Un petit meurtre sans conséquence

An innocent little murder –  Un pequeño asesinato sin consecuencias –  Um pequeno assassinato sem consequências –  Un picolo omicidio senza conseguenze –  VRAŽDIČKA BEZ NÁSLEDKŮ 

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

3 personnages : 1 homme et 2 femmes OU 2 hommes et 1 femme

De l’adultère involontaire à l’homicide du même nom, il n’y a qu’un pas, aisément franchissable. Plus difficile est de faire disparaître le corps du délit…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


TÉLÉCHARGER
le PDF gratuit
TÉLÉCHARGER
le PDF gratuit
VERSION
1 homme et 2 femmes
VERSION
2 hommes et 1 femme
 

ACHETER LE LIVRE

bbb

Cet ouvrage peut être commandé en impression à la demande sur le site The Book Edition, avec des réductions sur quantité (5% à partir de 4 exemplaires et 10% à partir de 12 exemplaires), livraison dans un délai d’une semaine environ.



 

 


LIRE LE TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE 

Un petit meurtre sans conséquence

De l’adultère involontaire à l’homicide du même nom, il n’y a qu’un pas, aisément franchissable. Plus difficile est de faire disparaître le corps du délit…

Personnages

Alban – Ève – Christelle

Acte 1

Un salon bourgeois-bohème, quelque peu en désordre. Un téléphone portable abandonné par terre sonne dans le vide. Alban arrive, visiblement préoccupé. Il a du sang sur les mains. Il regarde le portable sans le prendre.

Alban – Et merde…

Le portable cesse de sonner. Il sort un mouchoir, prend délicatement le portable avec et le glisse dans sa poche. Il remet à la hâte un peu d’ordre dans la pièce. Il ramasse sur le sol une chemise maculée de sang, qu’il examine effaré.

Alban – Oh, non, ce n’est pas vrai…

On sonne. Il fourre la chemise sous un coussin du canapé. Nouvelle sonnerie.

Alban – J’arrive !

Il disparaît un instant pour aller ouvrir et revient à la suite d’Ève, sa femme.

Ève – Excuse-moi, j’ai encore oublié mes clefs. De toute façon, tout va de travers, aujourd’hui. J’étais commise d’office pour défendre une femme accusée d’homicide volontaire. Tu vas rire. Une bricoleuse qui a découpé son mari en trois morceaux à la scie-sauteuse. Et figure-toi que… (Elle s’interrompt en remarquant qu’Alban ne l’écoute pas) Ça n’a pas l’air d’aller, toi… Tu bloques toujours sur ta nouvelle idée de pièce ?

Alban – Oui, mais ce n’est pas le problème…

Ève – Tu commences à me faire peur. C’est quoi le problème ? Ne me dis pas que ta mère vient dîner ?

Alban – Non, non, rassure-toi…

Il s’assied sur le canapé.

Ève – Dans ce cas, ça ne peut pas être si grave que ça. À propos, qu’est-ce que tu veux manger ? Je n’ai pas trop envie de faire la cuisine… On pourrait commander des sushis, et les manger en regardant la télé, non ?

Alban – Oui… Enfin, non… Je n’ai pas trop la tête à ça, tu vois.

Ève – Je ne savais pas qu’il fallait avoir la tête à ça pour s’enfiler quelques sushis… (Elle s’assied à côté de lui sur le canapé et l’embrasse.) Ce n’est pas comme si je te proposais de me prendre sauvagement, là tout de suite, sur le tapis du salon. (Devant son manque d’entrain) Quel enthousiasme… Je vais commander deux menus d’abord. L’avantage avec les sushis, c’est que ça ne risque pas de refroidir…

Alban – Ce n’est pas comme les cadavres.

Ève marque son étonnement en entendant cette remarque morbide.

Ève – Bon… En attendant la livraison, tu me raconteras tes malheurs et je ferai l’impossible pour te rendre ta joie de vivre… (Elle prend son portable et commence à composer un numéro.) Sucrée ou salée ?

Alban – Quoi ?

Ève – La sauce, pour les sushis ! Sucrée ou salée ?

Alban – Je ne sais pas…

Il se lève et fait les cent pas dans la pièce.

Ève – Une de chaque, comme d’habitude… (À son correspondant) Oui, c’est pour une livraison à domicile. Deux menus California. C’est ça, 9 rue Jules Ferry… Alors une sucrée et une salée. Très bien, merci… (Elle range son portable.) Dans une demi- heure… Allez, viens t’asseoir à côté de moi. Maman va s’occuper de toi… (Elle déplace un coussin pour lui faire une place, aperçoit la chemise ensanglantée qui dépasse et la tire vers elle.) Qu’est-ce que c’est que cette horreur ? Qu’est-ce qui s’est passé ici ? (Voyant le sang sur ses mains) Tu t’es blessé ?

Alban – Non, je… Ce n’est pas ma chemise, et ce n’est pas mon sang non plus…

Ève – C’est le sang de qui, alors ?

Alban – Écoute, Ève, je crois que j’ai tué quelqu’un…

Ève (incrédule) – Tu crois ? Qu’est-ce que tu racontes ?

Alban – Non, en fait… je ne crois pas… J’en suis sûr…

Ève – Mais enfin, Alban, ce n’est pas possible. On ne tue pas quelqu’un comme ça. Regarde, moi par exemple. J’ai souvent eu envie de tuer ta mère, et je ne l’ai pas encore fait. Et tu sais pourquoi ?

Alban – Non…

Ève – Mais parce que je ne suis pas une criminelle, voilà pourquoi ! Je ne suis pas dans la pulsion. Je réfléchis. Je pèse le pour et le contre. Et je me dis que vingt ans de prison, ce serait quand même trop cher payer pour le plaisir que ça me procurerait sur l’instant d’étrangler ta mère.

Alban – Il faut croire que les hommes résistent beaucoup moins bien à leurs pulsions.

Ève – Écoute, Alban, j’en vois tous les jours, des criminels, au Palais de Justice. Et crois-moi, tu n’as pas du tout le profil pour le rôle…

Alban – Je croyais ça, moi aussi… Jusqu’à tout à l’heure.

Ève – C’est une idée pour ta nouvelle pièce !

Alban – Pardon ?

Ève – L’histoire d’une femme qui rentre chez elle après sa journée de boulot, et à qui son mari annonce qu’il a tué son amant ? Tu veux tester ton idée sur moi, c’est ça ?

Alban – Putain, Ève, j’ai tué quelqu’un, comment il faut te le dire pour que tu me crois ?

Ève – C’est qu’il ne suffit pas de se prétendre assassin, tu sais ? Il faut encore le prouver.

Alban – Ah oui… ?

Ève – Si tu savais le nombre de gens qui s’accusent à tort d’un crime qu’ils n’ont pas commis. Tiens, la semaine dernière, au tribunal, je défendais un scout accusé d’avoir assassiné un curé. Et bien tu vas rire, mais il y avait une demi-douzaine d’autres louveteaux qui se vantaient de l’avoir tué aussi… Il a fallu que je me batte pour réussir à convaincre le juge que c’était bien mon client le coupable.

Alban – Bon… Et comment tu t’y es prise ?

Ève – C’est très simple… Il n’y a que lui qui savait sous quel arbre il avait enterré le cadavre du saint homme.

Alban – Et alors ?

Ève – Et alors…? Where is the body ?

Alban – Il est à côté dans la cuisine.

Ève semble soudain se rendre compte de la gravité de la situation.

Ève – Dans la cuisine ? Tu plaisantes…

Alban – Tu veux aller voir ?

Ève regarde en direction de la cuisine, hésite, mais renonce.

Ève – Mais… qu’est-ce qui s’est passé ? Et puis c’est qui, d’abord ?

Alban – C’est… Patrick.

Ève – Patrick ?

Alban – Patrick.

Ève – Oh, non… Pas Patrick…

Alban – Tu aurais préféré que j’assassine quelqu’un d’autre ?

Ève – Oh mon Dieu, Alban… Dis-moi que ce n’est pas vrai…

Alban – J’aimerais bien… Malheureusement…

Ève – C’est une blague, c’est ça ?

Alban – C’est sa chemise que tu as entre les mains. Regarde… Il y a ses initiales gravées sur les boutons de manchette.

Ève jette un regard halluciné sur les boutons de manchette.

Ève – P. S. …

Alban – Patrick Sanchez. D’ailleurs, on ne connaît personne d’autre qui met encore des boutons de manchette à part le jour de son mariage.

Ève – Mais enfin Alban… pourquoi ?

Alban – C’était un accident…

Ève – Un accident ? Tu veux dire… un accident domestique ?

Alban – On peut appeler ça comme ça, oui…

Ève – Développe ! Tu taillais les haies dans le jardin, tu n’as pas vu qu’il était juste derrière en train de pisser, et tu lui as tranché… la carotide ? Si c’est quelque chose comme ça, t’inquiète pas, ce n’est pas un crime. Avec un bon avocat…

Alban – Hélas, ça ne s’est pas vraiment passé de cette façon-là…

Ève – Comment ça s’est passé, alors ?

Alban – Disons plutôt que c’était… un homicide involontaire.

Ève – Comment ça involontaire ?

Alban – On a eu une discussion.

Ève – Une discussion ? Tu veux dire une dispute ?

Alban – Oui, c’est ça… Une dispute, si tu veux…

Ève – Une violente dispute, donc…

Alban – Assez violente pour que je le tue, en tout cas. Mais j’ai déjà l’impression de répondre à un interrogatoire.

Ève – Pardon… Déformation professionnelle.

Alban – Ce qui est sûr, c’est que je l’ai tué.

Ève est effondrée.

Ève – Tout ça c’est de ma faute…

Alban – Quoi ?

Ève – Enfin, pas directement, mais bon…

Alban – Comment ça, c’est de ta faute ?

Ève – Je ne te laisserai pas tomber, Alban. Un crime passionnel, ça se plaide très bien, tu sais.

Alban – Un crime passionnel ? Tu veux dire… moi et Patrick ?

Ève – Tu l’as tué parce que j’ai couché avec lui, c’est ça ?

Alban (sidéré) – Tu as couché avec Patrick ?

Moment de flottement.

Ève – Ce n’est pas pour ça que tu l’as tué ?

Alban – Je ne savais pas que tu avais couché avec lui !

Ève – C’était il y a longtemps…

Alban – Combien de temps ?

Ève – Je ne sais plus… Six mois, environ…

Alban – C’est ça que tu appelles longtemps… Bientôt tu vas me dire qu’il y a prescription, aussi ?

Ève – C’était… un accident.

Alban – C’est ça… Un accident domestique ?

Ève – Ce n’était pas une liaison, Alban… Ça ne s’est produit qu’une fois. Je ne l’ai jamais aimé…

Alban – Ça me rassure beaucoup, en effet… Que tu puisses coucher avec des types que tu n’aimes pas.

Ève – Pas des types ! Il s’agit seulement de Patrick, je t’assure. C’était un simple malentendu ! Patrick ! Non mais tu m’imagines avec Patrick !

Alban – Je te rappelle que c’est mon meilleur ami.

Ève – Je te rappelle que tu l’as tué…

Alban – Et comment c’est arrivé, alors ?

Ève – C’était… un quiproquo.

Alban – Je vois… Un adultère involontaire, en quelque sorte…

Ève – Exactement !

Alban – Je n’ai jamais entendu une explication aussi pourrie. Alors c’est ça ta ligne de défense ?

Ève – Ne renversons pas les rôles, tu veux bien ? C’est toi qui as commis un crime, pas moi. Et maintenant, ça va être à toi de t’expliquer avec la police.

Alban – Parce que tu comptes me dénoncer à la police ?

Ève – Que veux-tu qu’on fasse d’autre ?

Alban – C’est ce que je voulais faire, en effet. Avant que tu arrives. Mais maintenant que je sais que Patrick est ton amant… on ne va jamais croire à l’homicide involontaire !

Ève – Ça va être de ma faute, maintenant ! Et puis ce n’est pas mon amant, comme tu dis. On n’a couché qu’une fois ensemble !

Alban – Quoi qu’il en soit, on croira à une vengeance. À un acte prémédité. Je prendrai perpète !

Ève – On leur expliquera…

Alban – Pour l’adultère involontaire, tu veux dire ?

Ève – Eh ! Moi, je n’ai tué personne, d’accord ?

Un temps.

Alban – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Ève – Comment ça, on ?

Alban – Tu ne vas pas me laisser tomber ? Tu me trompes avec mon meilleur ami, et maintenant que je l’ai tué, tu t’en laves les mains ?

Ève – Quand tu l’as tué, tu ne savais pas encore que j’avais couché avec lui !

Alban – Ne jouons pas sur les mots, tu veux ?

Ève – D’ailleurs, c’est vrai. Pourquoi tu l’as tué, Patrick, au fait ?

Alban – Une histoire stupide.

Ève – Je t’écoute…

Alban – Disons que… Il m’a avoué qu’il n’avait pas du tout aimé ma dernière pièce.

Ève – Ta dernière pièce ? Micro-ondes ?

Alban – D’accord, ce n’était peut-être la meilleure.

Ève – Elle a fait un four.

Alban – Je te remercie d’avoir la délicatesse de me le rappeler…

Ève – Je t’avais dit qu’il fallait changer le titre… Et c’est pour ça que tu l’as tué ? Parce qu’il t’a dit qu’il n’avait pas aimé cette pièce, que de toute façon, tout le monde a trouvé à chier ?

Alban – Il faut croire que ça a réveillé entre nous une rivalité latente depuis des années. On a toujours été en concurrence, avec Patrick. Pour ce qui est des filles, entre autres. Déjà, au lycée…

Ève – Bon, et après ?

Alban – On en est venus au main. Il a glissé et s’est cogné la tempe sur le coin de la table.

Ève – Vu tout ce sang sur la chemise, je pensais plutôt à une blessure par arme blanche.

Alban – Le sang giclait de partout. Par les yeux, par le nez, par les oreilles. Il a convulsé pendant un bon quart d’heure. Et puis plus rien.

Ève – Et tu n’as pas eu l’idée d’appeler le SAMU ?

Alban – Non mais je te dis un quart d’heure, c’était peut-être quelques minutes ou quelques secondes. J’étais paniqué. Tétanisé. Je ne me suis pas rendu compte. Quand je me suis décidé à appeler, c’était déjà trop tard… (On sonne, Alban a l’air inquiet.) Tu crois que c’est eux ?

Ève – Qui ? Le SAMU ?

Alban – La police !

Ève – Si tu ne les as pas appelés…

Alban – Les voisins ont peut-être entendu quelque chose.

Ève – Ah, non, ça doit être Christelle…

Alban – Christelle ? La femme de Patrick ? Mais comment elle serait déjà au courant ?

Ève – Elle n’est pas au courant. Elle m’a appelée il y a une heure. J’avais complètement oublié. Elle voulait me parler de quelque chose d’important. Je lui ai dit de passer…

Alban – On n’ouvre pas.

Ève – Elle va trouver ça bizarre. Je lui ai dit que j’étais là.

Alban – Tu as raison… Alors vas-y, toi. Moi je vais me planquer dans la cuisine.

Ève – Tu ne crois pas qu’on ferait mieux de tout lui dire ? Et qu’on en finisse…

Alban – Lui dire que le cadavre de son mari est allongé sur le carrelage juste à côté, dans une mare de sang ? Tu crois vraiment que c’est la bonne méthode pour lui annoncer qu’elle est veuve ?

La sonnette retentit à nouveau.

Ève – Ok… Je vais essayer de l’expédier, et on avise après.

Alban – Surtout, tu ne la laisses pas entrer dans la cuisine.

Alban part se cacher dans la cuisine. Ève va ouvrir, après avoir remis la chemise sous le coussin.

Ève – J’arrive !

Ève sort et revient un instant après avec Christelle.

Christelle – Excuse-moi de passer comme ça à l’improviste. Patrick n’est pas chez vous, au moins ?

Ève – Patrick ? Quelle drôle d’idée… Non, pourquoi ?

Christelle – Je croyais avoir aperçu son scooter en bas, mais bon. Un scooter ou un autre. Ils se ressemblent tous, non ?

Ève – Si… Oui…

Christelle – Et Alban ?

Ève – Si, si, il est là, mais… il est en train de travailler. Sur sa nouvelle pièce. Et tu le connais, quand il écrit…

Christelle – Je comprends… Surtout après le bide qu’il a fait avec sa dernière pièce… Comment ça s’appelait, déjà ?

ÈveMicro-ondes.

Christelle – C’était évident qu’elle allait faire un four.

Ève – J’imagine que tu n’es pas venue pour me parler de ça…

Christelle – Je suis vraiment désolée de vous déranger. Je sais que ce n’est pas le bon moment, mais c’est important.

Ève – Mais bien sûr, enfin ! Tu ne me déranges pas. Si on ne peut pas compter sur ses amis quand on a besoin d’eux… Tu veux boire quelque chose ?

Christelle – Non, merci, ça ira…

Ève – Tant mieux… (L’autre la regarde un peu surprise) Non, je veux dire… Je t’en prie, assieds-toi… (L’autre s’apprête à s’asseoir sur le canapé, près du coussin sous lequel est cachée la chemise) Euh… non, assieds-toi plutôt là, tiens.

Ève indique à Christelle un tabouret ou un pouf plutôt inconfortable.

Christelle (s’asseyant) – D’accord…

Ève – Non, parce que dans ces canapés, tu sais ce que c’est… On a vite fait de s’endormir. Je suis un peu crevée et… je veux absolument être concentrée pour t’écouter… (Elle prend un siège similaire et s’assied aussi.) Alors qu’est-ce que tu avais de si important à me dire ?

Christelle – Eh bien… Tu ne vas pas le croire… Je viens de découvrir que Patrick me trompe.

Ève – Non ? Et tu ne le savais pas ?

Christelle – Ben… non. Pourquoi, tu le savais, toi ?

Ève – Pas du tout ! Je voulais dire… Et tu sais avec qui ?

Christelle – Pas exactement.

Ève – Tant mieux, tant mieux…

Christelle – Comment ça, tant mieux ?

Ève – Non, je veux dire, est-ce que ce ne serait pas encore pire que tu saches avec qui ?

Christelle – Je ne sais pas…

Ève – Et puis quelle importance, après tout. L’essentiel, c’est qu’il te trompe, non ?

Christelle – Oui… Enfin si, tu as raison. Le pire, ce serait qu’il me trompe avec quelqu’un que je connais.

Ève – Ben oui…

Christelle – Tu imagines ? Tu apprends que ton mari te trompe avec ta meilleure amie ?

Ève – Mais qu’est-ce que tu racontes…?

Christelle – Non mais rassure-toi. Moi, je ne te ferais jamais un truc pareil.

Ève – Merci.

Christelle – En tout cas, c’est fini. Je vais divorcer.

Ève – Ne t’emballe pas trop vite non plus… Ce n’est pas un peu rapide, comme décision ? C’était peut-être un accident…

Christelle – Un accident ? Comment ça ? Tu crois qu’on rentre dans quelqu’un comme ça, toi ? Par inadvertance ? Parce qu’on avait la tête ailleurs ? Après on se contente de faire un constat, et c’est l’assurance qui paye ?

Ève – Non, évidemment, mais…

Christelle – Et en revenant le soir à la maison, le type dit simplement à sa femme : à propos, j’ai oublié de te dire, j’ai eu un petit accident, j’ai embouti la voisine.

Ève – Il a embouti la voisine ?

Christelle – Non, mais j’ai dit ça comme ça ! C’est un exemple. Tu es sûre que ça va, toi ? J’ai l’impression que cette histoire te bouleverse encore plus que moi.

Ève – Je me fais du souci pour toi. Vous étiez un couple tellement… Quand on disait Patrick et Christelle, c’était…

Christelle – Comme de dire Alban et Ève.

Ève – Alors imaginer que vous allez vous séparer…

Christelle – Comme quoi, tu vois ? Rien n’est éternel.

Ève – C’est vrai qu’Adam et Ève, déjà, ça ne s’est pas très bien terminé.

Christelle – En tout cas, plus jamais je ne dormirai sous le même toit que ce salopard.

Ève – Je comprends, bien sûr…

Christelle – Et je compte sur toi pour mon divorce, hein ?

Ève – Tu crois ? Je ne sais pas si… Je vous connais tous les deux, ça pourrait être embarrassant.

Christelle – Tu plaisantes ? C’est toi mon amie ! Patrick, c’est plutôt le pote d’Alban. Nous deux, on se connaissait bien avant de les rencontrer, non ?

Ève – C’est vrai…

Christelle – Tous des porcs, je t’assure… Enfin, je ne dis pas ça pour Alban, évidemment.

Ève – C’est clair.

Christelle – Encore que tous les deux, entre nous, ils font bien la paire, va…

Ève – N’exagère pas non plus… Je t’assure qu’Alban…

Christelle – Attends, il va le sentir passer, ce divorce. Tu es une tueuse, oui ou non ?

Ève – Pardon ?

Christelle – Comme avocate ! Tu es une tueuse, non ? En tout cas, c’est la réputation que tu as.

Ève – Ah bon ?

Christelle – C’est Paloma qui m’a dit ça. Tu sais, tu t’es occupée de son divorce.

Ève – Ah oui ?

Christelle – Mais si ! Elle était mariée avec un dentiste. Un gros cabinet dans le seizième. Apparemment, sur son fauteuil à bascule, ses patientes n’ouvraient pas seulement la bouche pour se faire soigner les dents… Bref, il paraît que son mari, tu l’as laissé à poil.

Ève – Il ne faut rien exagérer… Ce n’est pas exactement le rôle d’une avocate, tu sais… Un divorce, c’est d’abord l’échec d’un projet de vie commune. Nous sommes d’abord là pour rendre cette séparation moins douloureuse…

Christelle – Ne sois pas si modeste. Je sais que tu es une tueuse. Et je te préviens, Patrick, je veux le saigner à blanc.

Alban revient, avec un tablier taché de sang.

Alban – Bonjour.

Christelle – Je te croyais en train d’écrire ta nouvelle pièce à succès…

Alban – Je faisais un peu de cuisine en même temps…

Christelle – Tiens donc…

Alban – Tu sais, l’écriture, ça a beaucoup à voir avec la cuisine… De bon ingrédients au départ. Une bonne recette. Un peu de sel. Un peu de piment. Après, il suffit de laisser mijoter…

Christelle – D’accord… Je ne savais pas qu’en plus, tu étais un cordon bleu… Et c’est quoi, ta spécialité ?

Alban – Le pâté de sanglier.

Ève – Sa fameuse recette secrète. Quand il fait ça, personne n’a le droit d’entrer dans la cuisine…

Alban – Et toi, ça va ?

Ève – Patrick nous a quittés… Je veux dire, Christelle… Elle a décidé de quitter Patrick…

Alban – Non ?

Christelle – Je viens d’apprendre que ce salopard me trompait. Tu étais au courant de quelque chose, toi ?

Alban – Moi ? Mais pas du tout ! Pourquoi j’aurais été au courant de quelque chose ?

Christelle – La solidarité masculine, je sais ce que c’est. Quand il s’agit de fournir un alibi pour un copain. Ou même une chambre d’amis…

Alban – Je t’assure que tu fais fausse route, Christelle… Enfin ! On est amis. Comment tu peux croire que…

Christelle – Excuse-moi, c’est les nerfs… Je commence à dire n’importe quoi.

Ève – Tu vas rester ici un moment, le temps de te calmer un peu. Ensuite tu rentreras te coucher chez toi et on reparlera de tout ça demain. À tête reposée. D’accord ?

Christelle – Chez moi ? Je t’ai dit, il n’en est pas question ! D’ailleurs, je profite que vous êtes là tous les deux pour vous demander un service…

Alban – Oui…?

Christelle – Est-ce que cela vous dérange que je dorme ici, cette nuit ?

Ève – C’est-à-dire que…

Christelle – Demain, je trouverai une solution… Ou j’irai m’installer chez ma mère. Mais ce soir, là… (Elle se met à sangloter) J’ai besoin d’être un peu entourée… Et vous êtes mes seuls amis…

Ève s’approche d’elle pour la consoler.

Ève – Mais oui, évidemment…

Christelle – Je savais que je pouvais compter sur vous… Je me vois mal parler de ça à ma mère tout de suite. Elle détestait Patrick. Elle m’a toujours dit que c’était un homme à femmes. Malheureusement, elle avait bien raison. Mais je n’ai pas envie d’écouter ses leçons de morale pour l’instant. Tandis qu’avec vous…

Ève – Mais bien sûr, on est là. Hein, Alban ?

Christelle – Vous êtes de vrais amis. Ça me touche beaucoup…

Christelle tombe dans les bras d’Ève.

Ève – Ne t’inquiète pas, ça va s’arranger… Enfin, j’espère…

Alban – Je vous laisse entre filles, je vais finir mon pâté…

Ève le regarde partir, horrifiée.

Christelle – Si je l’avais là, en face de moi, je ne sais pas de quoi je serais capable, je te jure… Moi aussi, il me prend des envies de le réduire en chair à pâté, ce porc.

Ève – Allez, ne dis pas ça…

Christelle (essuyant ses larmes) – Je suis vraiment désolée de t’imposer cette épreuve.

Ève – Ça va mieux ?

Christelle – Un peu… Mais je veux bien quelque chose à boire maintenant…

Ève – Euh… Oui… Qu’est-ce que tu veux ?

Christelle – Un verre d’eau du robinet, ça ira très bien. Mais ne te dérange pas, je vais aller me servir à la cuisine.

Ève – Non !

Christelle (surprise) – Ah oui, c’est vrai, j’oubliais… Le pâté de sanglier.

Ève – Ce qu’il te faut, c’est quelque chose de fort, crois-moi.

Christelle – Je ne sais pas si…

Ève – Je t’accompagne. Moi aussi, j’ai besoin d’un petit remontant.

Christelle – Ah oui ?

Ève sort d’un buffet une bouteille et deux verres qu’elle remplit. Ève lève son verre pour trinquer.

Ève – Allez, on ne va pas se laisser abattre, hein ? (Se troublant) On va s’en sortir…

Elle éclate en sanglots, et c’est cette fois Christelle qui s’approche pour la consoler.

Christelle – Je savais que tu étais une amie, mais franchement, je ne pensais pas que ça t’affecterait comme ça…

Ève se reprend.

Ève – Allez, on va trinquer. Ça ne fera pas revenir Patrick, mais ça va nous détendre.

Elle vide son verre, cul sec. Christelle l’imite.

Christelle – Eh ben… Ça réveillerait un mort…

Ève – Si seulement…

Christelle – Qu’est-ce que c’est ?

Ève – De l’alcool de pomme de terre.

Christelle – Ah oui, c’est… On sent bien le… Ça n’a pas trop de goût, en fait, si ?

Ève – Non.

Christelle – En tout cas, ça dégage bien les bronches…

Ève (absente) – Oui…

Silence.

Christelle – Comment j’ai pu être aussi conne…?

Ève – Pardon ?

Christelle – Avec Patrick ! Je n’ai rien vu venir…

Ève – Il va peut-être revenir… C’est juste un cauchemar, tu vas voir, et on va tous se réveiller.

Christelle – Malheureusement, je ne crois pas… Tu me demandais tout à l’heure si je savais qui c’était…

Ève – Qui ?

Christelle – Celle avec qui Patrick m’a trompée !

Ève – Et alors ?

Christelle – Si encore il n’y en avait qu’une…

Ève – Comment ça ?

Christelle – J’ai découvert par hasard, en craquant le mot de passe de son ordinateur soi-disant de boulot, que Patrick avait un compte sur un site de rencontres…

Ève – Un site de…

Christelle – Rencontresanssurlendemain.com… Ce n’est pas avec une femme qu’il me trompe, Ève. C’est avec des centaines !

Ève – Non ?

Christelle – C’est un véritable obsédé sexuel, je te dis. Des vieilles, des jeunes, des grosses, des minces, des blondes, des brunes… Pour ça, il n’est pas difficile. Il tire tout ce qui bouge.

Ève – Ah oui…?

Christelle – Je le découvre, je t’assure… Et si tu voyais leurs chattes…

Ève – Ah parce qu’en plus, il met les photos de…

Christelle – Non, je voulais dire… leurs tchats. Sur ce site de rencontres.

Ève – Bien sûr. Il y a des limites, tout même.

Christelle – Ouais, ben les limites, je peux te dire que Patrick, il les repousse assez loin quand même…

Ève – Non ?

Christelle – Si tu lisais ces conversations, je te jure… Je le découvre, je te dis. Parce qu’avec moi, tu vois, c’est plutôt plan-plan…

Ève – Oui, avec moi aussi… Je veux dire, avec Alban.

Christelle – Méfie-toi. On croit les connaître, et puis un jour…

On entend un bruit de couteau électrique, de taille-haie ou de tronçonneuse…

Ève – Il est en train de tailler les haies…

Christelle – En faisant son pâté de sanglier ?

Le bruit redouble.

Ève – Je ferais peut-être mieux d’aller voir ce qu’il fait… Je te laisse t’installer dans la chambre d’amis ?

Christelle – D’accord. Ne te dérange pas, je connais le chemin… Et encore merci pour tout.

Christelle sort. Alban revient.

Alban – Où est-ce qu’elle est passée ?

Ève – Je l’ai étranglée et je l’ai mise dans la baignoire en attendant. Autant supprimer tous les témoins gênants.

Alban – Tu n’as pas fait ça ?

Ève – Mais non, évidemment ! Et toi ? Tu peux m’expliquer ce qui se passe ? C’est quoi, ce boucan ?

Alban – Je ne pouvais pas le laisser là au milieu de la cuisine.

Ève – Et alors ?

Alban – Je l’ai mis dans le congélo. Le temps qu’on décide ce qu’on fait du corps.

Ève – Et entre-temps, tu as taillé les haies ? Dans la cuisine ?

Alban – Non, mais… comme ça ne rentrait pas en un seul morceau…

Ève – Oh mon Dieu… Mais ce n’est pas possible… Comment on a pu en arriver là, Alban ? J’appelle la police tout de suite.

Elle sort son portable.

Alban – Tu veux m’envoyer en prison ?

Ève – C’est la place des criminels, non ?

Alban – Je te répète que c’était un accident.

Elle se ravise.

Ève – Tu es sûr qu’il est mort, au moins ?

Alban – Tu veux dire : est-ce que je suis sûr qu’il était vraiment mort avant que je le découpe en trois morceaux avec le taille-haie ?

Ève – Je n’aurais jamais pensé entendre ça un jour de la bouche de l’homme que j’ai épousé.

Alban – Tu connais la formule… Pour le meilleur et pour le pire… Il fallait y penser avant.

Ève – Avant quoi ?

Alban – Avant de me tromper avec Patrick, en tout cas…

Ève – Tu es devenu fou, Alban. Tu as besoin qu’on t’aide. Tu le dis toi-même, c’est un homicide involontaire. On plaidera la folie passagère.

Ève compose un numéro.

Alban – Ne fais pas ça…

Ève – C’est la seule solution, je t’assure.

Alban – Tu seras considérée comme complice.

Ève – Et pourquoi ça ?

Alban – Sa femme est là. Tu ne lui as rien dit.

Ève – Mais pourquoi est-ce que je t’aurais aidé à faire ça ?

Alban – Parce qu’il te trompait toi aussi ! Tu voulais te venger.

Ève – Comment ça, il me trompait ?

Alban – Je vous ai entendues tout à l’heure. Je le connais, moi, son compte sur ce site de rencontres…

Ève – Alors tu étais au courant ?

Alban – Tu sais, quand il s’agit de niquer, les hommes sont très vantards… Parfois on se demande même s’ils ne trompent pas leurs femmes juste pour le plaisir de pouvoir se vanter de leur tableau de chasse auprès de leurs copains. C’est leur côté chasseurs…

Ève – Et tu ne m’as rien dit ?

Alban – À quoi ça t’aurait servi de le savoir ? À part de te mettre dans une situation embarrassante par rapport à Christelle…

Ève – Je vois, c’était pour me protéger en somme. Quoi qu’il en soit, moi, je n’avais aucune raison de tuer Patrick.

Alban – Tu trouves…?

Ève – Pourquoi j’aurais fait ça ?

Alban – La jalousie, toi aussi. Comme Christelle…

Ève – Mais tu es dingue…

Alban – Tu croyais être la seule. Tu n’as pas supporté de découvrir que tu n’étais qu’une de ses nombreuses conquêtes. Et quand je t’ai dit que je voulais le tuer, tu m’as aidé. Pour effacer toute trace de ta faute, en quelque sorte.

Ève – Tu es vraiment fou, Alban !

Alban – On est fous tous les deux. Qui se ressemble s’assemble. Je vois d’ici les titres des journaux : « Le couple diabolique dépèce le cadavre du mari de leur meilleure amie, et le garde dans leur congélateur. Avant de dîner tranquillement dans la pièce d’à-côté avec la veuve… »

Ève – Tu raconterais une histoire pareille à la police ! Rien que pour m’entraîner avec toi dans ta chute. C’est monstrueux !

Alban – Mais ce n’est pas moi qui raconterais ça ! C’est ce que pensera le juge. Même si je soutiens que je suis le seul coupable, il sera convaincu que je veux te protéger.

Elle semble déstabilisée.

Ève – Tu crois ?

Alban – Quoi qu’il en soit, ce sera la fin de ta carrière d’avocate. Comment confier son divorce à quelqu’un qui découpe ses amants au taille-haie ?

Ève – Tu as raison, malheureusement…

Alban – Et puis tu te vois raconter au juge que tu m’as trompé par inadvertance ?

Ève – Mais c’est pourtant vrai, je t’assure !

Alban – Un adultère involontaire ? Raconte-moi ça, pour voir si moi, tu arrives à me convaincre…

Ève – C’était le week-end où tu étais parti à Lille pour la première de Micro-ondes, justement. Moi j’avais dû aller à Bordeaux pour un procès qui finalement a été reporté.

Alban – Dis plutôt que tu ne voulais pas assister à ce naufrage…

Ève – Quoi qu’il en soit, on n’était là ni l’un ni l’autre. Et la maison était supposée être vide.

Alban – Patrick m’avait demandé de lui laisser les clefs, pour retrouver une de ses conquêtes. Alors c’était toi ?

Ève – Mais pas tout ! Je suis rentrée en pleine nuit à l’improviste. Je ne savais pas que tu lui avais prêté la maison… et notre lit conjugal, pour coucher avec une de ses maîtresses !

Alban – C’est le seul lit à deux places de la maison… Et alors ?

Ève – Alors je me suis mise au lit directement en rentrant.

Alban – Avec Patrick…

Ève – J’ai bien vu qu’il y avait quelqu’un dans le lit, mais j’ai pensé que c’était toi ! Je me suis dit que finalement, tu avais décidé de rentrer dans la nuit aussitôt après ta première. Comme je savais que ce serait un bide, ça ne m’a pas étonnée…

Alban – Merci…

Ève – Je n’ai pas fait de bruit pour ne pas te réveiller.

Alban – Mais finalement, ton partenaire s’est réveillé malgré tout.

Ève – La pétasse de Patrick était repartie au milieu de la nuit, probablement. Et apparemment, lui, il avait envie de remettre le couvert.

Alban – Donc tu as joué les remplaçantes, en quelque sorte. Tu es rentrée sur le terrain à la mi-temps, quoi…

Christelle – Il a dû me prendre pour elle. Ce n’est que le lendemain matin que je me suis rendu compte que ce n’était pas toi, dans le lit. Même si ça m’avait quand même un peu étonnée.

Alban – Pourquoi, c’était mieux que d’habitude ?

Ève – Je n’ai pas dit ça… Disons que ce n’était pas pareil… Et puis je ne comprenais pas pourquoi tu tenais tellement à m’appeler Alexandra 69.

Alban – Il t’a sorti le grand jeu, c’est ça ?

Ève – Disons que… je n’étais plus habituée…

Alban – Tu te fous de moi, en plus…

Christelle revient.

Christelle – Excuse-moi… Tu pourrais me prêter une brosse à dents ? Je suis partie comme une folle. Je n’avais pas prévu…

Alban – En tout cas, cette nuit, évite de te tromper de lit… On ne sait jamais…

Christelle – Euh oui…

Alban – Je vous laisse… Vous devez avoir des tas de choses à vous raconter… Des expériences à partager…

Il sort.

Christelle – Qu’est-ce qu’il a voulu dire ?

Ève – Je ne sais pas… Enfin si…

Christelle – Quoi ?

Ève – Il m’accuse de l’avoir trompé.

Christelle – Et… c’est vrai ou pas ?

Ève – C’était un adultère… involontaire.

Christelle – Un adultère involontaire…? C’est une blague ?

Ève – Non.

Christelle – Ah bon…

Ève – Je suis rentrée chez moi un jour. Il y avait un homme dans mon lit. Ce n’est que le lendemain matin que je me suis rendu compte que ce n’était pas mon mari…

Christelle – Tu déconnes ?

Ève – Pas du tout.

Christelle – À qui tu veux faire croire ça, Ève ? Pas à ton mari, j’espère…

Ève – Tu as raison… C’est complètement invraisemblable.

Christelle – C’est dommage, d’ailleurs. Tu imagines ? Le plaisir sans la culpabilité.

Ève – Et sans le châtiment…

Christelle – Et ça valait le coup, au moins ?

Ève – Je…

Christelle – Tromper sans le savoir, ce n’est pas vraiment tromper. (Elles partent toutes les deux d’un rire nerveux, mais Christelle reprend soudain son sérieux) Oui… Mais si Patrick osait me raconter une histoire aussi débile, c’est qu’il me prendrait vraiment pour une conne…

Ève – Ah oui… Mais… Tu ne crois pas que dans un couple, il faut aussi savoir pardonner ?

Christelle – Pardonner ? Je t’assure que je pourrais le tuer.

Ève – C’est une façon de parler, j’imagine.

Christelle – Tu n’as jamais pensé à tuer quelqu’un, toi ?

Ève – Ma foi…

Christelle – Si Alban te trompait, par exemple, tu pourrais le tuer ?

Ève – Pourquoi ? Tu as des informations particulières à ce sujet ?

Christelle – Non, non, pas du tout…

Ève – Et… Et toi, alors, tu n’as jamais trompé Patrick ?

Christelle – Non… Enfin… Ça dépend ce qu’on appelle tromper.

Ève – Ah oui ?

Christelle – Je veux dire, techniquement…

Ève – Je vois… Est-ce que sucer, c’est tromper ? Ce genre de choses…

Alban revient.

Alban – Bon… On va pouvoir passer à table.

Ève – Passer à table ? Tu es décidé à faire des aveux complets ?

Alban – Je parlais seulement du dîner…

Christelle – Ah oui, c’est vrai… Le pâté de sanglier…

Ève – Je vais me rafraîchir un peu…

Ève sort. Silence embarrassé.

Christelle – Tu ne lui as pas dit ?

Alban – Quoi ?

Christelle – Pour notre petit dérapage, l’année dernière au Jour de l’An.

Alban – Mais pas du tout ! Pourquoi ?

Christelle – Je ne sais pas… Je la trouve bizarre…

Alban – Ce n’est pas ça, je t’assure.

Christelle – Non, parce qu’on n’en a jamais reparlé… J’étais un peu bourrée. Toi aussi… Mais ça ne voulait rien dire, on est bien d’accord ? C’était juste… un petit accident.

Alban – Oh, non… Tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi, avec tes accidents…

Christelle – Excuse-moi d’avoir reparlé de ça, je n’aurais pas dû…

Alban – J’ai déjà oublié…

Ève revient, avec un air un peu perturbé.

Ève – Alors on le bouffe, ce sanglier ?

La sonnette retentit.

Alban – Qui ça peut bien être…?

Ève – La police ?

Christelle, intriguée par leur comportement bizarre, leur lance un regard inquiet.

Alban – J’y vais… Si je ne suis pas revenu dans cinq minutes, préviens mon avocate…

Ève lance un regard entendu à Christelle pour la rassurer.

Ève – C’est un petit jeu entre nous.

Christelle – D’accord…

Ève – Tu aimes le sanglier ?

Christelle – Oui, enfin…

Alban revient avec un paquet.

Alban – C’était les sushis.

Ève – Ah oui, c’est vrai, j’avais complètement oublié.

Christelle – Parce que vous avez aussi commandé des sushis ?

Moment d’embarras.

Noir.

Acte 2

Christelle – Félicitations pour ton pâté, Alban. C’était vraiment délicieux.

Alban – Merci… Désolé pour le plomb sur lequel tu as failli te casser une dent. On a beau faire attention, il en reste toujours un ou deux.

Christelle – Pas facile de faire disparaître toute trace de son crime, hein ? Mais je ne savais pas que tu étais chasseur…

Ève – Non, c’est curieux, moi non plus…

Alban – De nos jours, c’est une chose dont on évite de se vanter.

Christelle – Donc, c’est bien toi qui l’as tué, ce pauvre sanglier ?

Alban – Oh, tu sais, je débute… Je ne suis pas vraiment un bon coup.

Christelle – Oui, je confirme…

Alban – Je voulais dire, je ne suis pas un bon fusil. À la chasse…

Christelle – Remarque, un sanglier, c’est quand même assez gros. Il n’y a pas besoin d’être une fine gâchette, si ?

Alban – En fait, c’était plutôt… un accident.

Christelle – Un accident ? Tiens donc…

Alban – Je rentrais bredouille d’une partie de chasse… Avec Patrick, justement. Et en revenant, sur la route, ce sanglier a traversé juste sous mes roues.

Christelle – Un sanglier dépressif, peut-être. Il aura voulu en finir avec sa vie de porc…

Alban – Oui, sans doute…

Christelle – Eh ben… On peut dire que tu ne manques pas d’air…

Alban – Pardon ?

Christelle – Non, je veux dire, tu fais beaucoup d’activités de plein air… La chasse, le golf…

Ève – Tu joues aussi au golf ?

Alban – Oui, je m’y suis un peu remis…

Christelle – Et… tu joues vraiment au golf avec Patrick, ou c’est juste un alibi que tu lui fournissais pour ses galipettes avec ses maîtresses ?

Alban – Non, non, on joue vraiment au golf, je t’assure. C’est un très bon joueur, d’ailleurs…

Christelle – Oui… D’après ce qu’il me dit, il y a un très beau 18 trous en forêt de Fontainebleau…

Ève – Il faudra que tu m’emmènes, un jour, hein, Alban ? Je m’essayerais bien au golf, moi aussi.

Christelle – En tout cas, tu me donneras la recette de ton pâté de sanglier. Ah non, c’est vrai, pardon… Ça aussi, c’est un secret…

Silence embarrassé.

Ève – Encore un peu de salade ?

Christelle – Merci, vraiment… Je ne peux plus rien avaler…

Alban – Si tu veux aller te reposer, n’hésite pas.

Christelle – Avec ce qui m’arrive, je ne suis pas sûre d’arriver à dormir tout de suite… Mais ça fait du bien de savoir que dans des cas comme ça, on peut compter sur ses amis.

Ève – Tu es ici chez toi, Christelle…

Alban – Un petit dessert ?

Ève – On a des eskimos dans le congélo…

Christelle – Merci, ça ira… Je vais aller me laver les mains, si tu permets…

Elle se lève.

Alban – Dans la salle de bain, plutôt, la cuisine est un peu en désordre…

Elle sort. Alban se ressert du pâté.

Ève – Ça va, tu as l’air de prendre ça du bon côté… En tout cas, ça ne te coupe pas l’appétit…

Alban – Ça aiderait à quelque chose si je me laissais mourir de faim ?

Ève – Qu’est-ce qui t’as pris de lui dire que tu étais chasseur ?

Alban – Je ne sais pas… Ça m’est venu comme ça… Il fallait bien que j’invente quelque chose… pour éviter qu’elle aille dans la cuisine.

Ève – Et ce pâté ? C’est quoi, exactement ? Où est-ce que je ferais mieux de ne pas poser la question…

Alban – Non, non… Ça c’est vrai… C’est du pâté de sanglier…

Ève – Il faudra qu’on reparle du golf, aussi, parce que ce golf-là ne me semble pas très clair…

Alban – Mais je n’ai rien à cacher…

Ève – À part un cadavre… Je réitère ma question une dernière fois : ce n’est pas une blague ? Parce qu’elle serait vraiment de mauvais goût. Je te rappelle que la veuve est dans la pièce à côté…

Alban – Va jeter un œil dans le congélo, si tu veux. Mais je te préviens, ce n’est pas beau à voir.

Ève – Je ne veux rien voir. Et je ne veux rien savoir.

Alban – Tu pourras difficilement dire que tu ne savais pas… On ne parle pas de bébés congelés, là. Planqués entre deux piles de steaks hachés. Mais d’un type d’un mètre quatre-vingt-quinze, réparti en trois tronçons de soixante-cinq centimètres…

Ève – Mais tu es un monstre… Recel de cadavre, tu sais combien ça coûte ? Tu veux que je passe les plus belles années de ma vie en prison ?

Alban – On est dans la même galère, Ève. Il faut que tu m’aides !

Christelle revient.

Christelle – Je vais lui passer un coup de fil.

Ève – Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée.

Christelle – Il va bien falloir qu’il sache que je le quitte !

Ève – Tu ne veux pas réfléchir encore un peu ?

Christelle – C’est tout réfléchi, je t’assure. Jamais je ne lui pardonnerai ce qu’il m’a fait.

Alban – Mais pour ce qui est de lui parler, ça peut peut-être attendre demain, non ?

Christelle – S’il ne me voit pas rentrer ce soir, il va se demander où je suis passée. Il va prévenir la police.

Ève – Ah oui, dans ce cas… Il vaut peut-être mieux le prévenir.

Alban – Dans l’état où il est, ça m’étonnerait qu’il appelle la police, mais bon…

Christelle – Dans l’état où il est ?

Alban – Je veux dire… Il se doute peut-être déjà de quelque chose, et il n’est sûrement pas très à l’aise avec tout ça.

Ève – Tu ne préfères pas rentrer chez toi, tout simplement ? Demain, il fera jour…

Christelle – Jamais je ne pourrai dormir une nuit de plus sous le même toit que ce salaud.

Ève – Tu crois que tu es en état pour lui parler ?

Christelle – Non mais rassure-toi, je ne vais pas commencer à discuter avec lui de la vente de la maison et de la garde du chien. Je lui dirai de contacter mon avocate. C’est-à-dire toi.

Alban – Alors c’est toi qui vas t’occuper du divorce ?

Ève – Je ne sais pas… Oui… Christelle me l’a demandé…

Alban – Bon… Si tu tiens à lui téléphoner maintenant… tu veux qu’on te laisse seule ?

Ève – Si tu veux être tranquille, tu peux aller dans la…

Alban – Pas dans la cuisine en tout cas.

Christelle – Vous ne me dérangez pas, au contraire.

Elle compose le numéro. On entend sonner dans la pièce à côté.

Christelle – C’est curieux, on dirait que ça sonne à côté…

Alban – Ça doit être le mien.

Christelle – Eh bien tu ne réponds pas ?

Alban – Si, si… J’y vais…

Il sort, sous le regard intrigué d’Ève.

Christelle – Ça sonne dans le vide…

Ève – Oui… Ça ne m’étonne pas.

Christelle – Pourquoi tu dis ça ?

Ève – S’il a vu ton numéro s’afficher, et qu’il sait pourquoi tu l’appelles et… il préfère peut-être ne pas répondre.

Christelle – C’est lui… Patrick ? Je sais tout. Tout quoi ? Bien sûr, fais l’innocent, en plus. Oui, ton golf à 18 trous, c’est ça. Comment tu te fais appeler, déjà sur rencontresanssurlendemain.com ? Ah oui, Patrick 327. Il faut croire qu’il y déjà pas mal de connards de ton espèce sur ce site, qui ont aussi un prénom de beauf. Espèce de salaud ! Alors c’est tout ce que tu trouves à dire ? Pauvre type. C’est fini, Patrick 327. La prochaine fois que tu auras quelque chose à me dire, adresse-toi à mon avocate. Tu la connais très bien, c’est Ève. Oui, Ève ! La femme d’Alban, ton meilleur pote. Ça te la coupe, hein ? Allez, bonne soirée, connard ! (Elle range son portable) Ça fait du bien de vider son sac…

Ève est sidérée.

Ève – C’était qui ?

Christelle – Comment ça, c’était qui ? Ben lui. Qui veux-tu que ce soit ?

Ève – Patrick ? Et qu’est-ce qu’il a dit ?

Christelle – Pas grand chose. Que veux-tu qu’il dise ? Mais il avait une drôle de voix. Je crois que je vais prendre une aspirine. J’ai une migraine qui commence… Je peux te prendre un peu d’eau dans la salle de bain ?

Ève – Vas-y.

Christelle – Le salopard…

Christelle sort. Alban revient.

Alban – Ça va ? Qu’est-ce qui se passe ?

Ève – Tu t’es bien foutu de moi !

Alban – Quoi ?

Ève – Christelle. Elle vient de parler à Patrick au téléphone.

Alban – C’était moi.

Ève – Pardon ?

Alban – Le portable de Patrick ! Il était dans sa poche, alors évidemment, il y est resté… C’est moi qui ai répondu, pour ne pas éveiller les soupçons…

Ève – Non ? Alors c’est pour ça qu’elle me disait qu’il avait une drôle de voix.

Alban – J’ai fait comme à la télé. J’ai parlé à travers un mouchoir.

Ève – Tu es un grand malade…

Alban – Comme ça, on aura un alibi. Je ne peux pas l’avoir tué il y a une heure ici, puisqu’elle vient de lui parler au téléphone.

Ève – À moins que la police n’ait l’idée de géolocaliser l’appel. Et qu’ils découvrent qu’il venait de notre cuisine.

Alban – Tu crois qu’ils pourraient faire du zèle à ce point-là ?

Ève – On parle d’un crime quand même.

Silence. Alban fait mine de se mettre à pleurer.

Alban – Si tu savais comme je regrette… Si je pouvais revenir une heure en arrière… Malheureusement, ce n’est pas possible…

Christelle – Tu l’as vraiment tué parce qu’il n’avait pas aimé ta pièce ?

Un temps.

Alban – Non… Pas seulement…

Ève – Alors pourquoi ?

Un temps.

Alban – Il m’a avoué qu’il avait couché avec toi.

Ève – D’accord… Et pourquoi tu ne me l’as pas dit tout de suite ?

Alban – Je voulais voir si tu m’en parlerais spontanément…

Ève – Donc, tu ne l’as pas cru non plus lorsqu’il t’a dit que c’était un simple malentendu.

Alban – Patrick ne m’a pas dit que pour lui, c’était un malentendu. C’est bien ça le problème…

Ève – Le salaud… Je vais le tuer !

Alban – Je l’ai déjà fait… Je te demande seulement de m’aider à me débarrasser du corps. Si tu m’aimes… Tu m’aimes ?

Ève – Bien sûr que je t’aime. Comment tu peux en douter ?

Alban – Je te crois.

Ève – Et moi ? Tu me crois si je te dis que j’ai couché avec lui par erreur ?

Alban – J’essaie… Avoue que ce n’est pas facile…

Ève – Qu’est-ce que je pourrais faire pour te prouver à quel point je t’aime…

Alban – Tu en as déjà fait beaucoup. Mais tu as raison, je n’ai aucune chance de m’en sortir. Et je ne veux pas t’entraîner avec moi en prison comme complice. Je vais appeler la police.

Ève – Non, attends !

Alban – Quoi ?

Ève – Je ne veux pas que tu ailles en prison pour des années.

Alban – Mais alors qu’est-ce qu’on fait ?

Ève – Je vais t’aider à faire disparaître Patrick…

Alban – Et comment on fait ça ?

Ève – Crois-moi, en tant qu’avocate, beaucoup de clients m’ont confié leurs petits secrets. Et j’ai appris quelques méthodes assez simples pour faire passer le corps d’un type de presque deux mètres dans le tuyau d’évacuation d’une baignoire, après une bonne nuit dans un bain de soude.

Alban – Bon…

Ève – Mais il va d’abord falloir se débarrasser d’elle.

Alban – Se débarrasser d’elle ?

Ève – Je veux dire ne plus l’avoir dans les pattes !

Alban – Tu m’as fait peur…

Christelle revient.

Christelle – Vous en faites une tête. Il y a un problème ?

Ève – Non, non, pas du tout.

Christelle – J’ai essayé de m’allonger un peu, mais je n’arrive pas à dormir.

Alban – Et si on prenait un verre pour se détendre un peu ?

Christelle – Je ne sais pas, avec les cachets que j’ai pris… Il vaut mieux ne pas mélanger, non ?

Ève – Allez, un petit digestif, ça n’a jamais fait de mal à personne.

Christelle – C’est vrai que ce sanglier m’est un peu resté sur l’estomac… C’est bon, mais… c’est un peu lourd, non ?

Ève sert trois verres, et glisse discrètement un cachet dans l’un d’eux.

Alban – Ah tu as ressorti l’alcool à brûler…

Christelle – L’alcool de patate…

Ève – C’est une spécialité de Beaucon-les-deux-Châteaux.

Christelle – Beaucon-les-deux-Châteaux ?

Alban – Ève a un oncle qui habite là-bas. Un ecclésiastique. Il distille ça la nuit avec un alambic clandestin dans la crypte de son église.

Christelle, ailleurs, ne les écoute que d’une oreille.

Christelle – Je ne sais pas où il pouvait bien recevoir ses maîtresses.

Alban – Il y a des hôtels partout, tu sais.

Christelle – Il était tellement radin. Ça m’étonnerait. D’ailleurs, je suis persuadée que s’il s’est inscrit sur ce site, c’est juste pour ne pas avoir à payer des putes. Parce que crois-moi, à voir les photos de ses conquêtes, il n’était pas très regardant sur la marchandise…

Ève – Merci…

Christelle lui lance un regard intrigué.

Alban – Mais pourquoi tu parles de lui au passé ?

Christelle – Pardon ?

Ève – Tu as dit : il était tellement radin.

Christelle – Parce que pour moi, il est mort.

Ève – Allez, ne dis pas ça…

Christelle – Ou alors, c’est un ami qui lui prêtait son appartement… Dans ces cas-là, les hommes sont très solidaires, hélas. Je ne dis pas ça pour toi, Alban, bien sûr…

Alban lui ressert un verre.

Alban – Allez, tu te fais du mal… Bois un petit coup, plutôt.

Christelle – Je ne sais pas ce que j’ai… Tout à l’heure, je n’arrivais pas à fermer l’œil, mais là, j’ai un gros coup de barre… Je crois que je vais aller dormir…

Elle tombe par terre.

Alban – Ses cachets lui ont fait de l’effet, finalement…

Ève – C’est surtout les somnifères que j’ai rajoutés dans son verre.

Alban – Tu n’as pas fait ça ?

Ève – Maintenant on est tranquilles pour se débarrasser du corps.

Alban – Le sien ?

Ève – Celui de Patrick ! Aide-moi, on va la mettre dans la chambre d’amis. Elle se réveillera demain matin, et elle sera officiellement veuve.

Alban – On lui aura même évité les complications d’un divorce.

Ève – Finalement, c’est un service qu’on lui rend.

Ils la tirent par les pieds en coulisse, et reviennent aussitôt.

Alban – Et pour Patrick, comment on fait ?

Ève – La soude, ça risque d’être un peu long.

Alban – Surtout si Christelle veut prendre un bain demain matin…

Ève – Tu as raison…

Alban – On va répartir Patrick dans trois sacs poubelles. Et on va l’emmener faire un tour en forêt…

Ève – Ou dans un zoo. J’ai déjà vu faire ça dans un film… On le balance dans la cage aux fauves, et ni vu ni connu.

Alban – Tu te vois passer la sécurité du Zoo du Bois de Vincennes avec trois sacs poubelles ?

Ève – On pourrait enjamber la clôture de nuit ?

Alban – Le Bois de Vincennes, ça fera l’affaire. J’ai une pelle dans la cabane de jardin.

Ève – Et pour… Patrick, tu veux que je t’aide ?

Alban – J’ai déjà fait le plus gros, je m’en charge. C’est vraiment trop salissant…

Ève – Comme tu voudras…

Il sort.

Ève – J’espère que je ne suis pas en train de faire une bêtise, mais bon… Il est trop tard pour reculer. Allez, un petit dernier pour la route…

Elle se sert un nouveau verre et le vide cul sec. Son portable sonne.

Ève – Allo… (Interloquée) Patrick ? Si c’est une blague, elle est de très mauvais goût. C’est toi Alban ? Pardon, Patrick, c’est vraiment toi ? Non, non, je ne suis pas étonnée, mais… Enfin, si, un peu, quand même… Ah, tu as oublié ton portable ici. Oui, il m’a parlé de votre… discussion… Mais pourquoi tu as été lui raconter ça ? Bon, maintenant c’est fait… Il fallait bien que ça sorte un jour… Ok, je lui dirai… C’est ça. Merci d’avoir appelé. Au fait, tu as parlé à Christelle ? Oui, je crois qu’elle se doute de quelque chose. On peut dire ça comme ça… Ok, salut Patrick… (Elle raccroche) Le salopard, il s’est bien foutu de moi…

Alban revient, avec des sacs poubelles.

Ève (comme si de rien n’était) – Alors ça y est ?

Alban – Oui. Ça m’a pris un peu de temps, avec le gel, les morceaux commençaient à coller au fond du congélo… J’ai dû y aller au pic à glace…

Ève – Pauvre Patrick… Ça me fait tout drôle de le voir comme ça, en partance pour le grand recyclage…

Alban – En tout cas, je ne sais pas comment te remercier. C’est une preuve d’amour incroyable.

Ève – Tu me pardonnes pour cet adultère involontaire, alors ?

Alban – Bien sûr… Tu m’as montré à quel point tu m’aimais.

Ève – Et moi je te pardonne d’avoir mis ton meilleur pote dans mon lit, sans me le dire, d’accord ?

Alban – J’ai encore deux sacs à prendre.

Ève – Je vais t’aider…

Alban – Tu es sûre ?

Ève – Comme tu disais tout à l’heure… Pour le meilleur et pour le pire…

Ils sortent. Christelle arrive, dans un état second.

Christelle – Vous êtes là ? Qu’est-ce que j’ai foutu de mon téléphone, moi ?

Elle regarde les sacs poubelles avec curiosité. En cherchant son portable, elle trouve la chemise maculée de sang avec les boutons de manchette sous le coussin du canapé… Intriguée, elle sort peu à peu de sa torpeur. Elle ouvre un sac et le referme aussitôt, horrifiée… Les deux autres arrivent avec les deux autres sacs.

Alban – Christelle, mais qu’est-ce que tu fais là ?

Ève – Tu ne dors pas ?

Christelle – Non… Enfin, si… J’avais juste oublié mon portable…

Alban – On s’apprêtait à sortir les ordures…

Christelle – Je vais me recoucher. Ne vous occupez pas de moi…

Elle sort, visiblement apeurée.

Alban – Tu crois qu’elle se doute de quelque chose ?

Ève – On devrait peut-être la zigouiller aussi, non ?

Alban – Je ne te savais pas prête à tuer pour moi. Ça me ferait presque peur…

Ève (exaltée) – Tu connais la chanson de Piaf ? L’Hymne à l’Amour ! (Chantant) Je trahirais ma patrie, je renierais mes amis, si tu me le demandais.

Alban (inquiet) – Écoute, il faut que je t’avoue quelque chose…

Ève – Ne me dis pas que tu as encore tué quelqu’un !

Alban – Non, justement… Enfin, si, mais…

Ève – Pauvre Patrick… C’était un ami, tout de même. J’aimerais bien lui dire un dernier adieu. Dans quel sac tu as mis la tête ?

Alban – Si j’étais toi je ne ferais pas ça…

Ève – Je crois qu’il faut qu’on discute un peu, tu ne crois pas…?

Alban – Ok, ce n’est pas Patrick, dans les sacs poubelles.

Ève – Comment ça, ce n’est pas Patrick ? Parce que tu as tué quelqu’un d’autre ?

Alban – Non, je veux dire, je n’ai tué personne… Comment est-ce que tu as pu croire ça ?

Ève – Je commence à ne plus être sûre de rien… (Elle ouvre un sac et son sourire se fige) Non… Mais quelle horreur… Alors tu as vraiment tué quelqu’un ?

Alban – Mais non ! Enfin si, mais…

Ève – Qu’est-ce que c’est que ça ?

Alban – Le sanglier…

Ève – Le sanglier ? Mais enfin, Alban, tu n’es pas chasseur… ou est-ce que c’est encore une chose que tu m’aurais cachée ?

Alban – Je ne chasse pas, je te rassure. Mais l’histoire du sanglier, c’était vrai.

Ève – Sans blague… Je serais curieuse d’entendre ça…

Alban – J’étais avec Patrick, justement. On avait joué au golf.

Ève – Le golf, maintenant… Ne me dis pas que pendant la partie, entre le dix-septième et le dix-huitième trou, tu as tué un sanglier avec une balle de golf ?

Alban – On rentrait du golf, en voiture. En pleine forêt, on a percuté un sanglier. On a même failli se tuer, figure-toi. Parce qu’un sanglier de 200 kilos, à 90 kilomètres heure, je peux te dire que ça fait des dégâts, même quand on a un gros quatre-quatre.

Ève – Oui, j’imagine…

Alban – On a fait une sortie de route… Patrick était légèrement sonné.

Ève – Et alors ?

Alban – Comme il était encore vivant, j’ai décidé de l’emmener chez un vétérinaire.

Ève – Patrick ?

Alban – Le sanglier ! On l’a mis dans le coffre. Seulement, en arrivant chez le véto, il avait succombé à ses blessures.

Ève – Qui ?

Alban – Le sanglier !

Ève – D’accord…

Alban – Comme il était dans le coffre de toute façon, on ne savait pas quoi en faire. C’est alors que Patrick a eu l’idée d’en faire du pâté…

Ève – Brillante idée… Mais alors pourquoi tout ce cirque ?

Alban – En découpant la bête, Patrick m’a avoué qu’il avait couché avec toi…

Ève – Dépecer cette carcasse de sanglier, ça a dû l’inspirer… Et qu’est-ce qu’il t’a raconté, alors ? Parce que lui, il savait qu’il était dans le lit de son copain, tout de même.

Alban – Oui, c’est pour ça qu’il culpabilisait. Il voulait soulager sa conscience.

Ève – Sa conscience ? Patrick ?

Alban – Tu as raison, je crois qu’il voulait surtout m’humilier… Tout en s’abritant derrière le fait que c’était un adultère involontaire… comme tu dis.

Ève – Et alors ?

Alban – Il a fini par m’avouer qu’il savait très bien ce qu’il faisait… et toi aussi, probablement…

Ève – Le salaud… Je te jure que…

Alban – Bref, on en est venus aux mains.

Ève – D’où le sang sur la chemise…

Alban – Non, ça c’est le sang du sanglier, quand on l’a mis dans le coffre…

Ève – Je vois…

Alban – Après, on s’est réconciliés. Je lui ai prêté une autre chemise et il est parti.

Ève – Et après ?

Alban – Quand tu es arrivée, c’est à toi que j’en voulais. De ne pas me l’avoir dit. Je me suis senti trahi. Trompé.

Ève – Pardon. Mais je te jure que moi, je ne savais pas…

Alban – C’est alors que j’ai eu cette idée. Ça m’est venu comme ça. Dépecer cette pauvre bête, ça m’a mis dans un état second. J’avais trouvé la recette dans Femme Actuelle

Ève – Dans Femme Actuelle ?

Alban – Pour te punir. Je t’ai dit que je l’avais tué. Pour voir comment tu réagirais. Et après, ça s’est enchaîné…

On entend une sirène de police. Ève voit la chemise qui dépasse d’un sac.

Ève – Ça doit être Christelle… Elle a vu les sacs et la chemise… Elle a dû appeler la police…

On frappe violemment à la porte. Christelle arrive, un grand couteau à la main.

Christelle – Ne m’approchez pas, bande de malades…

Ève – Calme-toi, on va tout t’expliquer. C’est juste une plaisanterie stupide…

Alban – Ce n’est pas Patrick, dans ces sacs poubelle, je t’assure.

Christelle – Pas un geste, ou je tire !

Alban – C’est un couteau…

Ève – J’en ouvre un, tiens, tu jugeras par toi-même.

Elle lui montre le contenu d’un sac.

Christelle – Mais qu’est-ce que c’est que cette horreur ?

Alban – C’est un sanglier ! Regarde ! Il y a plein de poils.

Christelle – Patrick aussi, il avait plein de poils !

Ève – Pas à ce point-là…

Christelle – Comment tu le sais ?

Voix off – Police !

Alban – C’est toi qui les as appelés. Il vaut mieux que ça soit toi qui leur expliques.

Ève – Ça ne va pas être facile…

Christelle – Ok…

Christelle sort.

Alban – Je suis désolé. C’était stupide de ma part. Mais je me sentais trahi…

Ève – C’est de ma faute… J’aurais dû tout te dire immédiatement. Mais bon, je craignais que tu ne me crois pas…

Alban – On a été idiots tous les deux.

Ève – Comme quoi ce n’est jamais une solution de mettre la poussière sous le tapis… Ça finit toujours par vous revenir dans la gueule…

Alban – Oui. C’est pour ça que tu ferais mieux de lui dire, toi aussi.

Ève – Quoi ?

Alban – À Christelle ! Pour Patrick.

Ève – De toute façon, il la trompe avec tout ce qui bouge.

Alban – Oui, mais toi, tu es sa meilleure amie…

Christelle revient.

Christelle – Tout est arrangé, ils sont repartis. Excusez-moi, je ne sais pas ce qui m’a pris.

Ève – On est tous un peu perturbés, ce soir… Ça doit être la pleine lune…

Christelle – Je ne savais pas que c’était la pleine lune.

Ève – En tout cas, si ça n’est pas la pleine lune, ça lui ressemble.

Alban – Je vous laisse, je crois que vous avez des choses à vous dire…

Alban sort.

Christelle – Qu’est-ce qu’il a voulu dire ?

Un temps.

Ève – J’ai couché avec Patrick.

Christelle – Quoi ?

Ève – Je te jure, c’était… totalement involontaire.

Christelle – Alors l’histoire que tu m’as racontée tout à l’heure, c’était toi… et Patrick ?

Ève – Je voulais te le dire depuis longtemps, mais je ne savais pas comment.

Christelle – Mais comment c’est possible ?

Ève – Ce salopard d’Alban lui prêtait notre lit conjugal pour ses rendez-vous galants…

Christelle – Ok, je te crois… Et je ne veux pas en savoir plus… Tu es ma meilleure amie, non ?

Ève – Merci, Christelle.

Christelle – Il nous arrive à toutes de faire des erreurs, quand on a un peu trop bu.

Ève – Moins j’étais tout à fait à jeun.

Christelle – Bon, ce n’est pas la question. C’est Patrick, le salaud. Il vaut mieux que je ne l’ai pas devant moi tout de suite, je serais capable de le tuer !

Ève – On ne tue pas quelqu’un comme ça, rassure-toi… Mais si tu as besoin d’une avocate, je suis là… Pour ton divorce, je veux dire…

Christelle – Merci… Bon, je crois que je ferais mieux de vous laisser. Vous devez avoir des choses à vous dire, vous aussi… Je vais dormir chez ma mère. Je lui dirai que j’ai oublié mes clefs.

Ève – Fais attention à toi… Demain, tu y verras plus clair… On y verra tous plus clair…

Christelle s’en va. Alban revient. Ils s’asseyent sur le canapé, et restent silencieux un instant.

Alban – C’était vraiment involontaire ?

Ève – Disons que c’était… inconscient, alors.

Alban – Ok, je vais faire semblant de le croire.

Ils s’enlacent.

Ève – Mais c’est vrai que depuis, ça a réveillé ma libido…

Alban – Oui, j’ai remarqué. Je me demandais à quoi c’était dû.

Ève – On devrait faire ça plus souvent.

Alban – Tu veux dire… ces rendez-vous à l’aveugle dans notre lit conjugal…?

Ève – Tu as d’autres amis à qui tu prêtes notre appartement pour baiser leurs maîtresses ?

Alban – Je pensais plutôt à la réciproque. Tu dois bien avoir aussi des amies qui trompent leurs maris… Je te rappelle que tu as un coup d’avance…

Ève – Désolée, je n’ai que des amies fidèles…

Ils s’embrassent.

Noir.

Épilogue

Trois valises sont rangées dans un coin du salon. Alban arrive depuis l’extérieur, et ôte son imper.

Alban – Chérie ! Tu es là !

Ève arrive.

Ève – Alors, comment ça s’est passé ?

Alban – Ils adorent la pièce. Ils ont décidé de la produire pour la rentrée.

Ève – Non ? Mais c’est fantastique !

Alban – Et ils ont trouvé le titre génial.

ÈveUn petit meurtre sans conséquence… Ça sonne quand même mieux que Micro-ondes

Alban – Il faut dire que c’est du vécu…

Ève – Ou presque…

Ils s’embrassent.

Alban – Alors finalement, tout est bien qui finit bien.

Ève – J’ai toujours cru en toi… Même quand tu me racontais des histoires à mourir debout.

Alban – Finalement, cette épreuve nous aura rapprochés. Je te promets de ne plus jamais te mentir.

Ève – Et moi de ne plus jamais rien te cacher.

Le regard d’Alban tombe sur les valises.

Alban (inquiet) – Qu’est-ce que c’est que ces valises ? Tu me quittes déjà ? Après tout ce que tu viens de me dire…

Ève – Ce sont les bagages de Christelle. Elle m’a demandé si elle pouvait venir passer la nuit ici. Je crois que ça ne s’est pas très bien passé, avec Patrick… Elle ne sait pas où aller.

Alban – Quelle emmerdeuse…

Ève – On lui doit bien ça…

Alban – Bon… Mais pas plus d’une nuit, alors…

On sonne.

Ève – Ça doit être elle…

Alban – Ok, je vais chercher le champagne.

Ève – Pour fêter le divorce de Christelle ?

Alban – Pour fêter le montage de ma pièce ! Tant pis, on le boira avec elle.

Alban sort. Ève va ouvrir et revient avec Christelle.

Ève – Ça n’a pas l’air d’aller. Vous vous êtes disputés, c’est ça ?

Christelle – Écoute, Ève… Je crois que j’ai fait une bêtise…

Ève – Tu me fais peur, Christelle… Quelle genre de bêtise ?

Christelle – Je crois que j’ai tué Patrick.

Ève – Ah non, on me l’a déjà faite, celle-là. Pas deux fois !

Christelle – On a eu une petite explication, tous les deux. Ça s’est vite envenimé. Et je lui ai dit de quitter la maison immédiatement.

Ève – Et après.

Christelle – Eh ben… Il est allé chercher ses valises. C’est après que ça a un peu dégénéré.

Ève – Un peu ?

Christelle – J’étais en train de découper un poulet… J’avais un couteau électrique à la main, et… je me suis un peu emportée.

Ève – Mais il est où ? À l’hôpital ?

Christelle – Malheureusement, il était déjà trop tard pour le SAMU. Je voulais juste lui faire peur. Il s’est approché pour me défier. J’ai eu un geste réflexe et… je lui ai tranché la carotide.

Ève – Oh mon Dieu… Le cauchemar continue. Mais il est où ?

Christelle lui désigne les valises du regard.

Christelle – Eh ben… Dans les valises…

Ève – Non ?

Christelle – Je vais avoir besoin de tes conseils, Ève.

Ève – Mes conseils d’avocate ? Ne te fais pas trop d’illusions, Christelle. J’ai beau être une tueuse… On ne pourra pas faire passer ça pour un accident domestique…

Christelle – Je pensais plutôt le faire passer par le siphon de la baignoire après un petit bain de soude…

Ève – Il va falloir que j’en parle avec Alban…

Alban revient, la mine réjouie, en brandissant une bouteille de champagne.

Alban – Champagne !

Les deux autres lui lancent un regard interloqué.

Noir.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Mai 2017

© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-096-3

Ouvrage téléchargeable gratuitement