Elle et Lui, Monologue Interactif

Him and Her, Interactive – Ella y El, Monólogo Interactivo  –  Ela e Ele –  Ona a OnAi dhe Ajo – Тя и Той

Une comédie à sketchs de Jean-Pierre Martinez

1 homme / 1 femme (ou plusieurs hommes et femmes)

Les hommes et les femmes peuvent-ils vraiment se comprendre surtout lorsqu’ils vivent en couple ? Mieux vaut en rire…

Cette comédie à sketchs a déjà été montée en France, en Belgique, en Bulgarie, au Luxembourg, en Macédoine, en Iran, en Uruguay, à Hong Kong…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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Pour les achats en nombre, cet ouvrage peut être commandé en impression à la demande sur le site The Book Edition, avec des réductions sur quantité (5% à partir de 4 exemplaires et 10% à partir de 12 exemplaires), livraison avec un délai d’une semaine environ.


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Le mot de l’auteur

« Elle et Lui, monologue interactif » est une comédie à saynètes sur le couple. Mais ce n’est pas une succession de sketchs comme on en a déjà écrits beaucoup sur les travers réciproques des hommes et des femmes, prétextes à d’infinies scènes de ménage certes comiques mais assez conventionnelles et sans grande profondeur. Si avec « Elle et Lui » l’humour est bien au rendez-vous, il s’agit dans cette pièce (comme l’indique le sous titre « monologue interactif ») moins des petits arrangements et autres compromissions rendant possible au quotidien la vie à deux, que de l’espoir illusoire, pour rompre notre solitude existentielle, de tout simplement pouvoir parler à l’autre avec quelques chances d’être compris, et d’écouter ce qu’il a à nous dire avec quelques chances de le comprendre. Hélas, même au sein du couple, ce qu’on appelle dialogue n’est souvent que l’entrecroisement de deux monologues. Ce qu’on nomme parfois un dialogue de sourds…

Le couple quel qu’il soit (marié ou non, hétérosexuel ou pas, avec ou sans enfant) est un des éléments fondamentaux de la vie en société. Le couple moderne, cependant, constitue le cadre privilégié d’une communication libérée de ces conventions sociales toujours de mise avec les voisins, les amis voire le reste de la famille. En couple, on peut presque tout se dire, cette franche sincérité étant aussi supposée tout excuser. Dans le couple fusionnel, on n’est finalement plus qu’un, et parler avec l’autre, c’est un peu se parler à soi-même. Le dialogue en intérieur tend à devenir un dialogue intérieur. Le partenaire est alors un confident plus ou moins conciliant, qu’il faut néanmoins ménager un tant soit peu pour maintenir la pérennité du couple.

L’humour de cette pièce repose donc avant tout sur le caractère très désinhibé des échanges au sein de ce couple, que cette désinhibition relève d’une confiance un peu naïve dans la bienveillance supposée du conjoint à l’égard des faiblesses qu’on lui confesse, ou bien révèle une certaine cruauté dans le regard que l’on porte sur lui quand la politesse qui est de mise avec les autres n’est plus là pour adoucir le propos. Évidemment, le couple peut aussi être le lieu de tous les mensonges lorsque notamment l’ombre de la trahison ultime qu’est l’adultère menace son existence même.

Ainsi, la difficulté, la grandeur et les petites bassesses de la vie en couple peuvent donner lieu à d’innombrables situations comiques, soit dans le huis-clos un peu absurde du ménage à deux, soit par l’irruption perturbatrice des « autres » dans l’intimité de ce cocon à la fois rassurant et mortifère qu’est l’espace intime du couple…

Et l’amour dans tout ça ? Si selon la formule consacrée l’amour est aveugle, cette comédie tend surtout à démontrer qu’il est si ce n’est sourd du moins malentendant. Fort heureusement, il n’est pas nécessaire de s’entendre pour s’aimer, bien au contraire. S’aimerait-on encore si on se connaissait vraiment ? Et si l’amour n’était finalement qu’un doux malentendu ?

Les hommes et les femmes peuvent-ils se comprendre, surtout lorsqu’ils vivent en couple ? Mieux vaut en rire…


TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE À LIRE OU IMPRIMER

Elle et Lui, Monologue Interactif

Entrée des artistes

1 – Nuit de noces

2 – Le temps des cerises

3 – Panne de télé

4 – Quarantaine

5 – Définition de l’amour (par défaut) et Retrouvailles

6 – Tiens, voilà du Boudin !

7 – Disparition

8 – L’Equipe

9 – Où est-ce qu’on va quand on est mort ?

10 – La saison des pluies

11 – Petit commerce

12 – Coup de vieux

13 – Cauchemar

14 – Les meubles

Sortie de secours


Entrée des artistes

Le noir (et donc le silence) se fait, comme si le spectacle allait commencer. Mais il ne se passe rien pendant un temps assez long pour que le malaise s’installe. La lumière se rallume dans un coin de la salle où un spectateur et une spectatrice qui ne se connaissent pas sont assis l’un à côté de l’autre. L’homme compulse nerveusement l’Officiel des Spectacles. Il regarde sa montre. La femme puise dans un grand pot de pop corn. Elle grignote de façon compulsive et peu discrète.

Lui – Excusez-moi, vous savez ce qui se passe… ?

Elle (avec un geste d’ignorance) – On attend les comédiens…

Lui – Jusqu’à maintenant, il n’y avait que les spectateurs qui arrivaient en retard au théâtre. Si les acteurs s’y mettent aussi…

Silence.

Elle (inquiète) – Je peux voir votre Officiel. Au cas où la représentation serait annulée…

Il lui tend son Officiel. Elle ne sait pas comment le saisir avec son pot géant de pop corn entre les mains.

Elle (lui tendant son pot de pop corn) – Vous en voulez ?

Il hésite, puis accepte, pour la débarrasser. Elle feuillette l’Officiel mais semble s’y perdre. Il mange un pop corn et fait la moue.

Elle (renonçant) – Excusez-moi, j’ai l’habitude de Pariscope…

Lui (avec un air dégoûté) – Je n’aime pas trop le pop corn non plus…

Elle lui rend son Officiel et récupère son pop corn.

Elle – De toute façon, c’est foutu pour une séance de cinoche… Tant pis, je préfère attendre.

Lui – J’espère que ça vaut le coup…

Elle (inquiète) – Les critiques sont mauvaises ?

Lui (regardant derrière lui) – Il n’y a pas grand monde dans la salle…

Elle – Remarquez, les critiques, ça ne veut rien dire, hein… Des fois au théâtre, on voit de ces trucs. Encensés par Télérama. Ça dure des heures. Personne n’ose dire qu’il s’emmerde de peur de passer pour un con. Après, on vous dira : la preuve que c’est une pièce profonde, vous n’avez rien compris.

Lui – Avec la comédie au moins, les gens simples ont parfois de bonnes surprises. Même quand les critiques ont trouvé ça sinistre… C’est très dur de faire rire un critique.

Elle – Vous êtes critique ?

Lui – Pas vous ?

Elle – Comédienne…

Lui – Ah, oui…

Elle – À part les comédiens et les critiques, plus personne ne va au théâtre. Un spectateur sur deux est un acteur. On finira par ne plus savoir où est la scène…

Lui – Vous connaissez la pièce ?

Elle – Non… Mais j’ai une amie qui joue dedans. Je viens la voir… pour lui faire plaisir.

Lui – C’est une actrice connue ?

Elle – Elle fait surtout du théâtre…

Lui – Dans ce cas… (Un temps, soupçonneux) Vous êtes vraiment comédienne ?

Elle (inquiète) – Vous trouvez que je joue mal ?

Lui – Non, non… Vous jouez très bien.

Elle – Comédienne le soir et… gardienne de musée pendant la journée.

Lui – Vu la modernité du répertoire, c’est un peu le même métier…

Silence.

Elle – Je n’ai plus de pop corn.

Lui (soupirant) – On sera peut-être morts de faim avant le début de la pièce.

Elle – Oui, on dirait qu’ils nous ont oubliés…

Lui – Dans quelques années, une femme de ménage retrouvera nos deux squelettes l’un à côté de l’autre, la main dans la main.

Elle – La main dans la main… ?

Lui – En voyant venir la fin, on s’abandonnera peut-être à un élan de tendresse. On est un peu comme deux naufragés sur une île déserte, hein ? On n’a pas tellement le choix…

Elle – Vous croyez qu’ils vont nous rembourser ?

Lui (étonné) – Vous avez payé ?

Elle – Non…

Lui – Dans ce cas…

Ils se lèvent pour partir.

Lui – On pourra toujours revenir un autre jour…

Elle – La pièce ne sera sans doute plus à l’affiche. Vu son immense succès…

Lui – On ira en voir une autre.

Elle – C’est une invitation… ?

Lui (sortant un carton) – Pour deux personnes.

Elle – J’espère que cette fois ça commencera à l’heure… C’est quoi cette pièce… ?

Lui (lisant le carton) – Elle et Lui…

Ils échangent un regard dubitatif.

Elle – Ça n’a pas l’air très gai…

Lui – N’oubliez pas de rallumer votre portable…

Elle – Ah tiens, c’est vrai, j’avais encore oublié de l’éteindre.

Ils s’en vont. Noir dans la salle.

 

1 – Nuit de noces

Elle et lui s’affalent sur le canapé, visiblement exténués.

Elle – J’ai cru qu’ils ne partiraient jamais…

Lui – Il paraît que sept couples sur dix ne baisent pas pendant leur nuit de noces. Je comprends pourquoi…

Elle – On pourrait peut-être essayer de faire mentir les statistiques…

Lui – Tu oublies qu’on décolle à 6H45… De Beauvais…

Elle – De Beauvais  ?

Lui – Je t’ai dit ! J’ai eu les billets avec une enchère sur eBay…

Elle – Pourquoi les compagnies low cost décollent de la ville la plus déprimante de France… ? D’un autre côté, c’est vrai que quand tu pars de Beauvais, ça fait rêver d’atterrir n’importe où. Même à Bratislava…

Lui – Il paraît que c’est très beau, Bratislava… Au printemps…

Elle – Tu ne confonds pas avec Prague… ?

Lui – C’est à côté, non  ?

Elle – Les Seychelles c’est beau toute l’année… Et je te rappelle que le printemps, c’est que dans deux mois…

Lui – Oh, Les Seychelles… Tout le monde y va…

Elle – C’est sûr qu’un voyage de noces à Bratislava, c’est beaucoup plus original… On ne risque pas de croiser beaucoup de jeunes mariés dans l’avion… Le seul couple qui avait confondu Bratislava avec Brasilia a revendu ses billets sur eBay…

Lui – On se paiera Les Seychelles dans quelques années… Pour notre anniversaire de mariage…

Elle – C’est ça, pour nos noces d’argent… Quand je ne pourrai plus rentrer dans mon maillot de bain… (Soupir) La vie est mal faite. On devrait hériter à 20 ans, commencer à travailler à 50 à la fin de sa retraite, et faire des gosses à 70, histoire de pas vieillir tout seul… Et le mariage ferait office de dernier sacrement…

Lui – D’un autre côté, une vie sans belle-mère… Est-ce que ça vaut vraiment la peine d’être vécue…?

Elle – Tu crois que je t’aimerai encore, dans 20 ans ?

Lui – Est-ce que tu auras encore le choix…? Quand tu ne rentreras plus dans aucun maillot de bain…

Elle – Je connais une fille qui a dit non le jour de son mariage. Pour déconner. Elle voulait dire oui tout de suite après… Mais ça n’a pas du tout faire rire le maire. Elle a dû attendre six mois avant de pouvoir se représenter à la mairie… Il y a un délai de prescription, il paraît. C’est comme pour le permis de conduire. Tu peux pas le repasser tout de suite après l’avoir raté. Tu savais  ?

Lui – Non…

Elle – C’était chiant, ce mariage, non  ?

Lui – On ne se marie pas pour s’amuser…

Elle – Ne me dis pas que c’est pour partir à Bratislava depuis Beauvais au milieu de la nuit, parce que là, je commencerais vraiment à me demander si j’ai bien fait de dire oui… C’est dans quel pays, au fait, Bratislava ?

Lui – Je ne sais pas trop… Prague, c’était la capitale de la Tchécoslovaquie…

Elle – Alors tu ne sais même pas dans quel pays tu m’emmènes en voyage de noces ! Ma mère a raison, je ne sais vraiment pas où je vais, avec toi…

Lui – Attends… Prague, c’est la capitale de la Tchéquie… Bratislava, ça doit être la capitale de la Slovaquie. Ou de la Slovénie… En tout cas, c’est dans la zone euro ! On n’aura même pas à changer d’argent…

Elle – Et toi, tu m’aimeras encore, dans 20 ans… ?

Lui – Comment ne pas aimer toute la vie une fille qui accepte de me suivre dans un pays inconnu de la zone euro… ?

Elle – Si c’est une épreuve, alors…

Séquence émotion, interrompue par lui.

Lui – Je ne voudrais pas te presser, mais notre avion décolle dans deux heures. Et Beauvais, ce n’est pas la porte à côté…

2 – Le temps des cerises

Un couple, assis sur un canapé.

Elle – Tu as vu ? Le cerisier est en fleurs.

Lui – Encore une année de passée…

Silence.

Elle – On est heureux… ?

Lui – Oui… (Un temps) On s’emmerde, non ?

Elle – Ensemble ?

Lui – En général.

Elle réfléchit.

Elle – On pourrait changer de canapé…

Lui – Qu’est-ce qu’on ferait de l’ancien ?

Elle – Partir en vacances…

Lui – Ce n’est pas la saison.

Elle – Faire une fête…

Lui – Pour fêter quoi ?

Elle (réfléchissant) – La floraison du cerisier !

Lui – Il paraît que les Japonais font ça, au printemps. Ils invitent des amis à admirer leur cerisier, en sirotant du thé, sans rien dire…

Elle – Il faudrait se dépêcher. Les premières pétales tombent déjà.

Lui – C’est masculin.

Elle – Quoi ?

Lui – Pétale. C’est masculin. Les premiers pétales. (Un temps) Et qui est-ce qu’on inviterait ?

Elle – Des amis.

Lui – Les gens ne sont jamais libres…

Elle – Il suffit de les prévenir à l’avance!

Lui – Tu leur proposes de prendre l’apéritif, ils sortent leur agenda. Au lieu de boire l’apéro, on discute d’une date éventuelle. La semaine d’après, ils te rappellent pour annuler et fixer une nouvelle date… (Un temps) Moi, quand j’ai envie de boire un coup, c’est tout de suite. Dans trois semaines, je n’aurai peut-être plus soif. Il n’y a plus aucune improvisation!

Elle – C’est peut-être parce que les gens ont peur de s’ennuyer, justement…

Lui – Tu verras! Ils ne seront pas libres. Ils te proposeront une date. En attendant, les pétales du cerisier seront par terre.

Elle – Un tapis de pétales, c’est joli aussi.

Lui – Aujourd’hui il fait beau. Quel temps il fera dans un mois ? En plus de faire coïncider les agendas, il faudrait consulter Météo France. Inviter des amis, ça devient encore plus compliqué que de prévoir une éclipse. (Un temps) Non… Plutôt que de risquer de m’amuser avec des tas de gens dans un mois, je préfère encore être sûr de m’ennuyer tout de suite avec toi.

Elle – C’est gentil…

Lui – La dernière fois, mon meilleur ami me laisse un message. Ça faisait six mois que je n’avais pas eu de ses nouvelles. Je le rappelle aussitôt et je lui propose de prendre un café. Il me répond qu’il n’est pas libre, qu’il m’appellera pour fixer une date. J’attends toujours. Je n’ai jamais su pourquoi il m’avait téléphoné…

Elle – Il avait peut-être un coup de cafard… ?

Lui – Je ne sais pas si après son coup de fil, il s’est senti beaucoup moins seul. Dans six mois il me rappellera, et ce sera la même chose. Alors c’est ça qu’on appelle des amis, maintenant ? (Un temps) Internet, c’est pareil, hein ? On nous dit que c’est «convivial». Tu n’adresses pas la parole à ton voisin, mais avec ça, tu vas pouvoir bavarder avec les Chinois en espéranto. Tu en connais beaucoup, toi, des Chinois ?

Elle – Quand j’étais petite, avec mon voisin d’en face, on essayait de communiquer en morse, la nuit, avec des lampes électriques. Ça ne marchait déjà pas très bien…

Lui – Les gens sont surbookés en permanence. Qu’est-ce qu’ils peuvent bien avoir à faire de tellement intéressant, au point de ne jamais avoir le temps de prendre un verre avec leur meilleur ami à l’improviste. Moi, j’essaie de rester disponible. Mais personne n’est jamais libre. Alors je m’emmerde… Tu ne t’ennuies pas, toi ?

Elle – Avec toi, jamais…

Silence.

Lui – Et si on se le prenait quand même, cet apéro ?

Elle – Tous les deux ?

Lui – Tu serais libre ?

Elle – Quand ?

Lui – Tout de suite.

Elle – Pas de problème.

Lui – Je vais chercher les verres.

Elle – Je m’occupe des cacahuètes.

On sonne.

Lui – On attend quelqu’un ?

Elle – Non. Qui ça peut bien être à cette heure-ci ? On va bientôt passer à table.

Il fait signe qu’il ne sait pas.

Lui – Les gens sont d’un sans gêne. On ne peut pas être tranquille cinq minutes, même le week-end.

Elle – Je vais aller ouvrir…

Lui – Je ne suis là pour personne.

Elle se retourne vers lui.

Elle – Et si c’est un ami ?

Il réfléchit.

Lui – Tu lui dis que notre cerisier du Japon est encore en fleurs… Et qu’il repasse quand il aura des cerises.

3 – Panne de télé

Un couple assis sur un canapé. La pièce est vide de tout autre meuble. Ils ne font rien, ne disent rien, et regardent fixement droit devant eux.

Elle – Qu’est-ce qu’il y a, ce soir, à la télé ?

Lui – Je ne sais pas. Pourquoi ?

Elle – Pour savoir… (Un temps) Tu ne veux vraiment pas qu’on en rachète une ?

Lui – Quand on avait la télé, on ne pouvait pas s’empêcher de la regarder!

Elle – C’est fait pour ça, non  ?

Lui – On était complètement abrutis! On ne faisait rien d’autre!

Ils regardent toujours fixement droit devant eux.

Elle (ironique) – Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

Lui – Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ?

Elle – Rien…

Lui – C’est déjà mieux que de regarder la télé… (Un temps) Quand il n’y avait qu’une chaîne, encore, ça allait. Maintenant avec le câble…

Elle (nostalgique) – Quand j’étais petite, on n’avait pas la télé. J’allais la regarder chez mon voisin…

Lui – Tu veux que je demande au voisin si tu peux aller regarder la télé chez lui ?

Silence.

Elle – On pourrait discuter.

Il lui lance un regard inquiet.

Elle – Puisqu’on n’a plus de télé, on pourrait en profiter pour discuter.

Lui – Vas-y, commence.

Elle réfléchit.

Elle – Tu m’aimes ?

Lui (interloqué) – On pourrait peut-être commencer plus progressivement…

Il réfléchit.

Lui – Qu’est-ce qu’on mange, ce soir ?

Elle – Mercredi, c’est le jour du poisson.

Lui – Normalement, c’est le vendredi…

Elle – Le vendredi, c’est poulet.

Lui – C’est pas très catholique, tout ça…

Silence.

Lui – Qu’est-ce que je prends comme poisson ?

Elle – J’irai. Il faut que j’achète des lentilles.

Lui – Chez Picard ?

Elle – Chez l’opticien… Je ne suis pas trop surgelés, en ce moment…

Lui – A propos de surgelé, tu as entendu parler de ce type qui s’est fait congelé ?

Elle – Il devait déjà être un peu givré. Si je prenais des maquereaux au poivre ?

Lui – C’est pas trop épicé ?

Elle – C’est poivré.

Silence.

Lui – Si un jour tu me trompais, tu me le dirais ?

Elle le regarde, surprise.

Elle – Tu veux dire : si tu me trompais, est-ce que je voudrais que tu me le dises ?

Lui – Aussi, oui…

Elle – Pourquoi tu me demandes ça ?

Lui – Comme ça, pour parler… Comme on n’a plus la télé.

Elle réfléchit.

Elle – Comment veux-tu que je réponde à cette question ?

Lui – Par oui ou par non.

Elle – Tu crois vraiment que c’est aussi simple que ça ?

Lui – Non ?

Elle – Répondre, c’est accepter déjà la possibilité que tu me trompes.

Lui – Et alors ?

Elle – C’est comme si tu me demandais : si je t’assassinais, tu préférerais que j’aille me livrer à la police après ou que j’essaie d’échapper à la justice ?

Il n’a pas l’air de comprendre le rapport.

Elle – Ça suppose que j’envisage tranquillement la possibilité que tu m’assassines. C’est ça la vraie question. La deuxième, est annexe.

Lui – Un adultère, ce n’est pas un crime, tout de même.

Elle – L’adultère conduit parfois au crime…

Il réfléchit, un peu inquiet.

Lui – Si je te trompais, tu pourrais me tuer ?

Elle – En tout cas, si je le faisais, j’irais certainement me livrer à la police après. La justice a toujours été très clémente pour les crimes passionnels…

Silence.

Elle – Donc, tu envisages tranquillement la possibilité de me tromper.

Lui – 95% des animaux sont polygames. Le reste ne vit en couple que le temps d’élever les gosses. Ça prouve bien que la fidélité, ce n’est pas un truc naturel…

Elle – On n’est pas des animaux.

Lui – Il y a quand même 5% d’animaux monogames. Ça ne fait pas d’eux des humains pour autant. Pourquoi la fidélité serait un critère d’humanité ?

Elle – C’est le fondement de la famille, qui est le fondement de la société.

Lui – Alors tu m’es fidèle par civisme ?

Silence.

Elle – Ça te pèse tant que ça, la fidélité ?

Lui – Non… Je me demande seulement si la fidélité a le même sens pour les hommes et pour les femmes.

Elle – Et alors ? Pourquoi les hommes sont fidèles, à ton avis ? Quand ils le sont, bien sûr…

Il réfléchit.

Lui – Pour éviter les complications… ?

Silence.

Lui – Je me demande si on ne ferait pas mieux de racheter une télé.

4 – Quarantaine

Elle est assise sur le canapé. Il arrive.

Lui – C’est dingue, je viens encore d’avoir un coup de fil d’un ami d’enfance qui m’invite pour ses 40 ans. C’est incroyable, non ?

Elle – Si vous aviez 20 ans à la même époque, ce n’est pas très étonnant que 20 ans après vous en ayez 40 à peu près en même temps.

Lui – Non, ce qui est dingue, c’est que je n’avais plus aucune nouvelle de tous ces gens depuis des années… Et là, le téléphone n’arrête pas de sonner!

Silence.

Elle – Tu vas y aller ?

Lui – Ça me fait un peu peur. Ils ont dû changer, depuis tout ce temps.

Elle – Physiquement, tu veux dire ?

Lui – Physiquement, moralement… J’espère qu’ils ne sont pas trop décrépis.

Elle (minaudant) – Et moi ? Tu es sûr que je suis pas trop décrépie ?

Lui – Toi, j’ai eu le temps de m’habituer petit à petit. Mais eux, comme ça, tout d’un coup… C’est carrément Le Retour des Morts Vivants… C’est bizarre, ce besoin subi de se rassembler à l’approche de la quarantaine.

Elle – Ça s’appelle un anniversaire, non ?

Lui – On dit que les animaux se rapprochent des hommes en sentant venir la fin. Ça doit être quelque chose ça. Une sorte d’instinct grégaire. (Un temps) Qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui offrir à celui-là, encore ?

Elle – Une convention-obsèques… ?

Lui – C’est cher, non ?

Elle – Je plaisante… Et toi ?

Lui – Moi aussi.

Elle – Non, je veux dire : Et toi, tu comptes faire quelque chose pour tes 40 ans ?

Lui – Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Tu as une idée pour empêcher ça ? En tout cas, je t’en prie, tu ne me prépares pas de fête surprise, hein… ? Si je ne vois plus tous ces gens depuis 20 ans, il y a sûrement une bonne raison.

Silence.

Lui – Tu as quel âge, toi, exactement ?

Elle le regarde, offusquée, mais ne répond pas.

Elle – Il faudrait peut-être qu’on invite les voisins à dîner, un de ces soirs.

Lui – Pourquoi ?

Elle – Pour rien!

Lui – Eux, ils ne nous ont jamais invités.

Elle – Avec des raisonnements comme ça…

Silence.

Lui – Ce n’est pas parce qu’on est voisins qu’on est obligés d’être amis.

Elle – Tous nos amis habitent à cinq cents kilomètres ! C’est sympa d’avoir des amis à côté de chez soi…

Lui – Oui, c’est pratique… Ça limite les frais de déplacement. Donc la pollution. On pourrait presque dire que c’est écologique, de sympathiser avec ses voisins.

Silence.

Lui – Qu’est-ce qu’il fait, lui, au juste ?

Elle – Je ne sais pas exactement. Je le vois partir tous les matins avec une mallette. Je ne sais pas où il va. La prochaine fois, je lui demanderai, si tu veux…

Lui – Et elle ?

Elle – Ils sont très discrets…

Lui – Ça risque d’être joyeux, ce dîner. Si on ne veut pas paraître intrusifs…

Elle – Tu pourras toujours parler de toi.

Lui – Ils ont des enfants, non ?

Elle – Tous les jours, il y en a trois qui sortent de chez eux pour aller à l’école. Je suppose que ce sont les leurs.

Lui – Ah oui… Un petit, un moyen et un grand… (Inquiet) Il faudra les inviter aussi ?

Elle – Non! On leur précisera que c’est une soirée entre adultes. Ça les mettra à l’aise.

Lui (pris d’un doute) – Tu me parlais bien des voisins d’en face ?

Elle – Des voisins d’à côté! Les voisins d’en face, ils ont déménagé il y a six mois, après leur divorce. Tu n’as pas vu le panneau à vendre ?

Lui – Non.

Elle – D’ailleurs, ils n’avaient pas d’enfants.

Lui – Ah, ouais… ?

Silence.

Elle – Ce ne serait pas la semaine ménage, par hasard ?

Lui – Ce n’est pas impossible. (Soupirant) Le ménage, c’est le ciment du couple… La preuve, un couple, on appelle ça un ménage. Quand on est trois, un ménage à trois.

Elle – Trois, ça peut aussi être un couple avec un enfant…

Lui – Chacun ses fantasmes.

Silence.

Elle – Alors ?

Lui – Tu crois vraiment qu’on a les moyens d’avoir un enfant en ce moment  ?

Elle – Ce n’est pas une question d’argent, tu le sais bien… Et puis on n’est pas si pauvre que ça…

Lui – On le sera avec une ribambelle de gosses…! Regarde ce qui se passe en Afrique, avec la natalité galopante… J’ai lu un bouquin, il y a des années : «L’Afrique Noire est mal partie». Eh ben ça ne s’est pas arrangé depuis… Aujourd’hui, plus personne ne pense sérieusement que l’Afrique pourrait aller quelque part… Sauf avec la dérive des continents… Plus les gens ont d’enfants plus ils sont pauvres…

Elle – Tu es sûr que ce n’est pas l’inverse  ?

Lui – En tout cas, si les pauvres ne faisaient pas d’enfants, au bout d’une génération, tout le monde serait riche… Prends les chinois. Ils n’ont plus droit qu’à un enfant. Eh bien ça va déjà mieux…

Elle – Alors commençons par en faire un…

Lui – Quand est-ce qu’on s’en occuperait, de cet enfant ? On n’a déjà pas le temps de passer un coup de balai ?

Elle – On prendrait une femme de ménage.

Lui – Où est-ce qu’on le mettrait, ce bébé ?

Elle – Tu pourrais installer ton bureau en bas.

Lui – Ça commence bien… Et toi ? Tu comptes arrêter de travailler ?

Elle – On prendra une nourrice.

Lui – En plus de la femme de ménage ? Ce n’est plus un ménage à trois, là, c’est une PME! Je ne suis pas sûr d’avoir l’esprit d’entreprise…

Silence.

Lui – On ne pourra plus sortir le soir.

Elle – On prendra une baby-sitter.

Lui – Je ne m’étais jamais rendu compte à quel point la natalité avait un effet direct sur l’emploi.

Elle – Et sur la consommation…

Lui – Couches, petits pots, jouets, soins médicaux…

Elle – Nouvelle voiture…

Lui – Finalement, tu as raison, je crois que cet enfant est capable de sortir le pays de la crise… 

 

5 – Définition de l’amour (par défaut)

Lui (à une interlocutrice imaginaire) – Ça fait combien de temps qu’on se connaît ? Vingt ans, au moins, non ? (Silence) Pourquoi on a jamais couché ensemble, au fait ? C’est vrai, on s’entend bien… On aurait même pu se marier! C’est marrant, je te vois un peu comme une ex. Alors qu’on n’est jamais sortis ensemble… On a failli, une fois, tu te souviens ? Tu m’avais fait boire. A moins ce ne soit le contraire. On a fini chez toi, complètement bourrés. On a rigolé comme des bossus pendant toute la nuit, mais on a oublié de coucher ensemble. C’est peut-être parce qu’on s’entend trop bien, justement. Ça manquerait un peu de piment. On s’ennuierait, à la longue. C’est vrai, on se marre bien, tous les deux, mais… Je ne m’imagine pas en train de faire l’amour avec une fille qui se marre. Bon, il y a rire et rire. Je peux faire rire une fille pour coucher avec elle. Mais alors coucher avec une fille qui me fait marrer…! Non, si je couchais avec toi, j’aurais l’impression de coucher avec un copain. Avec une copine, si tu préfères. Et puis je n’aime pas les blondes. Je sais, tu n’es pas blonde. Mais tu l’étais quand je t’ai rencontrée… J’ignorais que ce n’était pas ta couleur naturelle, moi! A quoi ça tient, hein ? Ce n’est pas que je n’aime pas les blondes, mais… Ça dépend. Ça devait être la couleur. Tu étais un peu trop blonde pour moi. Les filles trop blondes, je ne sais pas, ça me dégoûte un peu. Physiquement. Je ne sais pas pourquoi… Ça doit être une question de peau. Maintenant, c’est trop tard. Je t’imaginerai toujours dans la peau d’une blonde qui s’est faite teindre en brune. Et puis tu n’es pas vraiment brune… C’est pas châtain, non plus. Je ne sais pas comment appeler ça… C’est ni blond ni brun. Ce n’est pas que tu ne me plais pas, hein ? D’ailleurs, tu plais à tous les mecs. D’habitude, c’est plutôt motivant… Mais là, non. Non, je n’arrive pas à définir exactement pourquoi je n’ai jamais eu envie de coucher avec toi… Ça doit être ça, l’amour… Je veux dire, le «je ne sais quoi» qui fait qu’on a envie de baiser ensemble, ou plus si affinité. On a réussi à cerner ce que c’était, dis donc! Par défaut… Maintenant, pourquoi je me suis marié avec ma femme plutôt qu’avec toi ou une autre, alors là ? Bon, déjà, à elle, je lui plaisais. C’était moins compliqué. Si je ne lui avais pas plu, est-ce que je me serais accroché… ? Et si je m’étais accroché, est-ce que ça lui aurait plu… ? On ne le saura jamais. L’amour partagé, c’est plus simple, mais c’est moins… Comment dire… ? A vaincre sans péril, on a le triomphe modeste. D’ailleurs, je me demande ce qu’elle a bien pu me trouver ? Tu as une idée, toi…  ? Je pourrais lui demander, tu me diras, mais… Si elle me retourne la question… Des fois, il y a des sujets qu’il vaut mieux ne pas aborder. Un peu de mystère, dans le couple, ça ne peut pas nuire. Enfin, il ne faut pas exagérer, non plus. Une fois je suis sorti avec une fille. Au bout d’un an, elle m’a plaqué. Je lui ai demandé pourquoi. Elle m’a répondu qu’elle s’emmerdait au lit avec moi. Un an! Il y a des limites à la discrétion… Alors maintenant, pourquoi elle est sortie avec moi pendant un an ? Je n’ai même pas pensé à lui demander… Il devait quand même bien y avoir une raison! Ou alors elle m’a menti. Sur mes performances sexuelles, je veux dire… Pour se venger… Je ne dis pas ça parce que ça m’a vexé dans mon orgueil de mâle, hein ? Ça m’a un peu surpris, c’est tout. C’est vrai, j’ai plutôt la réputation d’être un bon coup. Et toi ? Non, je veux dire, et toi, tu ne veux vraiment pas me dire pourquoi tu n’as jamais eu envie de sortir avec moi ? (Inquiet) Tu n’es pas obligée de me répondre, hein ?

Et Retrouvailles

Elle arrive, avec un grand sourire.

Elle (ravie) – Tu me reconnais ?

Lui (se retournant embarrassé) – Non.

Elle (avec un air entendu) – C’était il y a quelques années, mais bon…

Lui – Ah, oui, peut-être…

Elle (un peu offusquée) – Peut-être ?

Lui – Si, si, ça me revient, oui… Comment ça va ?

Elle – Ça va. Qu’est-ce que tu fous là ?

Lui – Ben, rien. Et toi ?

Elle (inquiète) – J’ai changé à ce point là ?

Lui – Non, pourquoi ?

Elle – Tu n’avais pas tellement l’air de me reconnaître, tout à l’heure.

Lui – Excuse-moi, je ne m’attendais pas à te revoir, c’est tout.

Elle – En tout cas, toi, tu n’as pas changé, hein ?

Lui – Merci…

Elle – Alors, qu’est-ce que tu deviens ?

Lui – Bof, toujours pareil…

Elle – Toujours aussi bavard, hein ?

Il ne sait pas quoi dire.

Elle – Tu es revenu il y a longtemps ?

Lui – D’où ?

Elle – Ben, de là-bas!

Lui – Ah, euh… Oui. Enfin, non.

Ils se sourient bêtement, gênés.

Elle (émue) – Ça m’a fait plaisir de te revoir.

Lui (gêné) – Moi aussi…

Elle (sur un ton entendu) – Il faut que j’y aille, là, on m’attend.

Après une hésitation.

Elle – On s’embrasse ?

Lui – Ok…

Le prenant par surprise, elle lui roule un patin.

Elle (pathétique) – A une autre fois, peut-être.

Lui (perturbé) – Peut-être, ouais…

Elle – Bon ben, salut Paul!

Elle se détache de lui, les larmes aux yeux.

Lui – Ouais, salut.

Elle s’en va. Ils se font des petits signes. Il reste seul.

Lui (interloqué) – Paul ?

6 – Tiens, voilà du Boudin !

Un couple, admirant contre un mur invisible quelque chose qu’on ne voit pas.

Lui – C’est Bonnard, hein  ?

Elle – Non, c’est…

Elle s’approche et, se penchant, lit le nom du peintre sous le tableau.

Elle – Picasso.

Lui – Ah, oui…

Ils admirent longuement le tableau, puis passent à un autre.

Elle (joueuse) – Tu essaies de deviner ?

Lui – Si tu veux…

Il regarde le tableau attentivement.

Lui – Miro ?

Elle – C’est toi qui deviens miro. Faudrait penser au double foyer…

Lui – Milo ?

Elle – Milo! Tu veux dire Millet ?

Lui – Ah, oui! Je confonds toujours. L’Angélus de Millet, et la Venus de Milo.

Ils passent à un autre tableau.

Lui – A toi ?

Elle regarde avec attention.

Elle – Manet… ?

Il regarde le nom sous le tableau.

Lui (corrigeant) – Monet!

Elle – Oh…! C’est un peu pareil, non ?

Ils passent à un autre tableau.

Elle (très sérieusement) – Tiens, voilà du Boudin…

Il la regarde, interloquée, puis ils regardent tous les deux le tableau.

Elle – C’est bien, hein ?

Lui – Oui, c’est…

Elle – C’est du Boudin.

Lui – Oui…

Silence.

Elle (pensif) – Je me demande toujours…

Lui – Quoi ?

Elle – Si je ne savais pas que c’était du Boudin, est-ce que je trouverais ça aussi bon.

Il la regarde sans comprendre.

Elle – Si j’ignorais que ces tableaux valent des milliards! Franchement, imagine que tu n’aies jamais entendu parler de La Joconde. Tu tombes dessus dans une brocante. À vendre. Cinq cents balles. Est-ce que tu peux affirmer, sincèrement, que tu l’accrocherais au-dessus de ta cheminée ? Cette gourde avec son sourire idiot ?

Il réfléchit.

Lui – On n’a pas de cheminée, de toute façon…

Elle – Non, il faut être honnête, on a beau avoir visité des dizaines de musées et des centaines d’expositions, est-ce qu’on ferait vraiment la différence entre une croûte et un chef-d’oeuvre… ?

Lui – On ne saura jamais. On ne voit que des chefs-d’oeuvre, dans les musées. C’est un tort, d’ailleurs. Dans chaque musée, ils devraient réserver une salle pour exposer exclusivement des croûtes. Le principe du test placebo, tu vois ? Histoire de vérifier si les autres tableaux sont vraiment beaux, ou si on les trouve beaux seulement parce qu’on nous a dit qu’ils l’étaient.

Elle – Oh… De toute façon, les musées, c’est comme les églises, hein  ? On y va surtout pour l’ambiance.

Lui – On n’a pas besoin d’être croyant pour être pratiquant, heureusement… C’est comme pour l’amour…

Elle le regarde, pas sûre de bien comprendre.

Lui – Non, je veux dire, c’est comme pour le mariage… Regarde-nous… On s’est bien mariés à l’église… Et pourtant on ne croit pas vraiment en Dieu…

Silence.

Elle – Tu te souviens de notre premier rendez-vous  ? Tu m’avais emmenée au musée Picasso…

Lui (nostalgique) – Ah, oui…

Elle – On était tellement émus… Ce n’est qu’à mi-parcours qu’on s’est rendu compte que c’était le musée Carnavalet…

Lui – Eh, oui… Ils sont tous les deux dans le Marais…

Elle (amusée) – Je commençais à me demander pourquoi les préliminaires duraient si longtemps…

Lui – Les préliminaires… ?

Elle – Enfin, je veux dire, euh… Picasso… Sa première période…

Lui – Ah, oui…

Silence. Ils commencent à s’éloigner.

Elle – Tu as entendu parler de cet artiste qui peint sous la mer ?

Il ne comprend pas bien.

Elle – Il a une combinaison d’homme-grenouille, il plante son chevalet sur les fonds marins et il peint des coraux.

Lui – Des Corots ?

7 – Disparition

Un couple, assis sur un canapé. Ils ne parlent pas et ne se regardent pas. Ils semblent s’emmerder. Il se met à chercher quelque chose, mais ne le trouve pas.

Lui – Tu n’aurais pas vu la télécommande ? Elle a disparu…

Elle le regarde, étonnée.

Elle – Mais… on n’a plus de télé!

Lui – Ah oui, c’est vrai…

Silence.

Lui – Qu’est-ce que tu ferais si je disparaissais ?

Elle le regarde, interloquée.

Elle – Comme la télécommande ?

Lui – Mais non, pas comme la télécommande! Si je disparaissais, tu vois ce que je veux dire…

Elle – Tu ne te sens pas bien ?

Lui – Si, si, ça va. C’est juste une hypothèse.

Elle – Tu n’as pas une hypothèse plus gaie ?

Lui – Je suis plus vieux que toi. Je partirai sûrement avant.

Elle – On n’a que trois ans de différence…

Lui – Les femmes vivent plus longtemps que les hommes! Et puis je peux avoir un accident. Une crise cardiaque. Un cancer.

Elle – Moi aussi!

Lui – Oui, mais c’est moi qui ai posé la question le premier.

Elle – Je ne sais pas. Il sera toujours temps d’y penser.

Lui – Il vaut mieux prévenir…

Elle le regarde, ne comprenant pas.

Lui – Je veux dire, il vaut mieux prévoir.

Silence.

Lui – En tout cas, je te préviens, je préfère être incinéré.

Elle – Pourquoi tu me dis ça maintenant ?

Lui – Ben, je ne vais pas te le dire après, hein ? (Un temps) C’est ma hantise, ça. D’être enterré vivant. Pas toi ?

Elle – Ça ne doit pas arriver très souvent.

Lui – Il suffit d’une fois.

Elle – Et d’être brûlé vif, ça ne t’angoisse pas ?

Il la regarde, inquiet.

Lui – Je n’avais jamais pensé à ça… (Un temps) Tu crois qu’il y a une vie après la mort ?

Elle – Est-ce que c’est vraiment à souhaiter… ?

Lui – Tu n’aurais aucun souci à te faire du point de vue financier, tu sais…

Elle (surprise) – S’il y avait une vie après la mort, tu veux dire ?

Lui – Si je venais à disparaître!

Elle – Ah, oui… Je n’étais pas inquiète.

Silence.

Lui – Je ne t’en voudrais pas si tu te remariais.

Elle – Merci.

Lui – Enfin, vous n’êtes pas obligés de vous marier, non plus.

Elle – Qui ça, nous ?

Lui – Toi et lui. Le type avec qui tu te recaserais. Autant garder ton indépendance.

Elle – Quelle indépendance ?

Lui – C’est marrant, j’ai du mal à t’imaginer avec un autre mec, quand même…

Elle (vexée) – Tu crois que personne ne voudrait de moi ?

Lui – Si, si. justement. En fait, je pense que je serais jaloux.

Elle – Quand tu seras mort, tu seras jaloux ?

Lui – Oui…

Elle – Et si je disparaissais avant toi ?

Lui (de mauvaise foi) – Là, tu me prends de court. (Un temps) Si je me recasais, tu m’en voudrais ?

Elle – Je ne serais pas là pour le voir.

Lui – Mais tu serais jalouse… ?

Elle le regarde, méfiante, mais ne répond pas.

Lui – Avec qui tu me verrais ?

Elle – Tu veux que je te présente une copine, au cas où, c’est ça ?

Lui – Ben, pour les enfants, il y a les parrains et les marraines… Pour les députés, c’est pareil. Il y a les suppléantes. S’il y en a un qui meurt ou qui démissionne, on a immédiatement une remplaçante. C’est prévu…

Elle – Oui… Pour les voitures, il y a les roues de secours. En cas de crevaison… (Inquiète) Tu n’es pas en train de me dire que tu m’as déjà trouvé une suppléante… ?

Lui – Ben, ce n’est pas si évident, que ça, hein ?

Silence.

Lui – L’avantage avec la bigamie, c’est qu’en cas de décès, on n’est qu’à moitié veuf.

Elle le regarde, sidérée.

Elle – Oui…

 

8 – L’Equipe

Elle lit Elle. Il s’emmerde, hésite et ouvre L’Equipe. Elle le remarque et paraît surprise.

Elle – Tu achètes L’Equipe, maintenant ?

Lui (comme pris en faute) – Pourquoi je n’achèterais pas L’Equipe ?

Elle (incrédule) – Et… tu comptes le lire.

Lui – Je le feuillette… Pour voir…

Elle – Pour voir quoi ?

Lui – Je ne sais pas. Tous les mecs lisent ça, dans le métro. J’étais curieux de savoir ce qu’il y avait de si passionnant là-dedans…

Elle – Et tu as trouvé ?

Lui – Non…

Elle a l’air consternée.

Elle – Tu t’intéresses au sport ?

Lui – Très peu…

Elle – Alors ce n’est pas étonnant que tu ne vois pas l’intérêt de lire L’Equipe…

Il pose son journal.

Lui – Oui, enfin… S’intéresser au sport, c’est une chose. De là à éprouver tous les matins le besoin impérieux de savoir si Bordeaux a battu Bègles 3 – 2 ou s’ils ont fait match nul… (Un temps) Je ne sais même pas où c’est, Bègles…

Elle – C’est à côté de Bordeaux…

Lui (surpris) – Comment tu sais ça, toi…,

Elle (comme une évidence) – Ben, à cause de Mamère !

Lui – Ta mère habite à côté de chez nous !

Elle – Mamère, le maire… Le maire de Bègles, tu sais bien…

Lui – Ah oui…

Silence. Elle se replonge dans son magazine.

Lui – Qu’est-ce que tu en penses, toi  ?

Elle – Oh, moi, tu sais, le foot…

Lui – Du mariage homosexuel !

Elle – Ah… Oh, je me demande si c’est vraiment la solution…

Lui – Pour qui  ?

Elle (surprise) – Ben pour les homosexuels !

Il se replonge dans L’Équipe. Elle commence à être sérieusement inquiète.

Elle – Mais pourquoi ça te travaille tellement, tout d’un coup, de comprendre pourquoi les hommes lisent L’Equipe ?

Lui – Il faut croire que j’ai besoin d’être rassuré sur ma virilité…

Elle – Eh ben c’est raté!

Lui – Merci…

Elle (pour le réconforter) – Ecoute, on peut être un homme sans lire L’Equipe !

Lui – Tu crois… ?

Elle réfléchit.

Elle – Je ne sais pas… Tu veux que je t’abonne à Auto-Magazine  ?

Il la regarde, se demandant si elle se fout de lui. Elle reprend la lecture de Elle.

Lui – Et toi ?

Elle – Quoi, moi  ?

Lui – Quel intérêt tu trouves à lire Elle  ?

Elle le regarde.

Elle – Tu le lis aussi…

Lui – Oui, oh… C’est juste pour rigoler un peu…

Elle – Moi je ne lis pas L’Equipe… Même pour rigoler un peu…

Lui (perturbé) – Tu me trouves efféminé, c’est ça  ?

Elle – Mais non… Presque tous les hommes lisent les magazines féminins de leurs femmes. C’est connu. Pourquoi tu crois qu’il y a des pubs de bagnoles, dans Elle  ?

Lui (songeur) – C’est sûr qu’il n’y a pas beaucoup de pubs de machines à laver dans L’Equipe.

Elle – Et pourtant, le foot c’est très salissant… Il n’y a qu’à voir le nombre de footballeurs dans les pubs de machines à laver.

Elle reprend sa lecture de Elle. Il a toujours l’air préoccupé. Elle le remarque.

Elle – Il y a encore quelque chose qui te tracasse  ?

Lui – Non, je repensais à la différence entre les hommes et les femmes…

Elle – Oui…

Lui – Prends les vêtements, par exemple… Le pantalon n’est plus l’apanage des hommes, mais la jupe continue à être réservée aux femmes.

Elle le regarde, incrédule.

Lui – Pour les couleurs, c’est la même chose. Vous pouvez porter du gris comme du rose. Nous, on n’a droit qu’au gris. Ou au marron… (Un temps) Vous nous reprochez de ne pas aimer le shopping… Mais est-ce que vous vous rendez compte de la tristesse d’un magasin de chaussures pour hommes  ?

Elle a l’air inquiète.

Elle – Tu voudrais pouvoir mettre une mini-jupe rose avec des talons aiguilles ?

Lui – Mais non! C’est une juste constatation… Vous nous avez piqué le meilleur de nos attributs masculins, et on n’a rien reçu en échange. (Il rouvre L’Equipe, rageur) Heureusement qu’il nous reste L’Equipe.

 

9 – Où est-ce qu’on va quand on est mort  ?

Ils sont assis sur le canapé.

Lui – Le courrier est passé  ?

Elle – Tu attends une lettre  ?

Lui – Pas spécialement… Mais j’espère toujours un miracle en ouvrant la boîte. On m’annoncerait que j’ai remporté un concours auquel je n’ai pas participé. Qu’une vieille tante richissime dont j’ignorais l’existence est morte sans héritier. Que le Prix Nobel m’a été attribué par anticipation pour mon oeuvre à venir… Tous les jours, en ouvrant la boîte, je suis comme un gamin au pied du sapin, le matin de Noël.

Elle – C’est vrai… En grandissant, on ne croit plus au Père Noël, mais on croit toujours au facteur. D’ailleurs, il y a des similitudes… Ils ont tous les deux un uniforme. Ils passent avec une hotte. Ils déposent des pochettes surprises, et on ne les voit ni l’un ni l’autre…

Lui – Enfin, le facteur, c’est justement à Noël qu’on le voit, quand il vient chercher ses étrennes… (Soupirant) J’ai horreur de Noël. Tous les ans ça sent un peu plus le sapin… Et dans la boîte, il y a de plus en plus de faire-part… (Un temps) Mais pourquoi j’attends le facteur comme le messie, alors là… ? Remarque, le père du messie, c’était peut-être le facteur, hein ? Parce que le coup de l’immaculée conception… Il ne faut pas croire au Père Noël, quand même…!

Elle – Pour avoir des lettres, il faut en écrire. La plupart des gens ne reçoivent que des réponses. Si tu n’envoies jamais de lettres, il ne faut pas t’étonner de ne pas en recevoir… Je crois que je n’ai jamais reçu une seule lettre de toi…

Lui (ironique) – Tu veux qu’on s’écrive, de temps en temps  ?

Elle le regarde, indécise.

Lui – Qu’est-ce qu’on pourrait bien avoir à se dire  ? J’aurais l’impression de m’écrire à moi-même. D’ailleurs, on s’écrit toujours un peu à soi-même, non  ? Il y a des gens à qui on écrit des lettres interminables… Quand on les voit, on se rend compte qu’on n’a rien à leur dire. Non, il y a un côté onaniste, dans l’écriture…

Elle se sert un verre et allume une cigarette.

Lui – Tu fumes maintenant ?

Elle (surprise) – Oui… Ça fait bien vingt ans. Tu n’avais jamais remarqué  ?

Un temps.

Lui – Tu savais que chaque cigarette raccourcissait la vie de dix minutes  ? (Elle ne répond pas) Tu fumes combien de cigarettes par jour, toi ?

Elle (ironique) – D’après mes calculs, je devrais déjà être morte depuis six mois. Je ne comprends pas…

Silence.

Lui – C’est comme le téléphone portable, hein  ? Ce n’est pas très bon pour la santé. Il paraît qu’au-dessus d’un quart d’heure par jour, c’est la tumeur assurée. Tu as intérêt à ne pas dépasser le forfait… (Un temps) A propos, tu sais ce que m’a demandé ta fille ce matin, pendant que je me brossais les dents ?

Elle – Non.

Lui – Où est-ce qu’on va quand on est mort… ?

Elle – Qu’est-ce que tu lui as répondu ?

Lui – A ton avis ?

Elle – Je ne sais pas.

Lui – Oui. C’est exactement ce que je lui ai répondu.

Elle – Et alors ?

Lui – Elle m’a dit : Mais papa, quand on est mort, on va au cimetière!

Elle – Et après ?

Lui – Après, elle est repartie bouffer ses corn-flakes. Apparemment, elle était très contente de m’avoir appris quelque chose. Et un peu surprise qu’à mon âge, je ne sois pas encore au courant… (Un temps) C’est incroyable, non ?

Elle – Qu’elle ait posé cette question ?

Lui – Non, que les enfants aient cette capacité d’accepter des réponses simples à des questions simples. Un prof de philo aurait parlé de métaphysique, d’immanence, de transcendance, tout le bordel… De Dieu, dans le pire des cas. Les enfants sont beaucoup plus pragmatiques. D’ailleurs, ils sont naturellement athées.

Elle – Ils croient au Père Noël.

Lui – Oui… Parce que leurs parents leur disent qu’il existe et qu’il va leur apporter des cadeaux. Sinon, ils n’auraient pas été l’inventer tout seuls. Si on te disait qu’un bienfaiteur anonyme va te verser une prime de Noël tous les ans, tu ne serais pas pressée de remettre en cause son existence. (Un temps) Mais Dieu, il ne nous a jamais rien apporté à Noël, pourtant certains adultes y croient encore… Tu y crois, toi ?

Elle – Au Père Noël ?

Silence.

Lui – Ce qui est incroyable, aussi, c’est que ça ne lui fasse pas peur du tout, la perspective de finir enterrée. Nous, ça nous fout un peu les boules… Pourquoi ça ne lui fait pas peur, à elle ? (Un temps) Il faudra que je lui demande, ce soir, ce qu’elle entend exactement par «quand on est mort, on va au cimetière»… (Un temps) Qu’est-ce que tu entends par là, toi ?

Elle le regarde, étonnée.

Lui – Non, je veux dire, qu’est-ce que tu crois qu’elle entend par là ?

Elle – Ben… Ça.

Lui – Quoi, ça ?

Elle – Quand on est mort, on va au cimetière.

Il la regarde, interloquée.

Lui – Alors toi aussi, tu crois ça ?

Elle – Pourquoi, tu n’y crois pas, toi ?

Lui – Si… Je veux dire…

Il se marre.

Lui – Attends, ne me dis pas que pour toi aussi, c’est aussi simple!

Elle – Ben… D’une certaine façon, si.

Il la regarde, goguenard.

Elle – Je ne sais pas, tout à l’heure, tu trouvais ça merveilleux de ne pas se prendre la tête. De se contenter de réponses simples à des questions simples.

Lui – Oui, mais… Tu n’as pas cinq ans!

Elle – Bon, ben vas-y, toi. Je te pose la question : où est-ce qu’on va quand on est mort ?

Il est pris de court.

Lui – Ben… Ce n’est pas aussi simple que ça, hein ?

Elle – Mais encore… ?

Lui – Je ne sais pas, c’est… C’est la question du sujet…

Elle le regarde, attendant des précisions.

Elle – La question du sujet… ? Tu veux dire le sujet de la question ?

Il est désemparé.

Lui (pensif) – Où est-ce qu’on va quand on est mort ? (Il fait un geste d’ignorance) On va nulle part.

Elle – Ben, si…

Lui – Oui, si tu veux.

Elle – Même si je ne veux pas…

Lui – Non, mais… On va au cimetière, on va au cimetière…! Ça ne veut rien dire! On peut aussi aller au cimetière de son vivant, faire un petit tour, repartir et aller se taper un couscous. Qu’est-ce que ça veut dire, aller au cimetière ? Et puis on peut très bien mourir et ne pas aller au cimetière. Hein ? Quand on ne retrouve pas le corps! Alors là, on ne peut pas dire : quand on est mort, on va au cimetière. Tu vois bien que ce n’est pas aussi simple que ça.

Elle – Bon… Alors si ta fille te repose la question, qu’est-ce que tu répondras ?

Lui – Je ne sais pas… (Il réfléchit) Je répondrai… Quand on est mort, on va au cimetière… en général. Si on retrouve le corps… Quand on est vivant, on peut aussi aller au cimetière… Mais quand on est mort, c’est définitif.

Elle (hoquet) – Hips…

 

10 – La saison des pluies

Il est là, pas très réveillé, ni de très bonne humeur. Elle arrive, pleine d’entrain.

Elle (joyeuse, en regardant vers la salle) – Tu as vu ? Ils sont revenus !

Lui – Qui ? Les spectateurs ?

Elle – Ben oui, pas Les Envahisseurs !

Il la regarde avec un air las.

Elle – J’ai une de ces pêches, moi, ce matin.

Lui – Ah, ouais…?

Elle – J’ai super bien dormi.

Lui – Tant mieux…

Elle – Il y a des jours, comme ça… J’ai dû me lever du bon pied.

Lui – Mmm…

Elle – J’ai une de ces faims ! Pas toi ?

Lui – Non…

Elle – J’ai l’impression d’avoir bouffé des amphétamines. Ça doit être le printemps. Ça ne te fait pas cet effet là, toi ?

Lui – Je ne sais pas… Je n’ai jamais bouffé d’amphétamines…

Elle – Moi, un rayon de soleil, et hop ! Je vois la vie en rose.

Lui – T’as de la chance.

Elle – J’aurais dû naître dans un pays où il fait beau toute l’année.

Lui – Ça existe ?

Elle – Sous les Tropiques !

Lui – Il y a la saison des pluies.

Elle – Ah, ouais…

Lui – Ça dure six mois.

Elle – Tant que ça !

Lui (désignant les spectateurs) – Pourquoi tu crois qu’ils vont tous sur la Costa Brava au mois d’août ? Sous les Tropiques, c’est l’hiver, qu’il fait beau. L’été, il fait un temps pourri.

Elle – Au moins, il fait beau la moitié de l’année, et tu sais quand. C’est mieux organisé qu’ici. Là-bas, tu ne te demandes pas tous les matins si tu dois prendre ton parapluie ou pas. Et quand tu le prends, tu sais que c’est pour six mois.

Lui – En Antarctique, c’est pareil. L’année est divisée en deux. Il fait jour en été, et il fait nuit en hiver.

Elle – Tu as toujours la solution d’hiberner, comme les ours blancs.

Lui – Ouais… Mais maintenant, avec la fonte des glaces… Tu te couches fin octobre, et tu te réveilles le premier avril en train de dériver sur un iceberg au large des Canaries…

Elle soupire.

Elle – Et un pays où il y a 365 jours d’été, avec l’hiver réparti sur les 365 nuits, ça n’existe pas ? On s’en fout qu’il fasse beau la nuit. On dort.

Lui – Existe pas.

Elle – J’aurais dû naître sur une autre planète.

Lui – Parfois, je me demande si ce n’est pas le cas…

Un temps. Ils observent l’horizon.

Elle – On dirait que ça se couvre, non ?

Lui – Tu crois…?

Elle – Regarde ces gros nuages, là-bas. Le vent les ramène vers nous.

Lui – On vit dans un climat tempéré… En langage météo, ça veut dire que le pire est toujours possible. Et même probable, à court terme.

Elle – La météo… Tu as entendu leur dernière trouvaille ? Ils ne parlent plus en degrés Celsius ou Fahrenheit, mais en température ressentie… Ressentie par qui ? Par les frileuses comme moi ou par ceux qui n’ont jamais froid ? Par celles qui ont oublié de mettre un pull ou par ceux qui ont mis leur Damart… Je voudrais bien savoir quel thermomètre mesure ça, la température ressentie…

Lui – C’est comme le moral des Français… Il paraît qu’on a encore perdu deux points cette semaine.

Elle – Ça me déprime.

Lui – Ça y est, il flotte.

Elle – Je préfère ne pas voir ça… Tiens, je vais téléphoner à ma mère, pour savoir s’il fait beau à Toulouse.

Lui – Qu’est-ce que je disais ?

Elle – Quoi ?

Il mime le geste de ET le doigt pointé vers le ciel.

Lui – Téléphoner maison…

11 – Petit commerce

Elle lit. Il regarde fixement devant lui dans le vide. Elle le remarque.

Elle (surprise) – Qu’est-ce que tu regardes, comme ça  ?

Lui – La télé…

Elle – On n’en a plus !

Lui (soupirant) – Je sais, mais… C’est comme si on m’avait amputé des deux jambes et que j’avais encore des fourmis dans les pieds….

Elle écarquille les yeux, puis se replonge dans son bouquin, avant de se raviser.

Elle – Tiens, c’est bizarre, aujourd’hui, j’ai reçu un appel pour toi sur mon portable…

Lui – Ah oui, excuse-moi, j’ai complètement oublié de te prévenir. J’ai laissé ton numéro sur mon répondeur professionnel, pour qu’on puisse me joindre pendant les vacances…

Elle – Les vacances  ? Mais on ne part que dans une semaine !

Lui – Ben… Comme ça, ils l’auront.

Elle (sidérée) – Mon numéro de portable !  Et en attendant, pendant une semaine, je vais recevoir des appels de tes clients ?

Lui – Je ne sais pas, moi… Tu leur dis qu’ils me rappellent pendant les vacances…

Elle – Ça ne serait pas plus simple que tu t’en achètes un  ?

Lui – Un portable  ? Pfff… Quand je sors, c’est que je veux être un peu tranquille. Je n’ai pas envie qu’on me harcèle…

Elle – Tu préfères que ce soit moi qui reçoive tes coups de fil professionnels  ? J’étais en plein conseil de classe, un type m’appelle pour me demander quand je comptais… Enfin quand tu comptais lui livrer ton article intitulé « Faut-il Légiférer Contre le Port du String à l’Ecole »  ? Tu crois que ça ne me dérange pas, moi  ?

Lui – Tu ne coupes pas ton portable, pendant les conseils de classe  ?

Elle (ironiquement) – Excuse-moi, j’avais oublié… Ecoute, un portable, c’est quelque chose de très personnel. Ça ne se prête pas. Même entre mari et femme. Je ne sais pas, moi… C’est comme une brosse à dents !

Lui – Une brosse à dents  ? Alors là… Si tu veux te servir de ma brosse à dents pendant les vacances, il n’y pas de problème…

Elle – Un ordinateur, si tu préfères ! Tu me prêterais ton ordinateur, toi, si je n’en avais pas  ?

Son silence est éloquent.

Elle – Et après les vacances  ?

Il fait mine de ne pas comprendre.

Elle – Je continuerai à recevoir des appels pour toi ! ? Heureusement que tu n’as rien à cacher…

Lui – Après les vacances, je dirai que je l’ai perdu, ce foutu téléphone. Ou qu’on me l’a volé, tiens ! C’est très courant, les vols de portables.

Elle – Parfait ! Comme ça, si on m’appelle quand même, je me ferai traiter de voleuse… Je te rappelle qu’il est à moi, ce téléphone !

Lui – Si tu y tiens tellement, tu n’as qu’à me le laisser, ton portable. Tu t’en rachèteras un…

Elle – C’est ça ! Et ensuite, les gens qui voudront me téléphoner tomberont sur toi…

Lui – Je leur donnerai ton nouveau numéro, et puis voilà…

Elle – Tu as raison, c’est beaucoup plus simple que d’acheter directement un portable pour toi. (Un temps, soupçonneuse) Ça ne serait pas pour t’éviter cette peine que tu aurais décidé de coloniser le mien, par hasard… ?

Il hausse les épaules, avec une certaine mauvaise foi. Silence.

Lui – Tu sais comment m’a appelé le boucher, ce matin  ?

Elle n’en a visiblement aucune idée.

Lui – « Le p’tit monsieur »… (Imitant le boucher) « Qu’est-ce qui veut, le p’tit monsieur  ? ». C’est la première fois qu’il m’appelle comme ça…

Elle – Mmmm… Oui, c’est l’équivalent masculin de « Qu’est-ce que je lui sers à la p’tite dame  ? ».

Lui – Ça fait peur, non  ? Que le boucher puisse nous voir comme « le p’tit monsieur et la p’tite dame »  ? Heureusement qu’on ne fait pas les courses ensemble. Il serait foutu de nous appeler « le p’tit couple ». (Imitant à nouveau le boucher) « Qu’est-ce qui veut, le p’tit couple  ? ». Là, je crois que je deviens tout de suite végétarien.

Un temps.

Lui – La viande, ça m’a toujours un peu dégoûté, de toute façon. Pas toi  ?

Replongée dans son bouquin, elle ne répond pas. Il poursuit malgré tout.

Lui – Le poulet, à la rigueur… (Un temps) C’est vrai, c’est effrayant, une boucherie, si on y pense. Cette chair sanguinolente étalée partout. Ces carcasses d’animaux entiers dans la chambre froide. Toutes ces vaches innocentes qu’on enferme dans des camps à la campagne, entourés de fil de fer barbelé, parfois même électrifié. En attendant de les conduire à l’abattoir et de les démembrer… Pauvres bêtes. Heureusement, elles, elles ne sont pas au courant de ce qui les attend. Quand je les vois, avec cette espèce de suaire blanc sur la tête, sortir les cadavres de leurs victimes du camion frigorifique en les portant sur leurs dos…

Elle ne réagit toujours pas. Il se tourne à nouveau vers elle.

Lui – Tu savais que les sikhs étaient strictement végétariens  ?

Elle lève enfin le nez de son bouquin.

Elle – Ah, au fait, ce n’est pas la peine de passer au bazar, pour le néon de la salle de bain. J’y suis allée cet après-midi. (Un temps) J’ai croisé la voisine. Elle était en train d’acheter une valise…

Il la regarde sans comprendre. Le portable de la femme sonne.

Elle – Oui… ?

Son visage se fige.

Elle (avec une amabilité affectée) – Non, c’est sa secrétaire, mais ne quittez pas, je vous le passe tout de suite. Qui dois-je annoncer  ? (Lui tendant son portable, excédée) C’est pour toi. Ton copain Marc…

Il prend le téléphone comme si de rien n’était.

Lui – Allo !

Il ne sait pas très bien se servir de l’engin.

Lui – Comment ça marche, ce truc… ?

 

12 – Coup de vieux

Elle est à jardin, prenant congé de sa fille qu’on ne voit pas. Il est un peu en retrait, observant la scène d’adieu avec un sourire sur les lèvres.

Elle – Allez, amusez-vous bien. Mais ne faites pas de bêtises. Et vous ne me la ramenez pas trop tard, hein, je vous fais confiance ?

La fille s’en va, et le couple revient au centre de la scène, en échangeant un sourire plein de sous-entendus, à la fois amusé et ému.

Elle – Sa première sortie avec un garçon…

Lui – Ça nous rajeunit pas.

Elle – Ouais… Ça me file un coup au moral.

Un temps.

Lui – Comment il s’appelle, déjà ?

Elle – Jean-Marie.

Un temps.

Elle – C’est bizarre, non ?

Lui – Quoi ?

Elle – Qu’il s’appelle Jean-Marie !

Lui – Je m’appelle bien Jean-Sébastien.

Elle – Justement ! C’est un nom de vieux…

Lui – C’est peut-être un vieux pervers déguisé en ado boutonneux. Comme on voit à la télé dans les pubs contre les dangers d’internet. À l’heure qu’il est, il doit être en train d’enlever son masque.

Elle (retournée) – Plaisante pas avec ça…

Lui – Ou alors ses parents sont au Front National. C’est pour ça qu’ils l’ont appelé Jean-Marie.

Elle – Tes parents t’ont appelé Jean-Sébastien, et ils ne jouaient pas de piano.

Il fait un geste pour la réconforter.

Lui – Allez, il va bien falloir que tu t’y fasses. Ce n’est que le début. Dans un an ou deux, on va se retrouver seuls à la maison, comme un couple de vieux cons.

Elle – Merci. C’est tout à fait ce que j’avais envie d’entendre pour me remonter le moral…

Lui (espiègle) – Je t’ai préparé une surprise pour t’aider à passer ce cap difficile.

Elle – Tu m’invites au restaurant ?

Lui – Mieux que ça.

Il sort un joint de sa poche et lui montre.

Elle (amusée, tentée, mais partagée) – Non… Tu crois…? Ça fait au moins quinze que j’ai pas fumé, même une cigarette. Tiens, la dernière fois que j’ai essayé de tirer sur une Malboro light, j’ai cru que j’allais mourir d’une overdose…

Lui – Ça nous rappellera notre jeunesse. Et puis je te rappelle que notre premier joint, on l’a fumé ensemble. Est-ce qu’on serait mariés aujourd’hui si on n’avait pas été complètement défoncés quand on s’est rencontrés ?

Elle – Sûrement pas…

Il allume le joint, tire dessus avec avidité, et lui passe.

Lui – Wouha… Ça fait du bien…

Elle tire sur le joint à son tour, et semble également aux anges. Avant que son sourire béat ne se fige soudainement.

Elle – Et si il lui proposait de la drogue…?

Lui – Si il s’appelait Djamel encore… Mais pas Jean-Marie…

Elle – Tu t’appelais Jean-Sébastien, et c’est toi qui m’a fait fumer mon premier joint.

Lui – Ça se terminera peut-être par un mariage… Allez, détends-toi un peu…

Elle – Tu as raison… On n’y peut rien, de toute façon… Il va bien falloir vivre avec…

Lui – Tu veux dire sans…

Le téléphone sonne. Elle tire une autre bouffée du joint, le passe à son mari, et répond avec nonchalance. Pendant qu’il tire à nouveau sur le joint.

Elle (barré) – Ouais… (Se reprenant soudain) Oui, ma chérie, qu’est-ce qui se passe ? Oh, tu m’as fait peur. J’ai cru que vous aviez eu un accident… Mais si, je me rends compte. Mais bon, c’est quand même moins grave qu’un accident de voiture. Tu ne veux pas aller voir le film quand même ? Ça te changera les idées… Je ne sais pas, moi, tu ne veux pas proposer à une copine de t’accompagner…? Mais si, bien sûr, viens. On va en parler. Ok, on t’attend…

Elle raccroche.

Lui – Qu’est-ce qui se passe ?

Elle – Elle s’est fait larguée par Jean-Marie…

Lui – Je ne le sentais pas, ce mec… C’est toi qui avais raison. Jean-Marie, c’est vraiment un prénom à la con…

Elle – Évidemment, elle est bouleversée… Son premier chagrin d’amour…

Lui – Bon, c’est pas si grave… Ce sera pas le dernier… (Lui tendant le joint) Tiens, tire plutôt là-dessus. C’est de la bonne, moi je te le dis…

Elle (ignorant le joint) – Elle arrive… Je suis sa mère… Il faut bien que je la console… Oh, putain, j’ai la tête qui tourne… J’ai envie de vomir… Pourquoi tu m’as fait fumer cette merde…

Il semble complètement barré et sourit comme un idiot.

Lui – Moi ça me fait un bien fou. Tu peux pas savoir…

Elle – Oh, la, la… Et puis ça sent l’herbe dans toute la maison…

Elle essaie de dissiper la fumée avec un magazine. On sonne.

Elle – Oh, non… C’est déjà elle !

Lui – Putain… Il ne pouvait pas attendre après le ciné pour la larguer, le Jean-Marie. Moi qui pensais passer enfin une soirée tranquille, pour une fois…

Elle – Ouais, ben tu vois, c’est pas encore pour tout de suite…

On sonne à nouveau.

Elle – Ouvre les fenêtres pour aérer un peu. Je vais essayer de la retenir un moment sur le palier… (On sonne encore) Oui, oui, j’arrive tout de suite, ma chérie… (Elle se retourne une dernière fois vers lui, qui a encore son joint au coin de la bouche) Et éteins-moi cette saloperie, bon sang !

 

13 – Cauchemar

Il entre avec une perruque blonde et un ballon de foot. Elle arrive après lui par derrière avec une veste d’homme et des moustaches façon Hitler ou Charlot.

Elle – Guten Tag…

Il sursaute en la voyant.

Lui – Mais… Vous êtes qui, vous  ?

Elle – Je suis… la baby-sitter.

Il a l’air terrifié. Elle sort un paquet de cigarettes.

Elle (lui tendant le paquet) – Vous fumez  ?

Lui (il s’apprête à en prendre une avant de se raviser prudemment) – Non, merci.

Elle – Natürlich. C’est interdit… Il y a un cendrier, mais ça ne veut rien dire ! C’est seulement pour que les contrevenants ne brûlent pas la moquette… C’est très français, ça. On fait des lois, mais on prévoit toujours un plan B au cas probable où… (Elle sort un paquet de chewing-gum) Vous voulez un chewing-gum  ?

Lui – Ça me balonne un peu…

Elle – Vous savez pourquoi les grillons du métro sont en voie de disparition  ?

Lui – Il y a des grillons dans le métro  ?

Elle – Ou des criquets, je ne sais plus. C’est parce que ces animaux se nourrissaient de mégots. Alors depuis que c’est interdit de fumer dans le métro, ils dépérissent. Vous vous rendez compte  ? C’est tout un écosystème qui a été bouleversé… Remarquez, ils pourraient se mettre à mâcher des vieux chewing-gums…

Lui – J’ai vu une expo sur la vie animale en milieu urbain, au Parc Floral. On ne le sait pas, mais il y a une faune incroyable, dans Paris. Il paraît même qu’il y a des loups. Mais des centaines, hein  ?

Elle – Des loups  ?

Lui – Non, mais ils ne sortent que la nuit, dans les parcs…

Elle – Vous voulez dire… des renards… ?

Lui – Ah, oui, peut-être… En tout cas, je n’en n’ai jamais vu…

Elle – C’est parce que les parcs sont fermés, la nuit…

Bruit d’une porte qui se ferme.

Il a l’air très inquiet.

Elle – La femme de ménage a fermé en partant… et elle a emporté la clef.

Lui – Il n’y a aucune fenêtre… On ne peut même pas appeler au secours…

Elle – Vous n’avez pas de téléphone portable… ?

Il fouille dans ses poches. Son visage s’illumine quand il en extirpe quelque chose.

Lui – Ah, si ! (Sa mine s’obscurcit en constatant que ce n’est pas un portable). Mince, c’est la télécommande que je cherchais partout…

Elle – Mais… il n’y a pas la télé !

Lui – Bon ben… Le facteur nous délivrera demain matin…

Elle – Demain… c’est Noël !

Lui – Ah, oui, c’est vrai, merde…!

Elle – Vous voulez peut-être vous allonger… ?

Il la regarde terrorisé. Elle sort un drap blanc.

Elle – Si on doit réveillonner ensemble, autant s’installer confortablement… Vous préférez quel côté  ?

Lui – Je n’ai pas de préférence.

Elle – Alors, je vais prendre celui-là…

Elle se glisse sous le drap. Il s’installe aussi. Ils s’apprêtent à dormir.

Elle – Eh ben… Joyeux Noël, alors !

Lui – C’est ça, Joyeux Noël…

Un temps. Il pousse un cri, et se réveille en sursaut. Elle se réveille aussi. Il n’a plus sa perruque et elle n’a plus sa moustache.

Elle – Ça va chéri  ?

Lui – Oui, oui, ça va… J’ai dû faire un cauchemar. J’ai rêvé que c’était Noël…

Elle (le regardant, interloquée) – Mais chéri… C’est Noël !

 

14 – Les meubles

Un couple. Pas de décor. Il est là, elle arrive.

Elle (regardant autour d’elle, sidérée) – Mais… Où sont passés les meubles ?

Lui (fier de lui) – Tu ne devineras jamais.

Elle le regarde, attendant une explication.

Lui – Un type a sonné à la porte, ce matin. Un antiquaire!

Elle (inquiète) – Et alors ?

Lui – Je lui ai d’abord dit qu’on avait rien à vendre…

Elle – Et après… ?

Lui – Je me suis dit que ça ne coûtait rien de faire évaluer tout ça. L’estimation était gratuite. Tu ne devineras jamais combien il m’a proposé pour toutes ces vieilleries.

Elle – Combien… ?

Lui – Largement de quoi en racheter d’autres.

Elle – Alors pourquoi tu les as vendues ?

Lui – Pour changer un peu! Tu m’as dit que tu voulais acheter un autre canapé.

Elle – Et alors… ?

Lui – Tu sais très bien que si on avait changé le canapé, on aurait dû racheter une table qui aille avec. Après, il aurait fallu changer les chaises, et ainsi de suite…

Elle – Oui, peut-être…

Lui – Ça nous aurait coûté une fortune! Et qu’est-ce qu’on aurait fait de nos vieux meubles ?

Elle ne dit rien.

Lui – Là, c’est beaucoup plus simple.

Elle – Et en attendant ?

Lui – En attendant quoi ?

Elle – Qu’on en achète d’autres…

Il regarde autour de lui la pièce vide.

Lui – Personnellement, je n’ai jamais aimé les pièces surchargées.

Elle – C’est sûr que là, ce n’est plus surchargé du tout…

Lui – Tu n’es pas contente ?

Elle – De ne plus avoir de meubles… ?

Lui – Mais c’est toi qui m’as dit que tu n’aimais pas notre vieux canapé!

Elle – Je ne t’ai pas dit que je ne voulais plus de meubles du tout. On n’a même plus de lit!

Lui – Mais je viens de t’expliquer que… Moi, je croyais te faire plaisir!

Elle (conciliante) – Ecoute, on va aller au restaurant ce soir. On dormira à l’hôtel, et demain on va racheter des meubles. D’accord ?

Lui – D’accord…

Silence.

Lui – Reste à choisir le style.

Elle – Tant qu’à changer, on ferait mieux de mettre du moderne, non ?

Lui – Oui… Mais alors là, il faudrait refaire les peintures…

Elle – Tu ne crois que tu es un peu trop perfectionniste ?

Lui – Du mobilier moderne avec ces peintures crasseuses, ça va jurer…

Elle (ironique) – On ferait peut-être mieux carrément de changer d’appartement.

Lui – Tu crois ? (Un temps) Remarque, le déménagement serait vite fait… On coupe l’eau et l’électricité en partant, on n’a même pas besoin de revenir.

Elle est soudain prise d’un doute.

Elle – Tu as bien vidé les tiroirs ?

Lui – Evidemment.

Elle – Et ton alliance ?

Lui – Mon alliance ?

Elle – Celle que tu gardais dans le tiroir de la table de nuit!

Lui – Merde…

Elle ne dit rien, mais on voit qu’elle est anéantie. Il est très mal aussi.

Lui – Elle était là depuis tellement longtemps. Je ne me souvenais même plus…

Silence.

Elle – Tu as l’adresse de cet antiquaire ?

Lui – Non… Il m’a payé en liquide, il a tout mis dans son camion et il est parti. (Un temps, n’y croyant pas) S’il la retrouve, il nous téléphonera sûrement…

Elle (amère) – Oui… Et puis si tu ne la retrouves pas, tu pourras toujours changer de femme… Tu en prendras une plus moderne, qui se marie bien avec les nouvelles peintures et le nouveau mobilier.

Lui – Je suis désolé…

Elle – Pourquoi tu ne l’as jamais mise, cette alliance ?

Lui – Je l’ai mise! (Un temps) Avant qu’on se marie… Tu te souviens ? Je les avais achetées dans un bazar au Yémen. Pour faire croire qu’on était déjà mariés. Sinon, ils ne voulaient pas nous louer de chambre, dans les hôtels.

Elle – Maintenant que tu as revendu tous nos meubles, y compris le lit conjugal, on va bien être obligés d’y aller, à l’hôtel, cette nuit…

Lui – Ne t’inquiète pas, on est en France. Ils ne demanderont pas à voir notre livret de famille…

Elle – Et après le mariage ? Pourquoi tu la laissais dans cette table de nuit, ton alliance ?

Lui – Ben… J’avais peur de la perdre.

Elle – C’est réussi…

Silence.

Lui – Tu m’en veux… ?

Elle ne répond pas.

Lui – Allez viens, on y va!

Elle – Où ?

Lui – A l’hôtel! Ce sera un peu comme un deuxième voyage de noces… Plus d’alliance, plus de meubles, bientôt plus d’appartement. On repart à zéro!

Elle – Moi, j’ai toujours mon alliance…

Lui – Tu ferais mieux de la retirer.

Elle – Pourquoi ?

Lui – Tu as l’air mariée, moi pas. A l’hôtel ils vont croire à un adultère…

Elle – J’ai le choix entre le retour au célibat et une liaison illégitime, c’est ça ?

Ils s’en vont.

Elle – Tu as une drôle de conception du mariage…

Sortie de secours

Lumière sur un couple dans la salle. Il remet son manteau. Elle sort une cigarette.

Elle (enthousiaste) – Alors… ?

Lui (catégorique) – Nul.

Elle (outrée) – Nul ?

Lui – Complètement nul.

Elle – T’as rien compris, alors ?

Lui – Parce qu’il y avait quelque chose à comprendre ?

Elle – Ah ouais, d’accord…

Il lui lance un regard interrogateur.

Elle – Tu te venges…

Lui – Je me venge… ?

Elle – Là j’ai aimé, alors toi tu n’aimes pas… C’est petit, hein ?

Lui – Attends, je n’ai pas aimé, je n’ai pas aimé. Je ne vais pas te dire que j’ai aimé simplement pour te faire plaisir!

Elle – Tu n’as pas dit que tu n’avais pas aimé, tu as dit que c’était nul. Ce n’est pas pareil!

Lui – Je ne vois pas trop la différence…

Elle – C’était nul, j’ai aimé, donc je suis nulle.

Lui – C’est toi qui le dis…

Elle – Ce n’est pas moi, c’est Platon.

Lui – Platon a dit que tu étais nulle  ?

Elle – Ça s’appelle un syllogisme. Toutes les femmes sont mortelles, je suis une femme, donc je suis mortelle.

Lui – Si c’est Platon qui le dit, alors… Moi, c’est ce truc que j’ai trouvé mortel. (Un temps) D’ailleurs, je ne suis même pas sûr qu’il tienne debout, ton syllogisme.

Elle – C’est ça, vas-y, continue…

Lui – Mais qu’est-ce qui t’a plu  ?

Elle – Tout !

Lui – C’est vague.

Elle – Et toi, qu’est-ce que tu n’as pas aimé  ?

Lui – Ecoute, je préfère ne pas rentrer dans les détails. Tu vas encore te vexer…

Elle – Moi, me vexer  ? Attends, je m’en fous que tu n’aies pas aimé ! Moi ça m’a plu, c’est tout. Tant pis pour toi si tu t’es ennuyé…

Silence.

Lui – On ne va pas s’engueuler pour ça…

Elle – Des fois, je me demande ce qu’on fait ensemble.

Il fait un geste vers elle.

Elle – J’espère que la prochaine fois, on aimera tous les deux…

Lui – Ou en tout cas qu’on sera du même avis…

Elle lui lance un regard interrogateur.

Lui (précisant) – Peut-être qu’on s’emmerdera tous les deux.

Elle – Oui… C’est minimaliste, comme vision de l’harmonie du couple…

Ils s’en vont.

Noir.

 Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables  sur : www.comediatheque.com

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Novembre 2011

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-09-3

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