme – Pas grand chose, je sais…

Claude – J’imagine que dans les précédents postes que vous avez occupés, on a dû souvent vous remonter les bretzels injustement, non ?

Jérôme – Les précédents postes que j’ai occupés…

Claude – Avec la tête à claques que vous avez, j’imagine qu’au cours de vos études, vos profs ont dû vous coller pas mal de torgnoles, non ?

Jérôme – Mes études…

Claude – Et bien ici, au moins, vous serez payé pour cela. Et vous jouirez en secret de la plus grande considération de la part de votre hiérarchie.

Jérôme – Je risque ma peau, quand même !

Claude – C’est pour cela que vous serez considéré comme un héros, Jérôme ! Que dis-je ? Presqu’une divinité ! Je parie qu’avec votre tête de faux cul, vous avez aussi été enfant de chœur, je me trompe ?

Jérôme – Non…

Claude – Alors souvenez-vous ! Je suis l’agneau de Dieu qui prend sur lui les péchés du monde ! En prenant sur vous l’ensemble des fautes de notre société, vous serez notre Jésus Christ, Jérôme. Vous en avez déjà les initiales. C’est un signe tout de même !

Jérôme – Les initiales ?

Claude – JC ! Jérôme Charpentier !

Jérôme – Carpentier.

Claude – Oui, bon, pour les initiales, ça ne change rien, non ?

Jérôme – Non…

Claude – En vérité, je vous le dis, Monsieur Charpentier, vous étiez prédestiné pour occuper ce poste de bouc émissaire. Alors bienvenu parmi nous !

Elle sort. Jérôme s’effondre dans son fauteuil, anéanti. Bernadette revient alors, suivie par Claude. Jérôme se lève, par réflexe.

Bernadette – Une dernière chose…

Jérôme – Je vous en prie…

Bernadette – Vous êtes vraiment une couille molle.

Bernadette lui flanque une autre gifle.

Claude – Et bien allez-y, Jérôme, tendez l’autre joue !

Jérôme, dans un état second, s’exécute. Bernadette lui flanque une autre gifle.

Bernadette – C’est vrai que ça fait du bien…

Claude – N’est-ce pas ? Vous pouvez aussi lui mettre un bon coup de pied aux fesses, si ça vous chante.

Bernadette – Vraiment ?

Claude – Jérôme ?

Jérôme (se tournant) – Oui ?

Bernadette en profite pour lui mettre un coup de pied aux fesses.

Bernadette – Ah, oui, ça soulage…

Claude – Au revoir chère Madame, je ne vous raccompagne pas. Vous connaissez le chemin ? Vous revenez quand vous voulez. Vous êtes ici chez vous !

Bernadette s’en va.

Claude – Elle vous adore déjà…

Jérôme – Vous pensez qu’elle reviendra souvent ?

Claude – Vous me rappelez mon mari, Jérôme. Qui sait ? Je finirai peut-être par vous épouser.

Jérôme – Mais je suis déjà marié…

Claude – En tout cas, félicitation. Je suis très contente de vous. Vous êtes déjà devenu un véritable paillasson.

Jérôme – Merci.

Claude – Vous verrez, vous finirez par y prendre goût.

Jérôme – Tout de même… Des baffes, passe encore, mais un coup de revolver… Je suis peut-être un carpette… mais je n’ai pas envie de me faire trouer le paillasson.

Claude – Il arrive aussi aux inspecteurs du travail de se faire plomber d’un coup de chevrotine, et pourtant, il y a encore des candidats… C’est la crise, Jérôme ! Là, au moins, ce ne sont que de petits calibres. Des armes pouvant tenir dans un sac à main Vuitton…

Jérôme – Ça se voit que n’êtes pas à ma place…

Claude – Vous êtes drôle, Jérôme… Évidemment, puisque je vous paie pour être à la mienne… Écoutez, vous m’êtes sympathique, alors voilà ce que je vous propose : une prime pour chaque paire de gifles, et un bonus pour chaque blessure par balle. Ça vous va ?

Jérôme – Je préférerais un gilet pare-balle.

Claude – Allons, Monsieur Charpentier… Les plus grands funambules travaillent sans filet. C’est ce qui fait la grandeur de leur métier. Vous êtes un artiste, Jérôme !

Claude sort. Le téléphone sonne.

Jérôme – Ah, oui, chérie, c’est toi… Ah, oui, tu trouves que j’ai une voix bizarre ? Si, si, tout va bien… Écoute, c’est une sorte de… C’est un peu difficile à expliquer… Je viens de recevoir ma première cliente… Écoute, plutôt bien… D’après ma chef de service, en tout cas… Eh bien oui, pourquoi pas… je viens de toucher mes tickets-restaurants, justement… D’accord, à tout à l’heure… (Il raccroche) Je n’en reviens pas d’avoir dit que ça se passait plutôt bien…

Dominique, vêtue cette fois d’une blouse blanche, façon infirmière. Elle tient un verre à la main, qu’elle pose sur le bureau.

Dominique – Alors, Jérôme ? Rien de cassé ?

Jérôme – Non, je ne crois pas…

Dominique – Je vais quand même vous ausculter, n’est-ce pas ? Simple examen de routine, ne vous inquiétez pas. Levez-vous je vous prie.

Il se lève. Elle procède sur lui à un examen sommaire, à l’aide des quelques instruments médicaux qu’elle porte autour du cou ou dans ses poches de blouse.

Dominique – Ouvrez la bouche et tirez la langue, s’il vous plaît… Merci… Penchez-vous un peu en avant, et dites trente trois millions… Parfait… Et bien je crois que vous êtes encore bon pour le service… Bravo… (Elle lui tend un cachet et le verre d’eau) Tenez, avalez ça quand même, ça vous fera du bien…

Jérôme – Ce n’est pas du poison, au moins.

Dominique – Allons, voyons… Pourquoi voudrais-je vous empoisonner ?

Il avale le cachet sans broncher.

Jérôme (avec un geste du côté du guéridon) – Et lui, il est mort de quoi ?

Dominique – Lui ?

Jérôme – Le type dans le thermos.

Dominique – Qu’est-ce qui vous fait penser qu’il y a quelqu’un d’enfermé dans ce thermos ?

Jérôme – C’est vous qui me l’avez dit tout à l’heure !

Dominique – Je vous ai dit qu’il y avait quelqu’un enfermé dans ce thermos ?

Jérôme – Mais ce n’est PAS un thermos !

Dominique – Alors pourquoi dites-vous qu’il y a quelqu’un d’enfermé dedans ?

Elle prend le verre vide, se dirige vers le thermos, et le remplit de café à la stupéfaction de Jérôme.

Dominique – Un petit café, pour faire passer le goût du médicament ?

Jérôme – Non, merci…

Dominique – Bon, et bien c’est moi qui le bois, alors. (Elle vide le verre). Vous voyez, ça n’est pas du poison non plus… Mais c’est vrai qu’il n’est plus très chaud…

Jérôme reste stupéfait, commençant à douter de sa raison. Marie arrive dans le bureau, genre assez quelconque et pas très élégante. Le personnage de Marie peut être interprété par la même comédienne que celle qui interprète Bernadette.

Dominique – Ah, vous avez une nouvelle visite… (En aparté) Et elle n’a pas l’air de bonne humeur…

Jérôme – C’est ma femme.

Dominique – Très bien, je vous la laisse… Je veux dire : je vous laisse…

Dominique sort. Marie la regarde partir avec un air méfiant.

Marie – Tu as une assistante pour toi tout seul ?

Jérôme – C’est dingue, non ?

Marie – Et un bureau individuel ?

Jérôme – Pas mal, hein ?

Marie – Alors ? Tu vois que j’ai bien fait de te faire abandonner le théâtre pour trouver enfin un vrai boulot !

Jérôme – Oui…

Marie – Alors, comment ça se passe ?

Jérôme – Écoute… je ne sais pas très bien quoi te dire, en fait.

Marie – Ils ne vont pas te garder, c’est ça ?

Jérôme – Non, c’est moi… Je ne suis pas sûr de vouloir rester…

Marie – Non, mais tu plaisantes ?

Jérôme – Tu ne vas pas me croire, mais… ils me tapent.

Marie – Ils te tapent ? Mais moi aussi, Jérôme, mon patron me tape.

Jérôme – Ah, bon ?

Marie – Mes collègues me tapent. Mes clients me tapent. Tout le monde me tape ! Mais bon, il faut bien gagner sa vie !

Jérôme – Ah, non, mais moi, quand je dis qu’ils me tapent, je veux dire… qu’ils me tapent vraiment, tu comprends ?

Marie – Ils te tapent vraiment ?

Jérôme – Ils me filent des baffes !

Marie – Ah, oui…

Jérôme – Des coups de pieds au cul !

Marie – Alors c’est tout ce que tu as trouvé ?

Jérôme – Pour ?

Marie – Pour essayer de te défiler encore une fois !

Jérôme – Mais pas du tout !

Marie – Je te préviens, Jérôme, c’est ta dernière chance. Si tu n’es pas capable de garder ce poste, cette fois, je te quitte.

Jérôme – Ne t’énerve pas, chérie, je disais ça… C’était juste pour parler… Mais oui, bien sûr, je vais le garder, ce boulot…

Marie – Très bien… Tu m’as promis ?

Jérôme – Sur la tête de… Tiens, de mon prédécesseur…

Marie – Bon, alors je te laisse… Il faut que je file…

Jérôme – Tu ne déjeunes pas avec moi ? Je t’ai dit, j’ai des tickets restaurant !

Marie – Désolée, mais ce sera pour une autre fois. J’avais complètement oublié que je devais déjà déjeuner avec ma mère.

Jérôme – Ah, oui ?

Marie – C’est lundi, Jérôme… Tous les lundis, je déjeune avec ma mère…

Jérôme – Bien sûr… Excuse-moi de ne pas y avoir pensé…

Marie – Allez, bon courage…

Jérôme – Toi aussi…

Elle s’en va, mais se ravise.

Marie – Ah, au fait… Tu pourrais me passer tes tickets-restaurants, puisque tu ne vas pas t’en servir ?

Jérôme – Bien sûr, ma chérie, tiens les voilà.

Jérôme lui tend son carnet de tickets.

Marie – Merci. Bon et bien j’y vais. Alors à ce soir ?

Jérôme – Oui.

Marie – Et bon appétit quand même.

Dominique revient avec une pile de lettres.

Dominique – Elle n’a pas l’air commode, Madame Charpentier…

Jérôme – Il faut savoir la prendre…

Dominique – Tenez, voici votre courrier.

Elle dépose les lettres sur son bureau.

Jérôme – Parce que j’ai aussi du courrier ?

Dominique – Bien sûr !

Il jette un regard sur les enveloppes.

Jérôme – Qu’est-ce que c’est ?

Dominique – Des lettres d’insultes, principalement. De menaces, bien sûr… Quelques enveloppes piégées, mais c’est très rare. Et puis vous n’êtes pas obligé de les ouvrir, hein ? Voulez-vous que je vous en débarrasse tout de suite?

Jérôme – Oui, je vous remercie…

Dominique – Très bien Monsieur Charpentier… Si vous permettez, j’en ouvrirai quand même une ou deux avant de les confier à notre service de déminage. Il y en a parfois qui sont assez amusantes. Je ne devrais pas, mais je ne résiste jamais à la tentation d’en lire quelques unes…

Dominique reprend les lettres et s’en va. Jérôme s’effondre sur son fauteuil et tente de souffler un peu. On entend un bruit d’explosion.

Jérôme – La curiosité est un vilain défaut…

Mais Jérôme n’a guère le temps de soupirer. Le voyant rouge se met à nouveau à clignoter et la sonnerie d’alarme à retentir. Madeleine, genre riche parvenue un peu vulgaire, entre dans le bureau. Le personnage de Madeleine peut être interprété par la même comédienne que celle qui interprète Bernadette et/ou Marie.

Madeleine (sèchement) – Bonjour Monsieur.

Jérôme – Bonjour Madame. Vous voulez me gifler tout de suite, ou vous préférez m’insulter un peu avant ?

Madeleine (surprise) – J’avoue que c’est tentant, avec la tête à claques que vous avez, mais…

Jérôme – Ne vous gênez surtout pas. Je l’ai bien mérité, je vous assure.

Madeleine – Non, vraiment, je…

Jérôme – Donnez-moi au moins un bon coup de pied dans les tibias ! Il faut bien que je justifie mon salaire !

Madeleine – Écoutez, je ne comprends pas… Grâce à vos conseils avisés, j’ai multiplié mon capital par trois en deux ans.

Elle lui tend la main et il a un geste de recul, comme si elle s’apprêtait à lui flanquer une gifle.

Madeleine – Madeleine.

Il se reprend et lui serre la main.

Jérôme – Badeleine ?

Madeleine – Vous êtes enrhumé ?

Jérôme – Non, pourquoi ?

Madeleine – Vous avez dit Bas de Laine.

Jérôme – J’ai peut-être la joue un peu enflée…

Madeleine – Bref, je venais vous remercier, au contraire, et…

Jérôme – Me remercier ?

Madeleine – Tenez, d’ailleurs je vous ai apporté des bonbons…

Elle sort de son sac une boîte de bonbons qu’elle lui tend. Il semble très surpris, avant de péter les plombs. Il envoie valser la boite et son contenu.

Jérôme – Mais je n’en veux pas de vos bonbons !

Madeleine – Excusez-moi, si j’avais su, je vous aurais apporté des chocolats. Vous aimez le chocolat ?

Jérôme – Vous me faites perdre mon temps, vous comprenez ?

Madeleine – Des fleurs, alors ?

Jérôme – Vous croyez vraiment que je n’ai que cela à faire ?

Madeleine – Non, bien sûr, mais…

Jérôme – Et puis vous vous rendez compte de ce que vous dites ?

Madeleine – Quoi ?

Jérôme – Vous êtes trois fois plus riche qu’avant ! Et qu’est-ce que vous avez fait pour ça ?

Madeleine – Rien…

Jérôme – Et vous n’avez pas honte ?

Madeleine – Non…

Jérôme – Venez un peu par ici !

Elle s’exécute. Il la prend sur ses genoux et lui donne une fessée.

Jérôme – Vous n’avez pas honte ?

Madeleine – Si, ça commence à venir…

Jérôme – Et maintenant, fichez-moi le camp !

Madeleine – Très bien, Monsieur Charpentier…

Madeleine s’en va, toute penaude. Dominique arrive, en trombe, le visage noirci par l’explosion d’une enveloppe piégée.

Jérôme – Quoi encore ?

Dominique – Je suis vraiment désolée pour ce quiproquo. Il s’agit d’une erreur, évidemment. Mais d’habitude, il n’y a que les clientes insatisfaites qui demandent un rendez-vous. Et puis comme vous le voyez, j’étais encore en état de choc…

Claude arrive. Dominique s’éclipse.

Jérôme – Je suis vraiment confus. J’ai cru que… Je me suis peut-être un peu laissé emporter…

Claude – En effet… (Émoustillée) Je ne savais pas que sous ces airs de chien battu se cachait un véritable pitbull…

Jérôme – Vous n’allez pas me licencier pour faute au moins ? Ma femme tient beaucoup à ce que je conserve ce poste.

Claude – Vous licencier ? Mais pas du tout, voyons ! D’ailleurs la cliente avait l’air ravie de ce petit entretien avec vous… Elle envisage même de nous confier le restant de ses économies.

Jérôme – Ah, oui ?

Claude – Je me demande si je ne vais pas élargir le périmètre de vos compétences, Jérôme.

Jérôme – Mes compétences…

Claude – Mais auparavant, bien sûr, il faudrait que je vous fasse passer un autre petit test, afin de vérifier que vous avez bien la poigne nécessaire.

Elle commence à se déshabiller.

Claude (folle de son corps) – Moi aussi je gagne de l’argent en dormant, Jérôme… Je mérite une bonne punition…

Elle appuie sur le bouton rouge qui se met à clignoter, et la sonnette d’alarme se déclenche.

Noir.

Lumière.

Claude se rhabille, tandis que Jérôme remet lui aussi un peu d’ordre dans sa tenue. Dominique arrive avec un nouveau portrait qu’elle accroche au mur à la place de l’ancien. Il s’agit d’un Christ en croix. Jérôme s’approche du portrait et le regarde.

Jérôme – Mais c’est moi, là !

Dominique – Vous êtes l’employé du mois, Jérôme.

Claude – Alors, heureux ?

Dominique – Votre femme va être fier de vous, Monsieur Charpentier.

Il reste un instant déconcerté.

Claude – Ça c’était la bonne nouvelle, Jérôme…

Jérôme – Parce qu’il y a une mauvaise nouvelle ?

Claude – Nous l’apprenons à l’instant. Notre banque vient d’être déclarée en faillite.

Dominique – Les veuves en ruines se pressent contre les grilles de l’agence.

Claude – Il va falloir trouver rapidement quelque chose pour les calmer…

Jérôme – Je vois… Beaucoup de travail pour moi en perspective…

Dominique – Je crains que cette fois, cela ne suffise pas, hélas.

Claude – Il va falloir frapper un grand coup.

Dominique – Faire un geste symbolique.

Claude – C’est la survie même de notre système bancaire qui est en jeu, Jérôme.

Jérôme – Dites-moi que c’est un cauchemar…

Claude (à Dominique) – Allez chercher le marteau et la faucille…

Dominique – Vous voulez dire le marteau et les clous.

Claude – Ce n’est pas ce que j’ai dit ?

Dominique sort.

Claude – Il va falloir être courageux, Jérôme.

Le voyant rouge se met à clignoter et la sonnerie d’alarme à retentir.

Noir.

Lumière.

Jérôme dort, renversé dans son fauteuil. Le téléphone sonne, et il se réveille en sursaut. Il décroche.

Jérôme – Oui…? Ah, Dominique ? Oui, oui, d’accord… Non, non, ça va… Je me suis endormi un moment, et j’ai fait un cauchemar…

Il se lève, encore dans le cirage, et se dirige vers le guéridon. Il prend le thermos.

Jérôme – J’ai besoin d’un bon café, moi…

Il dévisse le thermos et va pour se servir un café dans le bouchon. Mais c’est une fumée blanche qui semble en sortir et qui enveloppe la scène, baignée d’une lumière irréelle, tandis que résonne une voix off qui peut être celle de Claude.

Claude – Vous avez le droit de faire un vœu, Monsieur Charpentier…

Jérôme – Moi, c’est Carpentier, en fait…

Claude – Autant pour moi…

Jérôme – Et d’habitude, c’est trois vœux, non ?

Claude – C’est la crise, Monsieur Carpentier.

Jérôme – Un seul vœu… Bon, alors disons… Je peux avoir un café ?

Noir.

Lumière.

Jérôme dort, renversé dans son fauteuil. Marie arrive dans son bureau et l’aperçoit.

Marie – Jérôme ?

Jérôme – Marie ? Mais qu’est-ce que tu fais là ?

Marie – J’ai demandé à ton assistante de m’annoncer, mais comme tu ne répondais pas…

Jérôme – Excuse-moi, j’ai dû m’assoupir un instant…

Marie – Tu te souviens qu’on devait déjeuner ensemble ?

Jérôme – Oui, oui, bien sûr… Je suis prêt… On y va ?

Marie – Ok. Tu es sûr que ça va ?

Jérôme – Oui, oui, ça va. La routine…

Marie – Bon…

Ils s’apprêtent à sortir.

Jérôme – J’ai juste fait un cauchemar incroyable… Tu ne peux pas savoir…

Marie – Ah, oui ?

Jérôme – Tu vas rire, mais j’ai rêvé que tu étais ma femme.

Marie – Mais Jérôme… Je suis ta femme…

Jérôme – Ah… Dans ce cas je crois que ce cauchemar n’est pas encore tout à fait terminé…

Ils sortent.

Noir.

 

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Juin 2012

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-37-6

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Un Cercueil Pour Deux

Casket for two –  Un Ataúd para Dos – Um caixão  para dois

Comédie de Jean-Pierre Martinez

2 hommes / 2 femmes

Quand deux candidats aux élections, le jour même du scrutin doivent aussi incinérer leurs conjoints respectifs, on risque le bourrage d’urnes. Surtout lorsque le directeur des pompes funèbres a recruté une intérimaire…


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Adaptation et mise en scène de ma pièce UN CERCUEIL POUR DEUX au Сатиричен театър « Алеко Константинов » de Sofia par le génial Teddy Moskov qui, pour le Festival d’Avignon IN en 1999 et en 2002, présenta deux spectacles à l’Opéra. Je devrai peut-être un jour à un Bulgare l’honneur d’un spectacle dans le IN à Avignon, ma ville d’adoption…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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TEXTE INTÉGRAL

Un Cercueil pour Deux

Personnages : Edmond – Samantha – Francis – Chantal

ACTE 1

Face au mur d’un cimetière, recouvert de panneaux électoraux, la réception déserte d’une entreprise de pompes funèbres, ressemblant à celle de n’importe quelle autre entreprise. Sur le bureau, un téléphone sonne avec insistance. Edmond, le patron, vêtu d’une façon très stricte, arrive en maugréant.

Edmond – Oui, oui, j’arrive… Qu’est-ce qu’ils ont tous aujourd’hui à être aussi pressés… Ce n’est pas encore les soldes… Ah, non, je vous jure, ils finiront par avoir ma peau… (Il décroche) Picard Pompes Funèbres à votre service…? (Avec une amabilité commerciale) Oui Monsieur Dumortier, nous allons le recevoir ce matin… Parfaitement, en chêne avec des poignées dorées et un capitonnage vert pomme… La collection automne-hiver, c’est cela… Mais vous savez, le modèle Elisabeth 2, c’est un classique. C’est indémodable. Ce n’est pas le moins cher, c’est vrai, mais je sais que Madame Dumortier était très coquette. Croyez-moi, avec ce modèle-là, on n’est jamais déçu. En tout cas, on n’a jamais eu de réclamation, n’est-ce pas… Mardi, c’est entendu… Au plaisir Monsieur Dumortier… Enfin, je veux dire, euh… À mardi, Monsieur Dumortier… Et encore une fois, toutes nos condoléances… (Il raccroche) Je commence vraiment à fatiguer, moi… (Mais le téléphone sonne à nouveau, ne lui laissant aucun répit) Et merde… (Il décroche) Picard Pompes Funèbres à votre service…? Ah, c’est toi, Yvonne… Alors le docteur est passé… ? La grippe évidemment…? Avec l’épidémie qui sévit cet hiver… C’est qu’elle est très virulente, cette année… Ici, le téléphone n’arrête pas de sonner… Heureusement qu’on me livre la nouvelle collection ce matin, parce que si j’avais un imprévu… Je ne dis pas ça pour toi, bien sûr… Mais c’est vrai que je suis complètement débordé. Non, ce n’était vraiment pas le moment que tu tombes malade toi aussi… Tout seul ici, je ne m’en sors pas, moi… Non, l’intérimaire n’est pas encore arrivée. Je ne sais pas ce qu’elle fait, d’ailleurs. Elle devait être là à neuf heures. Ça commence bien, je te jure… (Jetant un regard par la vitrine) Ah, je vois quelqu’un arriver, ça doit être elle. Bon il faut que je te laisse. Soigne-toi bien. Moi aussi, je t’embrasse…

Entre Samantha, une jeune femme au look à l’évidence peu approprié au poste qu’elle vient occuper (au choix : outrageusement sexy ou au contraire grunge ou gothique, par exemple).

Samantha – Bonjour ! Je suis un peu en retard, je sais…

Edmond – En effet… Une panne d’oreiller, dès le premier jour ?

Samantha – Même pas ! Non, le réveil a sonné à l’heure, je me suis bien levée, et tout. C’est dans l’autobus que je me suis rendormie. Le chauffeur m’a réveillée au terminus. Alors le temps de reprendre la ligne dans l’autre sens…

Edmond – Bon… Vous vous appelez comment ?

Samantha – Samantha.

Edmond – Samantha ?

Samantha – Ça pose un problème.

Edmond – Non, non… C’est à dire que… Samantha, ça fait un peu… Enfin vous voyez ce que je veux dire…

Samantha – Non…

Edmond – Disons que dans notre profession, on est habitué à des prénoms plus discrets.

Samantha – Genre ?

Edmond – Je ne sais pas, moi… Josiane, Martine… Christelle à la rigueur… Ou Yvonne. Ma femme s’appelle Yvonne… Vous croyez vraiment pouvoir la remplacer…?

Samantha – La remplacer…?

Edmond – Alors vous tenez vraiment à vous faire appeler Samantha ?

Samantha – C’est mon nom.

Edmond – Bon… Et votre tenue là… On vous a dit que vous aurez à faire à la clientèle ?

Samantha – Ben… Oui…

Edmond – Vous comprenez bien que pour travailler ici, une tenue plus… classique serait quand même plus appropriée.

Samantha – Ah bon…

Edmond – Vous avez une formation, au moins ? Une première expérience dans notre domaine d’activité ?

Samantha – J’ai un CAP d’esthéticienne. Et j’ai fait une mission comme vendeuse chez Leclerc il y a trois mois.

Edmond – Esthéticienne… Oui, ça pourrait à la rigueur nous dépanner un peu…

Samantha – Ah bon…?

Edmond – Mais, Leclerc… Vous voulez dire dans la branche funéraire.

Samantha (surprise) – Ben non… Au rayon charcuterie, pourquoi ?

Edmond – Non, parce qu’autant vous dire que chez Picard, on ne fait pas dans le discount. Et pourquoi pas la vente par correspondance ou la vente en ligne, aussi ?

Samantha – Ah, oui, pourquoi pas…

Edmond – Leclerc et nous, on ne fait pas le même métier, d’accord ?

Samantha – D’accord…

Le téléphone sonne.

Edmond – Bon, et bien c’est le moment de me montrer ce que vous savez faire… Autant vous jeter à l’eau tout de suite, parce que je vous préviens, on est à flux tendu en ce moment. Je n’aurais pas le temps de vous former.

Samantha – Pas de problème… (Elle s’empare du téléphone et décroche avec assurance) Picard Surgelé, j’écoute…? Ah, non, Madame, je suis désolée, mais apparemment, vous avez fait un faux numéro… Mais je vous en prie, Madame… Pas de problème Madame… Au revoir Madame…

Samantha, visiblement contente d’elle, se tourne en souriant vers Edmond, qui la regarde pétrifié.

Samantha – Qu’est-ce qu’il y a ?

Edmond – C’est une blague ? C’est pour la Caméra Cachée, c’est ça ?

Samantha – Quoi ? C’était une bonne femme en pleurs qui croyait téléphoner aux pompes funèbres…

Edmond – Nous SOMMES une entreprise de pompes funèbres !

Samantha (anéantie) – Non…?

Edmond – L’agence d’intérim ne vous a rien dit ?

Samantha – Ils m’ont juste parlé de viande froide… Et comme la boîte s’appelait Picard…

Edmond – C’est un cauchemar… (Prenant sur lui) Bon, malheureusement, je n’ai plus le choix.

Samantha – Et donc, ici, c’est une entreprise de…

Edmond – Écoutez, vous vous contentez de répondre au téléphone et de prendre les messages. Quand un visiteur se présente, vous m’appelez. Et surtout, vous ne prenez aucune initiative, d’accord ?

Samantha – D’accord.

Edmond – Maintenant, je dois retourner m’occuper de mon député…

Samantha – Le député ?

Edmond – Delamare. Les législatives anticipées… Vous n’avez pas vu les panneaux électoraux contre le mur du cimetière ? C’est le premier tour de scrutin aujourd’hui !

Samantha – Et le député sortant est ici ?

Edmond – Ah oui, cette fois, on peut même dire que c’est une sortie définitive. Je suis en train d’essayer de lui refaire une beauté, là-bas derrière. Et croyez-moi, il y a du boulot…

Samantha – Madame Delamare ? Pourtant, sur les affiches, elle a l’air pas trop mal conservée…

Edmond – Son mari ! C’est lui le député sortant. Sa femme se présente aux élections pour lui succéder à l’Assemblée Nationale.

Samantha – Ah, d’accord…

Edmond – Les obsèques de Monsieur Delamare ont lieu aujourd’hui. Mais j’ai bien du mal à lui redonner une allure présentable. C’est que le corps a séjourné longtemps dans l’eau, alors évidemment…

Samantha (horrifiée) – Dans l’eau.

Edmond – D’ailleurs, si vous voulez vous charger du dernier coup de polish. D’habitude, c’est ma femme qui s’occupe de ça, mais comme elle n’est pas là…

Samantha – C’est à dire que…

Edmond – Vous m’avez bien dit que vous aviez un CAP d’esthéticienne ?

Samantha – Oui, enfin…

Edmond – Je vois… Bon… Vous croyez pouvoir vous en sortir avec le standard ?

Samantha – Oui, oui, bien sûr…

Edmond – Dans ce cas, je vous laisse. (Se retournant une dernière fois) Ah, au fait, j’attends une livraison ce matin. Quand la marchandise arrive, vous me prévenez tout de suite, d’accord…

Samantha – Une livraison…

Edmond – La nouvelle collection ! Vous avez le catalogue sous les yeux !

Edmond sort. Samantha jette un regard sur le catalogue, et reste estomaquée. Le téléphone sonne.

Samantha – Picard Sur… Pompes Funèbres Picard, j’écoute… Oui… Oui… (Écrivant sur un bloc) La promotion du mois, parfaitement… Le modèle Sapin Basique… À 99 euros TTC… Très bien, je lui dirai, Madame Delamare… Vous pouvez compter sur moi… Au revoir Madame Delamare…

Elle raccroche et soupire de soulagement. Un soulagement très momentané, puisqu’un homme entre par la porte et s’approche du bureau.

Samantha – Vous venez pour la livraison…?

Francis – Euh… Non… Francis Martino. J’ai rendez-vous avec Monsieur Picard. Pour choisir un modèle…

Samantha (avec un sourire commercial) – Je vais l’appeler… Vous voulez jeter un coup d’oeil sur notre catalogue en attendant… (Elle lui tend le catalogue) C’est pour offrir ?

Francis – C’est pour ma femme…

Samantha – Pardonnez-moi, mais… il me semble vous avoir déjà vu quelque part…

Francis – Oui… Ma photo est placardée sur tous les murs de la ville…

Samantha – Vous êtes recherché par la police ?

Francis – Pas encore… Pour l’instant, je me présente seulement aux élections… (Avec un geste en direction des panneaux électoraux contre le mur du cimetière) Sur les affiches, là, c’est moi…

Samantha – Francis Martino ! L’adversaire de Madame Delamare, parfaitement !

Francis – Disons son challenger…

Samantha – La liste divers droite, c’est bien ça ?

Francis – Ah, non, ça c’est Madame Delamare… Moi je suis centriste. Mais vous savez ce qu’on dit : le centre est partout et sa circonscription nulle part…

Samantha – Mmm… Alors vous avez perdu votre conjoint, vous aussi ?

Francis – Oui…

Samantha – Ah… Bataille !

Francis – Pardon ?

Samantha – Avec un décès dans sa famille entre les deux tours, Madame Delamare partait avec un avantage. Là ça remet les compteurs à zéro…

Francis – Oui…

Samantha – Si la grand-mère d’Obama n’était pas morte juste avant le scrutin, est-ce qu’un noir serait Président des États Unis aujourd’hui ?

Francis – Bien sûr…

Samantha – Et si Ségolène avait perdu ne serait que son caniche avant les présidentielles, l’histoire de France en aurait peut-être été changée…

Francis – Peut-être…

Samantha – Malheureusement pour elle, non seulement son infidèle compagnon n’est pas mort entre les deux tours, mais il a été folâtrer ailleurs. Qu’est-ce que vous voulez ? Les Français n’aiment pas les cocus, c’est comme ça…

Francis – Je vois que vous êtes une fine observatrice de la vie politique française… Euh… Monsieur Picard est là ?

Samantha – Oui, bien sûr, je l’appelle tout de suite. (Elle jette un regard au clavier de son standard et lit les différentes indications) Alors… Chambre froide… Coin cuisine… Thanatopraxie… Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais je vais essayer ça… (Elle compose le numéro et attend un instant avant que Edmond finisse par répondre) Bingo ! Monsieur Picard ? Francis Martino vient d’arriver… (Elle raccroche) Il vient tout de suite…

Silence un peu embarrassé. Francis feuillette le catalogue pour se donner une contenance.

Francis – Et vous, vous avez déjà fait votre choix ?

Samantha – Pour…?

Francis – Le scrutin d’aujourd’hui ! Vous avez déjà voté ?

Samantha – Euh… Non, pas encore…

Francis – Ah, j’ai encore une chance, alors… Vous connaissez notre programme ?

Samantha – Vous avez un programme ? Je croyais que vous étiez centriste ?

Edmond arrive.

Edmond – Bonjour Monsieur Martino. Et toutes mes condoléances…

Francis affiche à nouveau une mine de circonstances.

Francis – Qu’est-ce qu’on y peut…? C’est le destin, n’est-ce pas…?

Edmond – Au moins, elle a eu une belle mort.

Francis – Vous trouvez…?

Edmond – Non ?

Francis – Elle a été broyée par un train corail…

Edmond – Excusez-moi, je dois confondre avec Madame Dumortier… Elle est morte dans son lit pendant son sommeil. Elle avait 91 ans…

Francis – Ah, oui… Ma femme était un peu plus jeune…

Edmond se rend compte que Samantha écoute leur conversation avec une curiosité peu discrète.

Edmond – Si vous alliez nous chercher deux cafés, Sandra…

Samantha – Samantha…

Edmond – Oui, bon… Vous savez faire du café…?

Samantha – Je peux essayer…

Francis – Serré, pour moi, s’il vous plaît.

Samantha – Serré… Comme le scrutin d’aujourd’hui, pas vrai Monsieur Martino…?

Vague sourire de Francis. Edmond est visiblement exaspéré.

Edmond – La machine à expresso, c’est par là…

Samantha disparaît.

Edmond – On a tellement de mal à trouver du personnel compétent aujourd’hui… Et ma femme est clouée au lit avec la grippe. Vous savez qu’elle est très virulente, cette année…

Francis – Oui… Ma femme en est morte…

Edmond – Je croyais qu’elle s’était fait renverser par un train.

Francis – En allant chercher son vaccin anti-grippe à la pharmacie…

Edmond – J’ai toujours pensé qu’il y avait un problème avec ce vaccin… Et croyez-moi, je suis bien placé pour le savoir… D’ailleurs j’ai interdit à ma femme de se faire vacciner…

Francis – Madame Picard va bien ?

Edmond – Un léger refroidissement, mais elle sera sur pied dans quelques jours. Mieux vaut laisser faire la nature, pas vrai ?

Francis – Bien sûr…

Edmond – Vous avez déjà fait votre choix, Monsieur Martino ? Comme vous pouvez le voir sur notre catalogue, la nouvelle collection est absolument superbe…

Francis (jetant un regard rapide sur le catalogue) – Mmm…

Edmond – Comme je dis toujours : c’est au prix du cercueil qu’on évalue combien nos défunts nous étaient chers…

Francis – Je pensais à quelque chose de très simple, en fait…

Edmond – Je vois… Quelque chose d’élégant, mais discret en même temps… Vous avez une idée du modèle ?

Francis (montrant sur le catalogue) – Pourquoi pas celui-ci…

Edmond (pas ravi) – Sapin Basique. Notre modèle d’entrée de gamme. En promotion en ce moment. À 99 euros TTC. Très bien Monsieur Martino…

Francis – Je me suis dit que pour une crémation…

Edmond – Le sapin, ce sera bien suffisant… Vous avez de la chance, il ne nous en reste plus qu’un en réserve. C’est un modèle qui part très vite en ce moment… En ce qui concerne les options, nous pouvons vous proposer…

Francis – Le modèle de base.

Edmond – Sapin Basique sans option. Parfaitement. Vous vouliez voir autre chose ?

Francis – Pour l’instant ça ira…

Edmond – Parfait, Monsieur Martino. Alors c’est noté.

Samantha arrive avec le café. Elle tend une tasse à Francis et l’autre à Edmond.

Francis – Merci Mademoiselle…

Samantha (minaudant) – Samantha…

Francis vide sa tasse d’un trait et fait la grimace. Edmond, intrigué, trempe les lèvres dans son café et lance un regard furieux en direction de Samantha.

Edmond (avec un regard d’excuse à Francis) – Un peu trop serré, peut-être…

Francis – Ah, oui, ça…

Edmond – Ça réveillerait un mort…

Le téléphone portable de Francis sonne avec un bruit de réveil.

Francis – Excusez-moi… (Prenant l’appel) Oui…? Alors, vous avez les premières estimations ? Oui… Oui… oui… Ah… Bon, très bien, j’arrive tout de suite… Non, la cérémonie a lieu à onze heures… C’est ça, dans une heure… Mais vous savez, ce sera dans la plus stricte intimité… Je ne voudrais pas exploiter le drame qui me frappe pour m’attirer la sympathie des électeurs… Vous avez tout de même pensé à prévenir la presse ? Très bien, merci… À tout de suite…

Edmond – Alors ? Et cette campagne électorale Monsieur Martino ? Comment ça se présente ?

Francis pose machinalement son portable sur le bureau de la réception et sort de sa poche deux tracts électoraux.

Francis – Comme vous le savez, normalement, c’était ma femme qui devait se présenter à cette élection. Mais en raison de cette tragédie…

Edmond – Bien sûr…

Samantha – Il arrive qu’on fasse voter les morts, mais même en Corse, on n’a encore jamais réussi à en faire élire un à l’assemblée…

Edmond – Remarquez, vu le taux d’absentéisme au parlement, je ne suis pas sûr qu’on s’en apercevrait tout de suite, pas vrai…?

Francis (tendant les tracts à Edmond et à Samantha) – Tenez, je vous laisse quand même quelques informations sur notre programme.

Edmond – Ah, vous avez un programme… Je pensais que vous étiez… Non, rien…

Francis – À vrai dire, je n’ai aucune expérience en politique. Mais le parti centriste a tellement de mal à trouver des candidats…

Samantha – Oui… C’est sûrement le seul parti en France qui a encore moins d’électeurs que de candidats…

Edmond la fusille du regard.

Francis – Bref, on m’a un peu forcé la main, et je me suis laissé faire… Bon, je vais devoir vous laisser… Un petit problème à régler…

Edmond – Rien de grave, j’espère ?

Francis – Comme je ne trouvais personne d’autre, j’ai dû prendre la fille de ma femme de ménage comme suppléante. Mais on me dit qu’elle vient de se faire arrêter pour racolage sur la voie publique…

Edmond – Si les candidats aux élections n’ont plus le droit de proposer leurs charmes aux électeurs sur les marchés, où va la démocratie ?

Francis – N’est-ce pas…?

Samantha – Si vous cherchez une nouvelle suppléante, je peux vous dépanner…

Francis – Pourquoi pas…? Je vais y réfléchir, c’est promis…

Edmond – Alors tout à l’heure pour la cérémonie…

Francis – Parfait.

Francis s’en va. Edmond tourne un regard de reproche vers Samantha.

Samantha – Ah, j’ai oublié de vous dire. Vous allez être fière de moi, je viens de faire ma première vente au téléphone.

Edmond (inquiet) – Je vous avais dit de ne prendre aucune initiative…

Samantha – Madame Delamare a appelé. La veuve du député. Elle a choisi le modèle Sapin Basique.

Edmond – Sapin Basique !

Samantha – Oui, je sais, c’est le moins cher, mais bon… C’est quand même une vente.

Edmond – Il ne nous en reste plus qu’un en stock, et je viens de le promettre à Monsieur Martino pour sa femme !

Madame Delamare arrive.

Chantal – Ah, Monsieur Picard. Je voulais vous voir.

Edmond – Bonjour Madame Delamare… et toutes mes condoléances pour votre époux. Mais je suis sûr qu’il approuverait votre choix.

Chantal – Pour le cercueil, vous voulez dire ? C’est vrai que c’était un homme très près du peuple, et qu’il avait des goûts très simples…

Edmond – Au sujet de votre candidature ! Pour lui succéder au parlement…

Chantal – Oh, vous savez, je n’ai pas beaucoup la tête à la politique en ce moment. (Elle en profite néanmoins pour gratifier Edmond et Samantha de deux tracts électoraux) Si les électeurs de mon mari n’avaient pas insisté pour que je me présente afin de sauver son siège à l’assemblée… Mais je voulais vous parler de l’organisation des obsèques, justement…

Edmond – Vous avez changé d’avis sur le modèle, peut-être… C’est vrai que le Sapin Basique, pour un député…

Chantal – Non, non, pas du tout. Le sapin, ça me convient très bien. D’autant que j’ai opté pour l’incinération…

Edmond – Ah, vous aussi…

Chantal – Pardon ?

Edmond – Non, je veux dire… C’est une pratique qui se développe beaucoup en ce moment… Vous ne voulez pas jeter un nouveau coup d’oeil sur notre catalogue ?

Samantha (commercial) – Un petit coup d’oeil, ça n’engage à rien…

Edmond (lui montrant le catalogue) – Regardez. Le modèle Louis Philippe, par exemple… En acajou… Garanti trente ans…

Chantal jette un regard distrait sur le catalogue.

Chantal – Non merci, vraiment… D’ailleurs, excusez-moi, mais… Louis Philippe, Elisabeth 2, Marie Antoinette… Ça ne fait pas très républicain, tout ça…

Samantha – D’un autre côté, Sapin Basique… Ça fait un peu Ikéa, non ?

Chantal – Le Sapin Basique, ça ira très bien…

Edmond – C’est à dire que…

Chantal – Il y a un problème ?

Edmond – Je suis vraiment désolé, Madame Delamare, mais nous sommes momentanément en rupture de stock sur ce produit…

Chantal – Mais… cette jeune femme m’a dit au téléphone tout à l’heure que…

Edmond – Entre temps, j’avais promis le dernier exemplaire qui me restait à Monsieur Martino…

Chantal – Martino ? Mon adversaire aux élections !

Edmond – C’est un regrettable malentendu, et je vous prie d’accepter toutes mes excuses… Cette jeune personne débute dans le métier et…

Chantal – Il n’en est pas question !

Edmond – Je peux vous proposer un autre modèle… Je vous ferai une ristourne… Un surclassement, en quelque sorte…

Chantal – Vous n’avez qu’à proposer ça à Martino.

Justement, Martino revient.

Francis – Je crois que j’ai oublié mon téléphone portable chez vous. (Il est surpris de reconnaître Chantal). Madame Delamare…

Edmond – Vous vous connaissez, je crois…

Chantal – Un peu… Madame Martino s’était déjà présentée aux dernières élections contre mon mari…

Edmond – Ah… C’est presque une histoire de famille, alors…

Francis – J’en profite pour vous présenter toutes mes condoléances…

Edmond – Monsieur Martino est un gentleman. Il acceptera sans doute de se désister en votre faveur…

Francis – Pardon ?

Chantal – Il semblerait que nous ne soyons pas concurrent seulement pour ce fauteuil de député…

Edmond – Sandra a promis le dernier Sapin Basique qui nous restait à Madame Delamare…

Samantha – Samantha…

Edmond (enjoué) – Allez, ne me dites pas que vous aussi, les politiques, il ne vous arrive pas quelque fois de promettre la même chose à tout le monde pour vous faire élire…

Samantha – Je suis vraiment désolée…

Francis – On va sûrement trouver un arrangement à l’amiable… N’est-ce pas, Monsieur Picard ?

Edmond – Mais bien sûr… On doit justement me livrer la nouvelle collection d’une minute à l’autre…

Le téléphone sonne et Samantha répond.

Samantha – Picard Sur… Pompes Funèbres Picard, j’écoute. Ne quittez pas, je vous le passe. (À Edmond) Pour vous…

Edmond – Pardonnez-moi un instant… (Prenant le combiné) Oui…? Non…! Votre livreur à la grippe ? C’est une plaisanterie ? Quand ? Cet après-midi ? Mais il sera trop tard ! Ah, vous entendrez parler de moi, je vous le garantis…

Il raccroche consterné.

Francis – Si cela peut rendre service à Madame Delamare, je suis tout à fait disposé à opter pour un autre modèle… Qu’est-ce que vous me proposez ?

Edmond – C’est à dire que… Je viens d’apprendre que la livraison que j’attendais ce matin est repoussée de quelques heures…

Francis – Et ?

Edmond – Le Sapin Basique, c’était le dernier cercueil qui nous restait en magasin…

Francis – Le dernier ?

Edmond – Désolé, je n’en ai plus aucun autre de disponible dans l’immédiat… À moins de remettre Madame Dumortier au frigo… Mais elle est déjà dans la chambre funéraire avec sa famille…

Consternation générale.

Chantal – Les obsèques de mon mari doivent avoir lieu ce matin à 11 heures !

Francis – Ceux de ma femme également.

Edmond (pour lui même accablé) – Un cercueil pour deux… Il ne manquait plus que ça…

Chantal – Vous ne voulez quand même pas qu’on place mon mari et la femme de monsieur dans le même cercueil ?

Francis – Ah, oui… Ce ne serait pas très convenable…

Edmond – On pourrait peut-être remettre une des deux cérémonies à demain…?

Samantha – Après tout, maintenant, ils ne sont pas si pressés…

Chantal – Mais moi, si !

Francis – Ah, non, demain, ça ne va pas être possible pour moi non plus…

Chantal – La presse est déjà prévenue… Il n’y a aucune raison pour que je laisse la vedette à mon adversaire !

Edmond – Cet après-midi, alors ?

Francis – Je vous rappelle que ce soir, on dépouille.

Edmond – On dépouille…?

Francis (à Samantha) – À propos, vous n’êtes pas libre ce soir ?

Samantha – Pour…?

Francis – Pour le dépouillement !

Noir.

ACTE 2

Francis et Chantal attendent ensemble à la réception avec une mine de circonstances. Francis jette un regard discret sur sa montre.

Francis – Vous pensez qu’il y en a encore pour longtemps…?

Chantal – Je ne sais pas… Je n’ai pas trop l’habitude…

Francis – C’est bizarre… Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression d’être à la maternité, en train d’attendre un heureux événement…

Chantal (lui jetant un regard inquiet) – Oui, c’est bizarre…

Francis – Vous savez déjà ce que vous allez en faire ?

Chantal – Pardon ?

Francis – Les cendres de votre mari… Vous allez les mettre où ?

Chantal – Je n’ai pas encore décédé… Décidé… (Un temps) C’est… C’est volumineux ?

Francis – Je ne sais pas… Ça tient dans une urne, en tout cas…

Chantal – Une urne…?

Francis – Une urne funéraire…

Chantal – Ah oui, bien sûr…!

Francis – Oui… Quelle ironie pour un député… Finir dans une urne…

Chantal – Et vous ?

Francis – Je ne vais pas les garder sur le rebord de la cheminée, en tout cas… Ce serait un peu spécial, non ?

Chantal – Oui…

Francis – Peut-être les répandre dans le jardin… On a le droit ?

Chantal – Je crois, oui… En tout cas, personne n’est jamais allé en prison pour avoir dispersé les cendres de son conjoint dans son jardin…

Francis – Sauf le Docteur Petiot, évidemment…

Chantal – Mmm…

Francis – En même temps, je ne sais pas… Savoir que son conjoint est répandu sur le gazon entre la niche du chien et le barbecue… C’est un peu spécial aussi, non ?

Chantal – Oui…

Francis – C’est une décision lourde de sens. Il vaut mieux bien y réfléchir avant. Parce qu’après, c’est trop tard…

Chantal – C’est sûr… À part l’aspirateur…

Francis – Et on est vraiment obligés de repartir avec ?

Chantal – Je crois, oui… C’est comme à la maternité…

Justement, Edmond et Samantha arrivent en portant chacun une urne.

Edmond – Je ne vois pas la plaque. Le député, c’est laquelle ?

Samantha – Mince… Les plaques…

Edmond – Quoi ?

Samantha – J’ai oublié de les mettre…

Edmond – Mais je vous avais dit de… J’avais mis un post it avec le nom sur chaque urne ! Vous n’aviez qu’à visser les plaques !

Samantha – Je suis vraiment désolé…

Edmond – Mais vous savez dans quelle urne se trouve le député ?

Le silence embarrassé de Samantha est un aveu. Mais Edmond n’a pas le temps de réagir. Francis et Chantal tournent vers eux un regard de circonstance. Après une petite hésitation, Edmond tend son urne à Chantal, et Samantha la sienne à Francis.

Edmond – Nous vous laissons vous recueillir un instant sur les cendres de vos conjoints respectifs…

Edmond sort en lançant un regard incendiaire à Samantha.

Edmond – Je ne sais pas ce qui me retient de vous incinérer vous aussi…

Samantha – En même temps, si je n’étais pas allée chez Leclerc pour qu’il nous dépanne d’un cercueil en sapin…

Edmond – Un cercueil à monter soi-même, je ne savais même pas que ça existait…

Samantha – Eux, ils n’étaient pas en rupture de stock, au moins…

Edmond – Oui, bon, ça va…

Samantha – Et puis maintenant, Picard ou Leclerc, hein ? On ne voit plus la différence…

Edmond – Oui, ça vous pouvez le dire… Il y a une chance sur deux pour qu’en ce moment, Madame Delamare soit en train de se recueillir sur les cendres de Madame Martino.

Samantha – Et Monsieur Martino sur celles de Monsieur Delamare…

Edmond – Pas facile à monter, d’ailleurs, ces cercueils en kit…

Samantha – Oui… De ce côté là aussi, ça ressemble beaucoup à du Ikéa…

Ils sortent. Francis et Chantal regardent leur urne respective, plongés dans leurs pensées.

Francis – Nous ne sommes que poussière…

Chantal – Et nous retournerons à la poussière.

Francis – Il est mort comment, exactement, votre mari ?

Chantal – Noyé…

Francis – Noyé…?

Chantal – C’était un grand pêcheur devant l’Éternel. Il a dû tomber de son bateau. On n’a retrouvé le corps que six semaines après…

Francis – Et il ne savait pas nager…

Chantal – Il ne me l’avait jamais dit… Mais c’est vrai que je ne l’ai jamais vu nager de son vivant.

Francis – Peu de gens se vantent de ne pas savoir nager…

Un temps.

Chantal – Et votre femme ?

Francis – Un accident de la route.

Chantal – Ah, oui…

Francis – À un passage à niveaux dangereux… Sa voiture a calé au milieu des rails… Elle n’a pas eu le temps de redémarrer…

Chantal – Si je suis élue, je vous promets de faire aménager ce passage à niveau.

Francis – Merci… De mon côté, si j’ai la faveur des électeurs, je vous promets de faire passer une loi pour obliger tous les pêcheurs à passer un brevet de natation…

Ils restent un instant silencieux, contemplant les urnes.

Chantal – Et dire qu’ils s’étaient présentés l’un contre l’autre aux dernières élections. Voilà où ils en sont. Chacun dans son urne…

Chantal – Oui…

Francis – Ça… On peut dire que la politique ne leur a pas réussi…

Chantal – Non…

Francis – J’espère qu’on ne finira pas de la même façon.

Chantal – Enfin pas tout de suite…

Francis – À propos, vous avez vu les derniers sondages sortie d’urnes ?

Chantal – Oui…

Francis – Le deuxième tour s’annonce très serré.

Chantal – Mais je devrais être en ballottage favorable… Mon mari peut reposer en paix…

Francis – Mmm… Au dernier scrutin, on avait soupçonné vos amis d’avoir bourré les urnes…

Edmond et Samantha reviennent.

Edmond – Ils ont l’air de sympathiser, finalement…

Samantha – Vous verrez, ça se terminera par un mariage. (Edmond lui lance un regard réprobateur) Ils sont veufs tous les deux, non ?

Francis et Chantal les aperçoivent.

Chantal – Bon, on va peut-être vous laisser…

Edmond – Prenez votre temps… Vous pouvez rester le temps que vous voulez…

Samantha – Et vous serez toujours les bienvenus chez nous…

Edmond lui lance un regard réprobateur.

Francis – Je peux vous déposer quelque part ? J’ai un break…

Chantal – Je ne sais pas si…

Francis – Vous avez raison, excusez-moi… Ça pourrait faire jaser…

Samantha s’approche de Chantal.

Samantha – Je vais vous aider… Parce que c’est quand même un peu lourd…

Chantal – Ça ira, merci.

Samantha fait un geste maladroit pour saisir l’urne de Chantal. Ce faisant, elle bouscule celle de Francis qui tombe par terre. Son contenu se répand en partie sur le sol. Edmond regarde la scène effaré.

Chantal – Oh mon Dieu !

Edmond (anéanti) – C’est un cauchemar…

Samantha – Je suis vraiment désolée… Je vais réparer ça tout de suite…

Edmond – Ne touchez à rien, je m’en occupe…

Edmond disparaît.

Samantha – C’est la première fois que ça m’arrive, je vous assure…

Edmond revient avec un tablier fantaisie, un balai et une pelle.

Edmond – Je vais arranger ça…

Sous le regard consterné des trois autres, il balaie les cendres, les pousse vers la pelle, et s’apprête à les remet dans l’urne. Mais il se trompe d’urne.

Francis – Euh, non, là c’est le mari de Madame.

Edmond – Autant pour moi… (Edmond remet les cendres dans l’autre urne). Voilà, ce petit accident est réparé…

Samantha se penche et ramasse quelque chose par terre.

Samantha – Tiens… Qu’est-ce que c’est que ça ?

Edmond (embarrassé) – Ça arrive parfois qu’il reste quelques… Des plombages, par exemple…

Samantha – Ah, oui, en effet… On peut dire que la personne qui est là-dedans s’est vraiment fait plomber. On dirait une balle… Et du gros calibre, encore…

Consternation générale.

Edmond (examinant la balle) – Ah, oui…? Votre femme est morte d’un accident de chasse ?

Francis – Euh, non… Je vous l’ai dit, d’un accident de vaccin…

Samantha – Ah, oui, mais là c’est un sacré suppositoire, hein ?

Edmond – Je dirais de la chevrotine…

Samantha – C’est que là, Monsieur Martino… Si c’est vous qui avez confondu votre femme avec un sanglier… Ce ne serait pas bon du tout pour votre élection à l’assemblée.

Francis prend la balle des mains de Samantha et la regarde.

Francis (embarrassé) – Je ne comprends pas, je vous assure…

Silence embarrassé.

Samantha – En même temps… Je vous avoue que je ne suis pas complètement sûr qu’il s’agisse des cendres de votre femme…

Francis – Pardon ?

Samantha – Je me suis un peu mélangée dans les plaques…

Edmond – Elle veut dire que ce pruneau pourrait aussi bien provenir de l’urne de Monsieur le Député…

Francis lance un regard vers Chantal, qui semble anéantie.

Francis – Je vois…

Chantal – Je peux tout vous expliquer…

Francis (étonnée) – Vraiment…?

Chantal (à Edmond et Samantha) – Veuillez nous laisser un instant, je vous prie.

Edmond et Samantha s’éclipsent discrètement.

Francis – Vous avez quelque chose à me dire ?

Chantal fait un geste pour arracher la balle des mains de Francis.

Chantal – Donnez-moi ça !

Francis – Pas si vite…

Chantal se décompose.

Chantal – Ok, c’est moi qui l’ai tué…

Francis – Vous ?

Chantal – Mon mari n’est pas mort noyé.

Francis – Et vous avez maquillé son meurtre en accident…

Chantal – Oui…

Francis – Mais pourquoi ?

Chantal – Pour qu’on ne me jette pas en prison, évidemment !

Francis – Non, je veux dire… Pourquoi l’avoir tué ?

Chantal – Ne me dites pas que vous n’étiez pas au courant ?

Francis – Au courant de quoi ?

Chantal – Mon mari me trompait.

Francis – Et pourquoi est-ce que je devrais être au courant.

Chantal – Mais parce qu’il me trompait avec votre femme ! Vous ne le saviez pas ?

Francis (consterné) – Non…

Chantal – J’ai tué mon mari avec son fusil de chasse. Et je me suis arrangée pour faire passer ça pour un accident de pêche…

Francis – Ah, oui, c’est tordu…

Chantal – Ça a failli marcher… Si le corps était resté au fond, comme prévu…

Francis – Malheureusement, le passé finit toujours par remonter à la surface…

Chantal – Je pensais qu’en choisissant la crémation, je serai tranquille une bonne fois pour toute… Hélas, apparemment, la balle a résisté à la chaleur…

Francis – Mais il n’y a pas eu d’autopsie ?

Chantal – C’est mon médecin de famille qui a signé le permis d’inhumer. Il est assez âgé. Plutôt myope. Il n’a pas été très regardant.

Francis – Je vois… Mais un crime passionnel, ça se plaide très bien, non ? Ce ne serait pas plutôt pour prendre sa place au parlement que vous auriez assassiné votre mari ?

Chantal – Si je me présente aux élections, c’est surtout pour bénéficier d’une immunité parlementaire, au cas où je viendrais à être inquiétée…

Francis – Une assurance tous risques, en quelque sorte… Les impunités électives…

Chantal – Vous allez me dénoncer ?

Francis – Ça dépend un peu de vous. (Montrant la balle) Il n’y a que moi qui suis au courant…

Chantal s’approche de lui avec un air lascif.

Chantal – Vous pouvez faire de moi ce que vous voulez… Je serai votre chose…

Poursuivant ses avances, Chantal renverse aussi l’urne de Francis dont le contenu se répand en partie sur le sol.

Francis – Si vous commenciez par vous désister en ma faveur…

Noir.

ACTE 3

Edmond est occupé à la réception. Samantha arrive.

Samantha – Bonjour, bonjour…!

Edmond – Il y a du progrès… Vous n’avez qu’une demi-heure de retard… Vous ne vous êtes pas rendormie dans le bus aujourd’hui ?

Samantha – Si… Mais je me suis réveillée un peu avant le terminus… Vous ne pouvez déjà plus vous passer de moi, c’est ça ?

Edmond – Mmm…

Samantha – Alors, Monsieur Picard ? Comment vont les affaires ?

Edmond – Plutôt calme en ce moment. Après le coup de feu de la semaine dernière.

Samantha – Le coup de feu ?

Edmond – C’est une façon de parler…

En retirant son manteau, elle jette un regard vers les panneaux électoraux.

Samantha – Ah, vous avez vu ? Finalement, c’est le centriste qui est passé au deuxième tour.

Edmond – Oui… Madame Delamare s’est désistée en sa faveur…

Samantha – Mais il l’a prise comme suppléante…

Edmond – Dommage pour vous. La place n’est plus à prendre.

Samantha – Je vous l’avais dit que ça finirait par un mariage.

Edmond – Vous êtes vraiment très perspicace…

Samantha – Votre femme est là ?

Edmond – Elle est à côté.

Samantha (déçue) – Vous n’avez plus besoin de moi alors.

Edmond – Enfin, je veux dire… Elle est là mais… Ma femme a succombé à la grippe finalement…

Samantha – Je suis vraiment désolée… Toutes mes condoléances…

Edmond – Merci.

Samantha – C’est arrivé quand ?

Edmond – Cette nuit. J’aurais peut-être dû la faire vacciner, finalement…

Samantha – Au moins, avec vous, elle aura un bel enterrement…

Edmond – Mouais…

Samantha – Vous pourrez lui prouver combien vous l’aimiez. Comme vous dites toujours : c’est au prix du cercueil qu’on évalue combien nos défunts nous étaient chers… Vous avez choisi quel modèle ?

Edmond – Sapin Basique…

Samantha – Ah, oui, c’est… Le bois naturel, c’est très chaleureux.

Edmond – Très calorifuge, surtout. J’ai opté pour l’incinération, moi aussi.

Samantha – Bien sûr.

Edmond – Alors maintenant, évidemment… Je vais devoir la remplacer… Définitivement.

Samantha – La remplacer…?

Edmond – Ici, à la boutique.

Samantha – Ah, oui, bien sûr… Vous me passez en CDI alors…?

Edmond – Je peux vous prendre à l’essai, en tout cas. Du coup, j’ai un poste de thanatopracteur qui se libère…

Samantha – Thanatopracteur…

Edmond – Moi ma spécialité, c’est plutôt le gros oeuvre. C’est que parfois, ça relève carrément du puzzle… Et encore, on n’a pas toujours toutes les pièces…

Samantha – Comme avec Madame Martino… C’est vrai que là, vous aviez fait des miracles…

Edmond – Vous pouvez le dire… Quand on nous l’a amenée, après qu’elle soit passée sous le train avec sa voiture… On aurait dit une sculpture de César…

Samantha – César… L’empereur romain ?

Edmond – Bref… C’était ma femme qui faisait la finition… Alors maintenant qu’elle n’est plus là… Si ça vous tente…

Samantha – Je ne sais pas si je saurais…

Edmond – Ce n’est pas très compliqué, vous savez. C’est un peu comme esthéticienne, mais les clientes sont toujours contentes…

Samantha – Pourquoi pas…

Edmond – Et puis c’est un métier plein d’imprévu, contrairement à ce qu’on pense. Vous avez pu en juger vous même, on ne s’ennuie jamais ici…

Samantha – Et on côtoie parfois du beau monde…

Edmond – C’est qu’un jour ou l’autre, riche ou pauvre, célèbre ou anonyme, tout le monde passe entre nos mains…

Samantha commence à passer un coup de balai.

Samantha – Et pour la balle qu’on a trouvée dans l’urne du député, vous allez faire quelque chose ?

Edmond – Pensez-vous… On n’est pas de la police… Et puis on est liés par le secret professionnel… Dans notre métier, forcément, on pénètre dans l’intimité des familles…

Samantha – Ah, oui…?

Edmond – Vous n’avez pas idée de tout ce qu’on peut trouver dans les poches des défunts… Une fois j’ai même trouvé un Tacotac gagnant.

Samantha – C’est la veuve qui a dû être contente…

Edmond – Vous pensez bien que j’ai préféré ne pas lui en parler. Ça m’aurait paru déplacé…

Samantha – Bien sûr…

Edmond – C’est comme ça que j’ai acheté la machine expresso, d’ailleurs… À propos, vous voulez un petit café ?

Samantha – Pourquoi pas…?

Edmond disparaît un instant pour aller chercher le café..

Edmond (off) – Tenez, pas plus tard que la semaine dernière, dans les cendres de Madame Dumortier, j’ai trouvé une paire de ciseaux…

Samantha – Elle a été assassinée, elle aussi ?

Edmond – Des ciseaux de chirurgien ! Elle venait de se faire opérer de l’appendicite… Et elle est morte des suites opératoires…

Samantha – Vous me donnerez quand même le nom de la clinique… Au cas où je doive subir une intervention…

Edmond revient avec le café.

Samantha – Merci de me donner ma chance, en tout cas. Vous verrez, vous ne serez pas déçu…

Edmond – J’ai déjà un aperçu de vos talents…

Samantha remarque quelque chose dans la poussière qu’elle est en train de balayer.

Samantha – Tiens, qu’est-ce que c’est que ça…

Edmond s’approche et regarde l’objet qu’elle lui tend.

Edmond – Une deuxième balle ?

Samantha (avec un air pénétré) – Il y aurait donc eu un deuxième tireur pour ce qui est de l’assassinat de Monsieur Delamare… Ce n’est plus un coup de feu, c’est une véritable fusillade !

Edmond – Vous regardez trop la télé, Samantha… Il était député, c’est vrai, mais ce n’était pas Kennedy, tout de même. (Réfléchissant à son tour) Et si cette balle provenait de la deuxième urne…

Samantha – Bravo inspecteur… Vous croyez que Monsieur Martino aussi aurait pu plomber sa dinde…

Edmond – Avant de s’arranger pour lui faire prendre le corail de cinq heures vingt-trois…

Samantha – De plein fouet… dans sa voiture.

Edmond – Oui, c’est une possibilité…

Samantha – Mais pourquoi…?

Edmond – La jalousie ! Vous savez ce qu’on disait de la femme de Martino, en ville ?

Samantha – Non ?

Edmond – Madame Martino, il n’y a que le train qui ne soit pas encore passé dessus…

Samantha – À moins qu’il ait tué sa femme seulement pour apitoyer les électeurs… et se faire élire plus facilement.

Edmond – Allez savoir…

Samantha – En tout cas, maintenant, il bénéficie de l’immunité parlementaire…

Edmond jette un regard du côté de la vitrine.

Edmond – Ah, quand on parle du loup…

Samantha – C’est qu’il y a un loup.

Francis et Chantal arrivent dans la boutique.

Samantha – On dirait que les affaires reprennent.

Edmond – Monsieur Martino, Madame Delamare. Quel bon vent vous amène ? Pas un autre décès dans la famille, j’espère ?

Francis – Non, non, rassurez-vous…

Edmond – Cela me donne en tout cas l’occasion de vous féliciter pour votre élection, Monsieur Martino.

Francis – Merci, Edmond.

Samantha (à Chantal) – Pas trop déçue ?

Chantal – Je suis quand même suppléante… Ce qui veut dire que s’il arrivait malheur à Monsieur Martino, son fauteuil de député me reviendrait d’office. C’est pourquoi je ne le quitte plus d’une semelle…

Edmond – Un viager, en quelque sorte, Monsieur Martino…

Samantha – Faites attention à vous… Une balle perdue, c’est si vite arrivé, quand on va à la pêche.

Edmond – Ou quand on attend tranquillement à un passage à niveau…

Chantal lance un regard suspicieux en direction de Francis, qui préfère changer de sujet.

Francis – Non, cette fois, c’est nous qui venions vous présenter nos condoléances, monsieur Picard.

Edmond – Pour…?

Chantal – Votre femme !

Edmond – Ah, oui, c’est vrai… Pardonnez-moi, je suis tellement bouleversé en ce moment…

Francis – Enfin, la vie continue…

Chantal – Et justement, nous venions aussi vous annoncer un heureux événement.

Samantha – Vous attendez un bébé ?

Chantal – Pas encore…

Francis – Chantal et moi-même allons nous marier.

Chantal – Sous le régime de la communauté réduite aux aguets, comme on dit.

On entend le signal sonore d’un four de cuisine dont la minuterie est arrivée à son terme.

Chantal – Vous faites de la cuisine ? Vous feriez bien d’aller voir, on dirait que c’est en train de brûler.

Edmond – Euh, non, c’est… ma femme.

Francis – Votre femme ?

Edmond – Ses cendres, en tout cas.

Chantal – Ah, d’accord…

Edmond – Vous voulez bien aller voir, Samantha ? Je n’ai vraiment pas le cœur à m’occuper de ça…

Samantha – Bien sûr, Monsieur Picard.

Francis – Bon, et bien je crois que nous allons vous laisser.

Chantal – Nous venions seulement pour la couronne.

Edmond – Une couronne ? Pour votre mariage ?

Chantal – Pour les obsèques de votre épouse.

Francis – Au nom de Monsieur le Député.

Chantal – Et de sa suppléante.

Edmond – Bien sûr.

Francis – Je vous laisse choisir… Vous n’aurez qu’à envoyer la facture à ma permanence.

Edmond – Merci Monsieur le Député. Madame la Suppléante. Croyez bien que je suis très sensible à cette délicate attention dans le malheur qui me frappe aujourd’hui.

Chantal – Au revoir Monsieur Picard.

Francis (lui serrant la main) – Edmond…

Francis et Chantal s’en vont.

Edmond – Bon ben ça c’est fait…

Samantha revient.

Samantha – Ils sont partis ?

Edmond – C’est vous qui aviez raison… Ça se termine par un mariage…

Samantha jette un regard par la vitrine.

Samantha – Ils vont tellement bien ensemble… Ça se voit tout de suite…

Edmond – Mmm… Et nous, on ne va pas trop mal ensemble, non ?

Samantha – Vous trouvez ?

Edmond – Et maintenant que je suis veuf…

Samantha – Ah, à propos, j’ai trouvé ça dans les cendres de Madame Picard… (Elle montre une troisième balle) Je croyais que votre femme était morte de la grippe…

Edmond – Je vous l’ai dit… la grippe est très virulente, cette année…

Noir.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Novembre 2011

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-19-2

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Dessous de table

A simple business dinner –  Por Debajo de la Mesa – Por debaixo da mesa – Pod Stolem

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

2 hommes / 1 femme

Un boulevard politique : Pour inciter un ministre à signer un gros contrat lors d’un dîner,un PDG a engagé une escorte pour jouer la carte séduction. Mais l’escorte en question ne fait que remplacer une amie, qui ne lui a parlé que d’un travail d’hôtesse très bien payé. Elle pense servir les plats alors qu’elle figure au menu. Rien ne va donc se passer comme prévu…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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Version deux hommes
et une jeune femme
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TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE À LIRE OU IMPRIMER

Dessous de Table

Personnages : Le PDG – L’hôtesse – Le ministre

Un salon bourgeois. Des fleurs sur un guéridon. Un tableau contre un mur. Une table dressée pour trois. Un portable oublié quelque part sonne. Un homme arrive en caleçon et chemise, en train de nouer sa cravate. Il saisit le portable et répond.

PDG – Oui, Jérôme… Non, sa directrice de cabinet vient de m’appeler, il est toujours à Matignon, il ne sera pas là avant une demi-heure. Heureusement, je suis encore en calbute. J’espère que ce n’est pas un mauvais présage. Pourquoi ? Mais parce que si on n’arrive pas à lui faire signer ce putain de contrat ce soir, c’est comme ça qu’on finira tous les deux, mon vieux : en calbute ! Moi, le PDG, et vous le Directeur Général. Qu’est-ce que vous voulez, c’est la crise, et les actionnaires veulent toujours une croissance de leurs dividendes à deux chiffres ! Vous vous êtes bien occupé de la fille ? Elle devrait déjà être là, je ne sais pas ce qu’elle fout. Il faut quand même que j’aie le temps de la briefer un peu avant que le ministre arrive… Oui, un sacré chaud lapin, à ce qu’on dit. C’est pour ça que j’ai repensé à votre idée d’escorte pour lui tenir le stylo… Le stylo ! Pour signer le contrat ! Je reconnais qu’au début, je n’étais pas très pour. Mais depuis que j’ai vu votre… Annabelle à l’œuvre. Super classe ! Pas du tout le genre stripteaseuse vulgaire pour enterrement de vie de garçon bon marché, si vous voyez ce que je veux dire… C’est capital. Le ministre ne doit absolument pas se douter que c’est une professionnelle. Parce que figurez-vous qu’en plus, ce vieil obsédé se prend pour un grand séducteur ! Non, il faut que tout ça ait l’air parfaitement naturel… Qu’il ait l’impression que c’est son charme qui a encore opéré… Mais bon, je la sens bien, cette fille… Vous vous souvenez quand vous avez loué ses services pour l’arbre de Noël de la société ? Histoire de pimenter le réveillon du délégué CGT qui nous menaçait d’une grève pour le nouvel an… Eh ben vous allez rire, mais quand j’ai vu cette fille à côté de vous en arrivant, j’ai cru que c’était votre femme… Et c’est votre femme que j’ai prise pour une pute ! Enfin, vous savez ce que c’est, pendant ces fêtes de fin d’année… Toutes les femmes se croient obligées de s’habiller en sapin de Noël ou en putes. (Un bruit de sonnette se fait entendre) Excusez-moi une minute, il faut que j’aille ouvrir la porte. Ça doit être elle…

Le PDG, toujours en caleçon, va ouvrir la porte.

Hôtesse – Monsieur Martin Puig ?

PDG – Oui…

Hôtesse – Emmanuelle… Je suis envoyée par l’agence.

PDG – Emmanuelle ? Mais… c’est Annabelle que j’attendais. Et vous ne lui ressemblez pas du tout… Annabelle était beaucoup plus… Enfin beaucoup moins…

Hôtesse – Annabelle m’a priée de l’excuser auprès de vous. Elle a eu… un petit empêchement. C’est moi qui la remplace…

PDG – Qui la remplace ?

Hôtesse – Je suis très expérimentée aussi, je vous assure…

PDG – Ah, oui, mais… Ce n’est pas du tout ça qui était prévu… Et puis j’avais dit classe, pas… sortie de classe…

Hôtesse – C’est à dire que…

PDG – Bon, entrez, ne restez pas là, on va voir ça…

La fille entre. Jeune et jolie, mais habillée façon étudiante d’une école de bonnes sœurs (duffle coat, chemisier blanc, jupe écossaise, chaussettes montantes et souliers vernis).

Hôtesse – Merci…

PDG (reprenant son portable) – Jérôme ? Oh, putain, ça commence bien : l’agence ne m’a pas envoyé la fille que j’avais commandée… Mais qu’est-ce que vous avez branlé, bordel ? À quoi ressemble celle-là… ? (Martin détaille la fille de la tête au pied avec un air navré). Comment dire… ? (À la fille) Vous m’excusez une minute… (Il commence à s’éloigner vers la pièce de laquelle il était précédemment sorti) Écoutez, c’est la cata… (Plus bas) Même avec beaucoup d’imagination et un esprit très pervers, j’ai du mal à penser qu’on puisse signer un contrat de trois milliards d’euros dans le seul espoir de passer une nuit avec une gourde pareille… Elle a l’air de sortir d’un pensionnat de bonnes sœurs…

Il sort. La fille reste seule, un peu déstabilisée, et jette un regard circulaire sur le salon. Son portable sonne et elle répond.

Hôtesse – Oui… ? Ah, Isabelle ! Oui, oui, je viens d’arriver. Mais j’ai à peine eu le temps de lui parler, en fait… Écoute, je ne comprends pas très bien… En me voyant, il avait l’air super déçu… Genre le mec qui a commandé une Margherita avec un supplément de piment et à qui on livre une végétarienne sans sel… Sauf que j’avais l’impression d’être la pizza… Je te jure, c’était très bizarre… Tu es vraiment sûre que tu ne peux pas te libérer ? Ah, d’accord… Donc, tu as pris deux engagements pour la même soirée… Oui, ça arrive… Non, évidemment, tu ne peux pas te couper en deux… Dis donc, ça a l’air plutôt sélect, ici. Mais c’est qui, ce type, exactement ? Le groupe de travaux publics ? Ah, oui, quand même… Et tu crois vraiment que je… Non, non, ne t’inquiète pas, j’y suis, j’y reste… Mais c’est vraiment pour te rendre service, hein ? Oui, Isabelle, aussi pour commencer à te rembourser les trois mois de colocation que je te dois… Au fait, je ne sais pas pourquoi, mais il tient absolument à t’appeler Annabelle ? Ah, oui ? Je ne savais pas qu’il fallait un pseudo pour servir des petits fours… Je t’avoue que je n’ai pas l’habitude de jouer les soubrettes, mais bon… Oui, les hôtesses, si tu préfères… D’ailleurs, quand je lui ai dit que j’étais très expérimentée, il n’a pas eu l’air de me croire. À mon avis, dès le premier coup d’œil, il a bien vu que je n’avais jamais fait ça de ma vie… Il a fait une réflexion sur ma tenue, aussi… Je ne comprends pas… Tu m’avais demandé de venir habillée normalement… Une tenue classique, mais soignée… C’est ce que j’ai fait… Mais je pensais qu’ils allaient me fournir un costume d’hôtesse, comme au Salon de l’Agriculture… Il n’y a pas de costume d’hôtesse ? Excuse-moi, le voilà qui revient…

Retour du PDG, cette fois habillé.

PDG – Bon… Ça ne fait rien, il va bien falloir faire avec, parce qu’on n’a plus le temps, là. (Il la détaille à nouveau) Et puis finalement, votre côté nunuche devrait très bien faire l’affaire. C’est vrai que c’est très réaliste, hein ? Bravo ! On ne croirait pas du tout que vous êtes… Enfin, vous voyez ce que je veux dire… Bon, alors je vous explique le topo, vite fait. Voilà, je suis Martin Puig, PDG du groupe de Bâtiment et Travaux Publics Delapierre.

Hôtesse – Ah, oui ! C’est quand même le premier groupe de BTP en France. (Récitant le slogan de l’entreprise) Investissez dans l’avenir, investissez dans Delapierre !

PDG – Très bien… Je vois qu’on exige aussi de vous un bon niveau de culture générale… Comme ça on gagne du temps en explications… Donc, je reçois à dîner ce soir une personnalité politique avec qui nous devons signer un très gros contrat, que voici (Il prend sur un guéridon un contrat qu’il lui montre). C’est le Ministre des Transports…

Hôtesse (surprise) – Jean-François Knock ?

PDG – Plus connu sous le nom de JFK.

Hôtesse – Parce que la presse le présente comme le favori aux prochaines présidentielles…

PDG – C’est sûr que pour le reste, il n’a pas vraiment le physique de John Fitzgerald Kennedy. Mais heureusement pour nous, comme Kennedy, JFK un homme à femmes. Vous n’avez qu’à vous dire que vous êtes Marylin Monroe… Même si vous non plus, vous n’avez pas vraiment le physique de Marylin, hein ?

Hôtesse – Non…

PDG – Pour plus de discrétion, j’ai organisé cette petite sauterie chez moi. Ce n’est pas que ça m’arrange vraiment, comme vous pouvez l’imaginer. Mais dans les grands hôtels, pour la discrétion, vous savez ce que c’est…

Hôtesse – Oui… Enfin non…

PDG – Aujourd’hui, dans la presse, on voit un ministre sortir du Sofitel ou du Carlton, c’est pire que si on l’avait pris en photo à la sortie d’un hôtel de passe rue Saint Denis.

Hôtesse – Ah, oui…

PDG – Donc, je profite de ce que ma femme est allée voir sa mère pour quelques jours à Bordeaux…

Hôtesse – Mmm…

PDG – Je préfère autant qu’elle ne soit au courant de rien… Comme elle est très jalouse…

Hôtesse – Bien sûr…

PDG – Bref… Vous êtes ici pour… mettre le ministre dans les meilleures conditions possibles afin qu‘il signe ce contrat avec nous plutôt qu’avec notre principal concurrent… C’est clair ?

Hôtesse – Euh, oui…

Le PDG, un peu embarrassé, sort une liasse de billets de sa poche et lui tend.

PDG – Voilà… La moitié de la somme dont nous avons convenu avec Annabelle… Le reste… à la livraison.

Hôtesse (prenant l’argent) – La livraison ?

Le portable du PDG sonne à nouveau.

PDG – Oui ? Oui, Monsieur le Ministre… (Il fait signe à la fille de l’excuser un instant et s’éclipse à nouveau) Oui, oui, bien sûr… Aucun problème… Entendu, Monsieur le Ministre… Mais bien sûr, Monsieur le Ministre…

De nouveau seule, la fille se précipite sur son portable et appuie sur une touche.

Hôtesse (ravie) – Isabelle ? Mais c’est quoi, ce plan ? Il vient de me mettre dans la main une liasse de billets énorme, je n’ai même pas eu le temps de compter… En me disant qu’il m’en redonnerait autant tout à l’heure… Après que le traiteur aura livré les petits fours… Et ben dis donc… C’est bien payé, pour un travail d’hôtesse… Je vais pouvoir te rembourser les trois mois de loyer que je te dois, et même payer mes frais de scolarité ! Bon, je t’avoue qu’en voyant tout ce fric ça me fait réfléchir, hein ? Finalement, à quoi ça sert de se décarcasser pour réussir le concours d’entrée à Sciences Po ? J’aurais mieux fait de faire l’école hôtelière… (Elle jette un nouveau regard autour d’elle et voit la table dressée pour trois) Mais en fait, je ne sais plus trop ce qu’il veut que je fasse… Je m’attendais à servir le champagne dans une réception, et ça à l’air d’être un plan à trois… Je ne sais pas qui est le troisième… Pas seulement le service, tu dis ? Quoi d’autre, alors ?

La conversation est interrompue par le retour du PDG, et la fille range son portable.

PDG – Le ministre sera en bas dans une minute avec son chauffeur et ses gardes du corps. Je vais aller l’accueillir sur le perron. Désolé, je n’ai pas le temps de vous en dire plus. Mais vous connaissez votre métier, vous improviserez. Votre collègue m’a dit qu’on vous donnait des cours d’improvisation, aussi… (Il s’apprête à sortir) Inutile de vous préciser que tout ça devra rester très classe. Du charme, mais pas de vulgarité. Ah, oui, une dernière chose… Vous vous appellerez… Mirabelle. Excusez-moi, mais… vous n’avez vraiment pas un physique à vous appeler Emmanuelle…

Hôtesse – Et vous trouvez que j’ai un physique à m’appeler Mirabelle… ?

PDG – Emmanuelle, c’est quand même un peu trop… Enfin, on se doute immédiatement que c’est un pseudo.

Décontenancée, la fille jette un regard vers la table.

Hôtesse – Et le troisième couvert, c’est pour qui ?

PDG – Pour qui ? Mais pour vous ! On ne va pas vous faire manger dans une gamelle par terre, non plus. Je vous ai dit : il faut que tout ça reste très classe…

Hôtesse – Mais alors… qu’est-ce que je dois faire au juste ?

PDG – Bon, pendant le repas, vous restez dans les généralités. Vous jouez les jeunes filles de la maison un peu bécasse et surtout très bien élevée. Après… Vous faites mine de succomber aux charmes de l’ancien !

Hôtesse – L’ancien ?

PDG – Ecoutez, moins vous en saurez, plus tout ça paraîtra naturel… Et je vous dirai quoi faire au fur et à mesure, selon que le cochon aura mordu à l’hameçon ou pas… Maintenant, il faut vraiment que j’y aille. Il ne s’agirait pas de faire attendre le ministre… Nous sommes là pour répondre à tous ses désirs, Mirabelle…

Le PDG sort. La fille se précipite sur son portable.

Hôtesse – Isabelle ? Mais c’est quoi cette embrouille. On n’avait pas du tout parlé de ça ! Maintenant, je dois dîner avec eux, et jouer les Mata Hari ! C’est quoi ? Un jeu de rôles ! Une partouze ? Je n’ai qu’à me fier à mon instinct, et tout se passera bien, tu dis ? Ouais, ben mon instinct, il me crie de me barrer tout de suite en courant, figure-toi ! Écoute, ça ce n’est pas mon problème, que tu perdes un gros client ! Je ne savais pas le métier que tu faisais, moi ! Je pensais qu’il s’agissait de servir des petits fours. Pas de servir de petit four. Et pourquoi pas de se faire fourrer aussi !

Le PDG revient en compagnie du ministre, portant au revers de sa veste la Légion d’Honneur. La fille ne peut pas faire autrement que de ranger son portable.

PDG – Entrez, entrez, je vous en prie, Monsieur le Ministre… Faites comme chez vous…

Ministre – Merci… Excusez-moi pour le retard, mais j’étais en conversation avec le Premier Ministre… À propos du projet qui nous occupe, justement…

Le PDG entre avec le ministre, et ce dernier aperçoit la fille.

Hôtesse (perturbée) – Monsieur Schnock…

Ministre – Knock… Mais vous pouvez m’appeler Jean-François…

PDG – Ah ! À mon tour de vous présenter mes excuses, Monsieur le Ministre. Ma… nièce est de passage à Paris pour quelques jours… Si cela ne vous dérange pas, elle dînera avec nous… Je ne pouvais quand même pas la mettre sur le trottoir… Je veux dire à la rue pour ce soir… J’espère que cela ne vous ennuie pas trop ?

Ministre (émoustillé) – Mais pas du tout, voyons…

PDG – Et puis elle était tellement excitée à l’idée de vous rencontrer… N’est-ce pas Mirabelle ?

Hôtesse – Euh… Oui, tonton…

Ministre – Elle est charmante… Et qu’est-ce qu’elle fait dans la vie, cette demoiselle ?

Le PDG fait un signe à la fille pour qu’elle réponde.

Hôtesse – Je… suis étudiante. À Sciences Po.

Le PDG lui fait signe en cachette que c’est une bonne idée.

Ministre – Très bien, très bien… Alors une future ministre, peut-être… Mais vous me disiez qu’elle était seulement de passage à Paris ?

PDG – Oui…

Ministre – Si elle est à Sciences Po…

PDG (improvisant) – Sciences Po… à Bastia.

Ministre – Tiens donc…

Hôtesse – Ma mère est Corse.

PDG – Ma sœur, donc.

Hôtesse – Je voulais faire Sciences Po Paris, mais…

PDG – Elle a raté le concours.

Mirabelle tique un peu, vexée.

Ministre – Quel dommage… Enfin, moi j’ai fait l’ENA, et vous voyez où j’en suis rendu, Mirabelle…

Hôtesse – On parle tout de même de vous comme le prochain Président de la République…

Ministre – On dit tellement de choses, vous savez… Mais pour l’instant, je dois passer la soirée à jouer les marchands de tapis avec ce vieux grigou qu’est votre oncle, pour savoir à quel prix il va me facturer son kilomètre d’autoroute.

PDG – Allons, allons… Nous sommes prêts à faire un geste commercial, vous le savez… Et puis nous sommes presqu’en famille…

Ministre – Qu’est-ce que je vous disais… Je suis sûr qu’il a dans l’idée de me faire boire pour me pousser à signer n’importe quoi… Mais je ne me laisserai pas corrompre…

PDG – Votre réputation vous précède, Monsieur le Ministre… Tout le monde connaît votre intégrité… Et chacun sait combien vous êtes économe avec les deniers de l’état… Je me suis même laissé dire que dans les couloirs de l’assemblée, on vous surnommait « le castor »…

Ministre – Tiens donc… Je l’ignorais… Et je ne savais pas que le castor était le symbole de l’esprit d’épargne…

Hôtesse – C’est vrai qu’habituellement, c’est plutôt l’écureuil…

PDG – Le castor est un grand bâtisseur ! Il abat des arbres avec ses dents, et construit des barrages…

Mirabelle – Avec sa queue.

Ministre – Mmm… Enfin, comme vous le savez, la situation de notre pays est extrêmement difficile en ce moment. Si la France a besoin de moi, je ne resterai pas insensible à son appel…

Hôtesse – C’est tout à votre honneur, Monsieur le Ministre.

Ministre – Je suis sûr, Mademoiselle, que si vous étiez en situation vous aussi, vous seriez prête à faire don de votre personne à la France, n’est-ce pas…?

PDG – Mais je vous en prie, asseyez-vous. Mirabelle va nous servir quelque chose à boire. N’est-ce pas ma chérie ?

Hôtesse – Champagne ?

Ministre – Si c’est pour célébrer la signature de notre contrat, je vous signale que ce n’est pas encore fait. Vous savez dans quel état se trouvent les finances de la France…

PDG – Cela ne nous empêche pas de nous rafraîchir, tout de même ! (Il fait un geste à la fille pour qu’elle remplisse les coupes). Et je vous rappelle que notre société a déjà consenti de très gros efforts sur le montant de ces travaux pour ne pas creuser davantage le déficit de l’État.

Ministre – Tout de même, mon cher. Trois milliards d’euros, c’est une somme…

PDG – Pour cent kilomètres d’autoroute ! À ce prix-là, c’est donné, Monsieur le Ministre, croyez-moi ! C’est bien simple : si vous trouvez moins cher ailleurs, je vous rembourse la différence.

Hôtesse – Le contrat de confiance…

Ministre – Comme vous le savez, Mirabelle, Standard and Poor’s vient de nous retirer notre label triple A. Aujourd’hui, les Bons du Trésor sont moins côtés sur le marché que les andouillettes à la charcuterie du coin. Et le chef de l’État français passe pour une triple andouille auprès de nos bailleurs de fonds internationaux.

PDG – Mon cher Ministre, nous comptons fermement sur vous pour faire en sorte qu’après les prochaines présidentielles, vous soyez à la place de cette andouille.

Ministre – Ne cherchez pas à flatter mon ambition pour m’amadouer, mon cher… Je devrais même dire mon très cher… Mon trop cher !

PDG – Monsieur le Ministre, nous parlons ici d’investissement pour l’avenir !

Hôtesse (citant à nouveau le slogan) – Investissez dans l’avenir, investissez dans Delapierre !

PDG – Le réseau autoroutier français, c’est le système nerveux du pays. Sa circulation sanguine ! Ce sont les autoroutes qui apportent à chaque muscle que sont les entreprises françaises l’oxygène dont elles ont besoin quotidiennement. Ce n’est pas au Ministre des Transports que je vais apprendre cela !

Ministre – Reste à convaincre l’opinion publique qu’une liaison autoroutière directe Saint Léonard des Bois – Neuilly sur Seine est une priorité stratégique pour le redressement de la France…

PDG – À quoi serviraient les conseils en communication, autrement ?

Ministre – Et nous n’avons peut-être pas encore touché le fond… Pardonnez ma vulgarité, Mademoiselle, mais les agences de notation nous tiennent par les couilles. Nous avons raté le Grenelle de l’environnement, mais la note financière de la France, elle, est tout à fait biodégradable.

PDG – Allons, allons… Le Trésor Public n’est pas encore en faillite, tout de même.

Ministre – Standard and Poor’s… Vous savez ce que cela signifie en anglais, mon petit ?

Hôtesse – Normal et Pauvres ?

Ministre – Exactement ! Parce qu’en interdisant aux pays riches de continuer à se surendetter à un prix raisonnable, cette agence de notation a le pouvoir d’en faire des pays normaux et pauvres…

PDG – C’est un très bon contrat, je vous assure. Une autre coupe de Champagne, Monsieur le Ministre ?

Il fait signe à la fille de resservir le ministre.

Ministre – Vous savez combien cela nous coûterait d’intérêts par an pour emprunter trois milliards d’euros supplémentaires ? Si les Chinois veulent bien nous les prêter…

PDG – Vous vous rattraperez sur les péages ! Vous allez vous en mettre plein les poches ! Ce sera une véritable rente à vie pour vous ! Je veux dire pour la France…

Ministre – Mmm… Qu’en pensez-vous, ma chère enfant ? (Amusé) Voyons voir… Si vous étiez Ministre des Transports, qu’est-ce que vous feriez à ma place ?

Hôtesse – J’ai toujours pensé que l’État avait fait un calcul à très courte vue en privatisant ses autoroutes… Pourquoi vendre la poule aux œufs d’or pour le prix de quelques lingots ?

Ministre – Vous n’avez pas tout à fait tort…

PDG – Écoutez la voix de la jeunesse !

Ministre – La poule aux œufs d’or… (Lorgnant vers la fille) C’est en effet le genre de gallinacées que tout homme rêverait d’avoir dans sa basse-cour…

PDG – Eh bien ce soir, Monsieur le Ministre, c’est une poule que je vous offre sur un plateau…

Ministre – Vraiment… ?

PDG – Aujourd’hui, un ticket d’autoroute Paris-Lyon coûte presque aussi cher qu’un billet de TGV !

Ministre – Vous croyez… ?

PDG – Et en plus il faut payer l’essence et le chauffeur…

Hôtesse – Mmm… C’est peut-être un peu ça le problème quand même…

PDG – Pardon ?

Hôtesse – À ce prix-là, qui va encore avoir envie de prendre l’autoroute ?

Ministre – Surtout entre Saint Léonard des Bois et Neuilly-sur-Seine…

Hôtesse – Saint Léonard des Bois… ?

PDG – Et pourtant… Nous savons très bien à quel point ce projet vous est cher, Monsieur le Ministre, n’est-ce pas ?

Ministre – Je ne le nie pas…

PDG – C’est d’ailleurs vous qui l’avez porté à bout de bras depuis le début du quinquennat… Et nous savons tous aussi très bien pourquoi…

Hôtesse – Ah, oui… ? Et pourquoi ?

PDG – Mais… pour désenclaver la Sarthe, tout d’abord. Qui comme chacun sait est un des poumons économiques de la France.

Hôtesse – Et ensuite… ?

Ministre – Ensuite parce que je suis le Député-Maire de Saint Léonard des Bois… mais que j’habite une villa à Neuilly sur Seine.

PDG – Ce sera tout de même plus pratique pour vos aller retour entre l’Assemblée et votre circonscription.

Hôtesse (ironique) – Ou pourquoi pas, à l’avenir, entre l’Élysée et votre maison de campagne.

Le PDG lui lance un regard incendiaire. Heureusement, la sonnette de la porte fait diversion.

PDG – Ça doit être le traiteur… (À la fille) Je vous laisse aller ouvrir, Mirabelle…

Hôtesse – Bien sûr, mon oncle.

Ministre – Elle est charmante… Mais elle ne manque pas de mordant non plus… Je me trompe ?

PDG – Tout le portrait de sa mère… en plus jeune.

Ministre – Eh, oui…

PDG – Le privilège de la jeunesse…

Ministre – Mais très bien élevée.

PDG – Et très propre…

La fille revient avec un grand plateau sur lequel sont disposées plusieurs assiettes, qu’elle dispose sur la table.

Hôtesse – Et voilà ! Nous allons pouvoir passer à table…

PDG – Ce sont des assiettes froides. Je me suis dit que ce serait plus pratique. Ça simplifie le service, et ça évite les témoins gênants. Je veux dire les oreilles indiscrètes… On a beau avoir pleine confiance en son personnel…

Ministre – Bien sûr, bien sûr… Mais après tout, ce rendez-vous n’a rien de secret ni de répréhensible pour l’instant, n’est-ce pas ? À moins que vous n’ayez l’intention de me soudoyer avec un dessous de table ?

Le PDG se demande visiblement s’il s’agit d’une plaisanterie ou d’un appel du pied et hésite sur sa réponse.

PDG – Eh bien…

Ministre – Je plaisante, évidemment.

PDG – Évidemment.

Ministre – Mais tout ça m’a l’air excellent.

PDG – Ça vient du meilleur traiteur de Paris ! C’est scandaleusement cher, mais tellement délicieux…

Ministre – Je me laisse faire, je meurs de faim. Même si tout cela frise la corruption passive.

Ils s’attablent tous les trois.

Hôtesse – Je vous sers un petit pot de vin ? (Le ministre est un peu décontenancé, et le PDG la fusille du regard). Je veux dire un petit peu de vin…

Ministre – C’est proposé si gentiment… (Au PDG) Elle est charmante… Alors comme ça, Mirabelle, vous habitez en Corse ?

Hôtesse – Ah oui… ? Je veux dire : Ah, oui !

PDG – Elle habite à Bastia…

Ministre – C’est curieux, vous n’avez pas du tout l’accent…

Hôtesse – C’est à dire que… J’ai pris des cours de diction pour essayer de le perdre. Vous savez ce que c’est, l’accent corse, quand on veut faire une carrière dans la politique ou dans les affaires, même si maintenant c’est un peu la même chose… On passe tout de suite pour quelqu’un du milieu…

Ministre – Du milieu ?

Hôtesse – La mafia… La mafia corse…

Le PDG ronge son frein.

Ministre – Il y a quelques moutons noirs, en effet. Qui ternissent la réputation de cette belle région. Mais il ne faut pas généraliser, vous savez. Il y a aussi quelques élus intègres. J’ai présidé le Conseil Général de Corse pendant une dizaine d’années. Je connais très bien Bastia…

PDG – Vraiment… ?

Ministre – Et qu’est-ce qu’elle fait votre sœur à Bastia ?

PDG – Ma sœur… ?

Ministre – Vous savez, je connais tout le monde, là bas.

PDG – Qu’est-ce qu’elle fait… ? Eh, oui… (Se tournant vers la fille) Qu’est-ce qu’elle fait maintenant ?

Hôtesse – Elle est morte.

PDG – Et oui… Je suis tellement ému quand je parle de ça… Je n’arrivais pas à prononcer le mot moi-même.

Ministre – Je suis vraiment désolé.

PDG – C’était ma sœur, quand même… Et en plus, je n’en avais qu’une. Il me reste bien quelques frères, mais…

Ministre – Ce n’est pas pareil…

PDG – Ça ne remplace pas…

Hôtesse – Moi aussi, je n’avais qu’une mère…

Ministre – Et oui, c’est… C’est souvent le cas, malheureusement… Et elle est morte…

PDG – Alors là, complètement, hein… Un… Un accident…

Ministre – Un accident ?

PDG – Un camion frigorifique… En traversant la rue… pour aller à la charcuterie.

Ministre – Oh, mon Dieu…

PDG – Mais bon, on ne va pas se plomber la soirée avec ça, non plus… La vie continue… Les travaux aussi ! Car vous savez ce qu’on dit : quand le bâtiment va, tout va ! Ça vaut aussi pour les travaux publics…

Ministre – Et donc, cette charmante demoiselle habite toujours à Bastia ?

PDG – Et oui… Avec sa maman… décédée.

Ministre – À propos de charcuterie… Il y a un excellent restaurant à Bastia, où on mange le meilleur saucisson d’âne de Corse…. Comment ça s’appelle, déjà ?

Fort heureusement, le portable du Ministre sonne, dispensant la fille de répondre. Le ministre prend l’appel.

Ministre – Oui ? Oui, oui… Non, non, vous ne me dérangez pas du tout… Ne quittez pas une seconde… (Au PDG) Je vous prie de m’excuser. Il y a un endroit où je peux m’isoler un moment ?

PDG – Mais bien sûr, voyons. Par ici, je vous prie…

Le PDG lui indique le chemin.

Ministre (à son interlocuteur téléphonique) – Oui, oui, je vous écoute…

Le Ministre sort.

PDG – Bon, tout se passe plutôt bien jusqu’ici… Je crois que vous avez réussi à réveiller la libido de ce vieux satyre avec votre côté pensionnaire d’un orphelinat de bonne sœur… Mais n’en faites quand même pas trop sur le côté rebelle…

Hôtesse – Rassurez-vous, je ne ferai rien pour faire capoter cette négociation…

PDG – Et maintenant, il va falloir mettre le turbo, hein ? Discrétion et élégance, oui. Mais efficacité et rentre-dedans quand même.

Hôtesse – Rentre dedans ?

PDG – Vous continuez à appâter le gros poisson… et hop ! Vous le ferrez brusquement au moment où il s’y attend le moins. Ce qu’il faut, c’est le surprendre, vous comprenez. Après, ce vieux requin se laissera faire… Il aime la chair fraiche, croyez-moi. De ce côté-là, mes informations sont tout à fait fiables…

Son portable sonne et il répond.

PDG – Oui, Jérôme… Non, je n’ai pas trop le temps de vous parler là… Oui, oui, je crois que ce gros dégoûtant n’est pas insensible au style collégienne en kilt… Dites donc, vous saviez qu’il avait passé dix ans de sa vie à Bastia ? Vous auriez pu m’en toucher un mot ! Ça m’aurait évité de passer pour un con… (Le Ministre revient) Bon, je vous laisse…

Ministre – Je vous prie de m’excuser, mais je ne pense pas que c’était souhaitable que vous entendiez cette conversation… Vous savez qui vient de m’appeler ?

PDG – Ma foi non…

Ministre – Votre principal concurrent…

PDG – Tiens donc…

Ministre – Et je dois vous avouer qu’il vient de me faire une offre… très alléchante.

PDG – Combien ?

Ministre – Le même prix que vous… mais avec vingt kilomètres d’autoroute en plus…

Hôtesse – Ah oui, sur cent kilomètres, ça fait quand même vingt pour cent gratuit, c’est une promo tout à fait intéressante, en effet.

PDG – Saint Léonard des Bois – Neuilly sur Seine ? Mais avec les autoroutes déjà existantes, on n’a besoin que d’un tronçon de 100 kilomètres pour le raccordement ! Les études sont formelles !

Ministre – Votre concurrent me propose une petite variante qui passe par L’Aigle. C’est là où habite ma mère… (À la fille) Et vous savez combien il est important de pouvoir rendre visite de temps en temps à sa maman pendant qu’elle est encore en vie… (Le portable du Ministre sonne à nouveau, et il répond). Oui… (Au PDG) Excusez-moi encore une minute… Oui, oui, je vous écoute…

Il sort dans la pièce d’à côté.

PDG – On est dans la merde…

Hôtesse – Vous n’avez qu’à lui faire aussi ses vingt pour cent gratuit, comme sur les boîtes de corn flakes…

PDG – Impossible… Notre devis est déjà tiré au maximum… Avec vingt kilomètres en plus pour le même prix, on y laisse tout notre bénéfice.

Hôtesse – Mais vous relancez l’économie, donc la croissance !

PDG – Mais nos actionnaires s’en foutent de la croissance ! Ce qu’ils attendent à la fin de l’année, c’est leurs dividendes ! Et puis je rêve là ! Je ne vais pas parler affaires avec une pute qui est juste là en tant que cadeau promotionnel pour faciliter la signature d’un gros contrat !

Hôtesse – Une pute ?

PDG – Contentez-vous de faire votre boulot, bordel ! J’ai payé pour les services d’une escort girl, pas pour une conférence d’Eva Joly !

Hôtesse – Une escort girl ?

PDG – Tout repose sur vous, maintenant, d’accord ? Il faut absolument le convaincre que vos bretelles de soutien gorges sont plus passionnantes que la bretelle d’autoroute qui relierait son domicile à la maison de retraite de sa mère !

Hôtesse – Écoutez, cher Monsieur, il s’agit d’un malentendu… Je remplace une amie qui ne m’a visiblement pas tout dit sur ce qu’on attendait de moi dans le cadre de cette mission… Je ne suis pas une prostituée ! Je suis vraiment étudiante à Sciences Po, et je fais des petits boulots pour payer mon loyer et mes études, c’est tout.

PDG – C’est une blague… ?

Hôtesse – Bon, je vous rends votre argent, et je me barre… C’est assez clair, comme ça ?

PDG – Attendez, ne nous énervons pas… Je vous prie de m’excuser et de m’écouter une minute, d’accord ?

Hôtesse – Je vous écoute… Mais ça ne changera rien au fait que je ne couche pas pour de l’argent… D’ailleurs, en règle générale, je couche très peu… Même gratuitement…

PDG – Si nous ne signons pas ce contrat ce soir, nos actionnaires décideront de fermer le département autoroutier de cette entreprise pour se concentrer vers les secteurs plus rentables. Des centaines de salariés perdront leurs emplois. Moi aussi, pour tout vous dire…

Hôtesse – Mais qu’est-ce que j’y peux, moi ?

PDG – Vous êtes mon dernier atout, Mirabelle.

Hôtesse – Emmanuelle.

PDG – Tout repose sur vous. Des ouvriers risquent de se retrouver au chômage ! Leurs familles à la rue ! Leurs enfants ne pourront pas faire d’études comme vous !

Hôtesse – Arrêtez, vous allez me faire pleurer… Mais je ne vais quand même accepter votre plan cul pour éviter un plan social !

PDG – Qui vous parle de cul… ? Le deal, c’est que vous parveniez à faire signer ce contrat à cet imbécile. Si vous y arrivez sans avoir à coucher, tant pis pour lui… Je veux dire, tant mieux pour vous…

Hôtesse – Et comment je fais ça ?

PDG – Vous lui proposez l’apéritif, vous lui mettez l’eau à la bouche avec le plat principal, et au dernier moment, vous le privez de dessert. Du moment que vous arrivez à lui faire payer l’addition avant de partir…

Hôtesse – Je ne sais pas quoi vous dire…

PDG – Il a l’air pas mal porté sur la bouteille aussi. En le faisant picoler un peu…

Hôtesse (froissée) – Vous voulez dire que pour avoir envie de coucher avec moi, il faut être complètement bourré ? Après m’avoir traité de pute… Vous au moins, vous savez parler aux femmes…

Le téléphone du PDG sonne. Il répond.

PDG – Je vous retiens, Jérôme ! La fille que vous m’avez envoyée ne veut pas coucher ! (Se radoucissant soudain) Chérie ? C’est toi ? Je ne m’attendais pas à ton appel… Alors quel temps il fait à Bordeaux ? Il fait nuit… Oui, ici aussi… De quoi je parlais ? Une fille ? Quelle fille ? Mais non, je t’assure… Mais enfin, chérie, tu sais très bien que jamais… Allo ? Allo ? Elle a raccroché… Il ne manquait plus que ça… C’est une catastrophe… Il faut absolument que je la rappelle tout de suite…

Le PDG sort pour rappeler sa femme. La fille compose un numéro à la hâte.

Hôtesse – Non, mais dans quel traquenard tu m’as envoyée ? Je ne suis pas une pute ! Une hôtesse de charme ? Excuse-moi, mais je ne vois pas bien la différence. Si j’avais su, je ne serais jamais venue ! C’est sûrement pour ça que tu ne m’as pas tout dit, j’imagine… Oui, tu m’as dit que l’agence s’appelait Glamour International… Non, excuse-moi, je n’ai pas fais le rapprochement… Tes trois mois de loyer ? Alors soit je couche avec ce gros porc, soit tu me jettes à la rue, c’est ça ?

Le retour du Ministre l’oblige à arrêter sa conversation et ranger son portable.

Ministre – Vous êtes toute seule ?

Hôtesse – Mon… oncle avait un coup de fil urgent à passer… Un petit malentendu avec sa femme…

Ministre – Ça, nous laisse le temps de bavarder un peu. Vous me donnerez votre numéro de téléphone. Je pourrais avoir envie de vous débaucher…

Hôtesse – Me débaucher… ?

Ministre – Vous embaucher, si vous préférez… Si un jour vous cherchez un stage, ou même du travail, après vos études, n’hésitez pas à me contacter. Je vous donnerai mon numéro personnel aussi. Très peu de gens l’ont, vous savez.

Hôtesse – Merci de m’accorder ce privilège…

Ministre – Il faut bien donner un coup de pouce à la jeunesse. Je ne sais pas pourquoi , mais j’ai l’impression qu’on s’entendrait bien, tous les deux, non ? Vous avez du caractère… J’aime ça… Et puis si je suis élu aux prochaines présidentielles, j’aurais besoin de m’entourer d’une nouvelle équipe. Plus jeune… Plus ouverte sur le monde… Plus formée…

Hôtesse – Et douée pour les langues…

Ministre – Vous allez rire, mais notre Ministre des Finances ne parle pas un mot d’anglais… Et c’est tout juste s’il sait faire une addition à trois chiffres sans l’aide de son chef de cabinet et de deux ou trois experts comptables… (Il la prend par la taille) Ça vous dirait de rejoindre mon équipe de campagne ?

Hôtesse – On vous présente comme le JFK français, mais je vois que vous tenez aussi de Bill Clinton…

Le ministre se rapproche de la fille et pose la main sur elle.

Ministre – Un peu d’impertinence, ce n’est pas fait pour me déplaire…

Elle lui retourne une gifle. Retour du PDG qui entrevoit la scène.

PDG – Tout se passe bien… ?

Le ministre reprend une contenance.

Ministre – À vrai dire, je suis un peu embarrassé, mon cher…

PDG – Je suis sûr que nous allons trouver un arrangement… Je ne peux malheureusement pas vous proposer à l’œil cette petite bretelle sur L’Aigle. (Avec un regard vers la fille) Mais il y a sûrement un petit lot de consolation qui vous ferait plaisir…

La fille lui lance un regard noir pour lui signifier sa balourdise.

Ministre – Je viens d’avoir des nouvelles de ma mère. C’est elle qui m’appelait, justement…

PDG – Ah… Votre chère maman va bien, j’espère…

Ministre – Hélas… Elle commence à perdre un peu la tête… Elle me croit déjà Président de la République…

Hôtesse – Mais… c’est une visionnaire, tout simplement, Monsieur le Ministre ! C’est tout le contraire d’Alzheimer, ça… Elle n’oublie pas le passé, elle se souvient déjà de l’avenir…

Ministre – Malheureusement, elle me croit aussi en prison à La Santé pour détournement de mineure…

Hôtesse – Ah, oui, là en effet, ça ne tient pas debout.

PDG – Si vous étiez Président de la République, vous bénéficierez d’une immunité totale.

Hôtesse – Ce n’est pas pour cela que vous vous présentez, au moins ?

Ministre – Bref, je crains que ma pauvre mère n’ait de plus en plus besoin de moi dans les années qui viennent. On ne doit pas laisser tomber nos anciens, n’est-ce pas ?

PDG – Non, bien sûr…

Ministre – Je me fais un devoir d’aller lui rendre visite au moins une fois par semaine. Évidemment, avec cette autoroute passant juste à côté de chez elle, ce serait plus pratique…

Hôtesse – Et si vous lui trouviez une bonne maison de retraite médicalisée à Neuilly ?

Ministre – Malheureusement, vous savez comment sont les vieux… Attachés à leurs petites habitudes… Je crains qu’en changeant brutalement tous ses repères, cela ne précipite encore un peu plus son déclin…

PDG – Je comprends… Ce que je ne comprends pas, c’est comment notre principal concurrent peut vous proposer un prix pareil…

Hôtesse – Peut-être qu’il emploie des ouvriers au noir… Il paraît que c’est très courant dans le secteur des travaux publics…

Ministre – Ah, ça je préfère ne pas le savoir…

Hôtesse – L’État emploie pourtant de nombreux agents pour traquer les employeurs négriers…

Ministre – Elle est charmante… Mais qu’est-ce que vous voulez… On a tous nos petits arrangements avec notre conscience… Ne me dites pas que votre sainte mère n’a jamais employé une femme de ménage au noir…

Hôtesse – Ma pauvre mère est morte.

Ministre – Ah, oui, c’est vrai, pardonnez-moi… (Au PDG) Mais revenons à notre contrat, mon cher. Je vous l’ai dit, j’ai vraiment envie de faire affaire avec vous. Encore un petit effort ! Vingt kilomètres d’autoroute en plus ou en moins, pour vous, qu’est-ce que c’est ?

PDG – Six cents millions d’euros…

Ministre – L’État vous en sera reconnaissant, croyez-le. Et moi aussi, je suis prêt à faire un geste…

PDG – Vraiment ?

Le ministre montre sa Légion d’Honneur au revers de sa veste.

Ministre – Ça vous dirait d’avoir la même ?

Le PDG semble séduit pendant un instant.

PDG – Évidemment, c’est tentant, mais…

Ministre – Je suis sûr que cela ferait très plaisir à votre épouse… et à votre nièce.

PDG – Bien sûr… (Revenant à la réalité) Mais une Légion d’Honneur à six cents millions d’euros… Je crains que nos actionnaires n’estiment pas mon honneur à ce prix-là…

Hôtesse – Allons, vous vous sous-estimez, mon oncle !

Ministre – Avec ces vingt kilomètres d’autoroute en plus, vous faites un geste en faveur des personnes âgées !

Hôtesse – Celles qui habitent à L’Aigle, en tout cas…

PDG – Malheureusement, c’est aux fonds de pensions américains que j’ai des comptes à rendre…

Ministre – Réfléchissez-y quand même… Mais vite. Votre concurrent est prêt à tout pour remporter ce marché, vous savez… En attendant, je me taperai bien une petite gâterie, moi.

PDG – J’allais vous proposer de passer au dessert…

Le portable du ministre sonne à nouveau et il répond.

Ministre – Oui… ? Ah, oui… Mais oui, avec plaisir… Mais non, pas du tout, voyons, au contraire… Nous serons en famille… Très bien, alors je vous appelle en partant d’ici…

Le Ministre range son portable.

PDG – Pas d’autres nouvelles fâcheuses de votre maman, j’espère ?

Ministre – Non, non, rassurez-vous… Enfin… Je ne sais pas si ça doit vraiment vous rassurer… C’était encore votre concurrent… Leonardo. Le PDG du groupe Delaplanche…

PDG – Ah…

Ministre – Il m’invite à prendre le digestif chez lui tout à l’heure pour me présenter sa contreproposition… C’est amusant, il voulait savoir si cela me dérangeait que sa filleule soit là… Décidément, tout le monde veut me présenter sa famille en ce moment…

Hôtesse – Ce sont les vacances scolaires…

Le PDG, inquiet, fait signe à la fille de mettre le turbo.

Ministre – Alors ? Qu’est-ce que vous me proposez comme petites douceurs ?

PDG – C’est un assortiment de petits fours, je crois. Vous m’en direz des nouvelles… Mirabelle ?

Hôtesse – Alors, nous avons des Paris-Brest… qui malheureusement ne passe ni par Saint Léonard des Bois ni par L’Aigle… Des financiers apparemment un peu défraîchis…

PDG – Les religieuses, en revanche, ont l’air à croquer…

Ministre – Très bien, très bien… (Il se goinfre de quelques petits fours). Les macarons, c’est mon péché mignon…

PDG – Mais asseyez-vous, je vous en prie. Mettez-vous à l’aise…

Ils s’assoient tous les trois à table. Le PDG fait à nouveau signe à la fille d’accélérer les choses. Mais elle ne sait visiblement pas quoi faire, ni quoi dire.

Hôtesse – Alors comme ça, cela ne vous dérangerait pas de signer un contrat au nom de l’État avec une entreprise qui a recours au travail illégal ? Pour un homme qui a l’ambition d’être le prochain Président de la République… Vous me décevez beaucoup. Moi qui comptais voter pour vous…

Le PDG lève les yeux au ciel.

Ministre (la bouche pleine de petits fours) – Ma pauvre enfant. Vous apprendrez bien vite qu’en politique, on doit mettre un peu d’eau dans son vin si on veut arriver à ses fins. D’ailleurs, je reprendrais un peu de cet excellent Champagne…

Le PDG fait signe à la fille de le resservir et elle s’exécute.

PDG – Je le fais venir directement d’Épernay. Il m’en reste encore quelques caisses à la cave. Si ça vous tente…

Ministre – Quoi qu’il en soit, je ne déciderai rien avant d’avoir rencontré votre concurrent…

Hôtesse – Et sa filleule…

PDG – Elle ne s’appellerait pas Annabelle, par hasard… ?

Ministre – Vous la connaissez ?

PDG – Non, non, enfin… Je vous en prie, il reste encore quelques pâtisseries…

Ministre – Volontiers.

Le ministre se goinfre à nouveau. Le PDG se met à faire du pied sous la table au ministre. Ce dernier s’en rend compte et, croyant bien sûr qu’il s’agit du pied de la fille, est visiblement tout émoustillé.

Hôtesse – Ça a l’air de vous plaire, dites-moi ?

Ministre – Je ne devrais pas, mais bon… Un petit écart de temps en temps…

Il lui fait un clin d’œil qui la surprend.

Ministre – Délicieuse, vraiment délicieuse… Cette petite religieuse…

PDG – Mais votre verre est encore vide, Monsieur le Ministre… Mirabelle ?

Mirabelle se lève brusquement pour aller chercher la bouteille dans le seau à Champagne. Le PDG cesse son manège avec un instant de retard. Le ministre se demande fugacement si c’était bien elle qui lui faisait du pied mais, déjà pas mal éméché, choisit visiblement de prendre ses rêves pour la réalité. La fille s’assied à nouveau.

Hôtesse – Champagne ?

Le ministre fait du pied à la fille au moment même où elle le sert. Surprise, elle lui renverse plus ou moins volontairement sur les genoux le Champagne qu’elle était supposée verser dans sa coupe. Le ministre se lève brusquement.

Hôtesse – Oh, pardon… Je suis tellement maladroite…

Ministre – Vous pouvez m’indiquer la salle de bain… ?

PDG – Je suis vraiment confus… Par ici, je vous en prie… Juste au fond du couloir, sur la droite…

Le ministre sort. Le PDG est ulcéré. Il sort un balai éponge de la pièce d’à côté et le tend à la fille pour qu’elle nettoie le Champagne tombé par terre.

PDG – Vous croyez vraiment que c’est en lui renversant du Champagne sur les genoux que vous allez allumer ses ardeurs…

La fille prend le balai et essuie par terre.

Hôtesse – Désolée, c’était un réflexe. Il m’a fait du pied sous la table…

PDG – Mais c’est excellent ! Ça veut dire qu’il mort à l’hameçon. Ne me dites pas que quelques frôlements de jambes sous la table, c’est encore trop pour vous. C’est maintenant qu’il faut le ferrer.

Hôtesse (le balai à la main) – Le ferrer ?

PDG – Écoutez, j’ai un plan pour rattraper le coup et brusquer un peu les choses…

Hôtesse – Vous me faites peur…

PDG – Dans un petit instant, je ferai mine de recevoir un appel sur mon portable, et je prétexterai une urgence pour vous laisser seuls tous les deux…

Hôtesse – Vous allez me laisser seule avec ce vieux bouc en rut !

PDG – C’est un ministre de la République, tout de même…

Hôtesse – C’est supposé me rassurer ?

Il lui brandit le contrat sous le nez.

PDG – Bref, vous lui faites signer ce contrat en lui promettant la botte. Et juste avant de passer à la casserole, vous vous défilez sous un prétexte quelconque…

Hôtesse – Quel genre de prétexte ?

PDG – Je ne sais pas, moi… Un texto vous annonçant que votre mère vient d’avoir un accident, par exemple.

Hôtesse – Vous êtes sérieux ?

PDG – Il y a quelque chose qui cloche ?

Hôtesse – Elle est déjà morte, ma mère !

PDG – Je suis vraiment désolé, je ne savais pas…

Hôtesse – C’est ce que vous lui avez dit vous-même tout à l’heure !

PDG – Ah, oui, c’est vrai… Bon ben… Vous lui dites que c’est moi qui ai eu un accident, et que vous devez aller me rejoindre d’urgence à l’hôpital !

Hôtesse – C’est nul, votre plan.

PDG – Vous en avez un autre ?

Hôtesse – Vous avez une bonne ?

PDG – Je lui ai donné sa soirée pour qu’on soit tranquille… Mais de toute façon, elle a la cinquantaine, un triple menton et un début de moustache, je ne suis pas sûr que…

Hôtesse – Donc vous avez une chambre de bonne ?

PDG – Juste au dessus.

Hôtesse – Vous faites semblant de vous absenter à cause d’une urgence, comme on a dit, mais au lieu de partir vraiment, vous vous planquez juste au dessus dans la chambre de la bonne.

PDG – Et après ?

Hôtesse – Quand j’aurais mis votre ministre dans une situation embarrassante pour lui, je vous appelle, vous revenez à l’improviste, et vous nous surprenez tous les deux.

PDG – Et alors ?

Hôtesse – Lui ! Avec votre nièce ! Vous jouez les outragés, vous le menacez de porter plainte. De tout déballer à la presse. Pour se faire pardonner, il sera prêt à signer n’importe quoi…

PDG – Vous êtes un génie !

Le ministre revient. La fille pose le balai dans un coin.

Hôtesse – Je vous demande pardon, encore une fois. Je ne sais pas ce qui m’a pris.

Ministre – C’est arrangé…

PDG – Un digestif ?

Hôtesse – Une poire ?

PDG – Une Mirabelle ?

Hôtesse – Celle-là, je vous promets de ne pas vous la renverser sur les genoux.

Le ministre semble émoustillé à cette pensée. Le PDG feint de répondre à son portable.

PDG – Oui ? Non ? Mais c’est affreux… Oh, mon Dieu ! Oui, oui, bien sûr, j’arrive tout de suite… (Il range son portable) Monsieur le Ministre, je suis vraiment désolé, mais il va falloir que je vous abandonne pendant un moment. Ma femme a eu un accident…

Ministre – Mais c’est épouvantable. C’est grave ?

PDG – Oui, enfin… Non…Les médecins ne veulent pas encore se prononcer. Ils ne savent pas si le poignet est cassé ou simplement foulé…

Ministre – Dans ce cas, nous allons remettre ce rendez-vous à une autre fois, bien sûr.

PDG – Non, vraiment, j’insiste. J’ai une responsabilité auprès de mes actionnaires… Ce contrat est capital pour la survie de l’entreprise… Je serai de retour dans une heure ou deux.

Ministre – De Bordeaux ?

PDG – Euh… Non, elle était sur la route du retour, en fait. Fort heureusement, son accident a eu lieu en arrivant à Paris… Porte de La Muette… Ma nièce vous fera la conversation en attendant… N’est-ce pas Mirabelle… ?

Hôtesse – Bien sûr…

Ministre – Bon, dans ce cas… Très bien…

Hôtesse – Vous embrasserez bien ma tante de ma part, mon oncle… Je vais prier pour son prompt rétablissement… (La fille accompagne le PDG jusqu’à la porte et lui parle en aparté) Vous restez à côté, et vous revenez dès que je vous appelle. Sinon, je m’en vais tout de suite.

PDG – Je vous le promets… Voilà mon numéro de portable… (Au ministre) Je vous confie ma nièce, Monsieur le Ministre…

Le PDG sort.

La fille, un peu inquiète, se retourne vers le ministre.

Ministre – Enfin seuls…

Hôtesse – Oui…

Le ministre vient s’installer sur le canapé.

Ministre – Venez donc vous asseoir ici, et parlez-moi un peu de moi… Je veux dire de vous… Ou de nous, pourquoi pas ?

La fille vient s’asseoir à côté de lui avec réticence.

Ministre – Je ne vous fais pas peur, au moins ?

Hôtesse – Pas du tout, je vous assure… (Prenant sur elle) Je dois même dire que… j’attendais ce moment avec impatience.

Ministre – Vraiment… ?

Le ministre pose une main sur l’épaule de la fille.

Hôtesse – J’ai toujours été fascinée par les hommes de pouvoir…

Ministre – Les hommes de pouvoir sont avant tout des hommes, vous savez…

Hôtesse – Tout de même… Savoir qu’un jour, si vous êtes élu président, vous aurez le pouvoir de déclencher le feu atomique…

Le ministre devient plus entreprenant.

Ministre – Alors c’est ça que vous voulez, hein ? Le feu atomique…

La fille se laisse un peu approcher, puis se dégage brusquement, saisit le contrat sur le guéridon, et le brandit sous le nez du ministre.

Hôtesse – Et si je vous demandais de signer ce contrat d’abord ?

Ministre (la tête ailleurs) – Le contrat… ?

Hôtesse – Comme ça je préviens tonton, et je lui dis qu’il peut rester au chevet de ma tante toute la nuit s’il le souhaite…

Ministre – Pour un poignet foulé ?

Hôtesse – Vu l’heure qu’il est, ils vont sûrement la garder en observation jusqu’à demain matin… Je vous assure, si j’appelle mon oncle pour lui dire que le contrat est signé, on n’est pas prêt de le revoir. Cela nous laissera une bonne partie de la nuit…

Ministre – Très bien… Si cela peut vous faire plaisir, je le signerai ce contrat… Mais ce n’est pas à la minute…

Le ministre se lève et revient à la charge.

Hôtesse – Cela ne vous prendra qu’une seconde… Comprenez-moi ! L’idée que tonton puisse débarquer ici d’un instant à l’autre… Ça me bloque !

Ministre – C’est qu’il faut que je le relise attentivement, ce contrat… Je ne peux pas signer n’importe quoi. Trois milliards d’euros… C’est une affaire sérieuse, tout de même…

Hôtesse – Pour me faire plaisir, je vous en supplie…

Ministre – Comprenez-moi aussi, Mirabelle ! La lecture d’un document aride d’une centaine de pages que je dois parapher une à une… En guise de préliminaires… Je pensais plutôt à une autre sorte d’effeuillage…

Hôtesse – Je me demande si je n’entends pas des pas dans l’escalier…

Ministre – Je n’entends rien, je vous assure…

Le ministre se fait à nouveau pressant. La fille esquive.

Hôtesse – Non, ça me rend vraiment trop nerveuse…

Ministre – Allons, ne faites pas l’enfant…

Hôtesse – Désolée, mais je ne peux pas. Pas signature, pas de…

Le ministre semble se résoudre.

Ministre – Bon, si cela peut vous rassurer… Tant pis, je ne relis pas… Je fais confiance à Monsieur votre oncle… Mais après, je vous promets le feu nucléaire…

Elle lui tend le document.

Hôtesse – Tenez…

Le ministre s’apprête à signer. Son portable sonne. Il s’interrompt.

Ministre – Pas moyen d’être tranquille cinq minutes… Je vous prie de m’excuser… Il faut que je réponde, sinon mon chef de cabinet va nous envoyer le GIGN… Croyez-moi, ce serait pire que votre oncle…

Hôtesse – Mais je vous en prie…

Il prend l’appel, et la fille peut souffler un peu.

Ministre – Oui…  Non ? Quand ça ? Non, non, je vous écoute…

Après avoir fait un geste d’excuse à la fille, il sort un instant dans la pièce d’à côté pour s’isoler. Elle se précipite sur son portable.

Hôtesse – Vous êtes là ? Ok. Je voulais juste vérifier. Non, pas encore. Je vous rappelle quand ce sera le moment. Mais vous gardez votre téléphone à la main, d’accord ? (Le ministre revient, et la fille range à la hâte son portable). Des soucis ?

Ministre – Rien d’important… Pas au point de nous détourner de ce que nous étions sur le point de commencer, en tout cas.

Le ministre redevient entreprenant.

Hôtesse – Vous n’avez pas encore signé le contrat…

Ministre (ailleurs) – Le contrat… ? Ah, oui, le contrat… Mais ne vous inquiétez pas pour ça… Ce n’est plus vraiment d’actualité de toute façon…

Hôtesse – Plus d’actualité ?

Ministre – Je viens de recevoir un appel de mon Directeur de Cabinet… Ce que je vais vous dire est classé secret défense, Mirabelle… Je peux compter sur votre discrétion ?

Hôtesse – Comment pouvez-vous en douter ?

Ministre – Le Ministre de l’Éducation Nationale vient de se faire pincer par la police dans une position embarrassante avec une prostituée mineure au Bois de Boulogne. Selon toute probabilité, il va être contraint à démissionner…

Hôtesse – Quelle injustice… Si on ne peut plus confier l’avenir de nos enfants à des détraqués sexuels, où va-t-on ? Mais en quoi cela concerne notre contrat ? Ne me dites pas que vous aviez prévu de faire passer l’autoroute Saint Léonard des Bois – Neuilly sur Seine par le Bois de Boulogne ?

Ministre – C’est l’effet papillon, ma chère enfant ! La pipe qui met le feu aux poudres…

Hôtesse – Mais encore… ?

Ministre – Démission égal remaniement. Du coup c’est le jeu des chaises musicales. La valse des portefeuilles. Et malheureusement… il n’y aura pas de fauteuil pour moi cette fois-ci.

Hôtesse – Ah, merde… Je veux dire zut…

Ministre – De toute façon, je pense qu’il est préférable que je prenne un peu de recul avant la présidentielle… J’aurai un plus de temps pour moi… et pour vous !

Hôtesse – Ah, oui, mais tout cela est vraiment très fâcheux…

Ministre – J’adore ce vocabulaire un peu désuet, Mirabelle… Vous avez vraiment fait vos études dans un pensionnat de jeunes filles ? Racontez-moi ça…

Hôtesse – Et pour le contrat, alors… ?

Ministre – Évidemment, plus question de le signer. Mon successeur s’en occupera. Mais je ne suis pas sûr qu’il soit aussi motivé que moi pour cette liaison directe Saint Léonard des Bois – Neuilly sur Seine… Quand je serai président, peut-être…

Hôtesse – Si vous l’êtes un jour…

Ministre – Quoi qu’il en soit, maintenant, nous allons vraiment pouvoir passer le reste de la soirée tranquille…

Du coup, la fille ne sait plus quoi faire pour résister aux assauts du Ministre.

Hôtesse – Très bien… Alors voilà ce que je vous propose… Vous prenez une douche, vous vous mettez à l’aise… Et j’en ferai autant… Après avoir téléphoné à mon oncle pour l’avertir que ce n’est plus la peine qu’il s’inquiète pour ce contrat… D’accord ?

Ministre – D’accord… Vous pouvez m’indiquer la salle de bains ?

Hôtesse – Euh…

Ministre – Ah oui, c’est vrai, j’ai déjà eu l’occasion d’y aller tout à l’heure quand vous m’avez renversé cette coupe de Champagne sur les genoux…

Hôtesse – Alors vous savez aussi bien que moi où se trouve la salle de bains…

Ministre – J’y cours… À tout de suite…

Le ministre sort. La fille se précipite sur son portable.

Hôtesse – Oh, non, c’est pas vrai… Plus de batterie… (Elle farfouille dans son sac) Et évidemment, je n’ai pas amené mon chargeur… (Elle réfléchit un instant) Pas le temps de trouver cette chambre de bonne non plus. Je vais me paumer dans cette immense baraque… Mais il m’a dit que c’était juste au dessus…

La fille s’empare du balai éponge. Elle monte sur la table et frappe au plafond une série de coups rapides suivis de trois plus brefs comme au théâtre (cela peut-être un bruitage de bande son).

Ministre (off) – Oui, oui, j’arrive… Ne soyez pas si pressée…

Hôtesse – Et merde…

Le ministre revient seulement vêtu d’un peignoir tout à fait ridicule. Il aperçoit la fille juchée sur la table. Il en profite pour reluquer sous ses jupes.

Ministre – J’adore les femmes qui savent bricoler… Vous avez besoin d’un coup de main ?

Hôtesse – Juste une ampoule à changer… C’est arrangé… Je… J’ai essayé d’appeler mon oncle, mais… je n’ai plus de batterie.

Ministre – Les miennes sont chargées à bloc, croyez-moi !

Hôtesse – Très bien… Vous pourriez me prêter votre portable une minute pour que je l’appelle…

Pour l’atteindre, le ministre commence à escalader la table.

Ministre – Au diable votre oncle… Il ne va pas revenir tout de suite… Il vient à peine de partir…

Hôtesse – C’est à dire que… Je ne vous ai pas tout dit, Jean-François…

Le ministre se calme un peu.

Ministre – Ah, bon… ?

Hôtesse – En fait, je ne suis pas la nièce de Martin Puig…

Le ministre accuse le coup, mais ne semble pas plus étonné que cela.

Ministre – À vrai dire, je m’en doutais un peu…

Hôtesse – Ah bon… ?

Ministre – Je suis moins naïf que j’en ai l’air, vous savez ?

Hôtesse – Bien sûr…

Ministre – Vous êtes sa maîtresse, évidemment.

Hôtesse – Sa maîtresse… Oui…

Ministre – Ne vous inquiétez pas pour ça ! Je ne suis pas jaloux !

Il s’apprête à reprendre ses assauts, mais elle l’arrête.

Hôtesse – Oui, mais lui il l’est…

Ministre – Mais il ne le saura jamais.

Hôtesse – Moi, je le saurai !

Ministre – Et alors ?

Hôtesse – Je veux absolument rompre avec lui avant… d’entamer une liaison avec vous, vous comprenez ?

Ministre – Oui… Enfin, non !

Hôtesse – Laissez-moi l’appeler, je vous en prie ! J’aurai l’esprit plus tranquille, et je pourrai me livrer à vous plus complètement.

Ministre – Plus complètement…

Hôtesse – Vous me prêtez votre téléphone ?

Ministre – Bon…

Il lui tend son téléphone. Toujours debout sur la table, elle le prend. Mais le ministre ne fait pas mine de s’éloigner.

Hôtesse – Je vais lui envoyer un SMS, je n’ai pas le cœur de lui parler de vive voix maintenant. Surtout avec sa femme à l’hôpital…

Ministre – Bien sûr…

Elle feint de lire à haute voix le message qu’elle envoie.

Hôtesse – Je vous quitte… (Plus bas) Venez vite… Et voilà, c’est fait…

Elle descend lentement de la table. Le ministre se jette sur elle. Elle remonte aussitôt et le tient à distance avec le balai.

Hôtesse – Non, je vais attendre sa réponse, pour être sûr qu’il a bien eu le message… Avant de m’offrir à vous…

Ministre – Ah, non, je n’en peux plus moi…

Le ministre enserre les jambes de la fille toujours debout sur la table. Le PDG arrive en trombe, feint la surprise et fait mine de se scandaliser.

PDG – Monsieur le Ministre ! Vous ? En peignoir ! Avec ma nièce ! Dans ma propre maison. Moi qui vous faisais entièrement confiance !

Le ministre, surpris lui aussi, stoppe immédiatement son assaut. Mais il reprend vite ses esprits.

Ministre – Ça va… Arrêtez cette comédie… Je suis au courant… Mirabelle m’a tout raconté !

PDG – Tout ?

Ministre – Tout. Mais je ne suis pas sûr que cette pauvre enfant ait bien compris votre odieux stratagème.

PDG – Cette pauvre enfant ?

Ministre – J’imagine que vous n’étiez pas non plus à l’hôpital avec votre femme…

PDG – Euh… Non… J’étais juste au dessus, avec la bonne…

Ministre – Vous me décevez beaucoup, cher ami… Que vous couchiez avec la bonne, cela ne me regarde pas… Mais vous servir de cette jeune fille innocente pour favoriser vos noirs desseins.

PDG – Alors vous n’avez pas signé mon contrat…

Ministre – C’était un coup monté, n’est-ce pas ? Vous vous êtes arrangé pour que je reste seul avec votre maîtresse, sachant qu’elle ne manquerait pas de succomber à mon charme.

PDG – Ma maîtresse ?

Ministre – Et en compensation, pour me faire pardonner, j’aurais signé votre contrat.

PDG (reprenant espoir) – Et c’est ce que vous allez faire, n’est-ce pas ? Parce que vous, vous êtes un gentleman…

Ministre – C’est vraiment très mesquin de votre part… Mais je l’aurais peut-être fait, c’est vrai… Car comme vous le dites, je suis un gentleman. Malheureusement, je ne suis plus en position…

PDG – En position… ?

Ministre – Je ne suis plus Ministre des Transports. J’en toucherai un mot à mon successeur. Mais sans garantie du résultat.

PDG – Vous n’êtes plus ministre ?

Ministre – Décidément, ce n’est pas votre soirée, mon cher… Non seulement votre contrat ne sera pas signé, mais votre maîtresse a décidé de rompre avec vous et de partir avec moi. Allons nous en d’ici, Mirabelle…

L’homme d’affaire explose.

PDG – Mirabelle ? Pauvre vieux vicelard ! Cette fille n’est pas ma nièce, en effet. Mais ce n’est pas non plus ma maîtresse. C’est une pute !

Ministre – Une pute ?

Hôtesse – Une pute ?

PDG – Alors vous imaginez que votre charme naturel suffit pour séduire une fille de trente ans de moins que vous !

Ministre – Et pourquoi pas ?

PDG – Et vous pensez vraiment que si cette fille était ma maîtresse, elle pourrait vous préférer à moi ?

Ministre – Dites quelque chose, mademoiselle…

Hôtesse – Je ne suis pas une prostituée, en tout cas !

PDG – C’est vrai, excusez-moi…

Ministre – Mais alors qu’est-ce que vous racontez ?

PDG – Disons que c’est… une escort girl. Vous savez ce que c’est maintenant, les chômeurs sont des demandeurs d’emploi, les secrétaires des assistantes, et les putains des escort girls !

Hôtesse – Mais je ne suis pas une escort girl !

PDG – Bon, une hôtesse charme, si vous préférez…

Hôtesse – Je vous rappelle que je suis ici par erreur…

Ministre – Moi aussi, apparemment… Et tout ça devient passablement compliqué. Mais alors vous êtes qui, au juste ?

Hôtesse – Ton pire cauchemar !

Ministre – Dois-je en conclure que vous ne partez pas avec moi ?

Hôtesse – Dans tes rêves, oui… Et avec ce que je sais sur toi, mon chaud lapin, j’ai de quoi ruiner ta carrière politique.

Ministre – Mais voyons, Mirabelle…

Hôtesse – Et arrêtez de m’appeler Mirabelle ! Je m’appelle Emmanuelle.

Ministre – Tiens, c’est curieux, vous n’avez pas un physique à vous appeler Emmanuelle…

PDG – C’est ce que je lui ai dit aussi…

Hôtesse – La ferme !

Ministre – Ça c’est envoyé…

Hôtesse – Et vous aussi ! Vous n’êtes qu’un obsédé doublé d’un imbécile ! Vous êtes prêt à signer n’importe quel contrat dans l’espoir de coucher avec une femme qui pourrait être votre fille, et vous vous apprêtiez à devenir le prochain Président de la République ?

Ministre – Dois-je comprendre par cet usage de l’imparfait que vous envisagez de contrecarrer ce noble projet…?

Hôtesse – J’en ai beaucoup appris ce soir sur la politique. Plus que je n’en apprendrai sans doute pendant toute ma scolarité à Sciences Po. J’aurais donc beaucoup de choses à raconter, en effet. Et je pense que ce serait rendre service à la France que de veiller à ce que vous retourniez au plus vite dans la Sarthe pour y rester…

PDG – Allons, calmez-vous, je vous en prie… Je crois que nous nous sommes tous un peu emportés… Nous allons sans doute trouver un terrain d’entente. N’est-ce pas, Monsieur le Ministre…

Hôtesse – Je ne suis pas une prostituée, mais vous vous êtes bien un maquereau, et vous un vieux cochon ! Voilà ce que j’en fais de votre contrat ! (Elle prend le contrat et le déchire). Et vous pouvez toujours rêver que je vous rende l’argent que vous m’avez donné. Je l’ai bien mérité !

Ministre – Alors c’est vrai, vous l’avez payée ?

PDG – C’est un peu compliqué…

Ministre – Ne me dites pas que finalement, c’est vraiment votre nièce ?

Le portable du ministre sonne à nouveau.

Ministre – Oui… ? Oui… Non ? Bon… D’accord… Non, non, je vous rappelle dans un moment… Oui, oui, tout va bien…

Il range son portable.

Hôtesse – Vous trouvez que tout va bien ?

Ministre – Finalement, je garde mon poste. Le procureur est un ami du Président. Il va étouffer l’affaire…

PDG – Alors vous êtes de nouveau en mesure de signer ce contrat…

Ministre – Oui…

Hôtesse – Trop tard ! Je viens de le déchirer…

Ministre – J’imagine que vous en avez d’autres exemplaires…

PDG – Bien sûr.

Ministre – Et bien cela va vous étonner, mais je vais le signer, ce contrat, avant de m’en aller et de vous laisser en famille…

Hôtesse – Pourquoi ?

Ministre – Parce que c’est un bon contrat, tout simplement. Et que je suis venu ici dans l’intention de le signer de toute façon.

Hôtesse – Et le concurrent ?

Ministre – Il n’y a pas de concurrent… Qui soit concurrentiel, en tout cas. Moi aussi, j’ai essayé de vous enfumer…

PDG – Bravo. Mes félicitations, Monsieur le Ministre. Une bonne négociation, c’est toujours un peu une partie de poker menteur. Mais je crois que là, c’est le moment de conclure. Croyez-moi, c’est un accord gagnant – gagnant.

Hôtesse – Et moi, qu’est-ce que je gagne ?

Le PDG sort un autre exemplaire et le ministre le signe. Pendant ce temps, le PDG sort une boîte de cigare, il s’en met un en bouche et en propose un au Ministre.

PDG – Cigare ?

Ministre – Vous ne reculez devant aucun cliché, vous ?

Le PDG remet le cigare qu’il avait en bouche dans la boîte et range la boîte.

PDG – J’imagine que vous n’avez pas non plus de vieille mère à L’Aigle.

Ministre – Pas une mère, non… Mais une jeune femme qui m’est très chère…

PDG – Je vois… Une liaison que vous auriez aimée autoroutière, en quelque sorte… Reparlons-en après les présidentielles…

Ministre (avec un regard inquiet vers la fille) – Si je suis élu…

PDG – Allons ! C’est un boulevard politique qui s’ouvre devant vous !

Le ministre s’apprête à s’en aller.

PDG – J’imagine que pour ma Légion d’Honneur… ? (Le ministre lui lance un regard noir). Vous avez raison, je ne suis pas sûr d’en être encore digne… Je crois que je vais attendre de la mériter vraiment…

Ministre – Comme disait Mademoiselle… ne vous sous-estimez pas, cher ami… Si vous saviez le nombre de dictateurs, de trafiquants de drogue et d’escrocs en tout genre qui ont reçu la rosette…

PDG – Et oui… En matière d’honneur aussi, il y a longtemps que la France a perdu son label triple A.

Ministre – Je ne vous propose pas de vous déposer quelque part… ?

Hôtesse – Merci, je vous ai assez vu…

Ministre – Vous êtes vraiment sûre de vouloir ruiner ma carrière politique ? Moi, au moins, maintenant, vous me connaissez. Qui vous dit que les autres ne sont pas encore pires ?

Hôtesse – J’essaie d’imaginer… J’ai un peu de mal…

Ministre – Soyez indulgente… Je vous demande pardon, voilà.

Hôtesse – Qu’est-ce que vous me proposez pour me faire taire ?

Ministre – Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ?

La fille réfléchit un instant et lui glisse quelque chose à l’oreille.

Ministre – Très bien, je vous le promets…

PDG – Je vous appelle un taxi ?

Ministre – Je vais marcher un peu.

Il s’en va. L’homme d’affaire reste seul avec la fille.

Hôtesse – Je vais partir aussi…

PDG – Je vous prie de m’excuser, moi aussi. Les temps sont durs, vous savez. C’est la crise…

Hôtesse – Même pour les PDG…

PDG – J’insiste pour vous payer le solde, en tout cas. Après tout, le contrat est signé, c’est le principal. Vous avez rempli votre mission…

Hôtesse – Il avait l’intention de signer de toute façon…

PDG – C’est vrai, mais bon… Moi aussi je vous dois une petite compensation…

Hôtesse – Gardez la deuxième moitié de cet argent… Ce que vient de me promettre le ministre me suffit pour solde de tout compte…

On sonne à la porte.

PDG – Qu’est-ce qu’il veut encore, cet abruti… ?

Il va à l’interphone.

PDG – Oui… ? Oui, oui… Si, si… Non, non, je t’ouvre tout de suite…

Il revient.

PDG – Oh, mon Dieu, c’est ma femme !

Hôtesse – Elle n’est pas à Bordeaux ?

PDG – Visiblement, après le quiproquo téléphonique de tout à l’heure, elle a décidé de rentrer plus tôt que prévu… Quelle soirée ! Sans parler de la bonne…

Hôtesse – La bonne…

PDG – Elle aussi est rentrée plus tôt que prévu… Quand elle m’a trouvé dans sa chambre, elle a cru que je l’attendais, et elle a failli me violer…

Hôtesse – Et bien au moins, il y a une justice : vous savez maintenant par quelles épreuves je suis passée moi aussi ce soir à cause de vous…

PDG – Qu’est-ce que je vais bien pouvoir raconter à ma femme pour justifier que je sois ici avec une prostituée…

Hôtesse – Mais je ne suis pas une prostituée !

PDG – Et vous croyez qu’avec une étudiante ça va être plus facile à expliquer… ? Elle est très jalouse, je vous l’ai dit. Non, il faut absolument que vous me tiriez de ce mauvais pas. Vous n’avez qu’à dire que vous êtes… Je ne sais pas, moi… Ma nièce !

Hôtesse – C’est ça, votre plan ?

PDG – Tant pis, on improvisera. Vous avez l’air très douée… Bon, je vais lui ouvrir…

La fille se précipite sur son portable.

Hôtesse – Isabelle ? Non, je suis toujours chez ton client, je te raconterai… Et toi, tu es où ? Leonardo ? Le PDG du Groupe Delaplanche ? Le concurrent de Delapierre ? Il ne manquerait plus que Delapaille, et ce serait les trois petits cochons ! Ah d’accord, c’était un coup monté, c’est ça… Combien il t’a payé, Leonardo, pour monter cette embrouille ? Alors tu t’es dit qu’en m’envoyant ici à ta place, je n’aurais aucune chance de séduire ton ministre, et que tu l’harponnerais toi-même chez son concurrent au moment du digestif… Ouais, et ben tu peux toujours l’attendre, crois-moi… Il vient de signer le contrat… Quoi, tu doutes à ce point là de mon pouvoir de séduction ? Et tu sais quoi ? En plus, il va me décorer de la Légion d’Honneur ! Oui, parce que je le vaux bien ! Bon, tu m’excuses, mais la soirée n’est pas encore tout à fait terminée. Je crois que la République a encore besoin de moi…

PDG – Écoute, chérie, ne t’énerve pas ! Elle va t’expliquer tout ça elle-même. Tu vas voir, c’est très simple…

Noir sur la musique de La Marseillaise.

Noir.

Scénariste pour la télévision et auteur de théâtre, Jean-Pierre Martinez a écrit une cinquantaine de comédies régulièrement montées en France et à l’étranger :

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables sur

www.comediatheque.com

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Novembre 2011

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-22-2

Ouvrage téléchargeable gratuitement

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