Café

Café ou restaurant

Les cafés sont des lieux éminemment théâtraux dans la mesure où ils constituent le décor d’une socialité hasardeuse : rencontres fortuites, rendez-vous à l’aveugle, réunions anonymes… Le bistrot, en France surtout, est le théâtre d’une convivialité par défaut. Les solitudes individuelles viennent y chercher un peu de compagnie pour pallier la misère affective. À la fois agora, club de rencontre et maison de retraite, le café a remplacé l’église désormais désertée, et fait aussi office de lieu de communion laïque et de confessionnal à voix haute, avec le patron et ou la patronne en guise d’officiant. Avant d’être à son tour délaissé au profit de chaînes d’enseignes au personnel dépersonnalisé…

Le restaurant, en revanche, est le lieu des rencontres arrangées. L’espace de la table s’inscrit dans une bulle d’intimité au sein de ce lieu public. On s’y retrouve en couple, en famille ou entre amis, pour un entre soi en public, une communion non pas avec tous mais aux yeux de tous. On y vient moins pour socialiser avec des inconnus que pour voir et y être vu. 

Le salon de thé, quant à lui, tient plutôt du lieu privé ouvert à un public sélectionné (voire sélect), dans une ambiance à la fois intime, feutrée et un peu guindée. On est dans un salon de thé comme à la maison. Mais la maison de quelqu’un d’autre, chez qui il faut savoir se tenir en respectant les codes.


Au répertoire de La Comédiathèque

Café

CAFÉ DES SPORTS

LE BISTROT DU HASARD

LE COMPTOIR

HAPPY HOUR

LE PIRE VILLAGE DE FRANCE

LE PLUS BEAU VILLAGE DE FRANCE

PRÉLIMINAIRES

Restaurant

CARTES SUR TABLE

Salon de thé

COMME UN TÉLÉFILM DE NOËL… EN PIRE

 

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Le Pire Village de France

The worst village in England  –  El pueblo más cutre de EspañaA pior aldeia de Portugal

Comédie de Jean-Pierre Martinez

9 ou 10 personnages distribution très variable en sexe

presque tous les personnages pouvant être masculins ou féminins

Les quelques survivants d’un bled moribond, oublié par Dieu et contourné par l’autoroute, décident de créer l’événement pour attirer le chaland. Mais il n’est pas facile de faire du pire village de France la nouvelle destination touristique à la mode…


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LE PIRE VILLAGE DE FRANCE
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TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

Le Pire Village de France

Les quelques survivants d’un bled moribond, oublié par Dieu et contourné par l’autoroute, décident de créer l’événement pour attirer le chaland. Mais il n’est pas facile de faire du pire village de France la nouvelle destination touristique à la mode…

10 personnages

Robert (ou Roberta) : patron(ne) du café

Ginette : patronne du café

Charlie : instituteur (ou institutrice)

Félicien : curé du village

Honoré (ou Honorine) : maire du village

Jean-Claude (ou Jeanne-Claude) : idiot(e) du village

 Wendy : productrice de téléréalité

Laurence (ou Laurent) : journaliste

Ramirez : commissaire

Sanchez : inspecteur

Distribution très variable par sexe

presque tous les rôles pouvant être masculins ou féminins

Acte 1

Un bistrot de village, le Café du Commerce, à Beaucon-la-Chapelle. Derrière le comptoir, Robert, le patron style bidochon, feuillette le journal local, tandis que Ginette, la patronne un peu plus pimpante, essuie des verres avec un air absent. Arrive Honoré de Marsac, le maire, genre noble fin de race habillé avec une élégance désuète et des vêtements élimés.

Honoré – Bonjour Robert. Madame Ginette, mes hommages.

Robert, un peu renfrogné, se contente de lever un instant les yeux de son journal. Ginette semble sortir de sa rêverie et son visage s’éclaire un peu.

Ginette – Monsieur le Maire… Comment va ?

Honoré s’installe debout au comptoir.

Honoré – Ma foi… J’ai une légère céphalée, depuis ce matin. Je ne sais pas pourquoi…

Robert – Avec ce que tu tenais hier soir, ce n’est pas très étonnant. On appelle ça la gueule de bois…

Ginette lance à Robert un regard désapprobateur.

Ginette (très aimablement) – Qu’est-ce que je vous sers, Honoré ?

Honoré – Je vais prendre un Fernet-Branca. Ça me fera du bien…

Robert – Tu as raison… Il faut soigner le mal par le mal…

Ginette sert Honoré, qui la remercie d’un sourire.

Honoré – Vous êtes très en beauté, aujourd’hui, ma chère.

Ginette – Je me suis fait une couleur. Mon mari, lui, il n’a rien remarqué…

Honoré – Ah oui, c’est…

Robert – Bleu.

Honoré – Décidément, votre mari ne vous mérite pas, ma chère Ginette. En tout cas, cela vous sied à ravir.

Ginette – Ça change un peu…

Robert considère ce badinage d’un regard agacé.

Robert – La couleur de tes cheveux, c’est bien la seule chose qui change encore de temps en temps à Beaucon-la-Chapelle… (Il repose le journal sur le comptoir). C’est dingue ! Il ne se passe tellement rien, dans ce bled… On n’est même plus répertorié dans le sommaire du canard local.

Ginette – Sans blague ?

Robert – Tiens, regarde ! Avant, même si on ne parlait jamais de nous, Beaucon-la-Chapelle, c’était là, entre Beauchamp-la-Fontaine et Beaucon-les-deux-Églises. Maintenant plus rien. On ne figure même plus sur le menu !

Honoré (soupirant) – Eh oui, mon pauvre Robert… Qu’est-ce que tu veux ? Nous sommes des naufragés de l’exode rural. On nous raye du menu, en attendant de nous rayer de la carte. Bientôt, on ne figurera plus sur aucun plan, comme une île déserte perdue au milieu du Pacifique, à l’écart de toutes les routes maritimes.

Ginette – Si au moins on avait la plage… Vous avez raison, Honoré. Des naufragés au milieu des champs de patates, voilà ce qu’on est.

Honoré – En attendant que le petit bout terre auquel on s’accroche encore soit submergé par la montée des eaux…

Robert – Ici, on risquerait plutôt d’être emportés par une coulée de boue…

Honoré boit son Fernet-Branca.

Ginette – C’est bien triste… Mais qu’est-ce qu’on peut y faire, n’est-ce pas, Monsieur le Maire ?

Honoré – Maire… Je ne suis pas sûr de l’être encore très longtemps…

Robert – Tu as peur de ne pas être réélu ? Il n’y a jamais eu d’autres candidats que toi à Beaucon-la-Chapelle. Et vu le nombre d’électeurs qui restent ici, si tu votes pour toi, tu as déjà presque vingt pour cent des suffrages exprimés.

Honoré – Ce n’est pas ça… Mais je viens de recevoir une lettre à la mairie… Ils parlent de rattacher la commune au bourg d’à côté.

Robert – Beaucon-les-deux-Églises ?

Ginette – Mais c’est à plus de vingt kilomètres !

Honoré – Vingt-trois, à vol d’oiseaux… et vingt par la route.

Robert – C’est vrai qu’à travers champs, la route est tellement droite…

Ginette – Il n’y a tellement rien, par ici. On se demande ce que la route pourrait bien avoir à contourner pour justifier un virage ?

Robert – Si encore on avait une colline, un bois ou même un bosquet.

Honoré – Oui… Si la commune devait se doter d’un blason, je ne sais pas ce qu’on pourrait mettre dessus…

Robert – Une patate.

Honoré – Quoi qu’il en soit, ce n’est pas le moment de pavoiser. Et c’est peut-être mon dernier mandat. L’intercommunalité, qu’ils appellent ça.

Robert – Toi qui étais maire depuis plus de trente ans…

Ginette – Alors comment on va vous appeler, maintenant, si on ne peut plus vous appeler Monsieur le Maire ?

Honoré – Monsieur de Marsac, je suppose… Mais vous, Ginette, vous pourrez toujours m’appeler Honoré…

Robert – On n’avait déjà plus de pissotières ni de cabine téléphonique. Maintenant, on n’aura même plus la mairie.

Honoré – C’est la mort du service public…

Ginette – Vous qui aviez tellement fait pour Beaucon-la-Chapelle…

Robert – Ouais, enfin…

Ginette – Quoi ?

Robert – C’est surtout tes petites affaires, que ça ne risque pas d’arranger, tout ça, hein, Honoré ?

Honoré – Mes affaires ? Quelles affaires ?

Robert – D’accord, en tant que Premier Magistrat, tu as fait beaucoup pour la commune. C’est sûrement pour ça qu’ils envisagent de la supprimer aujourd’hui…

Ginette – Là tu es injuste, Robert. Il faut avouer qu’on a peu d’atouts à mettre en avant, à Beaucon.

Robert – Toujours est-il que tu as bien profité de tes prérogatives de maire, non ?

Honoré – Je ne vois pas de quoi tu veux parler…

Robert – Je parle de la subvention que tu as réussi à obtenir du Conseil Général…

Honoré – Ah oui…

Robert – Pour restaurer un manoir dans lequel, selon une légende dont personne n’avait jamais entendu parler jusque là, Jeanne d’Arc aurait dormi une nuit en 1429.

Honoré – Je peux te montrer le livre où cette légende est mentionnée !

Robert – C’est toi qui l’as écrit !

Honoré – Si on n’a plus le droit d’écrire des livres d’histoires, maintenant…

Robert – Un manoir qui se trouve comme par hasard être à toi, et qui a été entièrement refait à neuf aux frais du contribuable soit disant pour en faire des chambres d’hôtes… Des chambres où personne n’a jamais dormi, évidemment. À part La Pucelle d’Orléans…

Honoré – Être propriétaire d’un monument historique, tu n’as pas idée de la charge que c’est, mon pauvre Robert…

Robert – Jeanne d’Arc… Si encore elle avait été dépucelée dans ton lit.

Ginette – Robert, je t’en prie…

Robert – Sans parler de la subvention pour restaurer la chapelle du village.

Honoré – Beaucon-la-Chapelle se devait quand même d’avoir une chapelle digne de ce nom !

Robert – Une chapelle dont ton propre cousin se trouve être le curé. Le presbytère a été entièrement restauré avec nos impôts. On dirait un ryad marocain. Il y a même un jacuzzi dans le patio…

Honoré – Un jacuzzi… Tout de suite les grands mots… C’est un simple bassin d’agrément.

Robert – On va dire un bassin à remous, alors.

Honoré – Franchement, Robert, je ne vois pas du tout où tu veux en venir…

Robert – Je ne sais pas, moi… Avec cet argent là, on aurait pu faire quelque chose pour la commune…

Honoré – Ah oui ? Quoi, par exemple ?

Robert – Tiens, on aurait pu installer des caméras de surveillance.

Honoré – Pour surveiller quoi ? Les champs de patates ?

Robert – On aurait pu restaurer l’école !

Arrive Charlie, l’instituteur, visiblement gay.

Charlie – Messieurs Dames…

Ginette – Ah, quand on parle du loup. Voilà l’instituteur, justement. Bonjour Charlie.

Charlie – Eh ben… Il y a foule, aujourd’hui, au Café du Commerce.

Robert – Eh oui… On est presque au complet.

Charlie – La noblesse et le tiers état. Il ne manque plus que le curé, et on pourra réunir les États Généraux…

Honoré – Vous ne croyez pas si bien dire, Charlie. La République est en danger.

Robert – Et Jeanne d’Arc n’est plus là pour la défendre…

Charlie (à Honoré) – Vous allez enfin être mis en examen, Monsieur le Maire ? Vous savez, en ce moment, c’est très tendance.

Ginette – Si ce n’était que ça…

Charlie – Vous allez devoir prononcer votre premier mariage gay ? Pourtant, que je me souvienne, personne ne m’a encore demandé ma main… Enfin, pas dans l’idée de me passer une bague au doigt, en tout cas…

Honoré – Beaucon-la-Chapelle va être annexé par le bourg d’à côté.

Charlie – Non ?

Ginette – Et ce n’est que le début, vous verrez.

Honoré – Le début de la fin, en tout cas.

Robert – Hitler a commencé par envahir la Pologne, et le reste a suivi. Si on ne réagit pas…

Charlie – Malheureusement, vous ne croyez pas si bien dire.

Charlie s’installe au bar, visiblement préoccupé.

Ginette – Vous avez reçu des mauvaises nouvelles, vous aussi ?

Charlie – Il est question de fermer l’école, figurez-vous.

Ginette – Non ?

Robert – En même temps, depuis qu’il n’y a plus aucun élève, il fallait s’y attendre. Quand on n’aura plus de clients, nous aussi il faudra bien qu’on ferme…

Ginette – Plus d’élèves ? Alors Jean-Claude a enfin réussi à décrocher son certificat d’études ?

Charlie – Le certificat d’études… ça n’existe plus depuis le siècle dernier, ma pauvre Ginette. Mais à 18 ans passés, je ne pouvais pas décemment le faire redoubler une année de plus en CM2.

Ginette – Ils ont aussi supprimé le certificat d’études ? Mais où est-ce qu’on va, je vous le demande ? Qu’est-ce que je te sers, Charlie ?

Charlie – Un perroquet, comme d’habitude.

Ginette le sert.

Ginette – Mais alors qu’est-ce qu’il va faire, Jean-Claude, maintenant ?

Charlie – Ça…

Ginette – D’ailleurs, on ne l’a pas encore vu ce matin. Je ne sais pas où il se cache encore, celui-là.

Robert – En tout cas, si ils ferment l’école, toi non plus tu n’es pas prêt de retrouver un poste dans l’Éducation Nationale, hein, Charlie ?

Honoré – Il paraît qu’on manque d’enseignants…

Robert – Peut-être, mais avec son casier judiciaire…

Charlie – Un casier… Tout de suite, les grands mots.

Robert – C’était une affaire de mœurs, malgré tout…

Charlie – Oui mais… Ça n’a rien à voir avec les enfants…

Ginette – Tout de même.

Charlie – J’aimais bien venir de temps en temps faire la classe habillé en femme. Ça ne faisait de mal à personne…

Ginette – Ça devait quand même les perturber un peu, les gamins. Un jour un maître, le lendemain une maîtresse…

Robert – Comment est-ce qu’ils t’appelaient, déjà ?

Charlie – Madame Doubtfire.

Honoré – C’est sûrement pour ça qu’ils t’ont muté dans une école sans élèves… En attendant de statuer sur ton cas.

Félicien, le curé, arrive à son tour. Il ressemble davantage à un vieux beau qu’à un prêtre, si ce n’est la croix qu’il porte discrètement au revers de sa veste.

Charlie – Ah Monsieur le Curé ! On n’attendait plus que vous pour prendre La Bastille.

Félicien – Bonjour mes enfants.

Robert – Mes enfants… Avec un curé comme ça, on se demande toujours si on ne doit pas prendre ça au pied de la lettre.

Ginette – Robert…

Robert – Tu vois, Charlie, la vie est mal faite. C’est toi qui aurait dû faire curé. Dans ce métier là au moins, un homme peut porter la robe sans être inquiété par la justice. Alors que celui-là, on ne l’a jamais vu en soutane.

Charlie – C’est dommage. Je suis sûr que cela vous irait très bien, Félicien.

Ginette – Qu’est-ce que je vous sers, mon Père ?

Félicien – Un petit blanc sec.

Honoré – Alors Monsieur le Curé ? J’espère que vous, au moins vous nous apportez de bonnes nouvelles.

Félicien – J’aimerais vous dire oui, Monsieur le Maire… Hélas…

Robert – Je ne te demande pas si quelqu’un est mort. À part Jean-Claude, tous les survivants de ce village fantôme sont ici.

Félicien – Pire que ça… L’évêché parle de supprimer ma paroisse…

Ginette – Non ?

Félicien – Hélas, Dieu est en cessation de paiement… Il paraît que nous aussi, on doit procéder à des restructurations.

Ginette – Quelle misère… Vous verrez que bientôt, les Chinois vont prendre des participations dans le capital du Vatican.

Félicien – Il faut dire que plus personne ne vient à la messe à Beaucon.

Robert – Malgré tout le mal que tu t’es donné pour repeupler la paroisse.

Ginette – Robert… Respecte au moins la religion…

Robert – Lui, ce n’est pas les pains qu’il multiplie, c’est les bâtards…

Honoré – Plus de mairie, plus d’école, plus d’église… Il ne nous reste plus que le Café du Commerce.

Robert – Et pour combien de temps ?

Charlie – Vous n’allez pas fermer, au moins ?

Ginette – Moi ça ne me dérangerait pas de vendre. Si on trouvait un repreneur…

Félicien – Allez, vous n’allez pas partir vous aussi… Qu’est-ce que vous feriez, Ginette, si vous n’aviez plus ce café ?

Ginette – Je commencerai par prendre des vacances, tiens. Vous n’allez pas le croire, mais je n’ai jamais vu la mer.

Robert – Autant attendre que la mer arrive jusqu’ici avec la fonte de la calotte glaciaire. Parce qu’avant de trouver un repreneur…

Charlie – Un pigeon, tu veux dire.

Robert – Qui pourrait bien acheter un bistrot dans un coin pareil ? On n’a plus aucun client…

Honoré – Les derniers agriculteurs consanguins et alcooliques qui restaient dans le coin, ils les ont remplacés par des drones pilotés depuis la Seine Saint Denis.

Ginette – Il faudrait pouvoir attirer quelques touristes, au moins à la belle saison.

Charlie – Mais qu’est-ce qui pourrait bien attirer les touristes dans un trou pareil ? Il n’y a rien strictement à visiter dans un rayon 100 kilomètres à la ronde.

Honoré – C’est sûr que pour se reposer, c’est l’endroit idéal.

Robert – Ouais… En attendant le repos éternel…

Félicien – Des champs de patates à perte de vue. Quelques corbeaux. C’est vrai qu’il faut vraiment avoir la foi pour rester dans le coin…

Charlie – Des champs de patates avec des corbeaux… On dirait le titre d’un tableau de Van Gogh…

Ginette – Si au moins Van Gogh était venu se suicider ici, ça nous aurait fait un peu de publicité.

Robert – Ça c’est une idée, remarquez. Si on en venait à légaliser le suicide assisté en France, sûr que Beaucon-la-Chapelle serait en pôle position pour l’implantation de la première officine.

Charlie – C’est vrai que si les dépressifs de la France entière affluaient ici pour se suicider en masse, ça pourrait redonner un peu de vie à notre charmante commune…

Félicien – Allons, mes enfants, gardons la foi. Dieu finira bien par nous venir en aide…

Robert – En attendant, c’est ma tournée. On va boire un coup pour oublier que le monde entier, même Dieu, nous a abandonnés au milieu d’un océan de patates… Tiens Ginette, sort une bouteille de mousseux.

Honoré regarde sa montre à gousset.

Félicien – Bon, mais vite fait, alors.

Honoré – Ouh la… Il est déjà cette heure-là.

Robert – Pourquoi, vous êtes surbookés à ce point, tous les deux ?

Ginette ouvre un placard et pousse un cri en voyant Jean-Claude recroquevillé à l’intérieur.

Ginette – Oh, non… Un jour, j’aurai une crise cardiaque…

Honoré – Ça lui arrive souvent ?

Ginette – Depuis qu’il est tout petit, iI a la manie de se cacher dans les endroits les plus inattendus.

Robert – Une fois, on l’a même retrouvé dans la machine à laver. Mais maintenant, il est trop grand…

Ginette – Je ne m’y ferai jamais… Sors de là, toi !

Jean-Claude sort du placard. Il a tout de l’idiot du village. Il est supposé avoir dans les dix-huit ans (mais peut aussi être joué par un adulte plus âgé habillé en plus jeune voire en garçonnet, ce qui accentuera son côté demeuré).

Jean-Claude (à Robert-) – Bonjour Tonton.

Robert répond par un hochement de tête.

Charlie – Bonjour Jean-Claude.

Honoré – Il ne s’arrange pas, ton cousin…

Félicien – Je croyais que c’était ton neveu.

Ginette – C’est un peu compliqué. Moi-même je m’y perds un peu…

Ginette sort une bouteille de mousseux et la met dans un seau à glace.

Charlie – Ah oui… Ça expliquerait son léger retard mental…

Robert – Comme je suis aussi son parrain, disons que c’est mon filleul.

Ginette – Enfin, on l’appelle Jean-Claude, c’est plus simple.

Charlie – Ou JC, c’est plus court.

Félicien – Heureux les simples d’esprit, le royaume des cieux leur appartient.

Honoré – Le dernier jeune qui reste au village…

Charlie – C’est sûr qu’il a l’air d’avoir une lourde hérédité…

Robert – Selon une légende dont j’ai découvert l’existence récemment, ce serait le descendant de Jeanne d’Arc en ligne directe…

Félicien – Je lui ai quand même fait faire sa communion, l’année dernière, au cas où…

Ginette – Maintenant que le certificat d’étude n’existe plus, c’est sûrement le seul diplôme qu’il décrochera dans sa vie…

Charlie – Selon une étude d’un sociologue du CNRS, les Jean-Claude qui sont nés après l’an 2000 ont seulement une chance sur cent d’avoir le bac avec mention.

Honoré – Alors qu’est-ce que tu vas faire maintenant, mon grand ?

Félicien – S’il s’en va aussi, je n’aurai même plus d’enfant de chœur…

Robert – Et maintenant que tu n’as plus de paroissiennes sous la main…

Jean-Claude – Je voudrais monter à Paris pour me présenter au concours.

Honoré – Au concours ? Quel concours ?

Charlie – Sciences Po ? L’ENA ?

Honoré – Peut-être qu’il veut devenir facteur, comme son père.

Félicien – Son père était facteur ?

Robert – Pourquoi ? Tu croyais qu’il était curé ?

Ginette – Non, il s’est mis en tête de participer à la sélection des candidats pour une émission de téléréalité.

Charlie – Quelle émission ?

Robert – La France a un Incroyable Talent.

Félicien – Non ?

Honoré – Mais quel talent il pourrait bien avoir, cet abruti ?

Ginette – Il est contorsionniste. Enfin c’est ce qu’il dit.

Robert – C’est vrai qu’un jour, les éboueurs l’ont retrouvé endormi dans une poubelle jaune. Pour un peu, il partait directement au recyclage dans la benne à ordures.

Ginette – Peut-être que ses parents voulaient se débarrasser des encombrants…

Jean-Claude s’éloigne un peu pour jouer aux fléchettes avec un certain manque d’habileté qui pourrait même être dangereux pour les autres. Honoré finit son verre.

Honoré – Bon, je crois que le mousseux, ce sera pour une autre fois… J’ai une affaire urgente à régler à la mairie.

Robert – Urgente ?

Honoré – Il faut que je réponde à ce courrier.

Charlie – Ah oui… L’OPA lancée par Beaucon-les-deux-Églises sur Beaucon-la-Chapelle…

Félicien – Je vous accompagne, Monsieur le Maire. Moi aussi, il faut que j’aille prêcher pour ma chapelle…

Le maire et le curé s’en vont. Ginette montre la bouteille de mousseux à Charlie.

Ginette – Un petit coup de mousseux ?

Ce dernier fait signe qu’il y renonce aussi.

Charlie – Merci, vraiment. Et puis il n’est même pas encore midi…

Ginette – Bon, je la garde au frais, alors. Pour une grande occasion…

Robert dirige son regard vers l’entrée du café, visiblement surpris.

Robert – Je me demande si ce jour n’est pas déjà arrivé…

Wendy et Laurence entrent. Leur look très bobos parisiens contraste totalement avec celui des habitants du cru. Wendy, genre star dépressive, se cache derrière des lunettes noires. Laurence est habillée de façon élégante mais un peu plus sobre et moins féminine. Laurence se montrera aussi volontairement positive et enthousiaste, que Wendy est pessimiste voire suicidaire. Wendy jette un regard autour d’elle.

Wendy – On se croirait dans le prégénérique d’un épisode de La Quatrième Dimension…

Laurence – Tu veux t’asseoir cinq minutes ?

Wendy ne répond pas mais se laisse choir sur une chaise.

Laurence – Bonjour Messieurs… Madame… Excusez-moi d’interrompre votre petite réunion, mais … je peux vous poser une question…

Ginette – Oui…?

Laurence – On est où, ici, exactement ?

Blanc.

Robert – Exactement ? Eh bien chère Madame, vous êtes très précisément à Beaucon-la-Chapelle.

Laurence – Ah oui, c’est…

Charlie – Au milieu de nulle part…

Laurence jette un regard à l’écran de son smartphone.

Laurence – En tout cas, je n’ai pas ça sur mon GPS…

Ginette – C’est un petit coin tranquille…

Laurence – C’est clair… Je pensais qu’on était à… En fait je crois qu’on s’est un peu perdues…

Charlie – C’est assez rare que quelqu’un arrive ici de son plein gré, vous savez…

Laurence lance un regard un peu effaré autour d’elle, notamment en direction de Jean-Claude, qui joue toujours aux fléchettes avec un certain manque de talent.

Robert – Je vous sers quelque chose ?

Laurence – Euh… Oui, pourquoi pas ? Wendy, tu veux boire quelque chose… (Wendy ne répond pas) On va prendre deux cocas. Sans glace, s’il vous plaît.

Ginette – Ça tombe bien, je n’ai pas encore rebranché le congélo. Avec le temps qu’il fait…

Robert – Oui, le printemps n’est pas très en avance, cette année.

Charlie – L’année dernière, ici, il est arrivé vers le 15 août, et après on est passé directement à l’automne.

Ginette leur sert deux cocas.

Robert (s’efforçant d’être aimable) – Vous êtes en vacances dans la région ?

Laurence – Oui… Enfin, disons que… On fait un petit break, plutôt… (Plus bas en aparté) Mon amie a eu… un petit coup de fatigue. On avait besoin de couper un peu les ponts…

Charlie – Dans ce cas, vous êtes bien tombées…

Ginette – Beaucon-la-Chapelle, c’est le lieu parfait pour se reposer un peu…

Charlie – Il faut dire qu’on n’a pas beaucoup de tentations…

Laurence – Oui, c’est… C’est charmant, hein Wendy ?

Wendy – Mmm… C’est le bon endroit pour finir ses jours…

Ginette – Oui, on a beaucoup de retraités, par ici…

Wendy – En fait, je voulais plutôt dire le bon endroit pour mettre fin à ses jours…

Un ange passe.

Ginette – Vous envisagez de vous installer à la campagne ?

Laurence – On n’a pas encore eu beaucoup le temps d’y penser mais… Pourquoi pas… C’est vrai qu’on ressent ici une forme de sérénité… Un peu comme dans une église…

Wendy – Oui… Ou un cimetière.

Robert – Nous n’avons qu’une chapelle, mais vous verrez, elle a été entièrement refaite à neuf. On dirait qu’elle a été construite hier…

Laurence – La vie à Paris, c’est tellement stressant… Parfois on se demande si on ne serait pas mieux dans un petit village loin de tout…

Wendy – C’est sûr que là on est loin de tout… On ne sait même pas où on est…

Wendy avale plusieurs cachets et prend une gorgée de Coca pour faire passer le tout.

Laurence – Tu sais ce qu’a dit le médecin ? Pas plus d’un cachet à la fois.

Wendy – Tu as raison… D’ailleurs, je crois que je vais aller vomir…

Charlie – Oui, ça m’a fait ça, moi aussi, la première que je suis arrivé ici… Et après on s’y fait, vous verrez…

Ginette, inquiète pour son carrelage, lui montre le chemin des toilettes.

Ginette – Par ici, je vous en prie…

Wendy sort. Laurence a l’air un peu gênée.

Laurence – Ça doit être le changement d’air…

Robert – C’est vrai qu’ici, on respire mieux qu’à Paris.

Laurence – Oui, nos poumons sont plutôt habitués au monoxyde de carbone. Il doit y avoir un temps d’adaptation…

Elle éternue.

Charlie – Ou alors c’est les pesticides dont ils bombardent les champs de patates. Quand on n’est pas habitué…

Laurence – Des pesticides ?

Charlie – Ah si vous avez l’occasion d’assister à ça, vous verrez, c’est spectaculaire. C’est une des rares attractions qui existent dans le coin. Quand les hélicos débarquent pour larguer leurs produits Monsanto, avec la musique à fond, on se croirait dans Apocalypse Now…

Laurence – Et ce n’est pas nocif ?

Charlie – Ils disent que non, mais… Je me demande si pour Jean-Claude, ce ne serait pas un peu à cause de ça aussi… En plus de la consanguinité, évidemment…

Robert lui lance un regard furibard. On entend à côté un bruit de vomissement bruyant. Léger embarras.

Robert – Et vous faites quoi, dans la vie, à Paris ? Si ce n’est pas indiscret, bien sûr…

Laurence – Je suis journaliste.

Robert – Journaliste ? Non ?

Ginette – Et vous allez faire un reportage sur la région ?

Laurence – On est en vacances, mais bon, qui sait ? Si je trouve un sujet intéressant… En fait, j’envisage plutôt d’écrire un livre…

Robert – Ah oui, un livre, c’est bien aussi…

Ginette – Nous avons un maire qui écrit des livres également.

Laurence – Tiens donc…

Robert – Enfin lui, c’est plutôt des livres d’histoire.

Ginette – Et votre dame ? Enfin, je veux dire, votre amie ? Elle est journaliste aussi ?

Laurence – Pas exactement… C’est une productrice de télévision. (Sur un ton confidentiel) WC Productions, c’est elle…

Ginette – WC ?

Laurence – Vous ne connaissez pas Wendy Crawford ? Ce sont ses initiales…

Robert – Alors elle travaille à la télé ?

Laurence – Vous connaissez l’émission La France a un Incroyable Talent, quand même ?

Ginette – Un Incroyable Talent, vous plaisantez ? Si on connaît ?

Laurence – Eh bien c’est elle ! C’est la productrice de l’émission.

Jean-Claude – Un Incroyable Talent ?

Tous les regards se tournent vers Jean-Claude, dont on avait oublié la présence. Mais il ne dit rien d’autre.

Laurence – Ça fait déjà dix ans que ce programme est à l’antenne. C’est une grosse pression, évidemment. Elle a fait un burn out.

Ginette – Un burn out…? C’est quoi ça ? Une brûlure au troisième degré ?

Robert – Un accident de barbecue ?

Charlie – Du temps où le certificat d’étude existait encore, on appelait ça une dépression nerveuse.

Laurence – En fait, la chaîne a décidé d’arrêter l’émission. Si elle ne veut pas mettre la clef sous la porte, Wendy doit leur proposer quelque chose de plus moderne. Malheureusement, sa dernière émission n’a pas tellement marché…

Robert – Ah oui…

Laurence – Sans parler de cet accident de sous-marin, dans la Mer Baltique… J’imagine que vous en avez entendu parler…

Robert – Oui je… Peut-être bien…

Laurence – C’était un nouveau concept d’émission… On avait réuni dans un sous-marin jaune une brochette de célébrités des années 70 souffrant toutes de claustrophobie, pour leur permettre de faire face à leurs angoisses et de les surmonter.

Ginette – Je crois avoir lu quelque chose là dessus chez le coiffeur.

Laurence – Hélas, le pilote du sous-marin était un ancien pilote de ligne un peu dépressif, et c’est lui qui n’a pas réussi à refaire surface…

Ginette – C’est terrible… Enfin, qu’est-ce que vous voulez, c’est la fatalité…

Charlie (avec emphase) – La grandeur de l’homme libre est d’accepter son destin, sans croire en sa fatalité.

Laurence – Vous êtes professeur ?

Charlie – Oui… Professeur des écoles… Mais là je suis en disponibilité…

Laurence – Bref, WC est dans la merde. Alors j’ai décidé de la mettre au vert pendant un moment, pour éviter qu’elle pète une canalisation…

Nouveau bruit de vomissement.

Charlie – J’espère au moins qu’elle va tirer la chasse.

Laurence – Peut-être qu’en s’éloignant un peu de Paris, elle trouvera son nouveau concept d’émission. Mais pour l’instant, elle a plutôt envie de tout plaquer, et de repartir à zéro.

Robert – Je comprends ça… Nous aussi, parfois, on aimerait bien repartir à Zéro.

Charlie – Mais comme on est déjà à zéro depuis longtemps. On aimerait juste repartir d’ici…

Laurence – En fait, j’ai le projet écrire un biopic.

Robert – Un biopic ?

Laurence – Sur WC. Pour raconter sa vie… C’est passionnant, vous savez, la vie d’une productrice de télé. Alors si on trouvait un endroit tranquille où se poser pendant quelques mois, loin du tumulte parisien…

Ginette – Ah ici vous pouvez être tranquille. Question mobile et internet, on est dans une zone blanche…

Charlie – Parfois, on se demande même si on n’est pas dans un trou noir…

Laurence – Ou une maison de campagne à acheter, pourquoi pas… Histoire de s’enraciner un peu.

Ginette – Vous verrez, ici, on prend vite racine… Et après on ne peut plus en repartir…

Jean-Claude – Je vous montre comment je peux me cacher dans un frigo ?

Ginette (sur un ton de reproche) – Jean-Claude…

Moment de flottement.

Laurence – C’est vraiment spécial, ici, hein ? Je n’ai jamais rien vu d’aussi…

Robert – Authentique.

Laurence – Ce n’est pas le mot que je cherchais, mais…

Robert – Pourquoi ne pas vous installer dans notre village pour quelques jours… ou même plus ?

Laurence – Vous faites hôtel, aussi ?

Robert – On peut toujours s’arranger….

Ginette et Charlie le regardent avec un air étonné. Wendy revient.

Laurence – Tu entends ça, Wendy ? Monsieur propose de nous louer une chambre au Café du Commerce. Qu’est-ce que tu en penses ?

Wendy – Ça me donne envie de retourner vomir…

Ginette – Qui sait, vous finirez peut-être par le racheter, ce bistrot…

Laurence – Ce café est à vendre ? Wendy, tu entends ça ? Ce serait cocasse, non ?

Wendy – Au moins, on ne serait pas dérangés par les clients…

Robert – Tout de suite, là, c’est un peu calme. Mais les touristes ne vont pas tarder à débarquer…

Ginette – C’est bientôt la haute saison…

Laurence (étonnée) – Au mois de mars ? À cause de…?

Robert (ne sachant pas quoi répondre) – C’est à dire que… au printemps…

Charlie – Les champs de pommes de terre sont en fleurs. C’est très romantique, vous verrez…

Laurence – Les pommes de terre… Comme c’est curieux… Tu entends ça, Wendy ?

Wendy – Je ne savais même pas que les patates faisaient des fleurs. Mais si tu veux un bouquet pour ton anniversaire…

Charlie – Ou même un parfum, pourquoi pas ? Patate de Givenchy. Il faut avouer que ce serait original.

Laurence – C’est vrai, on pense aux tulipes, en Hollande, mais les pommes de terre…

Charlie – À Beaucon-la-Chapelle.

Laurence – Mais alors la saison ne doit pas durer très longtemps, dites donc…

Ginette – Ça dépend des variété de patates.

Robert – En fait, ça fleurit un peu toute l’année.

Charlie – Surtout les patates transgéniques, qui sont la spécialité de Beaucon.

Ginette – Non, on ne peut pas dire qu’on ait vraiment une basse saison.

Jean-Claude approche.

Jean-Claude – J’arrive aussi à tenir dans une poubelle, vous voulez voir ?

Ginette – Voyons, Jean-Claude… Tu vois bien que tu embêtes la dame… Si tu allais t’entraîner dehors, hein ? Justement, je viens de la sortir, la poubelle.

Robert met Jean-Claude dehors.

Ginette – Excusez-le… Il est un peu simplet.

Robert – C’est une belle affaire, vous savez.

Laurence – Wendy a raison… C’est un peu mort, non ?

Charlie – C’est vrai que depuis qu’ils ont fait l’autoroute et la déviation…

Ginette – C’est parce que c’est l’heure de la sieste.

Wendy – Il n’est même pas encore midi… Ils font la sieste de bonne heure par ici…

Ginette – En tout cas, vous seriez venues il y a une heure, c’était le coup de feu…

Robert – Sinon, vous pouvez en faire une maison de campagne, pour recevoir vos amis de Paris. Il y a beau logement juste au dessus.

Laurence – Dans un authentique bistrot, c’est vrai que ce serait tordant, non ?

Wendy – Vous avez quelque chose de fort.

Ginette – Vous voulez goûtez une spécialité du pays ?

Robert – Ici, c’est l’alcool de pomme de terre.

Charlie – Croyez-moi, la première fois, c’est une expérience unique.

Robert – Comme l’amour.

Charlie – Et comme l’amour, ça rend parfois aveugle…

Wendy – Je crois que je me laisser tenter.

Robert la sert.

Laurence – Avec tes cachets, tu ne devrais pas…

Wendy – Il faut bien mourir de quelque chose…

Robert – Ça vous dit ?

Charlie – La recette a été inventée par un moine défroqué qui aurait dépucelé Jeanne d’Arc au fond d’une grange lors de son passage dans notre charmante commune en 1429.

Robert – La première tournée est offerte par la maison…

Ils vident leurs verres.

Laurence – Ah, oui, c’est du brutal…

Wendy – On sent bien le goût de la pomme de terre.

Charlie – Oui, quand ça ne vous tue pas tout de suite, ça file la patate.

Robert – Rien que des produits naturels.

Charlie – 100% bio… Biochimique, en tout cas…

Ginette les ressert.

Ginette – La deuxième tournée est offerte par l’Office de Tourisme de Beaucon-la-Chapelle.

Robert – Avec ça, croyez-moi, plus besoin de cachets.

Wendy – C’est sûr que pour se suicider, ça doit être beaucoup plus rapide.

Robert – Mais attention, c’est entièrement légal.

Charlie – C’est le maire qui distille cet élixir dans sa cave avec son alambic clandestin.

Honoré – Et ce divin breuvage est béni une fois par an par notre curé. Un Saint Homme…

Jean-Claude revient, l’air abruti, et couvert de détritus.

Jean-Claude – Je n’ai pas réussi à rentrer dans la poubelle, Tonton. Elle est déjà pleine.

Robert – Non mais il est con, celui-là…

Wendy – Il veut peut-être boire un coup de cette potion magique, lui aussi ?

Ginette – Pas question. Lui, il est tombé dedans quand il était petit.

Robert – Allez, retourne jouer dehors, toi. Tu vois bien qu’on discute !

Jean-Claude (désappointé) – Je m’en fous, un jour j’irai à Paris…

À la surprise de tous, Jean-Claude, désappointé, se met à entonner un couplet de la célèbre chanson de Charles Aznavour « Je m’voyais déjà », tout en esquissant quelques pas de danse façon music-hall :

Rien que sous mes pieds de sentir la scène

De voir devant moi un public assis j’ai le coeur battant

On m’a pas aidé, je n’ai pas eu d’veine

mais au fond de moi je suis sûr au moins que j’ai du talent…

Jean-Claude repart. Les autres ne commentent pas, pensant peut-être à une hallucination dû à l’alcool de pomme de terre.

Ginette – C’est une belle région, vous savez.

Robert (avec un regard appuyé à Laurence) – Qui ne dévoile pas ses charmes tout de suite, comme une belle femme.

Ginette – Et puis cafetier, c’est un beau métier. Le contact avec la clientèle, tout ça.

Roger (à Wendy) – Ça égaierait sûrement une dépressive comme vous, plutôt que de rester dans son coin à ruminer.

Laurence – C’est un peu dingue, mais ça pourrait être marrant, non ? Toi qui voulais changer de vie…

Wendy – Oui enfin… Tant qu’à faire, je parlais plutôt de changer pour une vie meilleure…

Tout le monde commence à être passablement bourré.

Ginette – Allez, je vous fais visiter le logement du dessus. Vous allez voir, c’est très coquet…

Charlie – Et très pratique. Zéro transport. Vous n’avez qu’à descendre l’escalier pour aller au boulot. Ça vous changera du RER.

Ginette entraîne Laurence et Wendy vers l’escalier qui monte à l’étage.

Ginette – Après vous, je vous en prie…

Robert – Attention, l’escalier est un peu raide.

Wendy (titubant) – Je crois que moi aussi, je suis un peu raide.

Elles sortent.

Robert – Là, c’est le Bon Dieu qui les envoie…

Charlie – C’est vrai que ça tient du miracle.

Robert – Et je crois qu’elles ne sont pas insensibles à la magie du lieu.

Charlie – Ou alors c’est l’effet de l’alcool de pomme de terre. Moi aussi, une fois, ça m’a donné des hallucinations.

Robert – Il faut absolument les retenir ici pour cette nuit.

Charlie – Bon allez, je te laisse. Je vais me changer…

Robert – Tu as raison, on a intérêt à faire bonne impression.

Charlie sort. Honoré et Félicien reviennent.

Honoré – C’est qui, ces deux charmantes jeunes femmes que j’ai vu entrer dans ton établissement ?

Félicien – Et qu’est-ce que tu en as fait ?

Robert – Des gens de Paris. Ginette leur fait visiter l’appartement du dessus.

Honoré – De Paris ?

Robert – Il y en a une qui est journaliste, et l’autre qui bosse pour la télé ! Vous vous rendez compte ?

Félicien – Et qu’est-ce qu’elles font là haut ?

Robert – Si elles s’installaient ici, elles pourraient faire de Beaucon-la-Chapelle ce que la Princesse de Monaco a fait avec Saint-Rémy-de-Provence ! La capitale de Boboland !

Honoré – Tu crois ?

Robert – En attendant, j’essaie de leur refourguer mon café.

Félicien – Ah oui, ça ce n’est pas gagné, quand même…

Honoré – Tu penses vraiment qu’elles pourraient avoir envie de s’installer ici ?

Robert – Celle qui bosse dans la téléréalité a l’air complètement à l’ouest, dans le genre dépressive. Et l’autre c’est pareil, mais c’est le contraire.

Félicien – Comment ça, c’est pareil mais c’est le contraire ?

Robert – Ben elle est complètement à la masse, comme l’autre, mais elle trouve tout formidable ! Même Beaucon-la-Chapelle ! Vous imaginez ?

Félicien – Mais comment elles ont fait pour atterrir ici ?

Robert – C’est le Bon Dieu qui nous les envoie, je vous dis. J’en ai presque retrouvé la foi ! Elles cherchent un coin tranquille pour se refaire une santé mentale et écrire leurs mémoires.

Honoré – Tranquille ? Ah oui, elles ne pouvaient pas mieux tomber. Alors tu crois vraiment que…

Un individu masqué en costume de Zorro pénètre alors dans le bistrot, un pistolet à la main (on apprendra peu après que c’est Jean-Claude).
Jean-Claude – Haut les mains. C’est un hold up.

Robert – Oh putain, il ne manquait plus que ça…

Honoré – Un hold-up, maintenant…

Félicien – Décidément, il s’en passe des trucs à Beaucon depuis ce matin…

Honoré – Et toi qui leur as dit que c’était un petit coin tranquille.

Robert – Qu’est-ce qu’il branle ce guignol ? Il va tout faire foirer.

Jean-Claude – Les biftons, et plus vite que ça…

Robert – Tout de suite, mon petit gars, ne t’énerve pas…

Robert se penche sous le comptoir, sort un fusil et le braque sur l’homme qui le met en joue avec un revolver.

Félicien – Ah… Bataille !

Jean-Claude – Eh, ne déconne pas ! Le mien c’est un jouet.

Robert – Je sais, c’est moi qui te l’ai offert pour ta première communion, imbécile ! Avec ta panoplie de Zorro et ta montre de plongée.

L’individu ôte son masque de Zorro. C’est Jean-Claude. Robert range son fusil.

Honoré – Non mais quel crétin…

Robert – Les bobos ne vont pas tarder à redescendre, qu’est-ce qu’on va faire de cet abruti ?

Jean-Claude – Je voulais juste un peu de tune pour prendre le train et me présenter au concours à Paris

Félicien – Au concours ?

Jean-Claude – Un Incroyable Talent…

Félicien – Il faudrait peut-être appeler la gendarmerie, non ?

Honoré – Ou l’asile psychiatrique…

Robert – On n’a pas le temps. Et puis on ne va pas effrayer ces dames avec l’arrivée de la maréchaussée…

Robert montre à Jean-Claude le congélo.

Robert – Rentre là-dedans toi !

Jean-Claude – Là-dedans ?

Robert – Tu es contorsionniste ou pas ?

Jean-Claude – Oui, mais…

Robert – Ça va sûrement beaucoup impressionner la dame de la télé que tu puisses te cacher dans un congélateur…

Jean-Claude – Tu crois ?

Robert – Tu veux participer à cette émission, oui ou non ?

Jean-Claude – Bon d’accord…

Félicien – Il n’est pas contrariant, au moins…

Honoré – Oui… Ça m’étonne moins maintenant que ses parents aient réussi à le faire entrer dans une poubelle jaune…

Jean-Claude entre dans le congélo.

Robert – Ne vous inquiétez pas, il est débranché. On y met les eskimos en été, mais ce n’est pas encore la saison.

Ginette redescend avec Laurence et Wendy. Robert s’empresse de refermer le couvercle du congélateur.

Robert – Mesdames, je vous présente Monsieur le Maire, qui tenait à vous souhaiter personnellement la bienvenue dans notre charmante commune…

Laurence – Monsieur… Très honorée.

Honoré – Ah ! C’est amusant parce que justement, je me prénomme Honoré…

Laurence – Ah, oui…

Robert – Et voici notre curé, qui…

Félicien – Ma sœur…

Robert – Qui passait par là.

Robert – Alors, ça vous plaît, ce petit nid d’amour ?

Laurence – Oui, c’est…

Wendy – Comment vous dites déjà ?

Ginette – C’est coquet.

Laurence – C’est ça… C’est coquet. Hein Laurence ?

Wendy – Oui, c’est… C’est tout à fait le mot…

Moment de flottement.

Robert – Ça doit vous changer de Paris, évidemment.

Laurence – D’un autre côté, puisque tu cherches un nouveau concept de téléréalité… Un petit séjour ici, ça te permettrait de renouer avec la France profonde.

Wendy – C’est sûr que là… Plus profond, il faut une pelle… Pour creuser sa tombe soi-même…

Ginette – Il y a quelques travaux de rafraîchissement à prévoir, bien sûr, mais…

Laurence – On peut réfléchir, hein Wendy ?

Wendy – C’est ça, on va réfléchir… En attendant, il faut qu’on trouve un endroit pour dormir… Je tombe de sommeil, moi…

Laurence – Vous savez s’il y a un hôtel, dans le coin ? Parce qu’ici, quand même…

Wendy – Comme vous disiez, il y a quelques travaux à prévoir… Comme l’installation d’une salle de bain, par exemple…

Honoré – Hélas… Pour l’instant, nous n’avons qu’un hôtel de ville… et quelques chambres d’hôtes. Mais je me ferai un plaisir de…

Félicien – Pour une nuit ou deux, je peux vous offrir l’hospitalité au presbytère.

Laurence – Au presbytère…? Qu’est-ce que c’est ça ?

Félicien – Je suis le modeste berger de ce troupeau de pauvres pécheurs.

Laurence – Un berger qui garde des pécheurs ?

Wendy – Monsieur essaie de t’expliquer qu’il est ecclésiastique…

Laurence – Curé, bien sûr ! Vous me l’avez dit tout à l’heure… Mais comme vous n’êtes pas habillé en…

Félicien – Ah… L’habit ne fait pas le moine…

Laurence – Mais c’est très galant de votre part… Enfin, je veux dire… Un presbytère… C’est génial, non ?

Wendy – Oui. Passer la nuit dans un presbytère, c’est sûrement un truc qu’une femme doit faire au moins une fois dans sa vie…

Félicien – Mais c’est tout naturel. Simple charité chrétienne.

Laurence – Et puis chez un curé, qu’est-ce qu’on risque ?

Robert – Ça… C’est vous qui voyez…

Honoré – Bon, alors c’est arrangé comme ça. Vous verrez, vous ne serez pas déçues…

Félicien – Si vous voulez bien me suivre…

Laurence et Wendy suivent Félicien. Et ils s’apprêtent à sortir tous les trois. Ils croisent Charlie qui revient, habillé en femme. Laurence ne le reconnaît pas. Wendy le regarde avec méfiance.

Laurence – Madame…

Charlie (à Wendy) – On dirait que l’air du coin vous a fait déjà du bien…

Wendy (à Laurence) – Tu es sûre qu’ils ne nous emmènent pas dans le motel de Psychose, plutôt ?

Ils sortent.

Robert – Une journaliste et une productrice de télé ! C’est inespéré !

Honoré – Tu crois vraiment que ces deux bobos vont acheter un bistrot en faillite à Beaucon-la-Chapelle ?

Ginette – C’est très courant les gens du show biz qui rachètent un bistrot pour en faire la cantine du show-biz.

Charlie – Depardieu a même acheté une boucherie.

Honoré – Sans parler de ceux qui s’installent à la campagne pour retrouver leurs racines paysannes…

Ginette – Jean Reno fait son huile d’olive. Et Depardieu son vin de pays.

Charlie – Mais bizarrement, on ne connaît aucune vedette qui cultive des patates transgéniques.

Ginette – Ce serait une première…

Robert – Bon, tu as raison, elles ne vont pas acheter ce bistrot pourri. Mais elles travaillent pour la presse et pour la télé ! Elles pourraient parler de notre village et le faire un peu connaître.

Honoré – Je ne vois pas trop ce qui pourrait les intéresser ici…

Ginette – On va bien trouver. Il y a des tas de village en France qui n’ont aucun charme particulier, mais qui sont connus pour quelque chose…

Honoré – Ah ouais ?

Robert – Tiens, Bethléem ou Colombey-les-deux-Églises, par exemple !

Honoré – Colombey-les-deux-Églises, ils avaient De Gaulle…

Ginette – Et à Bethléem, Jésus Christ.

Charlie – À Beaucon-la-Chapelle, on n’a que Jean-Claude…

Robert – L’important, c’est de trouver un moyen pour qu’on parle de nous ! Ça attirerait un peu de monde.

Ginette – Au moins, les gens sauraient où on se trouve sur la carte.

Charlie – Et il ne serait plus question qu’on se fasse annexer par le bourg d’à côté !

Honoré – On garderait notre maire, notre instituteur, notre curé…

Ginette – Et nous on récupérerait quelques clients !

Robert – Dans l’immédiat, ce qu’il faudrait, c’est trouver une idée pour les retenir ici.

Ginette – Au moins momentanément…

Charlie – Le temps de les convaincre que l’endroit le plus animé de Beaucon-la- Chapelle, ce n’est pas le cimetière une fois par an à la Toussaint…

Honoré – Oui… Il faudrait pouvoir attirer du monde pour mettre un peu d’ambiance… Mais comment ?

Ils réfléchissent.

Robert – Un happy hour ?

Charlie – Il n’y a pas un client à 20 kilomètres à la ronde… Qui ferait 40 bornes aller-retour pour boire un deuxième verre d’alcool de pomme de terre à l’œil ?

Charlie – S’il arrive à survivre au premier…

Ginette – Bon, ben je vous laisse réfléchir… Je vais faire mes courses, moi… Si on doit avoir du monde, il faut que je réapprovisionne… Et ce n’est pas la porte à côté…

Ginette s’en va. Félicien revient.

Honoré – Alors ?

Félicien – Je les ai laissées dans le jacuzzi…

Robert – Je croyais que c’était un bassin d’agrément…

Félicien – En tout cas, elles ont l’air de se plaire…

Honoré – De là à ce qu’elles s’installent ici, il ne faut pas rêver, non plus.

Robert – On a déjà les médias, il ne reste plus qu’à trouver quelque chose pour faire parler de Beaucon…

Félicien – On pourrait organiser une kermesse ?

Robert – Putain, avec ça… Et pourquoi pas une procession, aussi ?

Charlie – Non, ce qu’il faudrait, c’est un bon fait divers bien croustillant.

Honoré – Tu as raison ! Ça, ça pourrait attirer du monde si les journaux en parlaient.

Charlie – C’est vrai… Le port où a coulé le Costa Concordia ne désemplit pas depuis le naufrage. C’est devenu un véritable lieu de pèlerinage !

Robert – Ouais, mais il y a peu de chance qu’un paquebot vienne s’échouer à Beaucon…

Charlie – Aucune chance pour un crash aérien non plus. Même les avions ne survolent pas Beaucon-la-Chapelle.

Félicien – Sauf les avions qui déversent des pesticides sur les champs de patates.

Charlie – Et aucun pilote de ligne n’est assez déprimé pour venir s’écraser volontairement ici…

Honoré – Non, il faut voir les choses en face… Nous on est plutôt dans la catégorie film à petit budget. Il faudrait quelque chose de moins grandiose, mais de très insolite…

Félicien – Un accident…

Robert – Ou même un crime épouvantable…

Félicien – On ne va pas tuer quelqu’un, et le découper en morceau, juste pour faire venir du monde à Beaucon-la-Chapelle !

Honoré – On vient d’échapper à un hold up, c’est peut-être une piste.

Charlie – Un gogol armé d’un pistolet en plastoc et d’un masque de Zorro… J’ai peur que ça ne suffise pas pour faire la une des journaux nationaux…

Ils entendent des coups.

Robert – Merde, on a oublié Jean-Claude dans le congélo…

Robert ouvre la porte du congélateur et aide Jean-Claude à en sortir.

Jean-Claude – Alors ? J’étais comment ?

Robert – Bien, très bien…

Charlie – Heureusement que le congélo n’était pas branché.

Honoré – Ouais…

Robert – Nom de Dieu ! Ça me donne une idée !

Félicien – Tu me fais peur…

Robert – Vous pensez à ce que je pense ?

Charlie – C’est vrai qu’un cadavre retrouvé dans un congélateur…

Honoré – Ah oui, un congélo, c’est bien ça… Et puis ça reste dans nos moyens…

Félicien – Pour faire venir les touristes, un cadavre dans le congélateur d’un bistrot de pays… Vous êtes sûr que c’est vraiment vendeur ?

Charlie – Il suffit d’inventer une belle histoire autour.

Robert – Je vois déjà le gros titre du journal.

Honoré – Dramatique accident à Beaucon-la-Chapelle : Fan de l’émission Un Incroyable Talent, il meurt congelé en s’entraînant pour le concours !

Robert – Ça plairait à nos bobos qui travaillent pour la télé, ça !

Tous les regards se tournent vers Jean-Claude.

Jean-Claude – Quoi, qu’est-ce que j’ai ?

Félicien – Mais enfin, vous n’y pensez pas ! On ne va pas sacrifier ce pauvre innocent, simplement pour faire un peu de pub pour notre village…

Robert – Non, mais il ne serait pas vraiment mort. Enfin pas complètement.

Félicien – Comment ça, pas complètement ?

Robert – Jean-Claude, ça te dirait de devenir célèbre ?

Jean-Claude – Célèbre, Tonton ? Tu veux dire, passer à la télé, tout ça ?

Robert – Ouais… Peut-être même dans Ouest France ou Le Dauphiné libéré.

Jean-Claude – Et qu’est-ce que je dois faire ?

Honoré – Trois fois rien…

Charlie – Juste d’être mort.

Jean-Claude – Ah non, mais moi, je veux être connu de mon vivant !

Robert – Bon, tu préfères ça ou qu’on appelle les flics ? Attaque à main armée, tu sais dans les combien ça va chercher, ça ?

Jean-Claude – Non, combien ?

Robert – Je n’en sais rien, mais ce n’est pas la question.

Honoré – Et puis tu ne seras pas vraiment mort.

Robert – On ne mettra pas le congélo à fond.

Jean-Claude semble hésiter.

Jean-Claude – Et tu me donneras un peu d’argent pour acheter mon billet de train pour Paris ?

Robert – C’est promis Jean-Claude. Tu as confiance en ton parrain, oui ou non ?

Jean-Claude – D’accord… Mais je n’ai pas bien compris. Je serai mort pendant combien de temps ?

Honoré – Tu seras mort au début.

Robert – Mais après, non.

Jean-Claude – Comme Jésus alors, hein Monsieur le Curé ?

Félicien – C’est ça… Comme Jésus…

Charlie – Tout va bien se passer, tu verras…

Honoré – Et à la fin, tu ressusciteras, comme Jésus.

Charlie – On va tout filmer, et on mettra ça sur You Tube, ça va être mortel.

Félicien – Tu vas faire le buzz mon frère. Ça va être viral !

Robert – Jean-Claude, c’est le moment de nous montrer à tous ton incroyable talent…

Jean-Claude – Bon, d’accord…

Jean-Claude rentre à nouveau dans le congélateur. Charlie filme avec son téléphone portable. Robert rebranche le congélateur.

Félicien – Vous allez vraiment le brancher ?

Robert – Ne t’inquiète pas, on va le mettre au minimum. Il sera seulement en légère hypothermie, pour que ce soit plus crédible.

Honoré – Juste un peu givré, ça ne le changera pas beaucoup…

Robert – Je vais le mettre sur deux…

Félicien – Et si il meurt vraiment ? Vous y avez pensé ? C’est toi qui seras accusé de meurtre, Robert ! C’est ton congélo, quand même !

Honoré – Mais il ne va pas mourir ! Au pire il s’en sortira avec un gros rhume.

Charlie – Un ou deux doigts gelés au maximum. Comme ces alpinistes qui partent à la conquête de l’Himalaya. Quand on veut être un héros, il faut savoir faire des sacrifices…

Félicien – Oui enfin là, il s’agit simplement de rester enfermé dans un congélo…

Charlie – Entre nous, pour ce qu’il fait de ses doigts… Si on lui en coupe deux ou trois, il lui en restera bien assez pour se les mettre dans le nez…

Robert – C’est juste le temps de faire un peu de foin autour de ça et faire parler de notre village dans les médias.

Charlie – Mais les flics, ils vont bien voir qu’il n’est pas mort !

Robert – C’est vrai que là, c’est peut-être le point faible de notre plan.

Honoré – Les flics ? Tu les connais ! Avec un petit verre dans le nez, ils prendraient ta femme pour Miss France…

Robert lance à Honoré un regard menaçant.

Robert – Je ne sais pas comment je dois le prendre…

Charlie – Il veut dire qu’à jeun, ils la prendraient pour Miss Monde.

Robert – On mettra quelques glaçons par dessus, pour que ce soit plus crédible…

Jean-Claude ressort la tête du congélateur.

Jean-Claude – Ça va, je suis bien coiffé ?

Robert – Mais oui, ne t’inquiète pas.

Jean-Claude – Et mon T shirt, ça va ?

Charlie continue à filmer.

Robert – Allez, rentre dans ta boîte, toi. Ginette ne va pas tarder à rentrer…

Jean-Claude – Il ne fait pas très chaud là dedans.

Robert – C’est un congélateur, abruti !

Jean-Claude – Et il n’y a pas beaucoup de lumière…

Félicien – Je me suis toujours demandé si quand on fermait la porte d’un frigo, la lumière s’éteignait vraiment.

Charlie – Vous feriez mieux de vous demander s’il y a vraiment une vie après la mort…

Honoré – En tout cas, là, on aura un témoin oculaire… Enfin si on arrive à le décongeler…

Robert – Au pire, la journaliste pourra toujours faire un article là-dessus…

Charlie – J’entends déjà Jean-Pierre Pernaud au journal de 13 heures : Vous vous êtes toujours demandé si la lumière s’éteignait vraiment quand vous fermez la porte de votre congélo ? Un courageux habitant de Beaucon-la-Chapelle a accepté de se prêter à une curieuse expérience pour apporter une réponse définitive à cette angoissante question…

Jean-Claude – Le journal de 13 heures ? Ok, j’y retourne…

Jean-Claude rentre dans le congélateur. Robert prend le seau à glaçon et en déverse le contenu dans le congélateur.

Félicien – Vous allez le laisser combien de temps, là dedans.

Honoré – Une nuit, ça suffira.

Robert – On va laisser Ginette en dehors de ça, et c’est elle qui le découvrira demain matin. Ce sera plus crédible. Elle est très mauvaise comédienne…

Honoré – Ne t’inquiète pas Félicien. Tu vois bien, s’il y a un problème, il peut sortir tout seul…

Honoré – Bon, maintenant vous feriez mieux d’y aller avant que Ginette revienne. Je ne suis pas sûr que vous soyez très bons comédiens vous non plus…

Ils sortent tous. Ginette revient avec les courses, qu’elle commence à ranger.

Ginette – Je vais m’occuper des eskimos avant qu’ils fondent… (Elle met les glaces dans le congélateur sans voir Jean-Claude) Il faut que je rebranche le congélo… Ah, Robert y a déjà pensé… Mais il ne l’a pas mis assez fort… Je vais le mettre à 10… (Elle referme la porte du congélateur et pose dessus un sac de patates qu’elle a ramené) Bon, je m’occuperai des frites demain matin, je suis crevée, moi…

Elle s’apprête à partir, mais jette un dernier regard vers le congélo.

Ginette – C’est marrant, je me suis toujours demandé si la lumière du congélo s’éteignait vraiment quand on fermait la porte… Enfin…

Elle éteint la lumière et s’en va. On entend des coups dans le congélateur.

Noir. Ellipse de la nuit. Possible entracte.

Acte 2

Lumière. Ginette arrive en baillant, et met le bistrot en route, comme tous les matins. Elle prend le sac de patates sur le congélo et commence à en éplucher quelques unes en frites.

Ginette – Des frites, des frites, des frites…

Robert arrive.

Robert – Bonjour ma chérie, tu as bien dormi ?

Elle lui lance un regard interloqué.

Ginette – Ça ne va pas, tu es malade ?

Robert – Si, si, tout va très bien. Qu’est-ce que tu fais ?

Ginette – Ben tu vois, j’épluche des patates.

Robert – Ah oui…

Ginette – Je vais mettre des frites à congeler. On en aura pour tout l’été…

Robert – Tu veux que je t’aide à les éplucher ?

Ginette le regarde à nouveau avec un air soupçonneux.

Robert – Comme ça tu pourras préparer le breakfast des parisiennes…

Robert se met à éplucher les patates. Ginette le regarde avec stupéfaction.

Ginette – Tu es sûr que ça va ?

Robert – Ben oui, pourquoi ?

Ginette – Je ne sais pas… C’est la première fois que je te vois éplucher des patates.

Robert (avec un regard vers la porte) – Tiens, les voilà justement…

Ginette – Un breakfast… Et pourquoi pas un brunch, aussi…

Laurence et Wendy arrivent.

Robert – Bonjour Mesdames ! Alors ? Bien dormi ?

Laurence – Comme une souche !

Wendy ne répond pas, mais la nuit n’a pas l’air de lui avoir beaucoup profité.

Robert – Je vous l’avais dit, vous finirez par prendre racine.

Wendy – En attendant, je vais prendre un thé citron.

Laurence – La même chose pour moi.

Ginette – Je vous fais ça tout de suite…

Ginette prépare le thé.

Laurence – Vous avez des croissants ?

Ginette – Ah non… Mais je peux vous faire des frites, si vous voulez. Elles sont toutes fraîches…

Wendy – Merci, ça ira…

Ginette – Deux thés citron, ça roule… Mais je vous préviens, on n’a pas de citron.

Laurence – Du moment que l’eau est chaude, ce sera parfait…

Robert – Ne vous inquiétez pas… De toute façon, ici, on la fait toujours bouillir… C’est plus prudent…

Ginette – Pendant que l’eau chauffe, je vais voir si mon congélo est assez froid pour que je puisse surgeler mes patates…

Robert affiche un sourire idiot.

Robert – Asseyez-vous, je vous en prie. Ça ne va pas tarder…

Les deux parisiennes s’asseyent à une table.

Wendy (en aparté à Laurence) – Tu as raison, on ne va pas s’attarder ici… C’est typique, mais bon… Ils ont l’air un peu dégénérés, tous autant qu’ils sont…

Laurence – C’est vrai que quand le curé est venu nous rejoindre hier soir dans le jacuzzi, c’était un peu spécial…

Wendy – Si encore il avait mis un maillot de bain…

Robert continue d’éplucher ses patates.

Robert – Je crois que ça va être une belle journée.

Elles sourient poliment.

Wendy – Regarde-le, celui-là, avec son grand couteau, en train couper ses patates transgenre…

Laurence – Transgénique, tu veux dire.

Wendy – On se demande combien de clients de passage il a déjà égorgés avec… Comment ça s’appelle déjà, ce bistrot ? L’auberge Rouge ?

Laurence (riant nerveusement) – Arrête, tu vas finir par me faire peur…

Wendy – Je me demande où ils planquent les corps…

Laurence – Dans la cave, peut-être…

Wendy – Ou dans le congélateur.

Elles étouffent un rire nerveux.

Laurence – Allez… On avale notre thé, et on s’en va…

Laurence sursaute en entendant le cri que pousse Ginette en ouvrant le congélateur.

Ginette – Oh mon Dieu ! Qu’est-ce que c’est que cette horreur ?

Robert (feignant la surprise) – Qu’est-ce qui se passe ?

Ginette – Il y a un macchabée dans le congélo !

Robert – Quoi ?

Laurence lance un regard effaré à Wendy.

Robert (jouant mal la surprise) – Un macchabée ? Mais c’est qui ?

Ginette – Je ne sais pas… Je n’ai pas osé regarder ! J’ai juste aperçu deux yeux qui me regardaient fixement à travers les glaçons !

Charlie arrive.

Charlie – Qu’est-ce qui se passe ?

Robert – Ginette vient de trouver un cadavre dans le congélo !

Charlie – Pas possible ! Quelqu’un qu’on connaît ?

Robert – On ne sait pas encore…

Charlie filme avec son portable.

Laurence – C’est des dingues… Allez viens, on s’en va…

Wendy – Ah non, attends un peu ! Maintenant que ça commence à être intéressant…

Ginette – Il faut prévenir la police…

Robert – Quelle histoire…

Wendy – Je pourrais avoir mon thé, après ?

Robert – Je m’en occupe tout de suite… The tea must go on…

Ginette décroche le téléphone.

Ginette – Oui, le commissariat ? Il faut venir tout de suite. Il y a de la viande froide dans le congélo. Non, pas un bébé, vous pensez bien que je ne vous dérangerais pas pour si peu.

Robert sert le thé.

Robert – Un nuage de lait ?

Ginette – Oui, à Beaucon-la-Chapelle. Où c’est…? Disons, au kilomètre 22 entre Beaucon-les-deux-Églises et Beauchamp-la-Fontaine… Merci, on vous attend…

Robert – Alors ?

Ginette – Ils envoient tout de suite deux spécialistes de la police scientifique…

Laurence – La police scientifique ? On se croirait dans une mauvaise série télé à la française…

Charlie – Pourquoi est-ce que cette expression sonne comme un pléonasme…?

Wendy – Les Experts à Beaucon-la-Chapelle… Forcément, ça sonne moins bien que Les Experts à Miami…

Laurence – En tout cas, je crois qu’on va bientôt parler de ce bled dans le canard local…

Wendy – Comme disait Andy Warhol : tout le monde a droit à son quart d’heure de célébrité…

Honoré et Félicien arrivent.

Honoré – Alors Mesdames, tout se passe bien ?

Charlie – On vient de trouver un cadavre dans le congélateur.

Félicien – Un cadavre ? Tu veux dire un cadavre humain ?

Charlie – Ben oui, pas un cadavre de bœuf réparti en steaks hachés surgelés.

Ginette ouvre à nouveau la porte du congélateur.

Ginette – Regardez ! Il a laissé une lettre sur la porte du congélo, à l’intérieur…

Félicien – Une lettre ?

Robert – Non ?

Ginette – Enfin, c’est plutôt un message gravé sur la glace. Un lettre d’adieux, peut-être…

Honoré – Alors ce serait un suicide ?

Charlie – À ma connaissance, ce serait la première fois que quelqu’un se suicide en s’enfermant volontairement dans un congélateur.

Honoré – Oui… Dans un sauna, c’est déjà arrivé, je crois, mais dans un congélo…

Charlie s’approche du congélateur.

Charlie – Ou alors, il a laissé ce message pour désigner à la police le nom de son assassin…

Honoré – Non…

Robert (à Ginette) – Eh ben lis !

Ginette – C’est bourré de fautes d’orthographe…

Charlie – C’est curieux… Pourquoi est-ce que ça ne m’étonne pas ?

Ginette – J’ai du mal à comprendre le début…

Félicien – L’instituteur saura peut-être mieux déchiffrer ces gribouillis, il a l’habitude.

Charlie regarde dans le congélateur.

Charlie – C’est curieux… Cette écriture m’est étrangement familière…

Robert – Alors ?

Charlie – Attendez que je regarde… Ah oui, ça y est : Robert m’a tué…? (Consternation de tous les autres, qui regardent Robert) Non, je déconne…

Ginette – Allons, Monsieur l’instituteur, ce n’est pas le moment de plaisanter.

Charlie – Voyons voir… (Lisant) J’ai un incroyable talent… mais je commence à me les geler.

Tous se regardent, consternés. On entend un bruit de retors d’hélicoptère.

Félicien – Qu’est-ce que c’est que ça ? Habituellement, Monsanto ne bombarde pas en cette saison ?

Ramirez et Sanchez, les deux flics, arrivent. Ils ont plutôt l’air de ploucs que de policiers d’élite. Ramirez, le commissaire, peut ressembler vaguement à Columbo.

Robert – Ah, voilà la police scientifique…

Ginette – Eh ben, ils sont rapides.

Charlie – C’est les forces spéciales. Ils ont dû les parachuter…

Ramirez – Commissaire Ramirez, et voici l’inspecteur Sanchez. On est venus en hélico, pour aller plus vite, mais on a eu du mal à le trouver, votre foutu bled.

Sanchez – De là haut, pour se repérer, on a suivi la route. Mais elle s’arrête au beau milieu d’un champ de patates.

Honoré – Ah oui, c’est l’ancienne route nationale. Elle a été déclassifiée en chemin vicinal il y a quelques années quand ils ont construit l’autoroute.

Robert – Ce qui a fait beaucoup de tort aux commerces de Beaucon, croyez-moi.

Ramirez – Des commerces ? Quels commerces ?

Sanchez – On ne savait même pas qu’il y avait encore des gens qui habitaient ici.

Félicien – Avant guerre, on avait encore une épicerie… Enfin, c’est ce qu’on dit…

Honoré – Maintenant, on va une fois par mois chez Carrefour et on met tout au congélateur.

Ramirez – Ah, justement… Alors ce congélateur ?

Sanchez – Where is the body ? Comme disent nos collègues américains…

Robert – C’est par là, mais vous avez bien le temps de prendre un petit remontant avant, non ?

Ginette – Parce que je vous préviens, ce n’est pas beau à voir…

Ramirez – Je ne sais pas si… À ce point-là ?

Honoré – Il est dans le congélo ! Il ne risque pas de s’abîmer…

Ramirez – Dans ce cas… Allez, un petit alors. Pour nous donner un peu de coeur à l’ouvrage, pas vrai Sanchez ?

Robert – Mesdames, ça vous tente ? Pour remplacer le citron dans votre thé ?

Wendy – Pourquoi pas…

Laurence – Au point où on en est.

Robert verse une dose dans chacune des tasses et repart. Laurence regarde sa tasse.

Laurence – Tu as vu ? Le thé est devenu transparent comme de l’eau.

Wendy – Ah oui…

Laurence – C’est peut-être toxique.

Wendy – On alors, c’est qu’ils ont oublié de mettre le thé dans l’eau chaude.

Laurence – En tout cas, l’eau s’est remise à bouillir…

Elles échangent un regard inquiet.

Ramirez – Ce n’est pas mauvais…

Sanchez – En tout cas, on le sent bien passer.

Ramirez – Ça réveille…

Sanchez – Je vois un peu trouble, c’est normal ?

Charlie – Ne vous inquiétez pas, en général, c’est passager.

Félicien – On a rapporté quelques cas de cécité permanente, mais c’est extrêmement rare.

Sanchez – Ah oui, c’est plutôt une drogue dure, dites donc.

Ramirez – Enfin, tant que ça reste légal…

Sanchez – Ça dégage bien les bronches, aussi.

Ramirez – Ce n’est pas inflammable, au moins ?

Charlie – Je connais un cracheur de feu qui utilisait ça à la place du super sans plomb parce que c’était moins cher.

Honoré – Moi-même j’en mets parfois un peu dans mon Quatre Quatre et je n’ai pas remarqué que ça marchait moins bien.

Ramirez – En effet… Je n’ai jamais bu de Diesel, mais je crois que ça doit avoir un goût similaire.

Félicien – C’est vrai que si on buvait du Destop après ça, on aurait sûrement l’impression de boire de l’eau bénite.

Ils finissent tous leurs verres.

Ramirez – Bon, alors ce cadavre humain ?

Robert – Par ici Commissaire, je vous en prie…

Ramirez – Allez-y, Sanchez. Vous savez que moi, je supporte très mal de voir un mort. (Aux autres) Je crois que si j’arrête ce métier un jour, ce sera à cause de ça…

Robert ouvre la porte du congélateur. L’instituteur filme.

Sanchez – Ah oui, dites donc, il est dur comme du bois.

Honoré – Pardon ?

Sanchez – Venez voir, Chef.

Ramirez – Non, non, je vous fais confiance.

Robert, Honoré et Félicien s’approchent pour vérifier.

Félicien – Nom de Dieu, il est vraiment congelé…

Ramirez – Vous avez l’air surpris, mon Père… Pourtant, vous, vous avez l’habitude d’en voir, des macchabées…

Robert – Je ne comprends pas ! Je l’avais mis au minimum…

Consternation de Robert, Honoré, Félicien et Charlie.

Ginette – C’est moi qui l’ai mis sur dix hier soir. Pour congeler les frites, ce matin…

Sanchez – Et si c’était une affaire de bébés congelés, chef ?

Ramirez – C’est un bébé ?

Sanchez – Non. Ça a plutôt l’air d’être un homme d’une vingtaine d’années…

Ramirez – Eh ben alors ?

Sanchez – Il a peut-être survécu jusqu’à cet âge-là en mangeant ce qu’il y avait dans le congélo. Et quand il n’y a plus rien eu il est mort de faim ?

Ramirez – C’est une piste intéressante, Sanchez… Qu’est-ce qu’il y avait dans ce congélo ?

Ginette – Rien. Il est resté débranché tout l’hiver…

Ramirez – Je vois…

Sanchez – Chef, je crois qu’il a aussi essayé de dessiner quelque chose sur le couvercle.

Ramirez – Non ? Là il faut quand même que je vois ça…

Ramirez s’approche.

Ramirez – Ah oui, dites donc… C’est la Grotte de Lascaux, là dedans… Qu’est-ce que ça veut dire ?

Sanchez – Je ne sais pas… On dirait des hiéroglyphes…

Ramirez – Prenez tout ça en photo, Sanchez. Et refermez la porte avant que ça fonde. On fera analyser ça par un égyptologue.

Sanchez – Pour quoi faire Chef ?

Ramirez – Pour cerner la personnalité de la victime.

Sanchez – Généralement, on cherche plutôt à cerner la personnalité de l’assassin…

Ramirez – Ne commencez pas à m’embrouiller, Sanchez. Vous voulez m’apprendre mon métier ?

Sanchez – Mais pas du tout, Chef. Je prends ça en photo tout de suite…

Ramirez – On demandera au labo une datation au carbone 14. Quand on saura quand il est mort, on pourra faire des hypothèses sur les circonstances du décès…

Robert – Vous nous soupçonnez, Commissaire ?

Ramirez – C’est quand même chez vous qu’on a retrouvé le corps.

Ginette – Mais c’est nous qui avons appelé la police !

Ramirez – Si vous saviez le nombre d’assassins qui appellent eux-mêmes la police après avoir commis leur crime, vous seriez surpris.

Honoré – Et à votre avis, Commissaire, la mort remonte à combien de temps ?

Ramirez – Le problème, avec les surgelés, c’est que c’est toujours difficile à dire. Ce type peut être là depuis hier comme depuis six mille ans.

Sanchez – J’espère que vous avez tous un bon alibi entre le Jurassique et le Crétacé…

Ginette – Puisque je vous dis que ce congélateur n’est branché que depuis hier soir…

Sanchez – Qu’est-ce qu’on fait, patron, on le sort du congélo ?

Ramirez – Pour l’instant il est bien là… Vous savez, avec les surgelés, il faut éviter toute rupture dans la chaîne du froid…

Sanchez – Alors qu’est-ce qu’on fait, Patron ?

Ramirez – Qu’est-ce qui vous prend, Sanchez ?

Sanchez – Quoi Patron ?

Ramirez – Jusqu’à maintenant, vous m’appeliez Chef. Pourquoi est-ce que vous vous mettez à m’appeler Patron. Je n’aime pas beaucoup ces familiarités.

Sanchez – Pardon Chef, vous avez raison.

Ramirez – On n’est pas dans un épisode de Navarro, Sanchez. Nous représentons l’élite de la Police : la police scientifique !

Sanchez se met au garde-à-vous.

Sanchez – Chef, oui Chef !

Ramirez – Repos.

Sanchez – Alors qu’est-ce qu’on fait, Patron ?

Ramirez – Fouillez-moi plutôt ce taudis… (En aparté) Et n’hésitez pas à foutre un maximum de bordel même si ce n’est pas nécessaire, ça impressionne toujours les suspects.

Sanchez – Bien, Chef.

Sanchez commence à fouiller le café en remuant un maximum de choses et en faisant un maximum de bruit.

Ramirez (à Ginette) – Alors comme ça, chère Madame, vous êtes la dernière personne a avoir vu la victime vivante ?

Ginette – Euh… non. Je suis la première à l’avoir vu morte.

Ramirez – Oui, c’est aussi ce que je voulais dire. Donc c’est vous qui avez découvert le corps. Ce qui fait de vous le suspect numéro un.

Robert – Mais enfin, Commissaire !

Ramirez – Vous, je vous conseille de la fermer. Vous l’ouvrirez quand on vous le demandera, d’accord ?

Sanchez – Chef, je crois que j’ai trouvé l’arme du crime.

Il sort de derrière le comptoir le pistolet en plastique que Robert a confisqué à Jean-Claude.

Ramirez – C’est un jouet, Sanchez. Vous voyez bien.

Sanchez – Vous avez raison, chef… Et puis la victime n’est pas morte par balle…

Ramirez – Ça, ce sera à l’autopsie de le confirmer. On a très bien pu le tuer avec ce revolver et le mettre ensuite au frais dans le congélateur.

Sanchez – Mais vous disiez vous même que c’était un pistolet en plastique…

Ramirez – Ne recommencez pas à m’embrouiller, Sanchez. (Il se fige comme en proie à une vision) Je viens d’avoir un flash… Et il me semble que cette affaire est beaucoup plus compliquée qu’elle n’en a l’air.

Sanchez – Pour moi, elle avait l’air déjà assez compliquée…

Charlie – Méfiez-vous, Commissaire, pour le flash, c’est peut-être un effet de l’alcool de patate…

Sanchez continue à fouiller.

Sanchez – Sinon, on a ça, aussi.

Il sort le fusil de chasse.

Ramirez – C’est à vous, ce fusil ?

Robert – Quoi, c’est interdit de chasser ?

Ramirez – Non… Mais c’est louche. Qui vole un oeuf, vole un boeuf. Qui tue un sanglier, est un meurtrier. Il y a un logement, au dessus ?

Robert – Oui.

Ramirez – Venez, Sanchez, on va jeter un coup d’œil là-haut… (Avec un regard vers les deux parisiennes) Ce bistrot m’a tout l’air d’être un hôtel de passe…

Sanchez – En attendant, personne ne bouge d’ici, d’accord ?

Ramirez – Vous la mère maquerelle, vous passez devant.

Ginette – Si vous voulez bien me suivre, Commissaire…

Ramirez désigne du menton les deux parisiennes.

Ramirez (à Sanchez) – On interrogera les deux putes tout à l’heure.

Laurence et Wendy échangent un regard consterné. Les deux policiers sortent avec Ginette. Robert, Honoré et Charlie sont emmerdés. Ils en oublient la présence des deux parisiennes qui depuis un bon moment assistent à tout ça sans rien dire.

Robert – Il ne manquait plus que ça… Maintenant, on a un mort sur les bras.

Honoré – On ? Moi je n’ai rien fait !

Robert – Quoi ? Mais on était tous d’accord !

Charlie – C’est vrai que c’était plutôt ton idée, Robert…

Stupéfaction de Wendy et Laurence.

Laurence – Mais alors vous êtes au courant ?

Wendy – Vous êtes tous complices !

Laurence – Complices d’un crime…

Les autres se tournent vers elles, pris en faute.

Honoré – Non mais… Ce n’est pas du tout ce que vous croyez…

Charlie – C’est vrai que les apparences sont trompeuses…

Félicien – Et que vous avez pu mal interpréter nos propos…

Honoré – Mais c’est tout au plus un homicide involontaire.

Robert – Pour ne pas dire un accident de travail.

Laurence – C’est vous qui avez mis ce type dans ce congélo, oui ou non ?

Charlie – C’est un peu plus compliqué que ça…

Robert – C’était juste pour mettre un peu d’ambiance.

Honoré – Pour vous montrer qu’il se passait aussi des choses à Beaucon-la-Chapelle.

Charlie – Pour que vous ayez matière à écrire un petit article sur nous.

Félicien – En fait, c’était plutôt pour vous rendre service, quoi.

Honoré – Malheureusement, les choses ont mal tourné.

Laurence – C’est des dingues, je te dis…

Robert – Mais vous n’allez pas nous dénoncer à la police, hein ?

Laurence – Viens, Wendy, on s’en va…

Elles se lèvent pour partir. Les flics redescendent alors avec Ginette.

Ramirez – Personne ne sort d’ici sans mon autorisation.

Les deux parisiennes se rasseyent.

Ramirez – Qu’est-ce que vous en pensez, Sanchez ?

Sanchez – Oui, c’est coquet…

Ramirez – Je ne vous parle pas de la déco, abruti ! Je vous parle de notre enquête !

Sanchez – Ah pardon… Ce que j’en pense, Patron… Franchement…

Ramirez – Je vois… Il va encore falloir que je trouve moi-même la clef de cette énigme, en m’en fiant à mon seul instinct.

Ramirez se tourne vers les autres et perçoit le malaise.

Ramirez – Et mon instinct me dit que tous ces abrutis ont tous de bonnes têtes de coupables. Croyez-en mon expérience, Sanchez.

Sanchez – Vous avez raison, Chef. Je dirais même plus : des têtes d’assassins…

Félicien – Mais enfin, Messieurs, je vous en prie ! Vous parlez à un ministre du culte.

Ramirez – Ne vous laissez pas impressionner, Sanchez. Le ministre du culte est à la hiérarchie catholique ce que le maréchal des logis est à la hiérarchie militaire : un titre ronflant pour désigner un simple sous-off du bas clergé.

Honoré – Enfin Commissaire, je suis, en ce qui me concerne, le premier magistrat de cette commune.

Sanchez – C’est ça. Et moi je suis un gardien de la paix. Pourquoi pas Casque Bleu, aussi ?

Ramirez (à tous les autres) – Bon assez rigolé. Si vous avez quelque chose à me dire, bande de ploucs, c’est maintenant.

Robert – Eh bien…

Honoré – C’est-à-dire que…

Charlie – Non, je ne vois pas…

Sanchez – Je pencherai pour le curé, Patron. On lui donnerait le Bon Dieu sans conviction, mais il a une belle tête de maquereau…

Ramirez – Très bien, puisque personne ne veut se mettre à table, on va procéder à la reconnaissance du corps. Ça vous rafraîchira peut-être les idées…

Il ouvre le couvercle du congélo.

Ginette – Attendez, je vais retirer les frites…

Ramirez (à Robert) – Viens un peu par ici, toi. Tu reconnais la victime, oui ou non ?

Robert – Avec la couche de glace qu’il a sur le visage, comment savoir ?

Sanchez – On ne va pas attendre le dégel, non plus…

Ramirez aperçoit les deux parisiennes.

Ramirez – Bon, alors on va procéder autrement… C’est qui, ces deux pouffes ?

Sanchez – Vous êtes proxénète à vos heures perdues, c’est ça ? Pour arrondir vos fins de mois.

Robert – Ce sont des touristes de passage dans la région, Commissaire.

Ramirez – Des touristes ? À qui tu voudrais faire avaler ça ? Les derniers touristes qu’on a vu dans le coin, c’était des allemands. Ils portaient des uniformes, et ils sont repartis d’eux-mêmes au bout d’une semaine tellement ils étaient déprimés.

Sanchez – Cette affaire est de plus en plus louche, chef.

Ginette – Ce qui est sûr c’est qu’avant l’arrivée de ces deux bonnes femmes, ici, c’était un petit village sans histoire.

Charlie – Et on pourrait presque dire sans géographie.

Laurence – Alors vous, vous ne manquez pas de culot !

Ramirez – Vous, les deux putes, amenez un peu votre cul par ici.

Laurence s’approche, suivie de Wendy. Ramirez force Laurence à mettre la tête dans le congélo.

Ramirez – Alors vous non plus, vous ne connaissez pas la victime ?

Laurence – Quelle horreur !

Wendy regarde aussi.

Wendy – C’est vrai que son visage me dit quelque chose…

Sanchez – Ça doit être quelqu’un du coin, Chef. Il a l’air un peu demeuré. Et puis on n’arrive pas dans un trou pareil par hasard.

Ramirez considère à nouveau les deux parisiennes.

Ramirez – Des touristes…

Robert – Je vous assure, Commissaire. Elles viennent de Paris. Il y en a une qui travaille pour la presse et l’autre pour la télé.

Ramirez – On peut très bien être une pute et travailler pour la télé. Qu’est-ce que vous en pensez, Sanchez ?

Sanchez – Moi je pencherai plutôt pour une affaire de fesse.

Ramirez (à Honoré) – C’était l’amant de ta femme, c’est ça ? C’est pour ça que tu l’as tué ?

Honoré – Je ne suis pas marié, Commissaire.

Sanchez – Dommage pour toi. Tu aurais pu plaider le crime passionnel…

Ramirez – Alors c’est toi, le cocu ?

Sanchez – C’est vrai qu’il a une belle tête de cocu.

Robert – Mais enfin pas du tout ! Enfin si, mais… C’est le curé, l’amant de ma femme !

Ramirez – Je vois… (Il se tourne vers les deux parisiennes) Et vous vous n’avez rien vu, évidemment ? Pour des journalistes, vous n’êtes pas très observatrices, dites-moi…

Laurence – En fait si… Depuis la fenêtre de l’appartement du dessus, j’ai cru voir un homme, genre Zorro, rentrer dans le café.

Sanchez – Zorro ?

Ramirez – Qu’est-ce que vous foutiez là-haut ?

Sanchez – Peut-être qu’elle se tapait le patron…

Wendy – Madame nous faisait visiter son appartement qui est à vendre.

Ramirez – Donc, vous avez vu Zorro rentrer dans le Café du Commerce… (Ironiquement) C’est peut-être lui l’assassin, hein Sanchez ? Regarde-moi voir si ce Don Diego de la Vega n’est pas déjà fiché par nos services…

Sanchez – Très bien chef… Vous pouvez me répétez le nom ?

Ramirez soupire.

Laurence – Je voulais dire un homme masqué, Commissaire.

Wendy – C’est peut-être un braquage qui a mal tourné ?

Laurence – Ils pourront toujours plaider la légitime défense.

Ramirez – Vous voulez faire l’enquête à ma place ?

Laurence – Pas du tout Commissaire.

Wendy – Même si je crois que l’enquête avancerait plus vite…

Ramirez – Bon, Sanchez, tu vas procéder à un prélèvement ADN pour identifier la victime…

Sanchez – Je m’en occupe tout de suite, Chef…

Ramirez – Il faudra aussi un prélèvement ADN de tous les suspects.

Sanchez – Pour quoi faire, Chef ?

Ramirez – À ton avis ?

Sanchez – Pour savoir qui est le père du bébé congelé qui a grandi dans ce congélo ?

Ramirez – Non, pour savoir lequel d’entre eux est Zorro, imbécile… Emmène-les à la mairie pour faire les prélèvements… et tu envoies les échantillons au labo.

Sanchez – Allez, suivez-moi…

Les deux parisiennes s’apprêtent à le suivre.

Ramirez – Non, pas vous… J’ai encore quelques questions à vous poser…

Les autres sortent.

Ramirez – Bon, maintenant que nous sommes seuls, si vous me disiez ce que vous faites vraiment dans le coin ? C’est rare que la presse soit là avant la police sur les lieux d’un crime. Surtout dans un coin pareil…

Laurence – C’est un pur hasard, Commissaire, je vous assure…

Ramirez – C’est ça, oui… Au mauvais endroit au mauvais moment… (À Wendy) Et vous vous n’avez rien d’autre à me dire ? Pour une productrice de télé, vous manquez sérieusement d’imagination. Vous travaillez pour quelle chaîne ?

Wendy – Principalement pour France Télévision…

Ramirez – Je vois… France 2, France 3, France 4, France 5… C’est vrai que l’imagination, apparemment, ce n’est pas ce qu’on demande à une productrice chez France Télévision.

Laurence – Ah oui ? Et qu’est-ce qu’on lui demande, à votre avis ?

Ramirez – Ses mensurations ?

Wendy – Là c’est vous qui versez dans le cliché, Commissaire. Si je puis me permettre.

Ramirez – Ne me dites pas que vous êtes venue ici pour un casting…

Laurence – Encore que, vous savez, il y a ici une galerie de portraits. Non mais vous avez vu ces gueules d’abrutis ?

Ramirez – Oui… Remarquez, ce n’est pas faux.

Wendy – Vous-même Commissaire… On vous a déjà dit que vous aviez un physique à faire de la télévision ?

Ramirez – Vous trouvez ?

Wendy – Ah oui… Du cinéma, peut-être pas, mais de la télé… Je vous laisserai ma carte, si vous voulez.

Ramirez observe un instant les deux femmes.

Ramirez – Je peux vous demander de quelle nature sont vos rapports à toutes les deux, exactement ?

Wendy – Nos rapports ?

Ramirez – Oui enfin… Vous voyez ce que je veux dire…

Laurence – Est-ce qu’il y a… un rapport avec votre enquête ?

Ramirez – Aucun, simple curiosité malsaine…

Robert, Honoré, Charlie et Félicien reviennent, l’air embarrassé.

Ramirez – Bon allez, vous pouvez circulez, mais vous ne quittez pas le territoire de la commune jusqu’à nouvel ordre…

Wendy et Laurence s’éloignent.

Honoré – Il faudrait qu’on vous parle, Commissaire… Et en tant que Premier Magistrat de cette commune…

Ramirez – Tu peux m’épargner les préliminaires…

Honoré – On est un peu dépassés par la situation… Et après en avoir discuté entre nous, nous pensons qu’il y a certaines choses que vous devriez savoir…

Ramirez – Voyez-vous ça…

Robert – Nous savons qui est la victime.

Ramirez – Tiens donc… Alors ça vous revient maintenant.

Félicien – C’est Jean-Claude, son neveu.

Honoré – Tu veux dire son cousin.

Robert – Bref mon filleul.

Honoré – Depuis des années, il s’entraîne pour un Incroyable Talent.

Félicien – Il est contorsionniste.

Robert – Un jour on l’a retrouvé dans une valise.

Ramirez – Oui ben maintenant, il pourrait jouer dans Hibernatus.

Charlie – En fait, c’est un accident…

Ramirez – C’est vous qui l’avez mis ce congélateur oui ou non ?

Robert – Oui…

Félicien – Enfin non…

Robert – Je pensais que le congélo était débranché.

Ramirez est sceptique.

Ramirez – Si vous étiez à ma place et qu’on vous racontait une histoire pareille, qu’est-ce que vous en penseriez ?

Sanchez revient, suivi de Ginette.

Ramirez – Bon, pour l’instant, on va tous vous embarquer en hélicoptère jusqu’au poste, et vous nous expliquerez tout ça. Vous serez peut-être un peu plus bavard après quelques coups de bottin sur la tronche.

Charlie – Vous croyez vraiment qu’on va tous tenir dans cet hélico, Commissaire ?

Honoré – Sinon, vous pouvez commencer par torturer les patrons de ce café. Après tout, il s’agit de leur congélateur.

Félicien – Et de leur filleul. Somme toute, c’est une affaire de famille..

Robert – Je n’en attendais pas moins de vous, mon Père. En ce qui concerne la vôtre, de famille, les De Marsac sont curés et collabos de père en fils.

Félicien – Monsieur le Commissaire, je vous demande de faire preuve d’humanité. Laissez-moi au moins donner à ce pauvre innocent une dernière bénédiction.

Ramirez – D’accord, mais vite fait alors.

Honoré s’approche de Ramirez avec un air de conspirateur.

Honoré – En attendant, on peut peut-être s’arranger pour éviter des complications. La justice est déjà tellement surchargée…

Ramirez – De mieux en mieux… Corruption de fonctionnaire ?

Honoré – Pas du tout, Commissaire ! Puisque nous sommes tous les deux au service de la République ! Techniquement, on ne peut se corrompre entre serviteurs de l’état. Je vous propose seulement un arrangement allant dans le sens des intérêts de la Nation…

Ramirez – C’est vrai que vu comme ça… Combien ?

Honoré – Disons…

Félicien ouvre le couvercle du congélateur, et esquisse un signe de croix.

Félicien – Oh mon Dieu !

Ramirez – Quoi encore ?

Félicien – Le cadavre… Il est ressuscité…

Sanchez examine le corps décongelé.

Sanchez – Ah oui, Chef. Il a ouvert un œil…

Robert – On dirait que la glace a fondu.

Ginette – Le congélo a dû tomber en panne. Heureusement que je n’y avais pas encore mis toutes mes frites.

Ramirez – Il n’a pas l’air très frais, tout de même.

Charlie – Comme vous disiez tout à l’heure… Quand il y a une rupture dans la chaîne du froid…

Jean-Claude sort du congélateur, comme Dracula de son cercueil.

Félicien – Seigneur Dieu ! (Il se signe) On dirait Jésus Christ se levant du tombeau…

Charlie – Revu et corrigé pour une publicité Findus.

Jean-Claude – Aboule le fric, Tonton !

Sanchez – Ça ce n’est pas très catholique, en revanche…

Ginette – Quel fric ?

Robert – Je t’expliquerai, Ginette…

Ramirez – C’est plutôt à la police que vous devriez expliquer cette farce.

Honoré – Excusez-nous, Commissaire, il s’agissait simplement d’un pari stupide.

Félicien – On voulait mettre la vidéo sur You Tube.

Ramirez – Et lui ? Il était consentant ?

Sanchez (à Jean-Claude) – Vous désirez porter plainte ?

Jean-Claude – Ce que veux, c’est passer à la télé.

Charlie – Non mais vous voyez bien qu’il n’a rien, Commissaire.

Sanchez – Il a quand même l’air un peu perturbé. Il pourrait garder des séquelles…

Ginette – Ah non, mais ça, c’est son air normal, Commissaire.

Honoré – Je dirais même plutôt qu’il a l’air plus éveillé que d’habitude, non ?

Robert – Un petit alcool de patate, ça va finir de le décongeler…

Ginette sert plusieurs verres.

Charlie – Moi-même, je m’en sers comme antigel, pour le radiateur de ma voiture. C’est très efficace.

Robert donne la bouteille à Jean-Claude, qui boit au goulot.

Ramirez – Bon, on n’a plus rien à faire ici, Sanchez… S’il n’y a plus de cadavre, il n’y a plus de crime…

Ginette – Je vous en ressers un aussi, Commissaire ?

Ramirez – Ma foi, ce n’est pas de refus.

Ginette donne un verre à Ramirez qui le vide d’un trait.

Ramirez – Ah oui, c’est sûr, ça réveillerait un mort.

De fait, Jean-Claude revient à la vie. Il fait quelques pas hésitants.

Félicien – Vous vous rendez compte ? Il marche ! C’est un miracle.

Charlie – Un miracle ? Vous croyez qu’il est homologable ?

Félicien – Un cas de décongélation miraculeuse ? Je ne sais pas…

Honoré – Mais oui… Un miracle ! C’est peut-être ça qu’il nous fallait !

Robert – Comme pour Jésus Christ ! Un type qu’on croyait mort, et qui ressuscite !

Ginette – Vous croyez que ça pourrait marcher ?

Laurence – La dernière fois qu’on a fait ça, c’était il y a 2000 ans, et ça se vend toujours très bien.

Robert – Là c’est du lourd, je le sens… JC revenu d’entre les morts…

Wendy – Là ce serait plutôt revenu d’entre les steaks surgelés, mais bon…

Honoré – Vous avez raison… C’est un signe du ciel. Le coup de pouce qu’on attendait du Très haut. On va faire de Beaucon-la-Chapelle un lieu de pèlerinage…

Ginette – Qu’est-ce que vous en pensez, mon Père ?

Félicien – Mais… c’est un faux miracle, on est bien placés pour le savoir.

Robert – D’un autre côté, les vrais miracles, ça n’existe pas, non ?

Félicien regarde Jean-Claude.

Félicien – Après tout vous avez raison. C’est Dieu qui nous l’envoie. Jésus n’a-t-il pas dit : Heureux les simples d’esprit…

Honoré – On va faire de ce demeuré un Saint. Saint Jean-Claude. Et on fera de ce village un nouveau Lourdes.

Charlie – Jean-Claude. Dit JC. C’était un nom prédestiné.

Honoré – Je vois déjà la Une de Vie Catholique et de VSD : Victime des pesticides et d’un accident de congélation, il revient miraculeusement à la vie !

Félicien – Monsanto Subito !

Robert – Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! Une nouvelle ère s’ouvre pour Beaucon-la-Chapelle !

Honoré – Mes amis, nous vivons un moment historique.

Charlie – L’An Un après J-C.

Félicien – Pour le pèlerinage, il faudrait prévoir de lui faire ériger une statue…

Charlie – Jean-Claude sortant de son congélateur, tel Jésus Christ sortant de son tombeau ? C’est vrai que ça aurait de la gueule.

Honoré – C’est sûr que si on avait la presse avec nous…

Robert – Et la presse est là !

Félicien – Grâce à Dieu, ce village va enfin connaître une deuxième vie !

Laurence et Wendy assistent à cette agitation, un peu dépassées.

Laurence – C’est un village de dingues, je te dis… Ils sont en plein délire sectaire… Viens on se barre avant qu’ils aient l’idée d’égorger un poulet ou de faire un sacrifice humain…

Mais Wendy semble revivre elle aussi.

Wendy – Tu es folle ! Tu te rends compte ? Tu devrais faire un article là dessus !

Laurence – Tu crois ?

Wendy – Fais-moi confiance. Dans trois jours, ici, c’est la grotte de Bethléem. Et on est les premiers sur les lieux. Tu imagines les tirages de la presse, si un journaliste avait été sur place à l’époque !

Laurence – Tu as raison… C’est un truc qui n’arrive qu’une fois tous les deux mille ans. On ne peut pas passer à côté de ça…

Laurence s’approche de Jean-Claude.

Laurence – Bonjour Jean-Claude. On vous appelle déjà le messie de Beaucon-la-Chapelle. Pensez-vous fonder une nouvelle religion ?

Jean-Claude – Je pourrais passer à la télé ?

Wendy – Et comment ! Si on s’y prend bien, vous pourrez même avoir votre propre émission.

Jean-Claude – Comme Michel Drucker ?

Laurence – Peut-être même votre propre chaîne…

Le téléphone de Sanchez sonne et il répond.

Sanchez – Inspecteur Sanchez, j’écoute… Affirmatif… D’accord, je transmets… (Il range son portable) On a le résultat des tests génétique, Chef.

Ramirez – Et alors ? On sait déjà qui est la victime. En tout cas on sait qui est son parrain.

Sanchez – Oui, mais grâce à la génétique, là on sait qui est le père…

Ginette – Le père de Jean-Claude ? Et c’est Qui ?

Sanchez – Apparemment, Monsieur le Curé…

Tous les regards se tournent vers Félicien.

Félicien – Je ne comprends pas… Ça doit être une erreur…

Ramirez – Ou un autre miracle…

Laurence soupire.

Laurence – C’est vraiment le pire village de France…

Wendy – Ça y est, moi aussi, j’ai trouvé !

Laurence – Quoi ?

Wendy – Mon nouveau concept de téléréalité !

Laurence – Bienvenue au Presbytère ?

Wendy – Le Pire Village de France ! Toutes les communes de l’hexagone pourront concourir. Et à la fin, on invitera des personnalités à passer un mois dans le bled qui aura été désigné comme le trou du cul du monde… Qu’est-ce que tu en penses ?

Laurence – Ah oui, ça pourrait cartonner encore plus que La Ferme des Célébrités.

Wendy – Alléluia ! WC Productions est sauvé de la faillite !

Laurence – Excuse-moi une minute, je crois que c’est le bon moment pour une autre interview exclusive…

Laurence s’approche de Félicien.

Laurence – On dit de vous que vous seriez le père du nouveau messie… Vous ne voulez pas vous mettre à votre compte, par hasard ?

Félicien – À mon compte ?

Wendy – Ça fait trente ans que vous travaillez pour la maison mère, le Vatican.

Félicien – Et en guise de remerciement, ils voulaient supprimer ma paroisse…

Wendy – En tant que père du messie, vous pourriez vous installer comme auto-entrepreneur…

Laurence – Et si c’est le cas, vous aurez besoin d’une bonne attachée de presse.

Jean-Claude regarde Félicien avec un air stupide.

Jean-Claude – Papa ?

Wendy – Et puis pour l’émission, lui, il va vraiment avoir besoin d’un coach…

Laurence – Vous êtes prêt à tenter l’aventure, mon Père ?

Félicien – En tout cas, ma sœur, pour vous, je suis prêt à me défroquer tout de suite.

Noir

Fin

 

Scénariste pour la télévision et auteur de théâtre, Jean-Pierre Martinez a écrit une cinquantaine de comédies régulièrement montées en France et à l’étranger

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables sur :

http://comediatheque.net

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – mai 2015

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-61-1

Ouvrage téléchargeable gratuitement

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www.comediatheque.com

 

Le Pire Village de France Lire la suite »

Le Comptoir

Comédie à sketchs de Jean-Pierre Martinez 

Distribution très variable en nombre et sexe

Sur le zinc d’un comptoir, à l’heure des bilans, une femme qui se dit auteur raconte à la patronne des séquences marquantes de son existence. Ces récits fantasmatiques prennent vie sur la scène dans la salle du bistrot.


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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TEXTE INTÉGRAL

Le Comptoir

Dans cette version : 18 personnages tous féminins. Mais la distribution est très variable en nombre et en sexe.

Soirée poésie

Deux demis

Les pigeons

Mention passable

Entretien d’embauche

Friday wear

La peur de gagner

Le coccyx

Comme un vieux film

Une belle mort

Soirée poésie

Deux femmes (ou bien un couple ou encore deux hommes) arrivent dans un bistrot. Elles jettent un regard en direction de la salle et s’approchent avec quelques hésitations d’un comptoir derrière lequel la patronne se tient debout, impassible, en train d’essuyer des verres à pied.

Un – Qu’est-ce que tu prends ?

Deux – Je ne sais pas… Un petit ballon ?

Un – Rouge ? Blanc ?

Deux – Rouge…

Un – Deux ballons de rouge, s’il vous plaît.

Patronne – Bordeaux ? Côtes du Rhône ?

Un – Côtes du Rhône…

Patronne – Et deux côtelettes.

La patronne leur sert les deux ballons.

Un – On va peut-être aller s’asseoir, pendant qu’il y a encore des tables de libre…

Deux – Ok.

Les deux femmes vont s’asseoir à une table. La première boit une gorgée, et fait la grimace.

Un – Je ne sais pas si on a fait le bon choix…

Deux – Pour le spectacle ?

Un – Pas pour le vin, en tout cas…

La deuxième trempe à son tour les lèvres dans son verre.

Deux – Ah, oui… Ce n’est pas du Château Margaux…

Un – C’est quoi, cette soirée, au juste ?

Deux – Je n’ai pas très bien compris… (Elle sort un flyer de sa poche et y jette un coup d’œil) Petits Vers sur le Zinc… C’était à zéro euro sur billetreduc. Ça doit être une soirée cabaret…

Un – Cabaret ?

Deux – One man show, j’imagine.

Un – En bon français, on devrait dire des seuls en scène.

Deux – Apparemment on est aussi les seuls dans la salle.

Un – Petits Verres sur le Zinc… Fais voir… (Il regarde le flyer) Attends, mais c’est vers, V-E-R-S !

Deux – Ouais, tu as vu ? C’est marqué : le premier vers est offert. C’est dingue, non ? Maintenant, tu vas au spectacle, c’est gratuit, et en plus on te paye un verre. Bientôt, on te donnera un peu d’argent en repartant si tu restes jusqu’au bout…

Un – V-E-R-S ! Pas V-E-R-R-E-S ! Oh, putain ! C’est une soirée poésie !

Deux – Tu déconnes ! (Elle lui reprend le flyer et regarde à nouveau) Merde, tu as raison !

Un – Jusqu’à quelles tragiques méprises peut conduire la dyslexie…

Deux – Tu m’étonnes que c’était gratuit…

Transition musicale. Une cliente, arrive. Avant d’entrer, elle tire une dernière bouffée de sa cigarette.

Un – Malheureusement, je crois qu’il est trop tard pour se barrer.

La cliente écrase sa cigarette, et jette un regard sur la salle avant de déclamer :

Au comptoir des fumeurs dissipés,

auprès d’un parisien froissé,

une blonde, une brune sur le zinc écrasées

du tabac froid racontent encore l’odeur.

Les volutes ne sont plus que vapeurs.

Aux sifflements d’un italien percolateur,

de la main du serveur dans une tasse allongé,

un grand noir remplace un petit blanc.

Au bar il ne faut plus mégoter.

Reste le goût amer du café.

Les deux femmes assises à la table restent un instant déconcertées.

Deux – Bravo, c’est… (Prenant son ami à témoin) Ah, oui, hein ? C’est très original.

Un – Ça change, c’est sûr…

Cliente – Merci…

Deux – Et… vous en connaissez beaucoup, comme ça ?

Cliente – Pas mal.

Un – Ah, merde… Je veux dire super…

Cliente – Vous en voulez un autre ?

Un – Ah ben oui, tiens, pourquoi pas… Mais cette fois, je vais plutôt essayer le Bordeaux, moi.

Cliente – Je voulais dire… un autre poème.

Deux – Ah, oui, bien sûr…

Un – Et comment ! (En aparté) De la poésie… Putain, c’est un traquenard.

Deux – Je crois que c’est le moment de se barrer…

Pendant que les deux femmes s’éclipsent discrètement, la cliente déclame :

Sur le zinc du comptoir quelques verres oubliés.

Quelques vers à douze pieds m’accompagnent ce soir.

J’ai laissé le brouillard aux dehors endeuillés,

la pipe du condamné à fumer dans le noir.

 Deux demis

La cliente se plante devant comptoir, mais ne dit rien.

Patronne – Qu’est-ce que je lui sers à la petite dame ?

Cliente – Je ne sais pas… Je n’ai envie de rien…

Patronne – Rien ? Désolée, on n’a pas ça ici…

Cliente – J’ai juste envie de me jeter sous un train.

Patronne – Ah oui, mais là, vous êtes pas au bon endroit. Vous voyez, je n’ai pas de casquette de chef de gare. Alors si vous voulez rester, il va falloir consommer.

Cliente – Bon ben je vais prendre… une bière. Quand on a des idées suicidaires, une bière, ça me paraît tout à fait approprié, non ?

Patronne – Quoi comme bière ?

Client – Une Mort Subite.

Patronne – Je n’ai pas de bière belge.

Cliente – Qu’est-ce que vous avez ?

Patronne – De la pression.

Cliente – Qu’est-ce que vous avez comme pression ?

Patronne – De la pression ordinaire…

Cliente – C’est tout ?

Patronne – Tout à l’heure, vous ne saviez pas quoi prendre, et maintenant vous trouvez qu’il n’y a pas assez de choix ?

Cliente – Une pression ordinaire, ça ira très bien.

Patronne – Ce que les gens viennent chercher ici, ce n’est pas de la bière, vous savez. De la bière, ils en ont chez eux au frigo.

Cliente – Vous avez raison. Ils viennent sûrement chez vous pour trouver un peu de chaleur humaine…

Patronne – Qu’importe le flocon, pourvu qu’on ait l’Everest.

Cliente – Un demi, alors. (La patronne s’apprête à lui servir son demi) Non, deux…

La patronne lui sert ses deux demis.

Patronne – Et voilà… Deux demis…

Cliente – Deux demis. Ça fait un entier… Enfin c’est ce que j’ai appris à l’école…

Patronne – Vous êtes une marrante, vous… Vous attendez quelqu’un ?

Cliente – Si j’attendais ma moitié, j’irai m’asseoir à une de ces tables, et je me referais une beauté. Je ne serais pas là, debout, ébouriffée, à parler toute seule.

Patronne – Merci.

La cliente pousse le deuxième demi vers la patronne pour lui offrir.

Cliente – Vous ce n’est pas pareil… (Elles trinquent) Un patron de bistrot, c’est un peu comme un psychanalyste ou un curé. On peut tout lui raconter, mais on ne peut rien lui demander. Surtout pas s’il a un problème avec sa mère ou si ça lui arrive aussi d’avoir des mauvaises pensées…

Patronne – Vous avez un problème avec votre mère ?

Cliente – Ça vous arrive d’avoir des mauvaises pensées ?

Patronne – Ça ne vous regarde pas !

Cliente – Ah, vous voyez bien…

Patronne – Vous êtes venue ici pour chercher les ennuis ?

Cliente – Je suis venue pour chercher l’inspiration.

Patronne – Ah, ouais…?

Cliente – Les poètes vont souvent au bistrot pour chercher l’inspiration. Vous ne saviez pas ?

Patronne (ironique) – Si, si. Tous mes clients sont des poètes.

Cliente – Il paraît que chaque jour, en France, deux bistrots mettent la clef sous la porte. C’était dans le journal de ce matin.

Patronne – Je ne lis pas les journaux.

Cliente – Pourtant, vous en vendez !

Patronne – Je vends aussi des pipes. Et je ne fume pas.

Cliente – Où iront les poètes pour chercher l’inspiration quand tous les bistrots auront été remplacés par des Mac Donald ?

Patronne – Qu’ils aillent au diable.

Cliente – Quand le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain se sera définitivement tu, les derniers Prévert auront disparu.

Patronne – Des prés verts ? Dans le coin, à part quelques mauvaises herbes sur le bitume des trottoirs…

Cliente – Non, croyez-moi, quand il n’y aura que des fast food au coin des rues, les poètes n’écriront plus que de la littérature de gare.

Patronne – C’est pour ça que vous voulez vous jeter sous un train ?

Cliente – Ou peut-être parce que j’ai peur de ne pas trouver l’inspiration.

Patronne – Vous croyez vraiment que c’est ici que vous allez trouver quelque chose à raconter ?

Cliente – Si les comptoirs pouvaient parler, ils auraient des tas de choses à dire, non ?

Patronne – Sûr… Mais je ne sais pas qui ça pourrait intéresser.

Cliente – Tenez, c’est dans un café comme celui-là que j’ai appris mes résultats du bac.

Patronne – Sans blague…

Cliente – Le bac, le permis de conduire… Ce sont des étapes, dans la vie, non ? Des rites de passage…

Patronne – Le seul bac que j’ai passé, c’était pour traverser la Loire, et monter à Paris… Et je crois que le seul permis que j’aurai jamais, c’est le permis d’inhumer…

Cliente – Je pourrais toujours raconter ma vie… Ou la vôtre…?

Patronne – On peut être payée pour raconter sa vie ? Tous mes clients font ça gratuitement…

Cliente – Pas très cher…

Patronne – Des cacahuètes ?

Client – Oui, à peu près.

Patronne – Non, je veux dire… Vous voulez des cacahuètes ? Avec vos deux demis…

Les pigeons

Un bistrot. Une table à laquelle sont assises deux jeunes filles. Les deux filles regardent à travers la vitrine située côté spectateurs.

Une – Qu’est-ce qu’ils foutent là, tous ces pigeons…?

Deux (ailleurs) – Quoi ?

Une – Les pigeons ! Pourquoi il n’y en a qu’en ville ? (L’autre a l’air préoccupée par tout autre chose) C’est pas vraiment des animaux domestiques. Je veux dire comme des chiens ou des chats. C’est des oiseaux. Ils sont libres, eux, ils ne sont pas en cage, et ils peuvent voler. Ils pourraient se barrer.

Deux – Où veux-tu qu’ils aillent ?

Une – Je ne sais pas, moi. À la campagne. Pourquoi ils ne se barrent pas à la campagne, tous ces pigeons ?

Deux – À la campagne…? Ils n’auraient rien à becqueter…

Une – Ça me donne envie de vomir, de les regarder.

Deux (ailleurs) – Ouais…

Une – Regarde, ils sont coprophiles.

Deux – Hein ?

Une – T’as pas vu ce qu’ils bouffent…?

Deux – Quoi ?

Une – Des crottes de chiens.

Deux (regardant pas très intéressée) – Ah, ouais…

Une – Ce n’est pas ça qu’on appelle un écosystème…?

Deux – Pourquoi ils restent ici à bouffer de la merde, alors qu’à la campagne, ils pourraient bouffer des cerises.

Une – Le temps des cerises, c’est pas toute l’année. (Son portable sonne et elle répond) Ouais… Ouais… Ouais… Ok…

Elle raccroche.

Deux – Alors ?

Une – C’est pas encore affiché…

Deux – Et si on l’avait raté ?

Une – Je préfère pas y penser… (Inquiète) Pourquoi on l’aurait raté ?

Deux – Je ne sais pas. La peur de gagner. Le cheval de concours qui refuse l’obstacle au dernier moment. Ça arrive aux plus grands champions.

Une – Attends, on n’est pas des bourrins. Et puis le bac, c’est pas un concours. C’est comme le permis de conduire. C’est pas parce qu’il y en a beaucoup qui l’ont que t’as moins de chance de l’avoir.

Deux – Ouais ben justement. Le permis, je l’ai déjà raté deux fois… Pourquoi ça s’appelle comme ça, au fait ?

Une – Le permis ?

Deux – Le bac !

Une – Parce que si on rate le bac, on reste sur le quai, j’imagine…

Deux – Moi, ça me rappelle mes cours de latin. Tu sais, ce fleuve que les morts doivent traverser pour aller aux Champs Élysées. En barque…

Une – Quel rapport ?

Deux – La barque… Le bac… Pour traverser un fleuve…

Une – Ouais, ben moi, c’est si je rate le bac, que je suis morte. Mes parents me tueraient… Ils m’ont foutue dans cette boîte de curés parce qu’il y avait 100% de réussite. Ça leur coûte un SMIC par mois. Si je ne leur en donne pas pour leur fric… (Un temps) Et puis qu’est-ce qu’on irait foutre en barque aux Champs Élysées ? Le Quartier Latin, c’est sur la rive gauche…

Deux – Il y a quand même eu des années où c’était 99%. Ça veut bien dire qu’il y en a un qui le rate de temps en temps. C’est rare, mais ça peut arriver.

Une – Je ne sais pas moi… Le type avait peut-être raté son train… Ou son bac, tiens, si il habitait sur une île.

Deux – Arrête, tu vas nous porter la poisse.

Une – Pourquoi ?

Deux – Nous aussi, on habite sur une île…

Une – Notre-Dame, c’est sur une île ?

Deux – En tout cas, si tu comptais sur la géo pour l’avoir, ton bac, tu ferais bien d’y aller faire brûler un cierge, à Notre-Dame.

Le portable sonne à nouveau. La première prend l’appel aussitôt.

Une – Ouais… Ouais… Ouais… Ok…

Elle raccroche, avec un visage impassible. La deuxième l’interpelle avec une anxiété encore plus grande.

Deux – Alors ?

Une (avec un air sinistre) – Ça y est, ils viennent d’afficher les résultats.

Deux (tétanisée) – Et alors ?

La première, cessant de jouer la comédie, laisse éclater sa joie.

Une – Et alors, on l’a ! Putain, on l’a, je te dis !

Les deux se tombent dans les bras l’un de l’autre.

Deux – T’aurais pas dû me mener en bateau. J’ai le cœur qui bat à cent à l’heure.

Une – Tu veux dire à la minute, parce que cent pulsations à l’heure, tu serais déjà morte.

Deux – Quelle mention ?

Un – Attends, c’est déjà une bonne nouvelle… Faut pas demander un miracle, non plus. Oh, putain… Il va falloir fêter ça…

Deux – Ouais… En même temps, le bac, tout le monde l’a, maintenant…

Une – Mmm… C’est le début des emmerdes.

Deux – C’est pour ça que ça me rappelle mes cours de latin.

Une – Le latin ?

Deux – Le bac… pour traverser le fleuve et aller en enfer.

Une – Allez, tu peux oublier le prof de latin, maintenant. T’es sûre de ne plus jamais le revoir ! Ouah…! J’ai une bouffée de chaleur, tout d’un coup… Ça me donne envie de piquer une tête dans la Seine.

Deux – Moi aussi. Ça me donne envie de me jeter dans la Seine…

Une – La vie est belle ! C’est l’été !

Deux – T’as raison. Allons nous plonger dans le fleuve de l’oubli…

Les deux jeunes filles s’en vont.

Mention passable

Un bistrot. Au bar la patronne et une cliente.

Patronne – Et vous l’avez eu ?

Cliente – Quoi ?

Patronne – Le bac.

Cliente – Mention passable.

Patronne – Vos parents devaient être contents.

Cliente – En tout cas, ils ne m’ont rien dit.

Patronne – Il y a des gens pas bavards.

Cliente – J’aurais aimé au moins une fois dans ma vie que mes parents me disent qu’ils étaient fiers de moi. Même si ce n’était pas vrai. Pas vous ?

Patronne – Ce que j’aurais aimé, c’est pouvoir dire à mes parents que j’étais fière d’eux…

Cliente – Vous avez des enfants ?

Patronne – Non. Et je ne suis pas sûre qu’ils auraient été fiers de moi…

Cliente – Pourquoi ?

Patronne (éludant) – Donc, vous ne vous êtes pas jetée dans la Seine…

Cliente – J’aurais peut-être dû. Parce que c’est après que les ennuis ont commencé.

Patronne – Vous n’avez pas trouvé de boulot ?

Cliente – Si. Un petit boulot, comme on dit.

Patronne – C’est toujours mieux que de faire le trottoir.

Cliente – Encore que… Le bac c’est la fin de l’innocence, mais le premier job, c’est comme un dépucelage. On se rend compte que là, on est vraiment baisé. On sait qu’il n’y a que la première fois où ça fait un peu mal, et qu’on va s’habituer. Mais on se doute qu’il va falloir pas mal d’imagination pour y prendre un peu de plaisir… Ça s’est passé comment, pour vous ?

Patronne – Mon dépucelage ?

Cliente – Votre premier job ! Qu’est-ce que vous faisiez avant de vous mettre à votre compte ?

Patronne – Je faisais le tapin rue Saint Denis.

Cliente – Ah… Alors vous savez de quoi je parle…

Entretien d’embauche

Un bistrot. Une table à laquelle est assise une femme genre cadre commercial. Une jeune fille blonde style étudiante arrive. La femme se lève et lui sert la main.

Femme – Asseyez-vous, je vous en prie… (Un peu étonnée) Vous êtes bien Mademoiselle…?

Jeune fille – Ben Salah. Aïcha Ben Salah…

Femme – C’est ça… (La regardant) Et… vous êtes blonde…

Jeune fille – Oui je sais, on me le dit souvent… En fait, c’est mon arrière-grand-père qui… Mais d’habitude, cela rassure plutôt mes employeurs. Quand je parviens jusqu’à l’entretien d’embauche, bien sûr… Ça pose un problème…?

Femme – Pas du tout…

Jeune fille – L’annonce disait que vous cherchiez un chasseur de primes…?

Femme – De primes d’assurance, oui… Nous vendons des conventions-obsèques. Un marché déjà très saturé… Nous recrutons quelqu’un pour démarcher en banlieue…

Jeune fille – Pourquoi pas une blonde ?

Femme – Pour du porte à porte dans les cités… Nous nous disions qu’une blonde… Enfin, ça susciterait moins d’empathie…

Jeune fille (lui tendant une feuille) – J’ai un casier, vous savez ! Euh, je veux dire un CV…

Femme (prenant le CV sans le lire) – Il faut être très habile, pour placer ce genre de produits. Quand on ne sait pas comment on va payer son loyer à la fin du mois, évidemment, on ne pense pas tous les matins en prenant son café à prendre un crédit sur 50 ans pour financer sa dernière demeure…

Jeune fille – C’est sûr…

Femme – Au début, nous étions dans l’édition… Ce n’était pas facile non plus… Vendre une encyclopédie en 28 volumes à des gens qui pour beaucoup ne savent pas lire…

Jeune fille – Il y a quand même des illustrations, dans les encyclopédies…

Femme – Après, on a tâté un peu de la complémentaire-santé. Mais avec la concurrence… Non, la conventions-obsèques, aujourd’hui, c’est encore ce qu’il y a de plus porteur… C’est l’avenir…

Jeune fille – On n’est pas sûr de tomber malade, mais on est sûr de mourir un jour… Tous… Même les analphabètes…

La femme semble prise d’inquiétude.

Femme – Ce n’est pas une opération de testing, au moins ?

Jeune fille – Pardon…?

Femme – Vous ne vous êtes pas fait teindre en blonde pour nous accuser ensuite de discrimination ?

Jeune fille – Rassurez-vous, je suis une vraie blonde…

Femme – Nous ne sommes pas racistes, vous savez… C’est seulement qu’en l’occurrence… Pour tout vous dire, nous comptions vous confier le développement d’un nouveau marché : ce que nous appelons dans notre jargon la convention obsèques halal. Un secteur en très forte expansion. La conséquence logique des grands flux d’immigration des années cinquante.

Jeune fille – Je peux prendre l’accent arabe…

Femme – Vous sauriez faire ça…?

Jeune fille – Avec un petit stage de remise à niveau…

Femme – Vous croyez que ça marcherait ?

Jeune fille – Si je mets une djellaba…

La femme réfléchit.

Femme – Bon… Vous m’avez convaincue… Quand on postule comme vendeuse, il faut commencer par savoir se vendre… Et croyez-moi, me vendre une blonde, ce n’était pas gagné. (Se levant) Bravo ! Je vous prends à l’essai.

Jeune fille – Merci.

Femme – Et si vous faites l’affaire, dans trois mois, vous passez en concession perpétuelle…

Jeune fille – Vous voulez dire en contrat à durée indéterminée ?

La femme se lève pour partir et la jeune fille la suit.

Femme (souriant, satisfaite) – Ça fait plaisir de voir des jeunes qui ont encore envie de travailler !

Elles sortent.

Friday wear

Un bistrot. Une femme, genre cadre en tenue soignée mais en jean, est s’assise à une table. Elle ouvre son attaché case et en sort un catalogue qu’elle feuillette en buvant son café. Son portable sonne. Elle répond.

Cadre – Oui…? Ah, oui… Oui, oui, je vous attends. Non, non, je crois que c’est moi qui suis un peu en avance. On a rendez-vous à quelle heure exactement ?

Une femme arrive, sa directrice, en tailleur, genre executive woman, le portable vissé à l’oreille. Elle a l’air très speedée, comme si elle avait pris de la coke. Elle s’installe à la même table.

Directrice – Dix heures quarante-cinq. Vous avez les visuels de la nouvelle campagne ?

Elles continuent à se parler à travers leurs portables, comme si elles n’étaient pas assises l’une en face de l’autre.

Cadre – Oui, oui, bien sûr. Vous verrez, elle est superbe…

La femme tourne une nouvelle page du catalogue. Sa directrice lui prend le catalogue des mains et l’examine à son tour.

Directrice – Ah, oui, c’est…

Cadre – Ça change…

Directrice – Oui…

Cadre – Les créatifs ont vraiment fait du bon boulot.

Directrice – Pour une fois, ils ont fait preuve de créativité.

La femme cadre se rend compte la première du ridicule de la situation en semblant apercevoir enfin sa directrice en face d’elle.

Cadre – Vous voulez un café ?

En levant les yeux du catalogue, la directrice aperçoit à son tour son interlocutrice.

Directrice – Euh, non, merci. J’ai arrêté le café. Ça me noircit les dents et ça me donne envie de pisser.

La directrice examine l’autre femme, comme si quelque chose dans sa tenue la surprenait, sans qu’elle parvienne tout de suite à savoir quoi.

Directrice – Vous n’avez pas de soutien-gorge… ?

Cadre – Euh… Non. Ça pose un problème ?

Directrice – Non, non… Enfin… D’habitude, vous en mettez un, non ?

Cadre – Comme on est vendredi, je me suis dit que… Ce serait plus cool…

Directrice – Plus cool ?

Cadre – Le… Le friday wear, vous voyez…?

Directrice – Le friday wear…?

Cadre – Aux States, le vendredi, tous les cadres s’habillent comme ça. De façon un peu moins formelle. Propre, mais décontractée…

Directrice – Aux States…?

Cadre – Sans soutien-gorge.

Directrice (chiffonnée) – Bon…

Silence un peu embarrassé.

Cadre – Je peux vous parler franchement ?

Directrice (un peu inquiète) – Je me demande si je ne préférais pas quand vous mettiez un soutien-gorge, finalement…

Cadre – Notre société a une image un peu guindée auprès de ses clients, vous le savez. Toutes les études le montrent. Un peu ringard, quoi. En plus du nouveau catalogue, je me suis dit qu’en adoptant le friday wear… On apparaîtrait plus… dans le move.

La directrice semble totalement prise au dépourvu. Elle hésite un instant avant de se décider.

Directrice – Oh, et puis après tout, vous avez raison. Allez…

Elle se tourne dos au public, et se contorsionne un instant, puis fait face à nouveau en brandissant son soutien-gorge.

Directrice – Si c’est assez bon pour les Américains…

L’autre a l’air un peu surprise.

Directrice (soulagée) – Ah… C’est vrai qu’on respire mieux… Vous trouvez que j’ai l’air plus cool, comme ça ?

Cadre – Beaucoup plus cool.

Directrice – La prochaine fois, j’enlève le bas…

Mais la directrice paraît encore un peu préoccupée.

Directrice – Mais… ce n’est pas un peu gênant…? Par rapport à notre client, je veux dire…

Cadre – Non, pourquoi…?

Directrice – Ben… Des soutiens-gorge… C’est ce qu’ils vendent, non ?

Cadre – Ah…! Oh, non ! Pourquoi ? Et puis ce n’est que le vendredi.

La directrice semble se faire une raison.

Directrice (se décontractant un peu) – Bon, eh ben il va quand même falloir que je vous emmène au client… (Contente de son bon mot) Comme la fermière emmène la vache au taureau…

Air un peu décontenancé de la cadre. Elles se lèvent toutes les deux pour aller à leur rendez-vous.

Directrice – On a rendez-vous avec qui déjà ?

Cadre – Avec la nouvelle PDG.

Directrice – La nouvelle ?

Cadre – L’ancienne s’est suicidée vendredi dernier. Vous n’étiez pas au courant ?

Directrice – Mon Dieu non… Quelle drôle d’idée.

Cadre – Elle s’est pendue au porte-manteau de son bureau. Avec la bretelle de son soutien-gorge, justement…

Directrice – Comme quoi, c’est du solide… Pour supporter un pareil poids… (Riant de sa propre plaisanterie) Faites-moi penser de fournir un kit anti-suicide à la patronne de notre agence avec ses stock-options.

La cadre a l’air un peu surprise et inquiète de voir sa directrice aussi décontractée.

Directrice – Je plaisante. On a dit qu’on était cool, non ?

Elles sortent.

La peur de gagner

Un bistrot. Deux femmes sont assises à une table. La première regarde droit devant elle.

Femme 1 – Qu’est-ce que tu regardes ?

Femme 2 – J’attends les résultats du loto. Ils vont bientôt les afficher, sur l’écran, là…

Femme 1 – Tu joues au loto ?

Femme 2 – J’ai eu envie d’essayer.

Femme 1 – Pourquoi pas…

Silence.

Femme 1 – Combien, la super cagnotte ?

Femme 2 – 115 millions.

Femme 1 – 115 millions…

Femme 2 – T’es en train de calculer combien ça fait en anciens francs…?

Femme 1 – À partir d’une certaine somme, on n’a plus de référence, de toute façon. Quand on te dit qu’une étoile est à 115 millions d’années lumière, tu ne te demandes pas combien ça fait en kilomètres ou en miles.

Femme 2 – Ni combien ça te coûterait en gasoil pour y aller avec ta Twingo…

Femme 1 – Qu’est-ce que t’as joué, comme numéro ?

Femme 2 – Mon numéro de sécu. Avec mon dernier versement ASSEDIC.

Femme 1 – La chance sourit aux audacieux… Tu te rends compte, si on gagnait…

Femme 2 – J’ai un peu de mal à imaginer.

Femme 1 – Plus besoin de se lever le lundi pour aller bosser. 365 jours de RTT par an…

Femme 2 – Ouais… Tout plaquer…

Femme 1 (un peu inquiète) – Tout ?

La deuxième reste polarisée sur la télé.

Femme 1 – Qu’est-ce que tu ferais, si tu avais 115 millions, là, tout de suite ? Enfin 57 millions et demi… (La deuxième le regarde) Attends, on est pacsées non ? Pour le meilleur et pour le pire…

Femme 2 (soupirant) – Je ne sais pas… Tu gagnes 10.000 euros, tu es contente. Tu te payes un petit extra. Je veux dire, ça ne te change pas la vie. Mais 115 millions… Il y a un avant, et un après. Là tu deviens carrément quelqu’un d’autre. C’est comme une deuxième naissance. Ça fait presque peur, non ?

Femme 1 – Moi, je commencerais par dire à mon patron tout le bien que je pense de lui… et après je foncerais chez le concessionnaire Mercedes pour m’acheter une voiture plus grosse que la sienne. Gagner au loto, c’est une autre façon d’instaurer la dictature du prolétariat, non ? À titre individuel…

Femme 2 – Ça doit secouer, quand même. Ne plus avoir aucune limite à ses désirs, du jour au lendemain. Plus aucune contrainte. Pouvoir faire ce qu’on veut. Tout ce qu’on veut…

Femme 1 – Je pense que je pourrais gérer.

Femme 2 – Pas sûr… Il n’y a qu’à lire les journaux. Le nombre de gagnants du loto qui finissent complètement ruinés…

Femme 1 – Si tout ce qu’on risque en gagnant au loto, c’est de finir ruiné… On n’a pas grand chose à perdre, non ?

Femme 2 – Sans parler des divorces… Tu crois que notre couple y résisterait ?

Silence.

Femme 1 – En même temps, je ne sais pas trop… Comment donner un sens à une vie de milliardaire qui vous tombe dessus comme ça, par hasard ?

Femme 2 – Tu crois que les filles de milliardaires se posent ce genre de questions métaphysiques ?

Femme 1 – Ouais, mais elles, elles sont nées comme ça. Elles ont eu le temps de s’habituer. Elles ne connaissent rien d’autre. Quand tu gagnes au loto, ça te tombe dessus d’un seul coup. Une chance sur 20 millions, tu te rends compte…

Femme 2 – Le nombre moyen de spermatozoïdes lors d’une éjaculation est de 300 millions.

Femme 1 – Et alors ?

Femme 2 – Alors si on est là toutes les deux, c’est qu’on est déjà sacrément veinardes. Notre vie de prolos aussi, elle nous est tombée dessus par hasard. Disons que là, on donne une deuxième chance au tirage. Histoire de rectifier le destin, qui nous a pas fait naître avec une cuillère en argent dans la bouche.

Femme 1 – Je ne sais pas… Ça me fait un peu peur quand même… Et puis ça voudrait dire que notre vie d’aujourd’hui ne vaut rien… Qu’elle ne valait pas la peine d’être vécue… C’est ce que tu penses ? C’est pour ça que tu joues au loto ? Parce que tu crois que notre vie ne vaut rien ?

Femme 2 – Mais qu’est-ce que tu racontes… Et puis c’est la première fois que je joue. C’est juste pour rigoler.

Femme 1 – La plupart des gagnants sont des gens qui jouaient pour la première fois. La chance du débutant, c’est connu…

Soudain, elles semblent toutes les deux presque inquiètes.

Femme 2 (tendue) – Ça y est, ils vont donner les résultats…

Elles regardent, scotchées, le tirage.

Femme 1 – Alors ?

Femme 2 (vérifiant sur son ticket) – On n’a aucun bon numéro. C’est très rare, tu sais. J’ai un peu oublié mes cours de statistiques au lycée, mais je me demande si la probabilité de n’avoir aucun numéro n’est pas presque aussi élevée que celle de les avoir tous.

Femme 1 – Alors dans en sens, on peut dire qu’on a eu de la chance…

Elles se regardent avec complicité et ont un geste de tendresse.

Femme 2 – Et dire que tout ce bonheur aurait pu nous échapper d’un coup…

Femme 1 – Ça fait froid dans le dos…

Le coccyx

Un bistrot. Au comptoir, deux femmes regardent au loin droit devant elles. La deuxième a sur la tête un bonnet dont ne dépasse aucune chevelure.

Une – Tu as vu, cet arbre, comme il est beau ?

Deux (avec l’air de s’en foutre) – Ouais.

Une – Il fait tellement partie du paysage… On finit par ne plus le voir.

Deux – Mmm…

Une – C’est un chêne. On n’était pas encore nées, il était déjà là.

Deux – Comment tu le sais ? Puisqu’on n’était pas nées…

Une – On avait accroché une balançoire à une de ses branches, quand on était petites. Il était déjà aussi grand. Tu ne te souviens pas ?

Deux – Non.

Une – Moi, oui. Je m’étais cassé le bras en tombant de cette putain de balançoire.

Deux – Tu t’es cassé tellement de trucs. Comment veux-tu que je me souvienne…? Une fois, tu t’es même cassé le cul.

Une – Le coccyx.

Deux – En tombant d’une chaise. C’est dingue. Je me demande quel os tu ne t’es pas fracturé. (Un temps) Le coccyx… Je ne savais même pas que ça existait, à l’époque. Et même maintenant, je ne suis pas sûre de savoir comment ça s’écrit.

Une – Tout ce que je peux te dire, c’est que ça rapporte un paquet de points au Scrabble…

Deux – C’est simple, quand je t’imagine petite, je te revois avec un plâtre… Même sur les photos de classe, tu as toujours un bras en écharpe, une paire de béquilles ou un gros pansement. C’est à se demander comment tu as fait pour arriver entière jusqu’ici.

Une – Toi, tu ne t’es jamais rien cassé. Comme cet arbre, là…

Deux – Pourtant j’ai fait les mêmes bêtises que toi… Moi aussi j’ai vécu dangereusement. Ça m’est même arrivé d’ouvrir des huîtres à Noël. Et je ne me suis jamais transpercé la main avec le couteau…

Une – Tu as toujours eu plus de chance que moi. Je t’en ai souvent voulu, pour ça…

Deux – Tu crois vraiment que c’est moi qui ai eu de la chance…?

Une – C’est ça, traite moi d’empotée.

Deux – Où est-ce que tu veux en venir, avec ton arbre ?

Une – Il a résisté à toutes les tempêtes. Pas une branche de cassée. Comme toi. Dans une centaine d’années, il sera encore là.

Deux – Même si il est encore debout, il est peut-être déjà rongé de l’intérieur. Regarde, il n’a plus une feuille sur le caillou. Comme moi, justement.

Une – C’est normal. On est en automne…

Deux – Ah, oui, c’est vrai. Je n’ai pas vu passer l’été… De ma fenêtre, à l’hôpital, j’avais la vue sur le parking d’Auchan.

Une – Ça va repousser au printemps, tu verras.

Un temps.

Deux – Et mes cheveux, tu crois qu’ils vont repousser, au printemps ?

Une (lui tendant la main) – Tiens. J’en mets ma main à couper…

Comme un vieux film

Un bistrot. Deux femmes (une jeune et une vieille) sont assises chacune à une table. La jeune fait mine de travailler en tapotant sur une calculette et en notant des chiffres sur une feuille. La vieille semble désœuvrée.

Jeune (avec une convivialité un peu forcée) – Alors, ça y est ? C’est la dernière…

Vieille – Oui…

Jeune – Quel effet ça fait ?

Vieille – C’est comme un vieux film qu’on s’est repassé trop souvent. À la fin, on n’y comprend plus rien…

Jeune – On vous regrettera... Vous allez faire un pot ?

Vieille – Un pot ?

Jeune – Un pot de départ !

Vieille – Ah… Je ne sais pas… Je devrais…? (La jeune ne répond pas et continue à travailler). Vous savez ce qui me manquera le plus ? Le petit goût amer du café, le matin. La journée qui commence… À midi, c’est déjà foutu…

Jeune – Qu’est-ce que vous allez faire… après ?

Vieille – Me reposer…? C’est ce qu’on fait, j’imagine…

Jeune – Et vous restez dans le coin, ou…?

Vieille – Où voulez-vous que j’aille…?

Air perplexe de la jeune, interrompue par la sonnerie de son portable.

Jeune – Oui… Non… Oui, oui… Non, non…

La jeune raccroche et griffonne quelque chose sur un papier.

Vieille – Elle arrive bientôt ?

Jeune – Qui ?

Vieille – Ma remplaçante !

Jeune – Ah… Lundi, je crois…

Vieille – Je ne la verrai pas, alors… Vous la connaissez ?

Jeune – Non… (Un peu embarrassée) En fait, c’est moi qui vous remplace…

Vieille (sans hostilité) – Ah, d’accord… Félicitation…! Et la petite nouvelle vous remplacera… C’est logique…

Le portable sonne à nouveau. La jeune prend l’appel.

Jeune – Oui… Non… Oui, oui… Non, non…

Vieille – Vous voulez un café ?

Jeune – Pourquoi pas.

La vieille lui apporte une tasse.

Vieille – Je vous laisserai la cafetière, si vous voulez… Au bureau, je veux dire…

Jeune – Ça fait combien de temps que vous étiez ici ?

Vieille – Trop longtemps… (Un temps) Et vous ?

Jeune – J’arrive à peine…

Vieux – Vous comptez rester ?

Jeune (satisfaite) – Je termine ma période d’essai aujourd’hui… Demain, je passe en contrat à durée indéterminée… C’est automatique…

Vieux – Dans ce cas… Vous êtes contente, alors ?

Jeune – Ça va…

Elles sirotent leur café.

Vieille – Il est bon, non ? (Un peu inquiète) Il n’est pas trop fort ?

Jeune – Il est parfait…

Vieille – On se connaît à peine, en fait. Vous êtes mariée ?

Jeune – Pas encore... Et vous ?

Vieille – Non…

Jeune (s’excusant) – Bon… Faut que je m’y remette…

Vieux – Oui, pardon. Moi, c’est ma dernière journée, alors je ne risque plus grand chose. Mais vous… Si votre période d’essai ne s’achève que ce soir… Vous aurez tout le temps de ne rien faire quand vous serez là pour de bon…

La jeune regarde l’autre, se demandant si elle plaisante. Puis elle se remet au travail. La vieille à siffloter ou à chantonner. La jeune, visiblement dérangée par ce bruit, lui lance à la dérobée un regard réprobateur.

Vieille – Excusez-moi… (La jeune se remet au travail). Vous pourrez vous installer à ma place, si vous voulez. Quand je serai partie. La table est un peu plus grande, non…

Jeune – Oui… C’est ce qui est prévu…

Vieille – C’est vrai, je suis bête… Et la nouvelle prendra la petite table. (La présence oisive déconcentre visiblement la jeune). Excusez-moi, je vais essayer de m’occuper quand même. D’ailleurs, il faudrait que je songe à faire mes cartons… (Elle farfouille dans un grand sac). Enfin, quand je dis mes cartons… Je crois que tout tiendra dans un sac en plastique… C’est fou… Toute une vie, et qu’est-ce qui reste…? Quelques chemises vides dans un placard… On ne peut pas dire qu’on laisse quelque chose derrière nous, hein ? Vous n’auriez pas un sac en plastique, par hasard ? (La jeune lui lance un regard pour lui faire comprendre que non). Et dire que c’est moi qui occupais votre bureau quand je suis entrée ici... Vous savez à quoi je rêvais, à l’époque ? (Tête de la jeune pour dire non). Écrire… Non… Pas noircir des pages de comptes-rendus, comme je l’ai fait toute ma vie… Ecrire… Pour ne pas avoir de comptes à rendre justement… Je me disais qu’en prenant un petit boulot tranquille, j’aurais le temps de m’y mettre… Et puis voilà, les années ont passé, et je ne m’y suis jamais mise…

Jeune – Vous allez avoir le temps, maintenant…

Vieille – Oui. L’éternité… Mais pour raconter quoi ? Ma vie ? Je vous l’ai dit, elle tiendrait dans un petit sac en plastique…

Sonnerie du téléphone.

Jeune – Oui… Non…

Vieille – Peut-être même dans un préservatif…

Jeune – Oui, oui… Non, non… (La jeune raccroche). Vous disiez…?

Vieille – Rien…

Jeune – Vous savez ce que je me disais ?

Vieille (pleine d’espoir) – Non…

Jeune – Et si j’en profitais pour demander qu’on nous pose de la moquette ?

Vieille (interloquée) – De la moquette ?

Jeune – Pour pas déranger ceux d’en dessous ! Le parquet, c’est joli, mais… Ça grince…

Vieille – Ils se sont déjà plaints… ceux d’en dessous ?

Jeune – Non… Mais il y a quand même pas mal d’allées et venues, ici…

Vieille – C’est moi qui vais habiter en dessous.

Jeune – Ah oui…?

Vieille – Faut bien habiter quelque part… C’est un peu sombre, mais… Je connais bien le quartier… Je ne serai pas dépaysée…

Jeune – Et de nous entendre marcher, comme ça, au dessus de vous… Toute la journée… Vous êtes sûre que ça ne va pas vous déranger ?

Vieille – Ça me fera une distraction… Je me dirai… Ils sont en train de bosser, là-haut, pendant que moi… Je peux rester couchée toute la journée…

Jeune – Bon… Pas de moquette, alors…

La jeune se remet au travail.

Vieille – C’est quoi, vos rêves, à vous ?

Jeune – Mes rêves ?

Vieille – Vous êtes jeune. Vous devez bien avoir encore des rêves… Si vous touchiez le gros lot, qu’est-ce que vous feriez ?

Jeune – Je prendrai un peu de vacances, j’imagine…

Vieille – Et après…?

Jeune – Après…? Peut-être que j’ouvrirai ma boîte…

Vieille – Pour…?

Jeune – Pour ne pas avoir de patron !

Vieille – Ouvrir sa boîte pour ne pas avoir de patron… Autant ne pas travailler du tout… C’est plus simple, non ?

Jeune – Oui, peut-être… (Elle est interrompue par la sonnerie du téléphone). Non… Oui, oui… Non, non… (Elle raccroche). Bon, j’en étais où, moi…

Vieille – Tirez-vous…

Jeune – Pardon ?

Vieille – Tirez-vous ! Pendant qu’il est encore temps !

Jeune – Pour aller où ?

Vieille – Vous avez quel âge, vingt ans ? Vous tenez vraiment à finir comme moi ?

Jeune – Faut bien vivre… Qu’est-ce que vous proposez…?

Vieille (prise de court) – Rien… Vous avez raison…

La jeune se remet à travailler.

Jeune – Vous savez ce que je crois ?

Vieille – Non…

Jeune – Ils vont fermer la boîte.

Vieille – Comment ça, fermer la boîte ?

Jeune – Vous savez ce qu’on fabrique…

Vieille – Non…

Jeune – Toute votre vie, vous avez travaillé ici, et vous ne savez pas ce qu’on fabrique ?

Vieille – Au début, je crois que je le savais… Mais ça a tellement changé… On a été racheté au moins dix fois. Je ne savais même pas qu’on fabriquait encore quelque chose… Qu’est-ce qu’on fabrique ?

Jeune – Des urnes !

Vieille – Des urnes ?

Jeune – Le marché est en train de s’effondrer.

Vieille – L’abstention…?

Jeune – Des urnes funéraires !

Vieille – Ah…

Jeune – Le papy-boom est derrière nous…

Vieille – C’est si grave que ça ?

Jeune – Ils vont fermer la boîte… et ils vont en ouvrir une autre…

Vieille – Délocalisation ?

Jeune – Même pas. En fait, on gardera probablement les mêmes locaux…

Vieille – Et le personnel ?

Jeune – À part les départs naturels, comme vous, on finira sûrement par reclasser tout le monde… Il se pourrait même qu’on réembauche… Il suffira de changer le nom de la société, pour fabriquer autre chose… On n’a que l’embarras du choix… Avec la reprise de la natalité…

Vieille – Alors qu’est-ce que ça change ?

Jeune – En fait, pas grand chose.

La jeune se remet au travail. La vieille reste pensive.

Vieille – Il n’y a vraiment aucun moyen d’arrêter tout ça…

Jeune – Quoi ?

Vieille – Je ne sais pas… D’ailleurs, je suis sûre que si on se mettait en grève, personne ne s’en apercevrait, là haut…

Jeune – Vous êtes une originale, vous…

Vieille – Oui… Une vieille originale… Vous avez remarqué ? On ne dit jamais une jeune originale… C’est normal d’être originale, quand on est jeune… C’est toléré… C’est même recommandé… Presque hygiénique. Mais en vieillissant… C’est supposé vous passer… Les cheveux rouges… ou les anneaux dans le nez. Passé trente ans, c’est ringard. Alors à plus de cinquante, c’est carrément louche… Vous savez ce que c’est, vieillir ? C’est de ne plus savoir comment inventer sa vie tous les matins, passée l’heure du café… En fait, on meurt par manque d’imagination. Vous n’êtes pas très… anneaux dans le nez, vous…?

Jeune – Vous avez des enfants ?

Vieille – Non…

Jeune – Vous auriez aimé en avoir ?

Vieille – Pourquoi faire ?

Jeune – Pour ne pas vieillir toute seule, par exemple.

Vieille – J’ai des voisins. Ils vieillissent avec moi.

Jeune – C’est assez déprimant, de parler avec vous…

Vieille (amusée) – Vous trouvez…?

Jeune – C’est pas si grave que ça.

Vieille – Que je sois déprimante ?

Jeune – Peut-être que vous demandez trop.

Vieille – Oui… C’est ce qu’on m’a dit là haut, la dernière fois que j’ai osé demander une augmentation…

Jeune – C’était il y a combien de temps…?

Vieille – Je ne sais plus…

Jeune – Il n’y a plus personne, là haut… Vous n’étiez pas au courant non plus ?

Vieille – Comment ça, plus personne ?

Jeune – On a été racheté par les fonds de pension.

Vieille – Vous voulez dire… les retraités ?

Jeune – Leurs veuves, en tout cas.

Vieille – Alors après mon départ, je serai le patron de ma boîte ?

Jeune – Eh, oui… Vous voyez, il n’y a même pas besoin de jouer au loto. Il suffit d’attendre…

La vieille, anéantie, reste silencieuse.

Vieille – Si je fais un pot de départ, vous viendrez ?

Jeune – Pourquoi pas ? Envoyez-moi un faire-part…

On entend au loin le mugissement d’une sirène.

Vieille – C’est l’heure… Il va falloir que j’y aille… (Elle commence à s’en aller). Pendant des années, en entendant la sirène, à midi, j’avais le réflexe de me précipiter aux abris… Pourtant je n’ai même pas connu la guerre… Mais le bombardement ne venait pas. Alors je me contentais d’aller déjeuner… (Elle se retourne une dernière fois vers la jeune). Je vous laisserai mes tickets-restaurant…

Elle s’en va. La jeune la suit peu après.

Une belle mort

Un bistrot. Une table à laquelle une femme est assise. Aucune consommation devant elle. Une autre arrive.

Une (se levant) – Ah, tu es venue…

Deux – J’avais le choix ?

Mal à l’aise, elles hésitent à s’embrasser, mais y renoncent. Elles s’asseyent.

Une – Tu prends quelque chose ?

Deux – J’ai commandé un café en passant.

Une – On a beau savoir qu’on n’est pas là pour toujours… Ça fiche un coup…

Deux – À son âge… On savait qu’il était en période de préavis, non ?

Une – Apparemment, c’est arrivé pendant son sommeil.

Deux – Ah, oui…?

Un – Au moins, il n’a pas souffert… Il ne s’est même vu partir.

Deux – Une belle mort, comme on dit… Ça ne remplace pas une belle vie, mais c’est toujours mieux que rien…

Un – Il a toujours fait ce qu’il a voulu…

Deux – Est-ce que ça suffit à faire une belle vie…?

Un – C’était une autre époque.

Deux – Ouais…

Silence embarrassé. La deuxième se lève.

Deux – Je vais voir ce qu’ils foutent avec mon café… On dirait qu’ils m’ont oubliée… Tu reprends quelque chose ?

Un – Ils ne m’ont toujours pas apporté ce que j’avais commandé non plus…

La deuxième s’approche du comptoir dans le noir. La première se fait un raccord de maquillage. L’autre revient avec deux tasses de café et se rassied.

Deuxième – Ils les avaient préparés, mais ils avaient oublié de nous les apporter…

Un – J’espère qu’il est encore chaud…

Deux (prenant une gorgée) – En tout cas, il est fort… Ça réveillerait un mort…

L’autre lui lance un regard étonné, se demandant s’il s’agit d’une plaisanterie ou pas.

Un – On n’aura même pas pu lui dire au revoir.

Deux – Au revoir ?

Un – Adieu, si tu préfères…

Deux – Je ne sais pas ce que je préfère, mais bon…

Un – Quand même… Si on avait su…

Deux – Même si on avait su la date et l’heure… Entre nous, qu’est-ce que ça aurait changé

Un – On aurait pu lui dire un dernier mot…

Deux – Un dernier mot ? Comme quoi, par exemple ?

Un – Je ne sais pas…

Deux – En ce qui me concerne, je ne suis pas sûr que le dernier mot que j’aurais pu lui dire lui aurait été d’un grand réconfort…

Un – Ça ne sert plus à rien de ruminer le passé… Maintenant qu’il n’est plus là….

Deux – Tu as raison… Tournons-nous résolument vers l’avenir… Alors qu’est-ce qu’on fait du corps ?

Un – Tu parles comme si c’était nous qui l’avions assassiné…

Deux – Je me disais que l’incinération…

Un – Tu crois que c’est ça qu’il aurait voulu ?

Deux – Alors là… Je ne me souviens pas d’avoir eu ce genre de conversation avec lui… D’ailleurs, je ne me souviens pas d’avoir jamais eu une véritable conversation avec lui… Et toi ?

Un – Non, moi non plus…

Deux – Dans ce cas, c’est à nous de décider. Personnellement, je n’ai été très fan du côté mausolée. Sauf pour les grands hommes, évidemment. On ne va pas le faire embaumer comme Staline… Et comme je n’ai pas l’intention d’aller lui porter des fleurs tous les ans à La Toussaint.

Un – Je ne sais pas…

Deux – Je parle pour moi… Mais je ne voudrais surtout pas te priver du plaisir d’aller fleurir sa tombe une fois par an… Si tu crois qu’il vaut mieux investir dans la pierre… On fera comme tu voudras.

Un temps.

Un – Et qu’est-ce qu’on ferait des cendres ?

Deux – On partage. Comme c’est tout ce qu’il nous a laissé.

Un – On ne peut pas faire ça…

Deux – Si tu préfères le répandre en entier sur ta pelouse entre le barbecue et la piscine, je suis prête à te laisser ma part, rassure-toi…

Silence.

Un – Comment tu peux être aussi dure…?

L’émotion prend le dessus.

Deux – Comment on a pu en arriver là ? C’est ça la question…

Une – C’est comme ça… Ce n’est la faute de personne…

Deux – C’est forcément la faute de quelqu’un !

Une – Il est trop tard, de toute façon.

Silence.

Un – Et toi, comment ça va ?

Deux – Ça va.

Un – C’est tout ?

Deux – Ce serait trop long…

Son portable sonne, elle répond.

Deux – Oui ? Ah, c’est toi… Non, non… Si, si, mais… Écoute, je suis en réunion là. Enfin… une réunion de famille, plutôt. Non, ce n’est pas vraiment une fête de famille non plus, je te raconterai. Je peux te rappeler ? Ok, à toute à l’heure… Moi aussi…

Elle range son portable.

Deux – Excuse-moi… Et toi, comment ça va ?

Un – Ça fait tellement longtemps… Je ne sais pas par où commencer…

Le portable de l’autre sonne à nouveau.

Deux – Pardon… (Elle prend l’appel) Oui ? Ah, d’accord. Non, non, ce n’est pas grave. Non ? Mais je vous avais dit de… Ok, je serai là-bas d’ici une heure.

Elle range son portable.

Deux – Je suis vraiment désolée… Qu’est-ce qu’on disait ?

Un – Rien d’important.

Deux – Écoute, franchement, si tu peux t’en occuper pour… Moi, c’est au dessus de mes forces… Fais comme tu le sens, pour moi, il n’y a pas de problème… Et bien sûr, on partage les frais…

Elle se lève.

Deux – Il faut vraiment que j’y aille, là… Je n’avais pas prévu de… Mais on peut déjeuner ensemble un de ces jours…

Un – Pourquoi pas.

Elle commence à sortir un billet de son sac pour payer.

Deux – Laisse, je paierai en partant. Tu as mon numéro, tu me tiens au courant ?

Un – D’accord…

Cette fois elles s’embrassent, maladroitement. La deuxième s’en va. La première se rassied, et termine son café.

Deux – Et voilà, maintenant il est froid…

Noir.

 

Scénariste et auteur de théâtre, Jean-Pierre Martinez a écrit une soixtaine de comédies régulièrement montées en France et à l’étranger :

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables  sur

http://comediatheque.net 

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Novembre 2011

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-20-8

Ouvrage téléchargeable gratuitement

Le Comptoir Lire la suite »

Café des Sports

The Jackpot –  Bar Manolo –  O Jackpot – ΚΑΦΕΝΕΙΟΝ «ΤΟ ΤΕΡΜΑ»

Comédie de Jean-Pierre Martinez

7 à 17 personnages
distribution très variable en nombre et sexe

Suite à un accident de corbillard, l’arrivée dans un café d’un cercueil qui s’avère contenir un billet de loto gagnant fournit le prétexte d’une comédie très enlevée.


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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CAFÉ DES SPORTS POUR 7

1 homme / 6 femmes

2 hommes / 5 femmes

3 hommes / 4 femmes

4 hommes / 3 femmes

5 hommes / 2 femmes

CAFÉ DES SPORTS POUR 8

1 homme / 7 femmes

2 hommes / 6 femmes

3 hommes / 5 femmes

4 hommes / 4 femmes

5 hommes / 3 femmes

6 hommes / 2 femmes

CAFÉ DES SPORTS POUR 9

1 homme / 8 femmes

2 hommes / 7 femmes

3 hommes / 6 femmes

4 hommes / 5 femmes

5 hommes / 4 femmes

6 hommes / 3 femmes

7 hommes / 2 femmes

CAFÉ DES SPORTS POUR 10

1 homme / 9 femmes

2 hommes / 8 femmes

3 hommes / 7 femmes

4 hommes / 6 femmes

5 hommes / 5 femmes

6 hommes / 4 femmes

7 hommes / 3 femmes

8 hommes / 2 femmes

CAFÉ DES SPORTS POUR 11 ou 12

version pour 11 ou 12 distribution variable nombre/sexe

CAFÉ DES SPORTS POUR 13 à 17

version pour 13 à 17 distribution variable nombre/sexe


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Cet ouvrage peut être commandé en impression à la demande sur le site The Book Edition, avec des réductions sur quantité (5% à partir de 4 exemplaires et 10% à partir de 12 exemplaires), livraison dans un délai d’une semaine environ.


EXTRAIT VIDÉO

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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CAFÉ DES SPORTS 

Suite à un accident de corbillard, l’arrivée dans un café d’un cercueil qui s’avère contenir un billet de loto gagnant fournit le prétexte d’une comédie très enlevée.

 Distribution 

Robert : le patron cruciverbiste
Josiane : la cuisinière célibataire
Martial : le croque-mort philosophe

Justin : le croque-mort terre à terre
Nathalie : l’héritière survoltée
Charlotte : la lycéenne désabusée
Antoine : le professeur débordé
Jésus : le plombier veinard
Blanche : la vieille pas si folle

Le facteur pourra être joué par le comédien qui interprète Jésus et la sourde muette pourra être jouée par la comédienne qui joue Blanche ou bien ces deux petits rôles pourront être attribués à des comédiens d’appoint.

Multiples adaptations disponibles auprès de l’auteur pour différentes distributions, de 7 à 10 personnages avec une répartition par sexe très variable :

1H/6F, 1H/7F, 1H/8F, 1H/9F, 2H/5F, 2H/6F, 2H/7F, 2H/8F, 3H/4F,
3H/5F, 3H/6F, 3H/7F, 4H/3F, 4H/4F, 4H/5F, 4H/6F, 5H/2F, 5H/3F,
5H4F, 5H/5F, 6H/2F, 6H/3F, 6H/4F, 7H/2F, 7H/3F…
et jusqu’à 16 personnages.

Au centre le bar. Au-dessus un panneau Café des Sports. D’un côté un flipper, de l’autre deux tables. Derrière le bar, Robert, le patron, fait les mots croisés du Parisien. Dans la salle, Josiane, la femme à tout faire, passe la serpillière.

Robert – Il faut des pièces pour y jouer… En sept lettres…

Josiane s’interrompt pour réfléchir avec lui.

Josiane – Flipper…?

Robert la regarde, étonné par cet accès de génie. Il compte sur ses doigts jusqu’à sept et son visage s’illumine. Il se penche sur sa grille, mais il est déçu.

Robert – Et merde, ça commence par un t…

Un facteur à l’ancienne arrive (uniforme, casquette, sacoche, pinces à vélo). Le facteur sera joué par le même comédien qui interprétera plus tard le plombier (qui, lui, arrivera en bleu de travail). Comme ils porteront des tenues très différentes, il ne sera pas nécessaire de les grimer pour les distinguer, mais on pourra ajouter une moustache postiche au facteur, qui a par ailleurs tout de l’idiot du village. Robert lève les yeux de sa grille.

Robert – Tiens, voilà le facteur…

Facteur – Salut Robert. Tu as encore un courrier de ministre, aujourd’hui…

Il pose un paquet de lettres sur le comptoir.

Robert – Ministre, tu parles… (Il regarde les enveloppes) Facture, impôts, appel à cotisation, facture… (Il range le courrier). Un petit blanc sec, comme d’habitude ?

Facteur – Oh non, le blanc, ça ne me réussit pas trop en ce moment… Mets-moi plutôt une petite côte.

Robert le sert.

Robert – Et voilà, une côtelette.

Le facteur vide son verre d’un trait.

Robert – C’est toujours ça que les boches n’auront pas…

Facteur – Au fait… Pinard, ça te dit quelque chose ?

Robert – Pinard ?

Le facteur sort une lettre recommandée.

Facteur – Madame Pinard. Elle habite au numéro 13. C’est l’immeuble d’à côté.

Robert – Ah ouais…

Facteur – Mais je n’ai pas vu son nom sur les boîtes.

Robert – Ça m’étonne pas…

Facteur – Elle habite à quel étage ?

Robert – Septième. Mais elle est morte il y une quinzaine.

Facteur – Ah merde… Alors en somme… elle a déménagé, comme qui dirait…

Robert – On peut dire ça comme ça, oui… Boulevard des Allongés.

Facteur – Non, parce que j’ai un recommandé pour elle.

Robert – Ah, ouais… C’est ballot…

Facteur – Alors qu’est-ce que je fais ?

Robert – Je ne sais pas, moi…

Facteur – Elle ne t’a pas laissé une adresse, par hasard ?

Robert – Elle est morte, je te dis.

Facteur – Ah ouais… C’est emmerdant… Mais qui est-ce qui va le signer, mon recommandé ?

Robert – Ça…

Facteur – Donc elle ne va pas revenir…

Robert – C’est peu probable.

Facteur – Ça ne m’arrange pas.

Robert – Dans tous les métiers, c’est pareil, tu sais… Il y a toujours des emmerdeurs qui ne pensent qu’à te compliquer la vie…

Facteur – Alors je ne sais pas moi… Et toi tu ne pourrais pas signer à sa place ?

Robert – Pourquoi je ferais ça ?

Facteur – Entre voisins, on peut se rendre de petits services… Ça m’éviterait de revenir.

Robert – Revenir ? Pourquoi faire ?

Facteur – Pour lui remettre ce recommandé !

Robert – Mais puisque je te dis qu’elle est morte ! Décédée, tu comprends ? Et il y a au moins un avantage à être mort, c’est qu’on devient définitivement inaccessible aux recommandés en tous genres !

Facteur – Je comprends.

Robert – Tu n’as qu’à lui laisser un avis de passage.

Facteur – Tu crois ?

Robert – C’est quoi, ce recommandé ? Avis d’imposition ? Avis d’expulsion ? Avis de radiation ?

Facteur Ça vient de la Française des Jeux.

Robert – La Française des Jeux ?

Facteur – Ça ne peut pas être une mauvaise nouvelle.

Robert – Tu crois vraiment que quand on est mort, on peut encore faire la différence entre une bonne et une mauvaise nouvelle ?

Facteur – Quand même… La Française des Jeux…

Robert – Fais voir… (Prenant la lettre de la main du facteur). Ah oui, la Française des Jeux, dis donc…

Facteur – Elle jouait au loto ?

Robert – Je ne sais pas… On se croisait de temps en temps… Elle avait une petite chienne…

Facteur – Et qu’est-ce qu’elle est devenue ?

Robert – Elle est morte, je te dis !

Facteur – La chienne aussi ?

Robert – Pas le chien, elle !

Facteur – Et le chien, qu’est-ce qu’il est devenu ?

Robert – Je ne sais pas…

Facteur – C’est triste, un chien qui se retrouve tout seul dans la vie, comme ça… Je ne comprends pas tous ces gens qui prennent un animal et qui l’abandonnent. Prendre un animal, c’est une responsabilité. Les gens ne se rendent pas compte…

Robert – Tu crois qu’elle aurait pu gagner le gros lot ?

Facteur – Si c’est le cas, il ne faudrait pas qu’elle tarde à se manifester. Parce qu’il y a une date butoir, quand même. Si on ne vient pas chercher son chèque avant, on perd tout. Et la somme est remise en jeu…

Robert – C’est vrai que ce serait ballot…

Facteur – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Robert – On ?

Facteur – Comme tu dis, ce serait ballot…

Robert – Ok. Je vais signer.

Facteur – Ça m’évitera de repasser.

Robert signe le reçu que lui tend le facteur, ouvre fébrilement l’enveloppe et lit.

Facteur – Alors ?

Robert – C’est une lettre de licenciement…

Facteur – Ce n’est pas un chèque ?

Robert (lisant) – Elle travaillait à la Française des Jeux. En CDD. C’est juste un avis de fin de contrat.

Facteur – Ah merde… Alors non seulement elle n’a pas gagné au loto, mais en plus elle perd son boulot, dis donc.

Robert – Ouais…

Facteur – Ah oui, ce n’est pas de bol… Parce que pour retrouver du boulot en ce moment…

Robert – Surtout quand on est mort.

Facteur – Et évidemment, ce n’est jamais les gens comme nous qui gagnent au loto, hein ? Ceux qui en auraient vraiment besoin.

Robert – Non…

Facteur – Tiens j’ai lu un article hier dans le journal hier : il gagne 60 millions au loto et il continue à vivre exactement comme avant… Je vais te dire, moi : il y a des gens, ils ne méritent pas de gagner !

Robert – C’est clair…

Facteur – Bon ben ce n’est pas tout ça, mais il faut que je continue ma tournée, moi.

Il s’apprête à partir. Robert brandit la lettre.

Robert – Et qu’est-ce que je fais de ça, moi ?

Facteur – Ça c’est toi qui vois, hein… Moi du moment que tu as signé le reçu.

Le facteur s’en va. Robert regarde à nouveau la lettre, perplexe, avant de la mettre de côté. Entre Antoine, cartable à la main, absorbé dans ses pensées.

Antoine – Messieurs-Dames. Un café…

Robert lui sert son café, et prend une bouteille sur une étagère derrière lui.

Robert – Un petit calva, pour arroser ça ?

Antoine (surpris) – Pour arroser quoi ?

Robert – Ben, votre café…

Antoine – Ah, euh… Non, merci… Je donne un cours dans un quart d’heure…

Robert, tentateur, la bouteille à la main.

Robert – Allez… Ils ne vont pas vous faire souffler dans le ballon…!

Antoine – Et puis après tout, pourquoi pas…

Pendant que Robert lui sert un calva et en profite pour s’en servir un aussi, Antoine jette un coup d’œil au Monde qu’il vient de sortir de sa poche.

Antoine (lisant) – L’École Nationale d’Administration accueillera, cette année, quelques jeunes issus de l’immigration…

Robert pose un calva devant Antoine, et s’apprête à s’enfiler le sien.

Robert – Remarquez, les immigrés, c’est comme les pitbulls, hein ? C’est les bons qui paient pour les mauvais…

Robert descend son calva d’un trait.

Robert (appréciatif) – Ah…

Mais son sourire satisfait se fige aussitôt.

Robert – Il a un drôle de goût ce calva… Vous ne trouvez pas ?

Antoine porte son verre à ses lèvres et fait la grimace.

Antoine – On sent bien le goût de la pomme…

Tandis que Robert repose la bouteille sur l’étagère, il la soupèse et regarde le niveau.

Robert – Ce n’est pas possible ! Hier encore elle était presque pleine. Ce n’est pas moi qui ai bu tout ça !

Il prend un crayon et fait une marque sur l’étiquette. Josiane, qui a fini de laver par terre, s’éloigne vers la cuisine. Antoine s’apprête à vider son verre. Il s’étrangle en voyant arriver Nathalie, en noir, et sa fille Charlotte. Antoine et Charlotte échangent un regard embarrassé. Antoine se planque derrière le Monde tandis que Charlotte et sa mère vont s’asseoir.

Nathalie (examinant l’endroit) – C’est crado, non ?

Charlotte – C’est populaire…

Nathalie – Ouais… C’est crado…

Charlotte – C’est le seul bistrot en face du cimetière… Evidemment, ça ramène moins de monde qu’un lycée…

Nathalie jette un regard vers le patron qui arrive pour prendre la commande.

Nathalie – La circulation doit plutôt se faire dans l’autre sens… Ils ont l’air déjà bien imbibés dès le matin.

Robert – Mesdames. Qu’est-ce que je vous sers ?

Nathalie – Un thé avec… (Se ravisant, avec un air dégoûté) Un thé.

Charlotte – Un diabolo citron.

Le patron s’éloigne. Nathalie regarde l’inscription au-dessus du comptoir.

Nathalie – Café des Sports… Tu parles d’un nom pour un bistrot. Je me demande quel sport ils peuvent bien pratiquer. Il n’y a même pas un baby-foot…

Charlotte sort une cigarette et s’apprête à l’allumer.

Nathalie – Tu ne vas pas fumer ?

Charlotte – Pourquoi pas…? Je te rappelle que toi, quand tu étais enceinte de moi, tu te tapais deux paquets par jour… Il paraît que c’est le meilleur moyen pour avoir des enfants débiles…

Nathalie – Ouais, ben à l’époque, on ne savait pas… Pourquoi tu as dit « toi, quand tu étais enceinte ? ».

Robert, qui apporte les consommations, fait diversion.

Robert – Si vous voulez fumer, c’est dehors…

Charlotte range sa cigarette en soupirant. Robert repart.

Nathalie – Alors finalement, c’était pas une appendicite…

Charlotte – Une appendicite ! À soixante-quinze ans ! Confondre une cirrhose du foie avec une maladie infantile ! C’était pas le roi du diagnostic ce médecin…

Nathalie – C’était un interne. Ils sont tellement mal payés. Enfin, c’était incurable, de toute façon. C’est drôle, je n’arrive pas à réaliser que ton grand-père est mort.

Charlotte – Avant d’être mon grand-père, c’était un peu ton père, non…?

Nathalie – Oui… J’ai toujours eu un peu de mal à communiquer avec lui.

Charlotte – Ça ne risque plus de s’arranger…

Nathalie – J’ai une copine qui a fait quinze ans d’analyse pour essayer de renouer le dialogue avec son père. Quinze ans, tu te rends compte ?

Charlotte – Et alors…?

Nathalie – Au bout de quinze ans, son père était mort…

À l’insu de sa mère, Charlotte échange avec Antoine quelques regards gênés.

Charlotte – Et grand-mère ?

Nathalie – Elle ne se souvenait même plus qu’elle était mariée, alors lui apprendre maintenant qu’elle est veuve… (Soupir) Ce n’est pas très gai, tout ça…

Charlotte – Les enterrements, c’est rarement gai…

Robert s’est replongé dans la lecture de son journal.

Robert (lisant) – Le suicide est la première cause de décès chez les adolescents… Remarquez, à seize ans, c’est rare qu’on meurt de vieillesse, hein ?

Charlotte – Tu savais que pépé avait souscrit une convention-obsèques ?

Nathalie – Non…

Charlotte – C’est spécial, hein ? Je ne me vois pas choisir à l’avance si je veux du chêne ou du sapin, des poignées dorées ou argentées, un capitonnage rose bonbon ou vert pomme…

Nathalie – Remarque, c’est pratique. Comme ça on ne s’occupe de rien.

Charlotte (ironique) – Et on n’a rien à payer…

Nathalie sort un miroir de son sac et s’examine.

Nathalie – Ouh, là ! Si je me croisais dans la rue, je ne me reconnaîtrais pas ! Je vais me remaquiller un peu, sinon on va croire que c’est moi qu’on enterre…

Nathalie, se dirigeant vers les toilettes, tombe sur Antoine, qui fait pourtant tout pour passer inaperçu en se cachant derrière un bouquin de Kant. Après une hésitation, elle l’aborde avec un grand sourire.

Nathalie – Antoine ? C’est Nathalie ! Tu te souviens ? On était… au lycée ensemble.

Antoine (feignant l’enthousiasme) – Ah, Nathalie…!

Nathalie – Alors, qu’est-ce que tu deviens ?

Antoine – Ben, je suis toujours au lycée…

Nathalie – Prof ?

Antoine – Elève, ensuite pion, maintenant prof. C’était la dernière solution pour qu’on ne me vire pas de l’école… Et toi ?

Nathalie – Oh, moi… Je me suis mariée… Et puis j’ai divorcé…

Robert (sentencieux) – Des fois, il vaut mieux un bon divorce qu’un mauvais mariage…

Nathalie le fusille du regard.

Nathalie (à Antoine, amusée) – Tu écris toujours des pièces de théâtre…?

Charlotte semble surprise.

Antoine – Non… (Devant l’air déçu de Nathalie, il rectifie). Maintenant, c’est plutôt des romans…

Nathalie – Ecrivain ? Génial ! Il faudra que tu me dédicaces un de tes bouquins.

Antoine (embarrassé) – Oui, enfin…

Nathalie – Et sinon, tu es marié ? Tu as des enfants ?

Antoine – Euh… Non, je suis toujours célibataire…

Nathalie – C’est marrant, ma fille a presque l’âge de tes élèves, maintenant. Ça ne nous rajeunit pas… (Désignant Charlotte) Tiens, justement la voilà !

Antoine échange un regard embarrassé avec Charlotte.

Antoine – Charlotte…? Ah, c’est marrant, c’est une de mes élèves… Je ne savais pas que c’était ta fille…

Nathalie – Elle porte le nom de son père… C’est tout ce qu’il lui a laissé en partant, d’ailleurs… Tu es son prof de gym, c’est ça ? Elle en parle tout le temps…

Antoine – Non… De philosophie…

Nathalie – Ah, oui, c’est vrai ! Tu as plutôt le gabarit d’un prof de philo… Dis donc, ça n’a pas l’air d’être le grand amour entre ma fille et Kant ? Tu crois qu’elle va enfin le décrocher, ce bac ? Ça fait quand même la troisième fois… Je me demande s’il n’y a pas eu une petite erreur d’orientation. Elle a toujours eu l’esprit plutôt concret. Et puis entre nous, la philo, ça ne mène nulle part…

Antoine – Ben, non…

Nathalie – De toute façon, si ça ne marche pas cette année, je la colle dans une école commerciale ! Le genre… grande école où on peut rentrer sans le bac, tu vois ? J’en ai déjà trouvé une. C’est cher, mais bon… Quand on veut quelque chose de bien. Et puis franchement, le bac, c’est bien beau, mais si c’est pour se retrouver à l’université avec le tout-venant. Maintenant tout le monde va à la fac… Il n’y a plus aucune sélection !

Charlotte (exaspérée) – Maman…!

Nathalie – Ah, la, la… Ce n’est pas tous les jours facile pour une femme seule d’élever un enfant, crois-moi… D’ailleurs, tu sais ce que dit Freud en ce qui concerne l’éducation des enfants : «Faites ce que vous voulez, de toute façon ce sera mal». Bon, excuse-moi, il faut que je file, j’ai un enterrement sur le feu…

Nathalie poursuit son chemin vers les toilettes.

Charlotte – Je ne savais pas que vous connaissiez ma mère.

Antoine – Moi non plus…

Charlotte – Il faut absolument qu’on se voit ce soir… On se retrouve chez vous…?

Antoine – Ecoute, Charlotte, il vaudrait mieux qu’on arrête, tous les deux. On fait fausse couche… Fausse route…

Charlotte – Fausse route ?

Antoine – Dans une semaine tu auras ton bac. L’année prochaine, tu iras à la fac. Moi je redoublerai ma terminale, comme tous les ans.

Charlotte – Mon bac ? Ça fait deux fois que je le rate pour rester dans ta classe. Mais cette année, ça t’arrangerait bien que je l’ai, hein… Comme ça, en septembre, tu en trouveras une autre à qui donner des cours particuliers…

Antoine lui fait gentiment signe de parler moins fort.

Antoine – Je pourrais être ton père!

Charlotte (menaçante) – Justement. Je pourrais porter plainte pour détournement de mineure…

Antoine – Tu as vingt-et-un ans…

Charlotte – D’accord, pour harcèlement sexuel, alors.

Antoine (faussement détaché) – Fais ce que tu veux. De toute façon, ce serait peut-être me rendre service que de me faire radier de l’Education Nationale.

Charlotte (se levant, méprisante) – Pauvre mec !

Nathalie ressort des toilettes.

Nathalie (à Antoine, charmeuse) – Passe à la maison, un de ces soirs. On se fera un petit dîner entre célibataires…
(À son oreille, coquine) Qui sait ? On arrivera peut-être à ranimer la flamme…

Antoine, gêné, répond d’un sourire.

Nathalie – Tu viens, Charlotte ? (À Antoine) – Ne la surmène pas trop, quand même…

Nathalie et Charlotte s’en vont. Antoine reste là, peu fier de lui mais soulagé. Robert n’a rien raté de la conversation, mais fait mine de ne pas avoir écouté.

Antoine – Les risques du métier… Euh… je peux vous demander d’être discret…? Je joue mon boulot, là…

Robert (sentencieux) – Un bistrot, c’est comme un confessionnal. On entend tout, mais rien n’en sort.

Soudain, Charlotte revient un instant et met quelque chose dans la main d’Antoine.

Charlotte – Tiens, c’est le premier examen de ma vie que je réussis. Et cette fois, c’est vraiment grâce à toi… Je te laisse le diplôme, en souvenir!

Charlotte s’en va. Antoine regarde l’objet incrédule. C’est un test de grossesse.

Robert – Quand il y a deux traits, c’est que c’est des jumeaux…

Antoine s’en va, paniqué. Robert soupire, et se replonge dans ses mots croisés. Josiane arrive de la cuisine avec une revue. Profitant de la distraction de Robert, elle se sert un verre de calva, le boit cul sec, et reverse le contenu d’un verre d’eau minérale dans la bouteille de calva à l’aide d’un entonnoir. Comme elle range le tout, Robert se tourne vers elle, méfiant. Elle ouvre Le Chasseur Français et affiche un sourire innocent.

Robert – Vous lisez Le Chasseur Français, maintenant ?

Josiane – Non ! C’est pour les annonces… (Regard étonné de Robert) Les annonces matrimoniales !

Robert – Et alors…?

Josiane – Oh, vous savez, c’est comme pour les voitures, hein… Il faut faire des essais comparatifs…

Robert – Et vous avez trouvé le modèle que vous voulez ?

Josiane – Pas encore. Malheureusement, à mon âge, je dois me limiter au marché de l’occasion…

Un téléphone portable sonne.

Josiane – Ça doit être le mien… Je viens de m’en offrir un pour Noël. Il faut bien vivre avec son temps…

Elle prend la communication avec maladresse, visiblement peu habituée à ce genre d’appareil.

Josiane (énervée) – Merde, comment ça marche, déjà…

Robert la regarde, interloqué.

Josiane (avec une amabilité forcée) – Allô oui ! Oui, c’est moi… Oui, bonjour… Oui, la quarantaine, c’est ça…

Elle se rend compte que Robert l’écoute.

Josiane – Enfin, plus près de quarante que de cinquante… Oui, je suis tombée sur votre annonce par hasard dans Le Chasseur Français et… Euh, non, je ne chasse pas. J’ai sûrement feuilleté ça chez la coiffeuse… Non, ma coiffeuse ne chasse pas non plus, pourquoi…? Divorcée, c’est ça… Et vous…? (Se figeant) Ah… Et elle est morte de quoi…? (Riant) Si ce n’est pas indiscret, bien sûr… Oh la la… Qu’est-ce qu’elle a dû souffrir… Moi je dis que dans ces cas-là, on devrait les faire piquer… (Robert la regarde, sidéré) Oui, ça a dû vous faire un vide… Non, moi je n’ai pas d’animaux… Seulement un fils de 17 ans… (Riant) Mais ça fait des saletés aussi, vous savez…! Vous aimez les enfants…? Non, je crois que pour ça c’est un peu tard, hein…? À nos âges, il ne serait sûrement pas normal… Ecoutez, je ne suis pas seule, là. Au Café des Sports, ça vous va ? Non, pas en face du stade, en face du cimetière… C’est ça. (Enjôleuse) À tout à l’heure…

Josiane raccroche et pose son téléphone sur le comptoir. Robert, dubitatif, est en train de vérifier la marque qu’il a faite au crayon sur la bouteille de calva.

Josiane – Vous n’avez pas vu Marcel ?

Robert – Ça fait trois jours qu’il n’est pas venu faire son loto… Il doit être malade.

Josiane – Depuis le temps qu’il joue son numéro de sécu… Ça serait dommage qu’il sorte quand il l’a validé sur une feuille de remboursement…

Robert s’est replongé dans Le Parisien. Il tourne une page de son journal et sursaute.

Robert – Dites donc, à propos de loto, vous avez vu ça ?

Josiane – Quoi ?

Robert – La super-cagnotte ! Le numéro a été joué ici !

Josiane – Sans blague ?

Robert (montrant le journal) – Tenez ! 75 millions !

Josiane – D’ancien francs ?

Robert – D’euros ! Vous vous rendez compte tout ce qu’on peut faire avec 75 millions d’euros ! (Josiane a visiblement du mal à l’imaginer) C’est forcément quelqu’un qu’on connaît…

Josiane – Il est peut-être célibataire…

Robert – Allez savoir… Des fois, il y a des gagnants qui préfèrent rester anonymes…

Robert se sert un calva.

Josiane – Oui, c’est comme les alcooliques…

Robert s’envoie son calva derrière la cravate, puis fait la grimace en se touchant le ventre.

Robert – Je ne sais pas ce que j’ai, moi, j’ai mal à l’estomac depuis quelque temps…

Josiane – C’est le stress, ça. Vous verrez, quand vous serez à la retraite, vous n’aurez plus mal au ventre.

Robert – C’est ça… Et quand je serai mort, je n’aurai plus mal nulle part…

Il refait un trait au crayon sur l’étiquette.

Josiane – Bon, ben je vais au Casino, moi.

Elle sort. Le portable oublié par Josiane sur le comptoir se met à sonner.

Robert – Elle a oublié son engin ! Et merde… (Après quelques tâtonnements, il parvient à prendre la communication) Allô ! Non, ce n’est pas Josiane, c’est Robert…! De la part de qui…? Jésus…! L’annonce ? Quelle annonce ? Ah, oui, Le Chasseur Français… Non, mais attendez que je vous explique ! Il n’est pas à moi, cet engin… Il a raccroché, ce con! (Il repose le téléphone sur le comptoir) De la part de Jésus… C’était quand même pas les Témoins de Jéhovah…?

Entrent deux croque-morts, en costume et lunettes noirs.

Robert – Tiens, voilà les Blues Brothers ! Comment ça va les affaires ?

Martial – Les traditions se perdent. Les gens sont en retard même aux enterrements. En attendant, on va boire un coup, vite fait… (Il jette un regard dehors par la vitre) Mais il faut que je garde un œil sur mon corbillard, moi.

Justin – Il ne s’agirait pas qu’on nous le vole, avec la marchandise et tout. On voit tellement de trucs, maintenant. Vous avez entendu parler de ces Belges qui passaient des cigarettes de contrebande planquées dans un fourgon mortuaire ?

Robert – Remarque, avec les nouvelles lois, maintenant… Vu les têtes de mort qu’on est obligé de mettre sur les paquets… Bientôt, les camionnettes de livraison de tabac ressembleront à des corbillards… (Un temps) Qu’est-ce que je vous sers ? (Goguenard) Un croque et une bière ?

Martial – Comme d’habitude. (Avec un sous-entendu) Eh, on ne change pas une équipe qui gagne…!

Robert se renfrogne, tout en lui servant un petit blanc.

Martial (insistant, ironique) – Tu as regardé la télé hier ?

Robert – Ouais, oh, ça va… (De mauvaise foi) Le deuxième, il n’y était pas…

Martial (scandalisé) – Comment ça, il n’y était pas ?

Robert – Hors jeu…

Martial (s’étouffant) – Hors jeu ?

Josiane revient, avec un grand sac en plastique marqué Casino, et se fait aussitôt prendre à partie.

Robert – Il n’était pas hors jeu, le deuxième ?

Josiane – Depuis que les arbitres ont le droit de faire de la pub… (Les croque-morts la regardent sans comprendre) Qu’est-ce qu’il avait de marqué sur son maillot, l’arbitre ?

Elle montre son sac en plastique.

Martial (lisant) – Casino…? Et alors ?

Josiane – Et qu’est-ce qu’il faut mettre sur la table pour jouer au casino ?

Robert (se figeant, illuminé) – Des pièces !

Robert retourne précipitamment à ses mots croisés, sous le regard éberlué des autres.

Justin – D’abord, c’était pas Casino, c’était Champion.

Josiane (avec un air entendu) – Ouais, oh…

Josiane sort vers la cuisine avec ses provisions.

Robert (comptant sur ses doigts) – Ah, ça ne fait que six lettres ! Et ça ne commence toujours pas par un t…

Martial cherche un moyen d’attirer l’attention du patron sur son verre vide.

Martial – Dis donc, elles sont pas mal tes chaussettes. Ils font les mêmes, pour hommes ?

Le patron hausse les épaules et remet une tournée aux croque-morts. Tandis qu’il sert Justin, celui-ci lui fait signe que ça suffit, alors que le verre déborde déjà.

Justin – Hop, hop, hop… Pas d’excès, hein ? Il y a assez de morts comme ça sur les routes.

Martial – Oh, nos clients, à nous, il ne peut plus rien leur arriver. (Il sirote son ballon) Encore que… Figure-toi que le mois dernier, on a incinéré Madame Pinard…

Robert – Qui ça…?

Martial – Madame Pinard ! Son mari tenait le magasin de farces et attrapes ! Elle est morte d’une crise cardiaque…

Robert – Ah, oui…

Martial – D’ailleurs, son mari ne sera pas resté veuf très longtemps…

Robert – Il s’est déjà remarié ?

Martial – Ah, tu n’es pas au courant non plus ? Cancer du pancréas. Il est parti quinze jours après. Et pourtant il était plus jeune que toi…

Robert – Il n’y a pas de justice…

Justin (soupirant, philosophe) – Et oui, c’est la vie…

Martial – Bref, le mari avait oublié de nous prévenir avant l’incinération que sa femme portait un pacemaker. En plein milieu de la cérémonie, boum ! La pile au lithium explose sous l’effet de la chaleur, dis donc… La porte du four a été projetée contre le mur !

Justin – Heureusement que personne n’était devant.

Martial – Je ne te raconte pas l’état de la famille. Sans parler de Madame Pinard, évidemment. Enfin, il n’y a pas eu de blessés, c’est le principal… Mais les dégâts sont importants, hein… Heureusement qu’on est assuré…

Justin – C’est qu’un appareil comme ça, c’est plus cher qu’un four à pizzas.

Robert – Eh ben… Vous faites un métier dangereux… (Un temps) Tiens, ça m’étonne qu’on ait pas encore vu Marcel…? C’est le jour de sa grille…

Martial – Marcel ? Il est garé juste en face, dans une belle voiture.

Robert (excité) – C’est lui qui a gagné le gros lot ?

Martial – Si on veut… Il est mort. Dans notre corbillard, c’est lui !

Robert – Sans blague ?

Justin – Cirrhose du foie.

Robert – Ça m’en fout un coup… Pauvre Marcel… Je l’ai vu il y a trois jours. Il a fait son loto, comme d’habitude… Et dire qu’il aurait pu gagner. (Fièrement) C’est moi qui ai vendu le billet gagnant !

Josiane ressort de sa cuisine.

Josiane – Eh, c’est peut-être lui…

Robert – Lui quoi ?

Josiane – Le gagnant ! Il ne s’est pas manifesté. Lui, il avait une bonne raison de ne pas se manifester…

Robert – Oh, ben c’est facile à vérifier, puisqu’il jouait son numéro de Sécurité Sociale… (Il cherche dans le journal les résultats du loto) 1 25 12 37 39 16 et le numéro complémentaire le 14… Oui mais c’était quoi, son numéro de sécu, à Marcel ?

Les autres affichent leur ignorance.

Josiane – Ça serait un sacré veinard !

Martial – Je préfère quand même être à ma place qu’à la sienne….

Robert – C’est surtout les héritiers qui seraient contents. Parce que sinon, le Marcel, il ne doit pas leur laisser grand chose.

Josiane – À part des bouteilles vides…

Justin – Qu’est-ce que tu ferais, toi, Robert, si tu gagnais au loto ?

Robert – Je te paierais une tournée… Malheureusement, je ne joue pas.

Josiane – Moi, si je gagnais le gros lot, je me paierais un voyage dans l’espace. (Les autres la regardent, interloqués) Vous n’avez pas lu, dans le journal ? Maintenant, les milliardaires peuvent faire un tour en fusée !

Justin – Ça me rappelle un truc que me disait toujours mon père : « Quand on mettra les cons en orbite, tu n’as pas fini de tourner ».

Martial – Allez, sers-nous un coup à boire pour arroser ça.

Robert – Pour arroser quoi ?

Martial fait signe que ça n’a pas d’importance. Robert le sert. Entre Blanche, un foulard sur la tête, jouant une sourde-muette vendant des statuettes. Elle dispose sa collection sur le comptoir. Les autres la regardent, ne sachant comment réagir. Blanche pose un papier sur le bar. Josiane se penche pour lire.

Robert – Qu’est-ce qu’elle dit ?

Josiane – Si on en achète six, le septième est gratuit…

Martial (considérant les statuettes) – Qu’est-ce que c’est ?

Justin – C’est pas les sept nains…?

Josiane – Il n’y en a que cinq !

Robert – Et puis c’est petit, pour des nains. Tu as intérêt à tondre ta pelouse toutes les semaines, sinon tu ne les retrouves plus…

Justin (compatissant) – Si on en prend deux chacun…

Robert – Qu’est-ce qu’on va foutre avec deux nains chacun ?

Josiane – Oui. Surtout qu’il n’y en a que cinq…

Robert (fort) – Non, merci, on a ce qu’il faut !

Josiane – Ce n’est pas la peine de gueuler comme ça, elle est sourde.

Blanche remballe sans insister, mais l’air pas contente.

Robert – Je ne gueule pas, j’articule. Pour qu’elle puisse lire sur mes lèvres…

Blanche s’en va. Avant de franchir la porte, elle se retourne.

Blanche – Bandes de nains !

Elle sort. Les autres se regardent, interloqués.

Martial – On dirait qu’elle a retrouvé la parole…

Robert – Et dire qu’on a failli se laisser apitoyer.

Josiane (rêveuse) – Ça me rappelle une histoire…

Robert – Blanche-Neige ?

Josiane – Non, c’est dans un bouquin que je viens de lire.

Elle sort un livre genre Harlequin et le pose sur le comptoir.

Josiane – Ça s’appelle « Une Femme est une Femme ». Ça se passe en Floride. C’est l’histoire d’une jeune milliardaire américaine sourde et muette qui tombe amoureuse d’un séminariste français en mission à Miami… Elle est emmerdée parce qu’elle ne sait pas comment lui avouer son amour…

Robert – Parce qu’il est séminariste ?

Josiane – Oui… Et surtout parce qu’elle est muette. Lui de son côté, il est amoureux aussi mais il ne sait pas comment lui faire comprendre…

Justin – Il est timide…

Josiane – Oui… Et en plus elle est sourde.

Robert – Elle ne pouvait pas lire sur ses lèvres…?

Josiane – Si… Le problème c’est qu’il ne parle que français, et elle, ben elle ne comprend que l’anglais, puisqu’elle est américaine…

Martial (un peu perdu) – Ah ouais, d’accord…

Josiane – En secret, il apprend le langage des signes…

Robert – Et l’anglais…

Josiane – Le jour de la Saint-Valentin, il l’invite au restaurant et lui déclare sa flamme !

Martial (scotché) – Et alors ?

Josiane – Sous le coup de l’émotion, elle retrouve la parole et l’ouïe.

Justin – Louis ?

Robert – Alors il avait appris le langage des signes pour rien…

Josiane – Non ! Parce qu’ensemble, ils décident d’ouvrir une école pour sourds-muets…

Justin (inquiet) – Ils se marient, quand même ?

Josiane – Evidemment.

Robert – Je croyais qu’il était séminariste…?

Josiane – À la fin, il décide de se convertir au protestantisme pour l’épouser…

Silence, le temps de digérer toute la portée symbolique de cette histoire.

Josiane – Bon ben c’est pas tout ça, mais il faut que j’aille faire ma cuisine, moi…

Robert – C’est ça, allez-y.

Josiane sort. Les croque-morts sirotent leurs verres en silence. Robert se replonge dans Le Parisien.

Robert (lisant) – La cigarette tue aussi les non-fumeurs… Oh ben autant fumer, alors…

Martial – À propos de macchabées, tu sais ce que m’a demandé ma fille, ce matin, pendant que je l’emmenais à la maternelle avec mon corbillard?

Robert – Tu emmènes ta fille à l’école en corbillard?

Martial – Ben, quoi? C’est une voiture de fonction. Ça ou La Maison du Surgelé… (S’énervant) Bon, tu sais ce qu’elle m’a demandé ?

Robert – Non.

Martial – Où est-ce qu’on va quand on est mort…?

Robert – Et qu’est-ce que tu lui as répondu ?

Martial – À ton avis ?

Robert – Je ne sais pas.

Martial – Oui. C’est exactement ce que je lui ai répondu.

Robert – Et alors ?

Martial – Elle m’a dit : Mais papa, quand on est mort, on va au cimetière !

Robert – Forcément, elle devait être surprise qu’avec le métier que tu fais tu ne sois pas encore au courant…

Justin – Où est-ce qu’on va quand on est mort… On ne sait déjà pas où on va quand on est vivant…

Robert les ressert, vidant la dernière goutte de la bouteille dans le verre de Martial.

Robert – Marié dans l’année… Je vais chercher une caisse de blanc en bas. Avec tout ce que vous me sifflez.

Justin (jetant un regard au Parisien) – Violée par son beau-père le jour de son mariage, elle se jette sous le train qui devait l’emmener en voyage de noces et provoque un terrible déraillement…

Martial – On dirait que les affaires reprennent…

Robert descend à la cave par la trappe derrière le bar. Josiane revient passer un coup d’éponge sur le comptoir.

Martial (à Josiane) – Et le fiston, comment ça va ?

Josiane – Ça va. Il est en stage pour trois mois. Par son école de commerce.

Martial – Ah bon ? Où ça ?

Josiane – Chez Burger King… À Cap Canaveral.

Martial – À Cap Canaveral ! Et qu’est-ce qu’il fait là-bas ? Il s’occupe du marketing ?

Josiane – Non, il est à la vente. La philosophie américaine, dans les affaires, c’est qu’il faut commencer à la base.

Martial (interloqué) – Chez Burger King…

Josiane – À Cap Canaveral ! Ils ne prennent pas n’importe qui…Pensez donc ! Pour servir des hamburgers aux cosmonautes…

Josiane n’a pas le temps de répondre.

Robert – Oh, nom de Dieu !

Robert remonte.

Robert – J’ai un mètre d’eau dans ma cave !

Justin (horrifié) – De l’eau…!

Robert – Il faut que je ferme le compteur.

Il va fermer le compteur.

Josiane – Ben oui, mais comment je vais faire ma vaisselle moi, maintenant…

Robert – En tout cas, pour le blanc, vous repasserez…

Justin – Peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. Allez, sers-moi une petite côte… dans un grand verre.

Robert regarde Martial pour lui demander ce qu’il veut.

Martial – Pareil, une côtelette…

Robert – Tiens, moi aussi je vais me descendre une petite côte, ça va me remonter. (Robert remplit les verres en soupirant) Ça doit être une canalisation qui a pété. C’est la Bérézina, là-dessous. Il n’y a que les cadavres de bouteilles qui flottent à la surface.

Justin – Il aurait mieux valu que ce soit les pleines…

Josiane – Mais pourquoi vous stockez toutes ces bouteilles vides, aussi ? Ce n’est plus consigné…

 

Justin – Quand j’étais gosse, on allait les porter à l’épicerie pour se faire un peu d’argent de poche et acheter des cigarettes. La vieille les empilait au fond de sa cour. Mais comme son mur donnait sur notre jardin, on récupérait les bouteilles avec un escabeau et on retournait les vendre à la boutique. Elle était sympa, mais c’était plus fort que nous. Fallait qu’on lui fasse des vacheries… On dit toujours que les enfants, c’est des anges. Ce n’est pas vrai. Il n’y a rien de plus cruel qu’un gosse…

Josiane – Bon ben ce n’est pas tout ça, mais comment je vais faire ma cuisine, moi ? Sans eau…

Robert – Ça va, ça va, j’appelle le plombier.

Robert cherche dans un bottin. Martial ouvre Le Parisien.

Robert (lisant le bottin) – Da Silva, Dos Santos, Da Costa… Ah ben on a le choix, au moins…

Justin (lisant le journal) – Les Français font l’amour une fois tous les trois jours… C’est dingue…

Robert (composant le numéro) – Alors, 01…

Josiane – Alors ? Il vient quand votre plombier ?

Robert – Je n’en sais rien. Ça ne répond pas…

Josiane – Bon, j’en profite pour aller au boulanger, moi…

Justin – Vous saviez que les Français faisaient l’amour une fois tous les trois jours ?

Josiane (ironique) – Et les Françaises ?

Justin (regardant le journal) – Ce n’est pas marqué.

Robert – Merde ! Je vais essayer son portable…

Josiane – Tous les trois jours ! Dans leurs rêves, peut-être…

Josiane part chez le boulanger.

Robert (composant le numéro) – 06…

Justin – C’est une moyenne…

Robert – Vu la date à laquelle ça t’est arrivé pour la dernière fois, il faut vraiment que les autres en mettent un coup. (Son interlocuteur décroche enfin) Ah, ce n’est pas trop tôt… Allô ! Je vous entends très mal… Vous êtes en voiture, c’est ça… Bon ben vous avez quand même cinq minutes ! C’est pour une fuite, dans une cave… Oui, le Café des Sports… Non, pas en face du stade ! En face du cimetière… Vous voyez…? Non, en face ! (Plus fort) En face ! Allô…! Allô…!

Juste à ce moment-là, on entend un crissement de pneus suivi d’un bruit de ferraille. Les croque-morts regardent dehors.

Martial – Oh, nom de Dieu !

Robert (raccrochant le téléphone) – Et merde, on a été coupés…

Justin – C’est la première fois que je vois un cercueil voler…

Les croque-morts sortent en catastrophe. Robert va regarder par la vitre du café.

Robert – Ouh, là… Il t’a pris le corbillard de plein fouet, dis donc. Pauvre Marcel… Heureusement qu’il était déjà mort…

Jésus entre, en bleu de travail, tenant Blanche par le bras. La vieille n’a plus de foulard sur la tête, et Robert ne la reconnaît pas.

Blanche – Vous ne pouviez pas faire attention, non ?

Jésus – Vous vous êtes jetée sous mes roues ! (À Robert) Vous êtes témoins ? Elle a traversé comme une folle.

Robert fait mine qu’il n’a rien vu et qu’il ne veut pas être mêlé à ça.

Blanche – Il m’écrase, et en plus il me traite de folle!

Robert – Elle n’a qu’à s’asseoir cinq minutes.

Jésus – Vous pourriez peut-être lui donner un petit remontant ?

Robert s’exécute. Il ramène un petit verre de calva à Blanche, qui le vide d’un trait.

Blanche – C’est de la flotte, votre truc !

Comprenant le message, Robert remplit à nouveau le verre et lui tend. Elle le vide à nouveau d’un trait. La vieille retend son verre.

Blanche – Je me sens encore un peu faible…

Robert refuse d’obtempérer.

Robert – Ah, non, ça suffit !

Jésus – Elle n’a rien. Je ne l’ai même pas touchée. Ma bagnole, en revanche…

Blanche – J’ai failli mourir et il s’inquiète pour son tas de ferraille…

Jésus – Ouais, ben, avant d’être un tas de ferraille, c’était une camionnette toute neuve… (À Robert) Et pour le constat, ça ne va pas être simple. Vous savez où ils sont les croque-morts…

Robert se préoccupe de la vieille.

Robert – Alors comment ça va, mémé?

Blanche (offusquée) – Je ne m’appelle pas mémé…

Robert – Il faudrait prévenir quelqu’un de la famille, qu’il vienne la chercher. (À Blanche) Vous voulez qu’on appelle vos enfants?

Blanche (le regardant) – Des enfants ? Ça je ne suis pas bien sûre que j’en ai.

Robert – Vous n’êtes pas sûre ?

Blanche – Si j’en ai eu, je ne sais plus ce que j’en ai fait.

Robert – Comment que c’est votre nom ?

Blanche – Qu’est ce que ça peut vous faire ? Vous êtes de la police ?

Robert – Vous êtes mariée ?

Blanche – Evidemment, puisque j’allais retrouver mon mari au cimetière quand ce chauffard m’a écrasée.

Robert – Et il est où, votre mari ?

Blanche – Ben, il est mort !

Robert – Dans l’accident ?

Blanche – Mais non, pas dans l’accident !

Jésus – Puisqu’elle n’a rien, je vais peut-être y aller…

Robert – Attendez, c’est vous qui l’avez amenée ici après l’avoir écrasée, vous n’allez pas partir comme ça. Ou alors, vous l’emmenez avec vous. J’ai déjà une fuite à la cave, moi. Ce n’est pas les Restos du cœur ici !

Jésus – Bon, mais qu’est-ce qu’on fait, là ?

Robert (à Blanche) – Qu’est-ce qu’il y a de marqué, sur la tombe de votre mari ?

Blanche – Oh ben alors là… « Repose en paix », je crois.

Robert – Mais non, qu’est-ce qu’il y a de marqué comme nom ? (Blanche fait un signe d’ignorance) Ça doit être le choc… On va attendre un peu, ça va sûrement lui revenir… (À Blanche) Réfléchissez bien. Ça commence par quelle lettre, votre nom ?

Blanche – Le vôtre, ça commencerait pas par un c, en trois lettres.

Robert – Elle commence à me faire chier.

Jésus – Elle a l’air un peu… désorientée. Elle s’est peut-être échappée d’un établissement spécialisé…

Blanche fait une grimace pour simuler la folie. Regards consternés des deux autres.

Robert (à Jésus) – Qu’est-ce que vous en pensez, vous ?

Jésus – Elle ne serait pas un peu bourrée, plutôt ?

Robert – Bourrée ?

Jésus – Vous lui avez quand même filé deux calvas…

Robert – Ça y est, c’est de ma faute maintenant ! (Soupçonneux) D’ailleurs habituellement, ce n’est pas les victimes, qu’on fait souffler dans le ballon… Vous voulez que j’appelle la police, pour le constat ?

Jésus – Oh, ce n’est peut-être pas la peine de les déranger… On n’a qu’à la laisser se remettre un peu. Moi, je vais voir si ma camionnette veut bien redémarrer, sinon il faudra que j’appelle une dépanneuse…

Jésus sort. Les croque-morts reviennent avec le cercueil sur l’épaule.

Robert – Qu’est-ce que vous faites…?

Martial – Pauvre Marcel, on n’allait pas le laisser dans sa boîte au milieu de la route…

Blanche se tourne vers le cercueil.

Blanche (intriguée) – Marcel…?

Les croque-morts posent le cercueil sur le bar. Martial aperçoit sur le comptoir le portable oublié par Josiane.

Martial (prenant le portable, à Robert) – Tu permets que je passe un coup de fil au dépôt ?

Robert – Vas-y, c’est le portable de Josiane…

Martial compose un numéro.

Martial – Ah ! Ça ne répond pas. (Reposant le téléphone sur le comptoir) Ils sont déjà partis bouffer, la vache !

Martial – Il faut pourtant qu’on fasse ça quelque part, hein ? C’est que le costume en sapin en a pris un coup. Il faut qu’on le remette à neuf.

Justin – C’est dans le contrat…

Robert – Ici ?

Martial – Ben, ça éviterait de reporter la cérémonie. La famille est chez le fleuriste… On en a pour un quart d’heure, au maximum… Le temps d’aller chercher un nouveau couvercle. Je suis sûr qu’il aurait été content de passer un dernier moment ici avec vous… Où est-ce qu’on peut le mettre pour qu’il ne soit pas dans le passage…?

Robert – La cave est inondée, alors à part la cuisine, je ne vois pas…

Prenant ça pour une proposition, les croque-morts emmènent le cercueil dans la cuisine. Robert les regarde faire interloqué.

Blanche – Ça ne serait pas mon mari, ça ?

Les croque-morts disparaissent dans la cuisine suivis par Robert, l’air accablé. Blanche s’apprête à leur emboîter le pas quand elle est retenue par la sonnerie du portable de Josiane. Elle prend la communication.

Blanche – Allô oui…? Si vous pouvez m’appeler Josiane…? Ben… Oui, si ça vous fait plaisir… Euh, non, plutôt veuve… Justement, je m’apprêtais à enterrer mon mari, là. Il est dans la cuisine. (Minaudant) Mon âge…? Disons plus près de quatre-vingts que de vingt… Vous n’avez rien contre les vieux…? (Le sourire de Blanche se fige) Il a raccroché, le malotru !

Blanche continue son chemin vers la cuisine avec le portable. Les croque-morts et Robert reviennent sans le cercueil et sans Blanche. Nathalie et Charlotte arrivent, affolées, avec une couronne (portant la mention «Mort pour la France»).

Nathalie – Mais qu’est-ce qui est arrivé à papa ?

Martial – Il a eu… un petit accident de la route.

Charlotte – Je croyais que c’était une cirrhose…

Martial – Je vais vous expliquer. Vous allez voir, tout va s’arranger…

Les croque-morts entraînent Nathalie dehors en lui parlant à voix basse. Antoine revient, cherchant Charlotte, qui suit sa mère. Il cherche à la retenir.

Antoine – Tu en as déjà parlé à ta mère…?

Charlotte – J’essaie d’enterrer mon grand-père, là. Je me demande si c’est vraiment le moment pour annoncer à ma mère que je suis enceinte de son ex.

Robert – Eh oui… Les uns s’en vont, les autres arrivent. C’est le grand cycle de la vie…

Antoine – Vous auriez dû faire prof de philo, vous…

Robert – Oh, vous savez, moi, j’ai arrêté mes études juste après le bac. (Il se marre) Le bac à sable !

Antoine se tourne à nouveau vers Charlotte.

Antoine – Mais je ne sais pas… C’est arrivé comment ?

Charlotte – Tu n’as pas une petite idée…?

Antoine – Excuse-moi, je…

Antoine a l’air complètement anéanti. Charlotte est partagée entre la consternation et la pitié.

Charlotte – Ne te fatigue pas, c’était une blague.

Antoine – Une blague ?

Charlotte – Le test ! J’en ai fait un, oui, mais il est négatif…

Antoine sort le test de sa poche et le regarde, perplexe. Robert se penche aussi et confirme.

Robert – Ah ouais… (Expliquant à Antoine) Vous voyez, c’est là qu’il devrait y avoir un…

Antoine l’interrompt en le foudroyant du regard.

Charlotte – Il serait temps que tu grandisses un peu, Antoine…

Charlotte s’en va.

Antoine – Je crois que je vais reprendre un autre calva… (Robert le sert et il vide son verre d’un trait) Il a un goût de flotte, votre calva…

Antoine se dirige vers les toilettes et croise Blanche qui ressort de la cuisine avec un air de conspiratrice. Robert lui lance un regard suspicieux.

Blanche (pour elle) – Je n’avais pas un téléphone dans la main, tout à l’heure…?

Retour de Jésus.

Jésus – On ne va jamais réussir à le signer, ce constat ! Où est-ce qu’ils sont repartis, encore… C’est que j’ai une chaudière à installer, moi…

Robert écarquille les yeux.

Robert – Vous êtes plombier ?

Jésus – Ben, oui…

Robert – Vous vous appelez comment ?

Jésus – Jésus…

Robert – Mais alors vous êtes celui que j’attendais ! (Lui montrant la trappe) C’est par en bas…

Jésus (pas très motivé) – Qu’est-ce qu’on a ?

Robert – Une canalisation qui a pété. Une véritable hémorragie…

Le plombier s’approche, pose un trousseau de clefs sur le comptoir et descend quelques marches.

Jésus – Oh, nom de Dieu !

Robert – Vous allez quand même pouvoir opérer ? Je ne sais pas, il faudrait au moins faire un garrot.

Jésus (remontant) – Je suis plombier, pas homme-grenouille…

Robert – Ben qu’est-ce je fais alors ?

Jésus – Vous pouvez appeler les pompiers… Ou alors attendre que ça s’évapore.

Robert – C’est que je n’ai plus d’eau, moi !

Jésus (ironique) – Vous en avez plein votre cave… (Voyant que Robert n’est pas d’humeur à plaisanter) Je vais couper l’alimentation du bas, comme ça vous pourrez rouvrir le compteur.

Le plombier se met au travail derrière le bar.

Robert – Il faut toujours que ça tombe sur moi…

Jésus – Oh, ce n’est pas ça, c’est que quand il y a une fuite d’eau chez les autres, ça vous dérange moins, c’est tout.

Antoine ressort des toilettes.

Antoine – Il y a un cadavre sur la table de la cuisine, c’est normal ?

Robert – Ne vous inquiétez pas, c’est juste pour dépanner…

Le plombier se relève et revient devant le bar.

Robert – Vous avez déjà fini ?

Jésus – Oui, oui. Vous pouvez vous servir du robinet. Vous me rappellerez quand il n’y aura plus d’eau dans la cave pour la réparation.

Robert – Bon, combien je vous dois ?

Jésus – 100 euros.

Robert (estomaqué) – 100 euros pour 5 minutes de boulot !

Jésus – C’est forfaitaire. Vous voulez voir la grille des tarifs ?

Robert – C’est avant que j’aurais aimé la voir… (Robert sort de sa caisse des billets et les tend au plombier à contrecœur) Et dire qu’un médecin vous prend que 20 euros pour une visite à domicile…

Jésus (empochant les billets) – Ben la prochaine fois que vous aurez une fuite, appelez SOS Médecins. (Un temps) Vous avez quelque chose à manger…?

Robert – La cuisine est en dérangement… On n’a que de la viande froide…

Jésus (s’en allant) – Bon ben, il faut vraiment que j’y aille, là. Je vous laisse ma carte, pour le constat.

Le plombier qui sort croise Josiane qui revient avec des pains sous le bras.

Josiane (soulagée) – Ça y est, il a réparé la fuite ?

Robert – En tout cas, on a de l’eau.

Josiane – Ah ben c’est pas trop tôt… Je ne suis pas en avance, moi, avec tout ça.

Josiane disparaît dans la cuisine. L’instant d’après, on l’entend pousser un cri strident.

Robert – J’ai oublié de la prévenir, pour Marcel…

Blanche (intriguée) – Marcel…?

Robert va dans la cuisine. Il en ressort en tenant Josiane par le bras.

Robert – Il a dit un quart d’heure. Il devrait pas tarder à arriver. Vous n’avez qu’à vous asseoir en attendant…

Robert, revenant au bar, voit que le plombier a oublié son trousseau de clefs sur le comptoir.

Robert (jubilant) – Il a oublié ses clefs, le salopard !

Josiane (ailleurs) – Qui ça ?

Robert – Le plombier ! Ben il peut toujours appeler un serrurier, le fumier.

Josiane – Je me demande ce qu’il a pu en faire…

Robert – Je viens de vous dire qu’il les avait oubliées ! Sur le comptoir !

Josiane – Non, Marcel ! Qu’est-ce qu’il en a fait de son ticket de loto…?

Robert – Vous vous rendez compte ? La super-cagnotte…

Josiane – Il l’a peut-être encore sur lui…

Ils regardent tous les deux vers la cuisine. Blanche aussi. Silence. Le plombier revient, l’air préoccupé.

Jésus – Je suis emmerdé, je ne sais pas ce que j’ai fait de mes clefs. Vous ne les auriez pas trouvées, par hasard ?

Robert – Ah, je ne sais pas… C’était quoi comme clefs ?

Jésus – Ben, c’était les clefs de ma voiture, de chez moi, de mon coffre…

Robert (perfide) – Vous voulez que je vous appelle un serrurier ? Il vous fera un forfait…

Jésus (profil bas) – On va peut-être les retrouver…

Robert se retourne et prend les clefs sur une étagère.

Robert (montrant les clefs) – Ça ne serait pas celles-là, par hasard.

Jésus – Si !

Robert fait mine de laisser tomber «accidentellement» le trousseau de clefs dans la cave pleine d’eau.

Robert – Mince ! Elles sont tombées dans la cave ! (Tête déconfite du plombier) Ah… C’est qu’il y a toujours un mètre d’eau là-dedans, il va falloir attendre que ça parte tout seul…

Jésus – Il doit y avoir moyen d’arranger ça. J’ai une pompe dans la camionnette.

Robert – Ah ben voila ! Vous voyez, entre gens de bonne volonté… En tout cas maintenant, vos clefs, vous savez où elles sont ! (Le plombier s’apprête à sortir) Euh, c’est inclus dans le forfait, bien sûr ?

L’autre acquiesce d’un signe de tête et sort. Robert brandit les clefs qu’il a en réalité gardées dans la main.

Robert (jubilant) – Hé, hé…

Blanche va fureter du côté de la cuisine. Robert le remarque.

Robert (sèchement) – Vous cherchez quelque chose ?

Blanche – Je vais prendre un Banco…

Robert attend l’argent avant de donner le Banco.

Robert – Ça fait un euro.

Blanche fait mine de chercher dans ses poches. Les regards d’Antoine et de Blanche se croisent. Antoine reste impassible, mais le visage de Blanche s’illumine.

Blanche – Ce n’est pas vrai ! Tu me reconnais ?

Antoine – Non…

Blanche – Mais si !

Antoine – Ah, oui, peut-être…

Blanche – Qu’est-ce que tu fais là ?

Antoine – Ben, rien…

Blanche – En tout cas, tu n’as pas changé, hein ?

Antoine – Merci…

Blanche – Tu es revenu il y a longtemps ?

Antoine – D’où ?

Blanche – Ben, de là-bas !

Antoine – Ah, euh… Oui. Enfin, non.

Robert s’impatiente, avec son Banco à la main.

Robert – Bon, alors ? Vous le prenez, ce Banco, oui ou merde ?

BlancheAntoine) – Tu ne pourrais pas me dépanner d’un euro. Je ne sais pas ce que j’ai fait de mon porte-monnaie.

Antoine pose une pièce sur le comptoir. Robert la prend et donne le Banco à Blanche.

Blanche – Bon ben… Merci, mon petit Paul !

Antoine – De rien.

Elle s’éloigne en lui faisant des petits signes.

Antoine (interloqué) – Paul ?

Josiane farfouille sur le comptoir.

Robert – Vous avez perdu quelque chose, vous aussi ?

Josiane – Mon téléphone… Vous ne l’auriez pas vu, par hasard ?

Robert – Il était sur le bar il y a cinq minutes ! Où est-ce qu’il est encore passé, cet engin…?

Il cherche aussi. Blanche profite de cette diversion pour se diriger en catimini vers la cuisine.

Robert Josiane) – Ah, au fait, quelqu’un vous a appelée, tout à l’heure…

Josiane (horrifiée) – Et vous avez répondu ?

Robert – Ben oui…

Josiane – Et alors…?

Robert – C’était un certain… Moïse ou Joseph.

Josiane – Jésus ?

Robert – Ah, oui, c’est ça !

Josiane – Et qu’est-ce qu’il a dit ?

Robert – Ben… Il avait l’air assez surpris de tomber sur moi forcément. Et… il a dit que finalement, il ne pourrait pas venir au rendez-vous.

Josiane, furieuse, retourne à la lecture de son roman.

Robert (soupirant) – Rendez service aux gens…

Nathalie et Charlotte reviennent, avec leur couronne Mort pour la France. Antoine, embarrassé, tente sans succès d’attirer l’attention de Charlotte, qui feint de l’ignorer.

Nathalie – C’est vraiment incroyable… Même les morts ont des accidents, maintenant… Je parie qu’il était encore en train de téléphoner…

Charlotte – Pépé ?

Nathalie lance à sa fille un regard exaspéré.

Nathalie – Le plombier ! Celui qui a embouti le corbillard !

Elles vont s’asseoir. Charlotte regarde la couronne.

Charlotte – Mort Pour La France… Ce n’est pas un peu excessif…?

Nathalie – C’est tout ce qui restait. On a encore eu de la chance (Soupirant) En tout cas, je te préviens, si je meurs avant toi, je veux être enterrée avec mon portable.

Charlotte (estomaquée) – Pardon ?

Nathalie – Au cas où je ne serais pas vraiment morte ! C’est ma hantise, ça. De me faire enterrer vivante. Pas toi ?

Charlotte – Ça ne doit pas arriver très souvent.

Nathalie – Il suffit d’une fois…

Nathalie remarque la présence d’Antoine tandis qu’il tente de sortir discrètement en faisant signe à Charlotte de lui téléphoner.

Nathalie – Dis donc, Antoine, toi qui es prof de philo. Tu crois vraiment qu’il y a une vie avant la mort ?

Antoine – Tu veux dire après…? Est-ce que c’est vraiment à souhaiter…? Comme dit un des personnages de mon dernier roman « On a beau être sourd et muet, une fois mort, ce sera peut-être encore pire… ».

Alertée par cette dernière réplique, Josiane regarde Antoine, avec des yeux ronds.

Josiane (émerveillée) – Mais c’est une réplique de Une femme est une femme, ça ! C’est ce que crie Michael à Samantha au moment où elle s’apprête à se jeter du haut de la falaise ! Barbara Shetland, c’est vous !

Stupéfaction de Nathalie et de Charlotte.

Antoine (embarrassé) – Euh, parfois, oui… Mais… je préférerais que ça ne s’ébruite pas trop.

Josiane – J’ai dévoré votre bouquin en une nuit. Comme tous les autres, d’ailleurs… J’étais en train de le relire, justement. Vous pourriez me le dédicacer ?

Antoine (s’exécutant, flatté malgré tout) – Oui, bien sûr…

Josiane (aux anges) – Merci ! Vos romans devraient être remboursés par la Sécurité Sociale ! On consommerait sûrement moins d’antidépresseurs…

Antoine – J’essaie seulement d’apporter aux femmes la part de romantisme qu’elles ne trouvent pas toujours dans leur vie quotidienne…

Robert jette un œil à la couverture, plutôt chaude.

Robert – Ah oui, en effet…

Antoine – J’ai d’abord essayé d’écrire des tragédies, mais… Hélas, le théâtre ne fait pas partie de la nouvelle économie. Il ne faisait déjà pas partie de l’ancienne…

Josiane – Vos pièces ont été jouées ?

Antoine – Oui… A la Salle des Fêtes de Saint-Léonard-des-Bois… C’est dans la Sarthe…

Josiane – Votre dernier bouquin se passe à Miami. On est loin de la Sarthe…

Antoine – Aucune de mes lectrices n’est jamais allée en Floride. Moi non plus d’ailleurs. On peut fantasmer un peu. Tandis que la Sarthe…

Robert – Oui, à part les rillettes…

Antoine (à Robert) – Je ne vous propose pas un exemplaire…

Robert – Vu l’effet que ça produit sur vos lectrices, je commence à être tenté. Après tout, comme vous le dites si justement, « Une femme est une femme »…

Antoine s’apprête à sortir discrètement, embarrassé.

Antoine – Bon ben… Il va falloir que je file. Mes élèves m’attendent…

Charlotte l’interpelle alors qu’il passe la porte.

Charlotte – Au revoir… Barbara…

Antoine sort, décomposé. Robert retourne à ses mots croisés. Blanche revient discrètement de la cuisine.

Robert (dubitatif) – Il faut des pièces pour y jouer… Ça commence par un t… Alors là…

Blanche – Théâtre !

Robert (agacé) – Je ne vous ai rien demandé, à vous !

Blanche – Il faut des pièces pour y jouer… Au théâtre. Ça commence par un t.

Robert vérifie sur son journal. Nathalie et Charlotte découvrent Blanche, interloquées.

Robert – Et ça fait sept lettres !

Blanche – Comme les sept nains…

Robert – Et comme les sept numéros du loto !

Robert complète sa grille.

Nathalie (s’approchant de Blanche) – Eh ben alors, maman, qu’est-ce que tu fais là ?

Blanche – Ben je viens à l’enterrement, tiens ! (À Robert) C’est qui celle-là ?

Robert (à Nathalie) – C’est votre mère ? On ne savait plus quoi en faire… (À voix basse) Elle a une case en moins, non ?

Nathalie – Disons qu’elle a la mémoire sélective… Elle connaît le numéro de sécurité sociale de son mari par cœur…

Blanche – 1 25 12 37 039 016 et la clef de 14…

Nathalie (poursuivant) – Mais la plupart du temps elle ne se souvient pas qu’elle a un mari. En l’occurrence, ce n’est pas plus mal, il est mort…

Robert, intrigué, ressort le journal.

Robert (à Blanche) – Comment que c’est, le numéro de sécu de votre mari ?

Blanche – 1 25 12 37 039 016.

Robert (sidéré) – Et le numéro complémentaire le 14… (Robert montre les résultats du loto, excité) Il a gagné !

Nathalie considère Robert avec un air inquiet, commençant à se demander si la folie de Blanche ne serait pas contagieuse. Robert considère à nouveau les résultats du loto.

Robert (secouant la tête, incrédule) – Sacré Marcel !

Les croque-morts reviennent avec un couvercle de cercueil neuf.

Martial – Voilà, on va arranger ça tout de suite.

Robert interpelle Martial et Justin.

Robert – Euh… Je peux vous dire un mot avant que vous ne refermiez la boîte…

Il les prend à part et leur parle à voix basse.

Martial – C’est un peu embarrassant…

Justin – C’est qu’on n’est pas supposé leur faire les poches…

Robert – Il faudrait demander son avis à la famille. C’est quand même le gros lot…

Nathalie remarque le conciliabule.

Nathalie (inquiète) – Qu’est-ce qui se passe, encore…?

Moment de flottement.

Martial – C’est un peu délicat…

Charlotte – Je crois que pour la délicatesse, là…

Martial lui explique quelque chose à voix basse.

Nathalie – Non, on n’a rien trouvé…

Martial continue ses explications. Nathalie et Charlotte se regardent.

Charlotte – Ce n’est pas vrai !

Nathalie (excitée) – La super-cagnotte ?

Martial – Dans les 75 millions… Ça ne coûte rien de vérifier tout de suite.

Justin – Après, ce sera plus compliqué…

Nathalie et Charlotte acquiescent d’un signe de tête. Les croque-morts se dirigent vers la cuisine. Nathalie et Charlotte attendent, pleines d’espoir…

Charlotte – Tu savais que Pépé jouait au loto…?

Nathalie – Non… C’est complètement dingue, cette histoire !

Les croque-morts reviennent en portant le cercueil.

Nathalie (très excitée) – Alors ?

Regard réprobateur de Charlotte, qui lui montre le cercueil pour la ramener à plus de décence.

Nathalie (avec une tête davantage de circonstance) – Alors…?

Les croque-morts posent le cercueil sur le comptoir avec un air cérémonieux.

Nathalie – Vous avez bien cherché ? (À la façon d’un magicien, Martial fait apparaître un ticket, et Nathalie s’en empare) Le gros lot ? (À Robert) Je n’ai jamais joué au loto. Qu’est-ce qu’il faut faire pour toucher l’argent ?

Robert – Pour une somme pareille, il faut aller au siège. Vous pensez bien que je n’ai pas ça en caisse… Je peux le voir ? C’est moi qui lui ai vendu…

Nathalie lui confie le ticket comme si elle lui passait le Saint-Sacrement.

Nathalie – Sacré Papa ! Dire qu’on a failli refuser l’héritage…

Robert regarde le ticket, et son sourire se fige.

Robert – Nom de Dieu !

Nathalie (inquiète) – Qu’est-ce qu’il y a ?

Robert – Mais ce n’est pas un billet de loto !

Nathalie – Pardon ?

Robert – C’est un Banco !

Charlotte – Et alors ?

Robert gratte le billet. Tous attendent le verdict.

Robert (enthousiaste) – C’est un billet gagnant !

Nathalie – Combien ?

Robert (regardant à nouveau le billet) – Un euro… Vous pouvez toujours en reprendre un autre…

Nathalie est effondrée.

Nathalie – C’était trop beau… Ça m’étonnait aussi…

Charlotte – Oui, je ne voyais pas tellement Pépé dans la peau d’un gagnant…

Robert – Mais alors il est où, son billet de loto ? Je lui en ai vendu un, moi !

Josiane – Vous croyez qu’on aurait pu lui voler ?

Robert – Détrousser un cadavre… Je ne vois pas qui pourrait faire une chose pareille.

Les regards se tournent d’abord vers les croque-morts, qui prennent un air indigné. Tous les regards se tournent ensuite vers Blanche, qui prend un air innocent.

Robert – Qu’est-ce que vous avez dans la main…? (Robert tente de lui faire lâcher prise) Elle ne veut pas le lâcher, la vache…

Robert parvient à lui arracher le ticket.

Nathalie – Alors ?

Robert regarde le ticket.

Robert – Ah, cette fois, c’est bien un ticket de loto ! (Son sourire se fige) Nom de Dieu !

Nathalie (inquiète) – Qu’est-ce qu’il y a encore ?

Robert – Ce n’est pas son numéro de sécurité sociale!

Nathalie (ne comprenant pas) – Pardon ?

Robert – Le con, il n’avait pas joué son numéro de sécu ce jour-là !

Charlotte – Et alors ?

Robert – Ben, ce n’est pas lui le gagnant…

Nathalie est à nouveau effondrée.

Charlotte – Bon, je crois qu’il serait temps de conclure…

Josiane – Qu’est-ce qu’il avait joué comme numéro, alors ?

Robert (regardant le ticket) – Ça ressemble à un numéro de téléphone…

Josiane s’approche, prend le ticket et l’examine.

Josiane – Mais c’est le mien ! Il a dû tomber dessus dans Le Chasseur Français… (À Robert) Au fait, mon portable ? Vous l’avez retrouvé ?

Robert – Je n’ai pas eu vraiment le temps de chercher, là (Désignant le téléphone fixe du bar). Vous n’avez qu’à appeler votre numéro, comme ça on va le retrouver…

Josiane, gardant le ticket de loto sous les yeux, compose son numéro. On entend une sonnerie provenant de l’intérieur du cercueil. Ils regardent tous le cercueil.

Robert – Mais qui est-ce qui a été fourrer ça là-dedans…?

Josiane raccroche et la sonnerie s’arrête.

Josiane – Ben oui, mais comment je vais récupérer mon téléphone, moi, maintenant ? C’est que j’attends des coups de fil importants…

Le téléphone se remet à sonner. Tout le monde regarde Josiane avec un air réprobateur.

Josiane – Ah, non ! Cette fois ce n’est pas moi !

Robert – Elle a passé une annonce dans Le Chasseur Français. Ça n’a pas fini de sonner, là-dessous…

Martial – Si j’avais su qu’il y aurait un tel va-et-vient, je t’y aurais mis une porte-saloon à ce cercueil. Vous êtes sûrs que vous n’avez rien oublié d’autre, là dedans ?

Le téléphone continue à sonner.

Nathalie – Il faut pourtant bien faire quelque chose !

Justin – L’incinération c’est propre, et il n’y a jamais de réclamations.

Martial, à regret, enlève à nouveau le couvercle. Un bras sort du cercueil et lui tend le téléphone. Il le saisit comme si de rien n’était.

Martial – Merci.

Il tend le téléphone à Josiane, qui répond.

Josiane (avec une amabilité forcée) – Allô, oui…?

Josiane se rend compte que tout le monde écoute et s’éloigne pour continuer sa conversation. Justin replace le couvercle du cercueil en maugréant.

Robert – Mais alors si ce n’est pas Marcel, le gagnant, c’est qui ?

Air dubitatif des autres. Soudain, le plombier déboule dans le café, brandissant un billet de loto en exultant.

Jésus (hystérique) – C’est moi ! Ils viennent de rappeler le numéro gagnant à la radio. C’est le mien ! J’ai gagné !

Robert – Il n’y a de la veine que pour la canaille…

Josiane, intéressée, écourte sa conversation téléphonique et s’approche du plombier.

Josiane (minaudant) – Heureux au jeu… C’est quoi votre petit nom, déjà ?

Jésus – Jésus.

Josiane – Jésus ? Mais alors vous êtes celui que j’attendais !

Jésus – Ah, vous aussi…?

Le portable de Josiane se remet à sonner. Elle répond.

Josiane – Bon, maintenant, ça suffit ! La chasse est fermée !

Jésus – Allez, patron c’est ma tournée !

Robert sert la tournée à même le cercueil posé sur le comptoir. Le téléphone du bar se met à sonner.

Robert – Allô, Café des Sports, j’écoute…

Tous commencent à trinquer en discutant bruyamment. Robert tente de se faire entendre du croque-mort dans ce brouhaha.

Robert – C’est le cimetière ! Le fossoyeur…! (Robert montre d’un geste du menton le cercueil encombré de verres et de bouteilles.) Ben… Il demande si c’est pour aujourd’hui ou pour demain…

Martial – Oh, eh…! On n’est pas aux pièces… Dis-lui de venir boire un coup…

Le plombier remarque enfin le cercueil sur le comptoir.

Jésus – Qu’est-ce que c’est que ça…?

Robert – Ben, c’est Marcel ! (Fouillant dans ses poches) Tiens, qu’est-ce que j’ai fait de vos clefs, moi, au fait…?

Robert regarde vers le cercueil.

Martial – Oh, non !

Robert – Allez, qu’est-ce que je te sers ?

Martial – Une bière, avec la mousse au fond…

Robert s’apprête à le servir.

Justin – Pauvre Marcel. Il n’a vraiment pas de chance.

Il tape sur le cercueil pour ponctuer sa phrase.

Justin – Il ne pourra même pas trinquer avec nous !

Le couvercle du cercueil se soulève alors. En sort le buste de Marcel (incarné par l’acteur qui jouait Antoine, grimé pour qu’on ne le reconnaisse pas).

Marcel – Repose en paix, qu’ils disaient ! Tu parles !

Tous se figent, le regard rivé sur Marcel, qui tend un verre.

Marcel – Allez, un petit dernier ! Pour la route…

Noir.

Fin.

 

 

L’auteur

Né en 1955 à Auvers-sur-Oise, Jean-Pierre Martinez monte d’abord sur les planches comme batteur dans divers groupes de rock, avant de devenir sémiologue publicitaire. Il est ensuite scénariste pour la télévision et revient à la scène en tant que dramaturge. Il a écrit une centaine de scénarios pour le petit écran et une soixantaine de comédies pour le théâtre dont certaines sont déjà des classiques (Vendredi 13 ou Strip Poker). Il est aujourd’hui l’un des auteurs contemporains les plus joués en France et dans les pays francophones. Par ailleurs, plusieurs de ses pièces, traduites en espagnol et en anglais, sont régulièrement à l’affiche aux États-Unis et en Amérique Latine.

Pour les amateurs ou les professionnels à la recherche d’un texte à monter, Jean-Pierre Martinez a fait le choix d’offrir ses pièces en téléchargement gratuit sur son site La Comédiathèque (comediatheque.net). Toute représentation publique reste cependant soumise à autorisation auprès de la SACD. Cette édition papier est destinée à tous ceux qui souhaitent seulement lire ces œuvres ou qui préfèrent travailler le texte à partir d’un format livre traditionnel.

Pièces de théâtre du même auteur

Apéro tragique à Beaucon-les-deux-Châteaux, Au bout du rouleau, Avis de passage, Bed and breakfast, Bienvenue à bord, Le Bocal, Brèves de trottoirs, Brèves du temps perdu, Bureaux et dépendances, Café des sports, Cartes sur table, Come back, Le Comptoir, Les Copains d’avant… et leurs copines, Le Coucou, Coup de foudre à Casteljarnac, Crise et châtiment, De toutes les couleurs, Des beaux-parents presque parfaits, Dessous de table, Diagnostic réservé, Du pastaga dans le champagne, Elle et lui, monologue interactif, Erreur des pompes funèbres en votre faveur, Eurostar, Flagrant délire, Gay friendly, Le Gendre idéal, Happy hour, Héritages à tous les étages, L’Hôpital était presque parfait, Hors-jeux interdits, Il était une fois dans le web, Le Joker, Ménage à trois, Même pas mort, Miracle au couvent de Sainte Marie-Jeanne, Les Monoblogues, Mortelle Saint-Sylvestre, Morts de rire, Les Naufragés du Costa Mucho, Nos pires amis, Photo de famille, Le Pire village de France, Le Plus beau village de France, Préhistoires grotesques, Primeurs, Quatre étoiles, Réveillon au poste, Revers de décors, Sans fleur ni couronne, Sens interdit – sans interdit, Série blanche et humour noir, Sketchs en série, Spéciale dédicace, Strip poker, Sur un plateau, Les Touristes, Un boulevard sans issue, Un cercueil pour deux, Un mariage sur deux, Un os dans les dahlias, Une soirée d’enfer, Vendredi 13, Y a-t-il un pilote dans la salle ?

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables sur La Comédiathèque :

http://comediatheque.net 

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Novembre 2011

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-00-0

Ouvrage téléchargeable gratuitement

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Le Plus Beau Village de France   

Comédie de Jean-Pierre Martinez

12 ou 13 personnages : 3H/9F, 4H/8F, 5H/6F, 7H/5F, 8H/4F, 9H/3F, 3H/10F, 4H/9F, 5H/8F, 6H/7F, 7H/6F, 8H/5F, 9H/4F

Beaucon-le-Château va être proclamé Plus Beau Village de France. Dans le même temps, le deuxième tour des élections municipales pourrait bien porter à la mairie un candidat du Front Populiste. Au bistrot La Part des Anges, les forces vives de la ville débattent pour savoir lequel du maire sortant ou de son opposante l’emportera. Une série d’imprévus vient alors troubler le bon déroulement du scrutin, qui viendront conforter le célèbre diagnostic de Winston Churchill : la démocratie est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres.


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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Cet ouvrage peut être commandé en impression à la demande sur le site The Book Edition, avec des réductions sur quantité (5% à partir de 4 exemplaires et 10% à partir de 12 exemplaires), livraison dans un délai d’une semaine environ.


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LIRE LE TEXTE INTÉGRAL

Le plus beau village de France

12 ou 13 personnages :

Jacques Robinet dit JR, maire sortant

Baronne de Carlsberg Kronenbourg, son opposante

Marcel(le), Adjoint(e) au maire et notaire

René(e), peintre désargenté

Maurice(tte), médecin pochtron

Charles, nouveau riche parisien

Dominique, colonel de réserve

Ramirez, policier municipal

Sanchez, son adjoint

Claude, patron(ne) du bistrot

Francine, bobo de Provence

Bernadette, sa fille starlette

Mario, homme à tout faire.

Le maire et la baronne pourront ou non être interprétés par le même comédien. Marcel(le), René(e), Maurice(tte), Dominique, Ramirez, Sanchez et Claude peuvent être hommes ou femmes

La terrasse d’un bistrot surplombée d’une enseigne : La Part des Anges. Quelques tables entourées de chaises sur lesquelles sont installés Maurice, notable un peu pochtron, René, genre artiste, et Dominique, allure martiale. On entend les cigales.

Maurice – C’est calme aujourd’hui.

René – Même les cigales chantent moins fort que d’habitude.

Dominique – Le calme avant la tempête…

Maurice – C’est vrai qu’il fait lourd, non ?

René – Ah oui, quelle chaleur !

Dominique – Si au moins il y avait un peu de mistral.

René – Le mistral, c’est la clim du pauvre.

Maurice – Tu travailles sur quoi en ce moment ?

René – Attends, je consulte mon thermomètre (Il sort un thermomètre médical de sa poche et y jette un coup d’œil) Ouh la ! 38,5 ! Je suis en arrêt de travail moi…

Maurice – Si tu as de la fièvre, il faut consulter. Je te rappelle que je suis médecin.

René – Je parlais de la température extérieure. Les cigales commencent à chanter au dessus de 23 degrés. Moi je ne commence à peindre qu’en dessous de 22.

Dominique – Il est encore plus fainéant que la cigale de la fable. Elle au moins, elle chantait tout l’été.

René – Qu’est-ce que tu veux ? Je suis une cigale qui ne supporte pas la chaleur.

Maurice – Pourquoi tu es venu t’installer dans le sud, alors ?

René – Et bien justement, pour me reposer. Comme Van Gogh.

Dominique – Van Gogh, il a quand même profité de son séjour dans le sud pour peindre quelques chefs-d’œuvre.

René – Il faisait moins chaud que cette année, sûrement…

Maurice – C’est vrai que ça donne soif.

Ils vident leurs verres.

René (en direction du bistrot) – Madame Claude, vous nous remettez ça !

Claude, la patronne, style tenancière de maison close, arrive avec un air renfrogné pour remplir les verres.

Claude – Rosé pamplemousse ?

Ils opinent du bonnet, et elle les ressert.

Maurice – Pas trop de pamplemousse pour moi, ça me donne des aigreurs d’estomac.

Claude – Vous avez raison Docteur, le jus de fruit c’est très mauvais pour la santé.

Maurice – Mais vous savez que le vin est un excellent antioxydant.

Dominique – Tu dois avoir une santé de fer, alors.

Le chant des cigales s’interrompt brusquement.

Claude – Ah, les cigales ont arrêté de chanter !

Maurice – Oui, ça se rafraîchit.

Dominique (à René) – Tu vas pouvoir te remettre à bosser.

René jette à nouveau un regard sur son thermomètre.

René – Pourtant il fait toujours aussi chaud.

Claude – Ces cigales sont complètement détraquées. Comme le temps…

Maurice – Ça doit être les pesticides.

René – Ou alors, c’est juste l’heure de la pause.

Claude – C’est ça, c’est la pause cigales. Elles aussi elles sont passées aux 35 heures. Elles sont en RTT.

Claude rentre dans son bistrot. Charles, style bcbg en vacances, arrive.

Charles – Quelle chaleur !

René – Oui, c’est justement ce qu’on était en train de dire.

Charles – Si tôt le matin. Ce n’est pas un jour à travailler.

Maurice – Ça tombe bien, tu es à la retraite.

Charles – Et vous les actifs, ça va ? Ce n’est pas trop dur ?

Dominique – Moi aussi, je suis à la retraite.

Charles – À ton âge, je ne m’en vanterais pas. Et après on s’étonne que la sécu soit en déficit.

Dominique – Je suis toujours colonel de réserve.

Charles – Et bien tu vois, de savoir qu’en cas de troisième guerre mondiale tu reprendras du service, je me sens tout de suite plus rassuré.

Maurice – C’est vrai. C’est les vieux qu’on devrait envoyer au front en cas de conflit. Une bonne guerre de temps en temps, et ça réglerait le problème des retraites.

René – Vous imaginez 14-18, avec de chaque côté des vieux en déambulateurs en train de se foutre sur la gueule à coups de cannes. Ça me donne une idée, tiens. Je me demande si je ne vais pas faire un tableau là-dessus.

Charles (à René) – Et si tu terminais d’abord celui que je t’ai commandé pour mettre au dessus de ma cheminée ?

Dominique – C’est quoi cette commande ?

Charles – Une reproduction de La Liberté Guidant le Peuple.

Maurice – Eh ben… Il y a du boulot…

René – À qui le dis-tu… (À Charles) Tu ne préfères pas que je simplifie un peu ?

Charles – Je veux une copie que Delacroix lui-même aurait pu signer.

Maurice – Mais dis donc, je ne te savais pas aussi farouchement républicain.

Dominique – Comme quoi on peut être à l’ISF et rester fidèle à l’esprit de la révolution.

Maurice – L’original est au Louvre, non ? Alors tu prends quoi comme modèle pour ta copie ?

René sort un Delacroix de sa poche et le montre.

René – Un ancien billet de cent francs.

Maurice – Ah d’accord… Je comprends mieux cette passion de Charles pour Delacroix. Nostalgie, quand tu nous tiens…

Dominique – C’est vrai que du temps des anciens francs, on n’avait pas encore inventé l’ISF…

Charles – En tout cas, j’aimerais bien l’avoir avant cet hiver, mon tableau !

René – Ne t’inquiète pas, il est presque fini.

Maurice – Il ne lui reste plus qu’à passer la deuxième couche.

René – Mais là il fait vraiment trop chaud…

Charles – Je suis un client moi, pas un mécène. Et je te rappelle que je t’ai déjà versé une avance.

René lève son verre.

René – Et crois-moi, elle a été très bien employée.

Il vide son verre cul sec.

Charles – Entre un artiste provençal qui ne peint que par grand froid, un médecin qui donne ses consultations au bistrot et un colonel qu’on paie à rien faire en attendant la troisième guerre mondiale… La France est bien barrée. Enfin, je viens d’installer la clim. Au moins, je serai au frais chez moi cet été.

René – Tu as raison. La canicule, c’est très mauvais pour les personnes âgées.

Maurice – C’est vrai qu’en 2003, ça a été une véritable hécatombe. On ne m’appelait que pour signer des certificats de décès.

René – Ça n’a pas beaucoup changé, d’ailleurs…

Charles – D’un autre côté, si le mistral se lève, j’aurais fait installer la clim pour rien. C’est que ce n’est pas donné, quand même.

Dominique – La clim, c’est comme l’arme atomique. Ça coûte cher à l’achat, mais le mieux c’est de ne pas avoir à s’en servir.

Madame Claude, la patronne, pointe son nez en terrasse.

Claude – Qu’est-ce que je lui sers ?

Charles – Quelle heure il est ?

Claude regarde sa montre.

Claude – L’heure du rosé pamplemousse.

Charles – Bon, un rosé pamplemousse, alors.

Maurice – Vous allez voir que ce parasite, qui ne survit que grâce au système par répartition, ne va même pas payer sa tournée…

Charles – Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ! Ce n’est pas avec ce que vous cotisez que je pourrais avoir une retraite.

Claude – Alors ?

Charles lui tend à regret un gros billet.

Charles – J’imagine que vous n’avez pas de monnaie sur 500.

Claude – Si.

Charles – Bon ben tant pis alors, arrosez cette bande de vieux débris. On ne sait jamais, ça pourrait les ramener à la vie.

Claude – Ou les achever… Ok, rosé pamplemousse pour tout le monde, alors.

Claude prend le billet et repart. Charles s’assied avec les autres. Dominique se plonge dans la lecture du journal régional.

Maurice – Tu n’as pas l’air dans ton assiette. Encore un souci domestique ?

Charles – C’est ma piscine.

René – Qu’est-ce qu’elle a, ta piscine ?

Charles – Elle fuit.

Dominique – Comment est-ce qu’une piscine peut bien fuir ?

Charles – Ben je n’en sais rien, justement.

René – Et comment tu t’es rendu compte que ta piscine fuyait ?

Charles – Ce matin, j’ai voulu faire un plongeon, comme tous les matins, et il n’y avait plus d’eau dedans.

Dominique – Heureusement que tu t’en est rendu compte avant de plonger.

Maurice – Une piscine c’est comme une maîtresse : c’est beaucoup d’entretien pour le peu qu’on s’en sert vraiment.

Dominique brandit le journal.

Dominique – Vous avez lu ça ? Beaucon-le-Château va être élu plus beau village de France !

Maurice – Ce n’est pas encore fait.

Dominique – Tout de même, on est en finale. (Jetant un nouveau regard au journal) Deux inspecteurs arrivent aujourd’hui en ville pour rendre leur verdict avant que le jury proclame le vainqueur.

Charles – Ah… C’est vrai qu’il fait bon vivre dans ce petit coin de paradis. Tous les matins, en ouvrant la fenêtre, je respire un grand coup en me disant qu’il y a encore quelques mois, c’est l’air du périphérique que je respirais à cette heure-là..

Claude revient avec les verres qu’elle dépose sur la table.

Claude – Et voilà…

Charles – On sent une drôle d’odeur, tout à coup, non ?

René – Oui, comme une odeur de morue avariée.

Claude – C’est pour moi que vous dites ça ?

René – C’est les remontées gastriques de Maurice. Tu as raison, tu devrais arrêter le jus de pamplemousse.

Dominique – Je crois surtout que c’est les remontées d’égouts. Dès qu’il pleut un peu, à Beaucon, ça déborde.

Charles – Ça fait au moins un mois qu’il n’a pas plu !

Dominique – Dans ce cas, il va falloir arrêter de prendre des douches. Au moins jusqu’à ce que ces deux inspecteurs soient repartis.

Claude – Oui… Et éviter de tirer la chasse…

Claude rentre dans le café.

Charles – Sacrée Madame Claude… Elle est typique, non ?

Maurice – C’est sûr. Pour celui qui vient à Beaucon, une visite s’impose.

René – Il paraît même qu’elle est sur le Guide du Routard à la rubrique « Vaut le détour ».

Charles – Et puis un nom pareil, ça ne s’invente pas… C’est vrai qu’on la verrait bien diriger un hôtel de passe.

Les trois autres échangent un sourire entendu.

Maurice – Sacré Charles…

Dominique – On voit que tu es nouveau ici, toi.

René – Tu n’as pas encore fait le tour de tous les charmes de notre petite ville.

Charles – Non ?

René – Disons qu’elle est en préretraite, comme la colonel.

Maurice – Mais en cas de besoin, elle aussi elle est toujours prête à reprendre du service…

Ils se marrent. Claude revient pour nettoyer une table. Ils reprennent aussitôt leur sérieux. Claude leur jette un regard suspicieux et repart. Ils trinquent et vident leurs verres.

Charles – Alors vous croyez qu’elle est pliée, cette élection ?

Maurice – C’est vrai que Beaucon-le-Château est un très beau village.

Charles – Je parlais des élections municipales.

Maurice – Ah, ça…

René – Laissera-t-on le plus beau village de France élire un maire Front Populiste ?

Dominique – Dieu ne le permettra pas…

Charles – Front Populiste, vous avez dit ?

René – Le Front de Gauche et le Front de Droite ont décidé de présenter une liste commune.

Dominique – Après tout, ils avaient déjà le même programme, la même rhétorique et les mêmes électeurs.

Maurice – Et presque le même nom.

René (grandiloquent) – Les forces vives de cette petite ville doivent se mobiliser pour empêcher cette infamie. Moi vivant, Beaucon ne sera pas administré par ces extrêmes qui se rejoignent.

Dominique – D’un autre côté, voter pour JR…

Charles – JR ?

Dominique – Jacques Robinet, le maire sortant.

Charles – Robinet…

René – Un nom prédestiné…

Dominique – C’est vrai que c’est en arrosant tout le monde qu’il a réussi à rester maire aussi longtemps.

Maurice – Et puis JR, ce n’est quand même pas n’importe qui. Il a fait Centrale…

Charles – Le Maire de Beaucon, il a fait Centrale ?

Dominique – Oui… Centrale Pénitencière…

Charles – Ah, d’accord.

René – Vous êtes pour JR, vous, ou pour la baronne ?

Charles – La baronne ?

René – La candidate du Front Populiste.

Maurice – Ouh là, moi j’attends de voir.

Dominique – Vous avez raison. Il ne faut jamais choisir son camp trop vite. C’est comme ça que mon grand-père s’est retrouvé tondu à la libération.

René – Ton grand-père avait couché avec un allemand ?

Maurice – L’occupation est une période assez confuse de l’histoire de France.

René – Et pas forcément la plus glorieuse.

Bernadette, jeune fille habillée de façon outrageusement provocante, arrive pour passer un coup d’éponge sur les tables.

Dominique – Mais c’est Bernadette, la fille de Francine !

Les regards de tous les hommes se posent sur elle.

Maurice – Bernadette, mais qu’est-ce que tu fais dans ce lieu de perdition ?

René – C’est tout ce que tu as trouvé comme job d’été, ma poule ? Je croyais que tu voulais être comédienne.

Bernadette – Justement, mon agent vient de me décrocher un premier contrat : une figuration dans Plus Belle La Vie. Je dois jouer un rôle de serveuse dans un bar du Vieux Port.

René – Et c’est pour ça qu’il t’a envoyé en stage chez Madame Claude ?

Bernadette – Ah non mais ce n’est pas ce que vous croyez… Là, je travaille mon personnage.

Dominique – Ah d’accord…

Bernadette – C’est la méthode Actor Studio. Il faut s’imprégner de la réalité. Devenir le personnage, quoi.

Maurice – Eh ben… Heureusement que tu ne dois pas jouer un rôle de…

Embarrassé, il ne finit pas sa phrase.

Bernadette – Un rôle de quoi ?

Bernadette prend un plateau et commence à débarrasser les verres en se penchant sur la table de façon suggestive.

René – Tiens de bonne sœur, par exemple. Tu imagines si tu avais dû faire un stage au couvent pour devenir ton personnage. Pas sûr que ta mère aurait été d’accord…

Maurice – Ni la mère supérieure, d’ailleurs.

Arrive Mario, beau ténébreux en bleu de travail maculé de cambouis.

Charles – Ah, bonjour Mario ! (Aux autres) C’est mon garagiste…

En apercevant Mario, Bernadette renverse son plateau.

René – Il faut que tu travailles encore un peu ton rôle, ce n’est pas tout à fait au point.

Charles – Alors mon brave, elle est prête ma BM ?

Mario s’assied un peu à l’écart.

Mario – Bientôt, Monsieur Charles. Bientôt, ne vous inquiétez pas. On ne m’a pas encore livré la pièce. (À Bernadette) Je prendrai un café…

Bernadette – Tout de suite…

Bernadette entre dans le bistrot.

Charles – C’est un excellent garagiste, il paraît. C’est mon notaire qui me l’a conseillé.

Maurice – Ton notaire ?

Charles – Il travaille au noir, et il arrive à avoir des pièces détachées d’occasion à des prix défiant toute concurrence. Je ne sais pas comment il fait…

René (ironique) – Oui, moi non plus…

Charles – Vous le connaissez ?

Dominique – Super Mario, si on le connaît…

Mario lance dans leur direction un regard vaguement menaçant. Les amis de Charles renoncent à commenter. Bernadette revient avec le café de Mario.

Mario – Merci.

Bernadette lui lance un regard un peu embarrassé. Claude sort du bistrot et observe le manège entre Mario et Bernadette.

René – Tiens Bernadette, tu nous remets ça, de la part des anges ?

Claude – Les anges ne font pas crédit.

Maurice – C’est bien ce qui me semblait…

Claude – Tiens Bernadette, va plutôt répéter ton rôle à la plonge. Ça déborde dans l’évier.

Bernadette entre dans le bistrot, suivie par Claude.

Charles – La Part des Anges… Qu’est-ce que ça veut dire, au fait ?

Mario – Vous vous n’êtes pas d’ici, ça se voit…

Charles – On ne peut rien vous cacher. Je suis de Paris.

Mario – Dans le domaine viticole, c’est la part de liquide qui s’évapore pendant la fermentation. Comme on ne sait pas qui l’a prise, on dit que c’est la part des anges.

René – C’est valable aussi pour la politique, d’ailleurs.

Charles – La politique ?

Maurice – La part de liquide qui s’évapore dans la nature quand tout ça commence à macérer un peu après les élections… C’est exactement ce qui s’est passé avec la municipalité sortante…

Dominique – Tiens, c’est comme pour ta piscine, Charles. Tu vois bien qu’il manque du liquide, mais tu ne sais pas où il est passé.

René – La part des anges… Elle n’est pas perdue pour tout le monde, c’est clair.

Maurice – Allez, nous notre part on va la boire tout de suite.

René – Avant que ça ne s’évapore.

Ils vident leurs verres. La baronne de Carlsberg Kronenbourg arrive. C’est une femme imposante, maquillée comme une voiture volée et habillée dans un style tellement bcbg qu’il en devient extravagant, genre Madame de Fontenay en pire. Le rôle de la baronne peut être joué par un homme travesti en femme (le même comédien que celui qui jouera le rôle du maire, par exemple).

Dominique – Tiens, voilà la baronne, justement.

Charles – La fameuse baronne de Carlsberg Kronenbourg… Elle est vraiment noble ou on l’appelle comme ça à cause des tonneaux de bière qu’elle ingurgite quotidiennement ?

Dominique – Madame la baronne est issue d’une des plus grandes familles de ce petit pays qu’est la Belgique. À ce qu’on m’a dit, elle serait même apparentée au roi.

Maurice – Quel roi ?

René – Le roi de la bière, peut-être.

Baronne – Ah mon petit Mario, merci pour ma Twingo. Depuis que vous avez changé le moteur, j’ai l’impression de conduire une Jaguar.

Maurice – C’est peut-être un moteur de Jaguar qu’il vous a mis dessus. Si c’est tout ce qu’on lui avait livré ce jour-là…

Baronne – Vous passerez au château pour que je vous règle. En liquide, comme convenu…

Mario – Très bien Madame La Baronne.

Baronne (aux autres) – Vous n’auriez pas vu mon chien par hasard ?

Charles – Je ne sais pas. Il ressemble à quoi ?

René – À un cochon, en plus petit. Il a même la queue en tire-bouchon.

Maurice – Alors, Madame la Baronne ? Toujours en campagne ?

Baronne – Plus que jamais ! Tenez, si vous voulez connaître le détail de mon programme…

Elle distribue quelques tracts aux présents ainsi qu’à Claude qui arrive pour prendre la commande.

Claude (lisant) – Votez Kronenbourg… C’est un slogan qui peut parler à beaucoup de monde… Qu’est-ce que je vous sers Madame La Baronne ?

Baronne – Donnez-moi une pression.

Claude – Heineken ? 1664 ? (La baronne lui lance un regard assassin). Je plaisante.

Claude s’en va.

Baronne – On ne peut quand même pas laisser réélire le maire sortant avec un bilan aussi désastreux ! Prenez la sécurité, par exemple. Une femme décente ne peut pas se promener seule en ville passé 18 heures sans être assaillie par toutes sortes de propositions…

Dominique – On vous a déjà fait des propositions ? À moi, jamais…

Baronne – Et la propreté ! Vous sentez l’odeur nauséabonde que cette mairie corrompue nous laisse en héritage ? Les égouts débordent, les rats se promènent impunément dans les rues, et le maire ne fait rien pour assainir la situation !

Maurice – Sans parler des problèmes de stationnement…

Baronne – Les gens se garent n’importe où ! Je vois même des handicapés stationner sur des places qui ne leur sont pas réservées . Et que fait la municipalité pour empêcher ça ? Rien !

Dominique – Il faut combattre les incivilités, c’est clair.

Baronne – Si je suis élue maire, je proposerai qu’on installe des caméras à laser partout dans les rues.

Dominique – À laser ? Pour la vision nocturne ?

Baronne – À laser, pour désintégrer aussitôt les contrevenants ! Je suis pour la tolérance zéro, moi !

Charles – Ah oui, c’est assez radical, quand même…

Baronne – Avouez qu’on n’est plus chez nous en France…

René – Mais vous êtes belge, non ? Au moins d’origine…

Claude revient avec le demi de la baronne.

Baronne – Une baronne belge se sent chez elle partout où il y a de la bière, des frites et un château. Non, je voulais parler de tous ces rastas extracommunautaires. (À Mario) Je ne dis pas cela pour vous Mario, vous travaillez au noir, mais au moins vous travaillez. Alors personne n’a vu ma petite chienne ?

Claude – Il ne faut pas vous inquiéter pour si peu. Elle est peut-être retournée toute seule au château. Elle connaît le chemin.

René – Et puis qui voudrait voler une chienne qui ressemble à une truie…

Maurice – Faites comme pour le Petit Poucet ! Suivez-le à la trace, votre clébard. Vous n’avez qu’à vous fier aux déjections dont il a sans doute jalonné son chemin.

René – C’est vrai, ça m’a toujours émerveillé ça. Comment un chien de la taille d’un porcelet peut-il produire une telle quantité de crottes ?

Baronne – Vous avez raison, je vais aller voir par là… Antoinette ! Antoinette !

Charles – Son chien s’appelle Antoinette ?

René – Non, c’est un diminutif. Son vrai nom c’est Marie-Antoinette.

La baronne s’en va.

Charles – Mais c’est qui, cette baronne, exactement ?

Maurice – D’après le peu qu’on sait d’elle, ce serait une réfugiée fiscale récemment arrivée de Wallonie. Elle a demandé et obtenu la nationalité française.

René – Il faut vraiment être belge pour demander l’asile en France pour raison fiscale…

Charles – Il y a beaucoup de Belges par ici ?

Dominique – Il y a des coins à truffes, ici c’est un coin à Belges.

René – C’est elle qui a acheté le château de Beaucon.

Dominique – Oui… L’affaire m’est passée sous le nez, d’ailleurs. La mairie avait fait valoir son droit de préemption pour m’empêcher d’en faire l’acquisition, et le lendemain le château était vendu à la baronne.

Charles – Baronne et châtelaine… Et c’est elle qui représente le Front Populiste ?

Dominique – C’est une royaliste de gauche, apparemment.

Charles – Je crois que je n’ai pas encore saisi toutes les subtilités de la vie politique locale…

Mario – C’est le sud, Monsieur Charles… Le sud.

Mario, qu’on avait presque oublié, se lève pour partir et tous les regards se tournent vers lui.

René – Il y a une classe moyenne très importante, à Beaucon-le-Château. Répartie en une moitié d’ISF et l’autre de RMI.

Maurice – Ce qui symbolise à merveille l’esprit d’ouverture et de fraternité de notre charmante cité par delà toutes les différences sociales et culturelles.

René – Mais forcément, parfois ça génère quelques tensions…

Dominique – Tenez, regardez dans le journal. Rixe après un concert de rock à Beaucon-le-Château. Moi je dis que les concerts de rock, il faudrait les interdire, tout simplement.

Maurice – C’est vrai que c’est très rare qu’il y ait des débordements à la sortie d’un concert de musique classique.

Bernadette revient et croise le regard de Mario qui s’apprête à partir. Dans une gestuelle très théâtrale, voire au ralenti sur une musique mélodramatique, ils s’approchent l’un de l’autre, se dévisagent, puis s’embrassent fougueusement sous les regards stupéfaits de tous les autres.

Dominique – Vous croyez que là aussi, elle répète son rôle pour Plus Belle La Vie ?

René – Là ce serait plutôt la Belle et la Bête…

La baronne revient affolée. Mario et Bernadette partent ensemble.

Baronne – Ma chienne a été enlevée !

Maurice – C’est peut-être la fourrière.

Baronne – En ouvrant ma boîte aux lettres, j’ai trouvé une enveloppe… qui contenait une oreille d’Antoinette !

Claude – Oh mon Dieu ! Une oreille ? Comme pour Van Gogh…

Dominique – Comme pour le baron Empain, vous voulez dire ? Parce que Van Gogh, lui, il n’a jamais été kidnappé.

Maurice – Oui, il est peu probable que le chien de Madame se soit coupé lui-même une oreille pour la mettre à la poste après.

René – Et puis pourquoi un chien aurait-il fait ça ? Un peintre d’accord, mais un chien !

Baronne – C’est un kidnapping, je vous dis ! Il y avait une lettre dans l’enveloppe avec l’oreille. On exige que je retire ma candidature aux municipales.

Charles – Non ?

Baronne – L’équipe du maire sortant cherche à m’atteindre à travers l’être qui m’est le plus cher au monde : Mon chien !

Maurice – Allons ! Ce n’est sans doute qu’une mauvaise plaisanterie ! Les carabins font souvent ça dans les écoles de médecine. Je me souviens, quand j’étais étudiant, nous avions déposé dans le casier d’un professeur…

Dominique (le coupant) – Vous êtes sûre qu’il s’agit bien de l’oreille de votre chien ?

Baronne – On veut me faire taire, mais je suis prête à tout pour sauver la démocratie locale. J’irai jusqu’au bout, quelles qu’en soient les conséquences. (Elle se drape dans sa dignité) Je fais don de ma personne à Beaucon-le-Château…

La baronne s’en va. René, Maurice, Dominique et Charles restent un instant silencieux.

Dominique – Vous pensez que cet enlèvement aurait pu être commandité par JR ?

Les autres semblent perplexes. Arrive Francine, une bobo bon teint.

Francine – Bonjour, bonjour.

René – Ah, bonjour Francine ! Bertrand n’est pas avec toi ?

Francine – Euh… non.

René – Il a tort ! Quand on est marié avec une belle femme comme ça, on ne la laisse pas sortir seule dans la rue même en plein jour…

Claude arrive pour prendre la commande.

Claude – Qu’est-ce que je lui sers ?

Dominique – Comment vas-tu Francine ? Justement, ta fille Bernadette vient de partir avec un client… Tu ne l’as pas croisée ?

Francine – Non. Quelle chaleur, hein ?

René – Tu connais Charles, je crois ?

Charles – Je n’ai pas encore eu le plaisir de rencontrer Madame. Je m’en souviendrais…

Échange de regards aimables entre Charles et Francine, sensible au compliment.

René (faisant les présentations) – Francine de la Chatelière, Charles Benamou. Vous feriez un couple épatant… Le charme discret de la bourgeoisie de province désargentée… et l’aisance un peu vulgaire du parisien nouveau riche.

Maurice – Charles a la clim, et une piscine qui lui coûte plus cher qu’une maîtresse.

Francine – C’est qu’il n’a pas encore rencontré une maîtresse qui vaille vraiment le coup.

Charles et Francine échangent un nouveau regard complice.

Claude (un peu plus haut) – Qu’est-ce que je lui sers ?

Francine – Ravie de vous connaître, Charles. Vous venez de vous installer dans notre charmante petite ville ?

Charles – Oui, je suis un nouveau… À propos, comment appelle-t-on les habitants de Beaucon-le-Château ?

Claude – Les Beauconchâtelains. Qu’est-ce que je lui sers ?

René – Contrairement aux apparences, Charles est un homme de goût, puisqu’il apprécie ma peinture. C’est un ami des arts et un généreux mécène.

Charles – Disons plutôt un collectionneur et un investisseur…

Claude (hurlant) – Qu’est-ce que je lui sers ?

Ils restent tous interloqués.

Francine – Je… Je vais prendre un thé. Qu’est-ce que vous avez comme thé ?

Claude – J’ai du thé Lipton.

Francine – Bon, un thé alors. Avec une rondelle de citron, s’il vous plaît.

Claude entre dans le bistrot. Le téléphone portable de Francine sonne et elle prend l’appel.

Francine – Oui bonjour, Francine de la Chatelière à l’appareil, je vous ai appelé tout à l’heure au sujet de… (Aux autres) Excusez-moi un instant…

Francine entre dans le bistrot pour s’isoler.

Maurice – J’ai une mauvaise nouvelle à vous apprendre. Sous couvert du secret médical, bien sûr…

Dominique – Nous serons muets comme des tombes.

Maurice – Le mari de Francine a eu un AVC.

René – Bertrand ? Mais c’est arrivé quand ?

Maurice – Il est à l’hôpital depuis hier soir.

Dominique – Si son mari meurt, elle ne restera pas longtemps toute seule avec sa fille dans cette grande maison…

Maurice – Bertrand avait déjà beaucoup de mal à l’entretenir. Je veux dire la maison. Enfin, sa femme aussi, d’ailleurs…

René – Tu cherches à acheter une maison ?

Dominique – Faut voir… (À Maurice) Grave l’AVC ?

Maurice – Un accident vasculaire, ce n’est jamais anodin.

Charles – En tout cas, elle ferait une belle veuve, c’est sûr…

René – Je te rappelle que toi aussi, tu es marié.

Dominique – Il y a un jardin, non ?

Charles – Ah oui ! Pas très grand, mais un beau jardin, oui.

René – Les maisons avec jardin, en centre ville, c’est très rare.

Maurice – Oui moi aussi, ça pourrait m’intéresser. Si le prix était raisonnable…

Dominique – Ah non ! Je me suis déjà fait doubler pour le château !

Francine revient.

Dominique – Tout va bien ?

Francine – Quelques soucis familiaux…

Dominique – Oui, on est au courant.

Francine – Ah oui ? (Maurice lance à Dominique un regard réprobateur). Et vous pensez que c’est grave, Docteur ?

Maurice – C’est à dire que… Je n’ai pas le dossier. Tout dépend de la rapidité avec laquelle il a été pris en charge…

Francine – Ah non, mais je ne parlais pas de Bertrand. Je viens d’avoir l’hôpital, je crois qu’il va s’en sortir avec une petite paralysie faciale.

Dominique – Tant mieux.

Francine – Non, je parlais de ma fille. Figurez-vous qu’elle voit la Vierge.

René – La vierge ?

Francine – Ben oui, la Vierge. La Vierge Marie !

Claude arrive avec le thé qu’elle dépose sur la table.

Claude – Bernadette voit la Vierge ?

Francine – Vous croyez que je devrais consulter, Docteur ?

Maurice – Ma foi…

Francine – Et puis pour son concours, je ne sais ce que je dois faire non plus. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Maurice – Quel concours ?

Francine – Elle se présente au concours Miss Bouches du Rhône, vous croyez qu’elle doit mentionner dans son dossier qu’elle voit la Vierge ?

René – Ça pourrait être un plus, oui.

Maurice – En tout cas, si Beaucon n’est pas élu Plus Beau Village de France, on pourra toujours en faire un lieu de pèlerinage…

Ramirez et Sanchez arrivent, look Blues Brothers.

Dominique – C’est qui ces deux clowns ? On ne les a jamais vus par ici…

René – C’est peut-être les deux membres du jury du concours…

Francine – Le concours des Miss Bouches du Rhône ?

Dominique – Le concours du Plus Beau Village de France !

Maurice – Ils sont là incognito, sûrement…

Ramirez et Sanchez s’installent à une table.

Dominique – Bonjour Messieurs, soyez les bienvenus dans notre charmant village. La patronne de ce modeste estaminet sera ravie, j’en suis sûr, de vous offrir un verre de bienvenue ?

Claude lui lance un regard incendiaire. Les deux autres échangent un regard méfiant avant de se décider.

Ramirez – Ma foi, pourquoi pas ?

René – C’est la tradition. Beaucon-le-Château est réputé pour son sens de l’accueil.

Claude – Bon… Rosé pamplemousse, comme ces messieurs dames ?

Sanchez – Jamais pendant le service.

Ramirez – Mais bon, une fois n’est pas coutume, nous ferons une petite entorse au règlement pour ne pas nous montrer grossiers. Un petit rosé pour moi, un jus de pamplemousse pour mon adjoint.

Sanchez accuse le coup.

Maurice – Vous allez découvrir tous les trésors que recèle ce village en plus de l’amabilité naturelle de ses habitants.

René – Figurez-vous que même les Belges viennent s’installer dans notre ville pour la douceur de son climat et de ses impôts locaux.

Maurice – Beaucon a toujours été une ville ouverte sur les autres cultures, pourvu qu’elles ne s’éloignent pas trop de la nôtre…

Claude les sert.

Ramirez – Merci !

Sanchez – Un tel accueil, cela fait toujours plaisir. Car dans notre profession, nous n’avons pas que des amis, comme vous le savez.

Charles – Alors ? Par quoi allez-vous commencer la visite ? Le château ?

Ramirez – Oh vous savez, nous n’en sommes qu’au début de notre enquête.

Marcelle arrive, genre cadre dynamique, portable vissé à l’oreille.

Marcelle – Oui… Oui Monsieur le Maire… Très bien Monsieur le Maire…

Maurice – Et si vous cherchez à acheter une résidence secondaire dans le coin, voici la personne qu’il faut absolument consulter… En tant que notaire et première adjointe au maire, Marcelle est la première au courant de toutes les bonnes affaires immobilières dans notre petite commune.

Dominique – D’ailleurs, c’est elle aussi qui délivre les permis de construire…

René – C’est très commode, vous verrez… La mairie de Beaucon-le-Château a inventé avant tout le monde le guichet unique…

Charles – Et si vous le souhaitez, elle peut aussi vous indiquer l’adresse d’un plombier honnête ou d’un bon garagiste qui travaille sans facture.

Marcelle range son portable.

Marcelle – Alors ? Vous avez fait connaissance avec les deux nouvelles recrues de notre police municipale, que la mairie vient de créer pour veiller à la sérénité de ses administrés ?

René – Une Police Municipale ?

Ramirez – Policier en chef Ramirez, et voici mon adjoint Sanchez.

Marcelle – Des pointures, croyez-moi. Avant c’était de vrais flics qui travaillaient pour la Police Nationale, mais malheureusement ils ont dû démissionner à la suite d’une bavure.

Sanchez – Nous enquêtons sur la disparition du chien de la baronne.

Ramirez – Sans exclure le fait qu’elle ait pu organiser elle-même cette disparition pour discréditer le maire sortant…

Le téléphone portable de Sanchez sonne et il répond.

Sanchez – Oui… Non ? Affirmatif… Je transmets… (Il range son portable) La baronne vient de recevoir l’autre oreille et la queue de son chien.

Marcelle – Mon Dieu, mais c’est épouvantable !

Ramirez – Les deux oreilles et la queue, ça commence à faire beaucoup.

Dominique – Pauvre Antoinette. Si ça continue, ils vont lui couper la tête.

Marcelle – Messieurs, nous ne vous retenons pas. Ce pauvre animal est un citoyen comme un autre, il a droit à la protection de notre nouvelle Police Municipale, dont vous êtes le fer de lance.

Ramirez – Vous pouvez comptez sur nous, Madame la Première Adjointe.

Marcelle – Ah, voici Monsieur le Maire, justement.

Jacques Robinet arrive, look de cow-boy : Mocassins, stetson et Ray Ban. C’est ou non le même comédien qui jouait la baronne.

Maire – Bonjour Messieurs. (À Ramirez et Sanchez) Nous n’avons pas encore eu le plaisir de nous rencontrer. Je suis Jacques Robinet, le maire de cette paisible petite ville. Mais vous pouvez m’appeler JR, comme tous mes amis.

Ramirez – Mes respects Monsieur le Maire. Sanchez, vous ne finissez pas votre jus de pamplemousse ?

Sanchez – Si, si…

Ramirez et Sanchez s’en vont.

Maire (à Claude) – Madame Claude, vous resservirez la même chose à ces messieurs et vous le mettrez sur ma note personnelle.

Claude – Vous voulez dire la note de la mairie ?

Maire – Lorsqu’on est maire, on l’est 24 heures sur 24, pas vrai ? On n’a plus de vie personnelle. Alors comment pourrais-je avoir une note personnelle différente de celle de la mairie ? Mes amis, je compte sur votre soutien pour cette élection, n’est-ce pas ?

Charles – Il faut voir… C’est quoi votre programme ?

Maire – Vous, vous êtes nouveau ici, n’est-ce pas ? Mais un bon candidat n’a pas besoin de programme ! Pas plus qu’un bon général n’a besoin de carte d’état major. Pas vrai colonel ? Un bon maire sait ce qu’il a à faire.

Dominique – Bien sûr Monsieur le Maire.

Maire – Et vous savez tous que vous pouvez compter sur moi. Tenez, pour l’élection du plus beau village de France, par exemple. Est-ce que je n’ai pas conduit Beaucon-le-Château en final ?

René – Mais l’élection n’est pas encore jouée.

Maire – Votez pour Jacques Robinet et croyez-moi, c’est comme si c’était fait… Le jury se réunit dans un établissement de Marseille où j’ai aussi mes habitudes. N’est-ce pas Madame Claude ? Un jury, c’est comme un parterre de fleurs. Il faut l’arroser abondamment si on veut obtenir de bons résultats. Sur ce je vous laisse. Le devoir m’appelle.

Il s’en va.

Maurice – Il a l’air pressé.

Marcelle (regardant sa montre) – Oui, moi aussi d’ailleurs. Il faut que je retourne à la mairie assurer l’intérim. Figurez-vous que je dois célébrer mon premier mariage gay…

René – Le maire n’a pas voulu s’en occuper lui-même ?

Charles – Mauvais point pour lui. Personnellement, je ne voterai jamais pour un candidat qui ne s’engagerait pas à respecter les droits de toutes les minorités.

Marcelle – Si, si… Non, non… Je peux vous assurer que votre maire est tout à fait en faveur du mariage pour tous.

Charles – Alors ?

Marcelle – Disons que… Il avait un petit empêchement.

Charles – Oui, on dit ça…

Marcelle – Bon, alors disons un gros empêchement. (À mi-voix) Il doit aller pointer pour son contrôle judiciaire. Allez, il faut que je vous laisse. L’amour n’attend pas…

Marcelle s’en va.

Charles – Vous croyez que JR a quand même une chance de passer ?

Maurice – S’il ne retourne pas en prison d’ici là.

Charles – Qu’est-ce qu’on lui reproche, au juste ?

Dominique – Corruption passive, comme on dit aujourd’hui. Autrefois on appelait ça pots de vin.

René – La part des anges, lui, il la prélève à la source…

On entend un crissement de pneu suivi d’un bruit de collision.

Dominique – Les gens roulent comme des fous. Vous savez que les Bouches du Rhône est le département le plus accidentogène de France ?

Maurice – Encore un accident sur l’Avenue des Platanes, probablement. Pourtant, il y a une ligne blanche.

René – Les seules lignes blanches que les jeunes respectent, ici, c’est les lignes de coke.

Le portable de Maurice sonne.

Maurice – Oui ? Non ! Si, si… Bon, j’arrive tout de suite…

Dominique – Ce n’est pas au sujet de Bertrand au moins ? C’est que nous sommes tous très inquiets pour sa santé…

Maurice – C’est au sujet de la baronne.

René – La baronne ?

Maurice – Elle vient d’avoir un accident de voiture…

Dominique – Grave ?

Maurice – D’après le nouveau shérif et son adjoint, sa Twingo ressemble à une compression de César. Il n’y a que son sac à main qui dépasse de cet amas de ferraille.

Francine – Oh mon Dieu ! Avec tous ces chauffards ! J’ai toujours peur pour ma fille lorsqu’elle est sur la route. J’espère qu’au moins la Vierge la protège…

Maurice – Bon, il faut que je vous laisse… On m’attend pour signer l’acte de décès.

Dominique – Déjà ? Eh ben ça ne traîne pas.

Maurice part.

Claude – Comme quoi baronne ou pas, on est bien peu de choses…

Claude rentre dans son bistrot.

René – Dis donc Charles, je me doute déjà de ta réponse, mais tu ne pourrais pas me refaire une petit avance ? C’est pour éventuellement participer à l’achat d’une couronne pour feu Madame la Baronne…

Charles – C’est ça, oui…

René – Bon, alors s’il n’y a vraiment pas d’autre issue… Je vais quand même aller bosser un peu, moi.

Charles – C’est ça, vas-y…

Francine – Allez, il faut quand même que j’aille rendre une petite visite à mon mari à l’hôpital, voir s’il a besoin de chaussettes propres ou quelque chose comme ça…

Dominique – Si ça ne te dérange pas, je t’accompagne. Histoire de me faire une idée par moi-même de son état de santé. Je t’ai dit que je cherchais une maison à acheter à Beaucon ? Avec jardin, de préférence…

Charles – J’y vais aussi, il faut que je m’occupe de ma fuite… Et puis je n’ai pas encore voté…

René et Charles s’en vont d’un côté, Dominique et Francine de l’autre.

Ramirez revient avec Marcelle.

Marcelle – Sale affaire…

Ramirez – Vous avez réussi à joindre le maire pour le prévenir ?

Marcelle – Pas encore. Son portable ne répond pas.

Ramirez – Ce n’est sans doute qu’un banal accident de la route mais évidemment, on ne pourra pas empêcher les mauvaises langues de constater que le hasard fait bien les choses pour le maire sortant…

Marcelle – C’est clair qu’il se débarrasse à bon compte de sa rivale aux élections…

Ramirez – Vous pensez que la Baronne de Corona 33 Export aurait pu être assassinée, comme la Princesse Diana ?

Marcelle – En tout cas, au moment de la mise en bière, cette mort subite apparaîtra suspecte… Vous avez intérêt à élucider cette affaire au plus vite, Ramirez, si vous voulez garder votre poste de shérif à Beaucon-le-Château.

Ramirez – Le légiste est en train d’autopsier les restes humains qu’on a retrouvés encastrés dans le moteur de cette Jaguar…

Marcelle – Une Jaguar ? Mais la voiture de la baronne était une Twingo !

Ramirez – En tout cas, le moteur que la baronne a pris dans le buffet est bien celui d’une Jaguar. Et croyez-moi, six cylindres en V qui moulinent à plein régime, ça cause de sacrés dégâts sur un pareil tas de viande.

Marcelle – Mais quelqu’un a pu l’identifier quand même ? Je ne sais pas, moi. Elle n’avait pas des enfants ?

Ramirez – Autant demander à un veau de reconnaître sa mère dans une pile de steaks hachés.

Francine revient, Marcelle l’interpelle.

Marcelle – Ah Francine, j’ai réfléchi à ce que vous m’avez raconté à propos de votre fille Bernadette. C’est vrai que si on pouvait faire de la ville un lieu de pèlerinage comme Lourdes ou Colombay, ce serait très bon pour les petits commerçants, qui constituent la base de notre électorat.

Francine – Vous croyez ? Je ne voudrais pas non plus traumatiser cette pauvre enfant. Mais si c’est bon pour le commerce…

Marcelle – Seulement, il faudrait qu’on puisse présenter un dossier sérieux au Saint Siège pour faire authentifier ces apparitions… Excusez-moi de vous demander ça, Francine, mais à l’époque où on vit… Vous êtes sûre que Bernadette ne se drogue pas ?

Francine – Franchement, je ne crois pas… Moi même, je fume un petit joint avec elle de temps en temps pour ne pas avoir l’air trop has been, mais aucune substance hallucinogène, je vous assure.

Marcelle – Et… elle n’aurait pas non plus une certaine tendance à la mythomanie ?

Francine – Vous prenez ma fille pour une affabulatrice, c’est ça ? D’accord, elle n’est pas baptisée, mais elle est quand même scolarisée dans une école catholique.

Marcelle – Vous savez ce que c’est à cet âge-là. L’exaltation de la jeunesse. Elles croient voir la Vierge et en fait, c’est Angela Merkel ou Madonna. Et où l’a-t-elle vu, cette Vierge, exactement ?

Francine – Sur son Ipad.

Marcelle – Son Ipad ?

Francine – Elle était en train de surfer sur Facebook et soudain, la Vierge lui est apparu, plein écran.

Marcelle – Une apparition de la Vierge sur Internet. Je ne sais pas si le Vatican pourrait homologuer ça. Vous êtes sûr que ce n’est pas un virus informatique ? Qu’en pensez-vous, Ramirez ?

Ramirez – Il faudrait que votre fille nous fournisse le signalement précis de la vierge qu’elle a vue. Nous ferons un portrait-robot, et ensuite on le soumettra au curé du village. C’est sans doute l’homme le plus à même de reconnaître une vierge quand il en voit une sur internet.

Marcelle – Bon, il faudra peut-être attendre un peu. Le curé était très proche de la baronne, à ce qu’il paraît… Enfin vous voyez ce que je veux dire. Il doit être très affecté par sa disparition.

Ramirez – Rassurez-vous, nous agirons avec tact.

Marcelle – Et votre fille, elle ne fait pas de miracle, par hasard ?

Francine – Pas à l’école, en tout cas… Pourquoi, c’est absolument indispensable ?

Marcelle – Disons que ce serait mieux… Une Sainte qui ne fait pas de miracles, c’est un peu comme un promoteur immobilier qui ne distribue pas de pots de vin ou médecin qui ne délivre pas d’arrêts de travail… À quoi ça sert ?

Sanchez arrive accompagné de Maurice, qui a revêtu une blouse blanche maculée de sang.

Ramirez – Ah voilà le médecin légiste, justement, il va pouvoir nous donner les premières conclusions de l’autopsie…

Marcelle – Maurice ?

Ramirez – Le légiste assermenté est en vacances aux Seychelles, alors nous avons réquisitionné le médecin du village. De toute façon, mieux vaut régler cette affaire en famille, pas vrai ?

Francine – Bon, il faut que je retourne à l’hôpital moi, il paraît que mon mari vient d’avoir une deuxième attaque. Les médecins m’ont laissé entendre que la troisième pourrait bien être la bonne…

Marcelle – Je ne voudrais pas me montrer trop insistante, mais si jamais votre fille Bernadette pouvait y aller aussi. On ne sait jamais, un miracle est toujours possible…

Francine – Je ne voudrais pas vous donner de fausses espérances. Il est déjà paralysé du côté droit.

Marcelle – Il suffirait d’un tout petit miracle…

Francine – Je vais voir ce que je peux faire.

Sanchez – Le Docteur a quelque chose à vous dire, et je vous préviens c’est du lourd…

Marcelle – Nous vous écoutons, Docteur, parlez sans crainte.

Maurice (à Francine) – Eh bien voilà Francine, normalement, c’est couvert par le secret médical, mais puisque nous sommes tous ici pour rechercher la vérité… Ta fille est enceinte.

Marcelle – Mais quel rapport avec notre enquête ?

Maurice – Est-ce que je sais, moi ? C’est à Starsky et Hutch de nous le dire, non ?

Sanchez – Je parlais des analyses que vous avez pratiquées sur la victime de cet accident…

Francine – Mais qui est le père ?

Marcelle – Ça l’enquête nous le dira peut-être, Francine… Maintenant si tu veux bien nous laisser. Toute cette affaire relève désormais du secret défense…

Francine s’en va. Les regards se tournent vers Maurice.

Marcelle – Alors ?

Maurice – Ah, oui, pardon… Alors, voilà… D’après mes constatations, on n’a retrouvé à bord du véhicule accidenté qu’un seul corps, et les analyses ne laissent subsister aucun doute : ce n’est pas celui d’un être humain.

Marcelle – Ne me dites pas que c’est un envahisseur qui conduisait la voiture de la baronne. Parce que les seuls envahisseurs que nous avons ici ne viennent ni de Mars ni de Vénus, croyez-moi…

Maurice – Non je vous rassure, il ne s’agit pas d’une créature extra-terrestre. Ce que je voulais dire c’est que… la victime de cet accident est un chien.

Ramirez – Un chien ? Mais enfin Docteur, un chien ne peut pas conduire une Twingo !

Sanchez – Ce qui pourrait expliquer qu’il ait eu un accident.

Ramirez – Voilà une bien étrange affaire… Et vous avez réussi à identifier ce chien, Sanchez ?

Sanchez – J’ai vérifié sur nos fichiers, chef. En tout cas, ce n’est pas un chien déjà connu des services de police.

Marcelle – Vous pensez qu’il pourrait s’agir du chien de la baronne ?

Sanchez – Je ne crois pas. Ce chien-là avait bien ses deux oreilles et sa queue…

Ramirez – Alors que les oreilles et la queue du chien de la baronne lui sont parvenues en Colissimo…

Marcelle – Suivez-moi à l’intérieur, j’ai besoin d’un petit remontant.

Ramirez – Oui, moi aussi. (Sanchez s’apprête à les suivre.) Sanchez, voyez avec le docteur s’il y a moyen de savoir à qui est ce chien. Je ne sais pas moi… Il n’avait pas sa ceinture, mais il avait peut-être un collier ?

Sanchez part avec Maurice. Ramirez et Marcelle rentrent dans le bistrot. René arrive avec un tableau sous le bras.

René – Ah Charles, j’ai fini ton tableau.

Charles – Déjà ?

René – Une fulgurance… Ça m’est venu tout d’un coup comme une apparition de la Vierge…

Charles regarde le tableau, qui représente une Vierge à l’enfant.

Charles – Mais ce n’est pas du tout ce que j’avais commandé…

René – Non mais c’est beaucoup mieux !

Charles examine à nouveau le tableau.

Charles – C’est vrai que c’est ta meilleure toile depuis très longtemps. Mais d’habitude, les sujets religieux, ce n’est pas vraiment ton truc…

René – Il faut croire qu’en vieillissant, je deviens plus mystique.

Charles – Et puis niveau dimension, je ne sais pas si au-dessus de ma cheminée…

René – Bon tu le prends ou pas ? Là tu as un tableau entièrement original, pas une copie d’ancien ! Vu le peu de toiles que j’aurai peintes dans ma vie, tu sais que ce tableau vaudra de l’or, quand je serai mort ! Ce qui est rare est cher…

Charles – Ok, je le prends.

Charles s’apprête à partir avec le tableau.

René – Et mon fric ?

Charles – Je te fais un chèque ?

René – Je préférerais du liquide…

Charles – Dans ce cas, il faut que je passe à la banque.

René – D’accord, je compte sur toi. Et crois-moi, tu fais une bonne affaire.

Charles s’en va. Dominique revient.

René – Alors comment va Bertrand ?

Dominique – Mieux, malheureusement.

René – Tu veux dire heureusement, j’imagine…

Dominique – Ce n’est pas ce que j’ai dit ?

René – Il va falloir que tu trouves une autre maison à acheter alors…

Dominique – À propos, tu savais que la baronne avait revendu son château en viager ?

René – Non, qui t’a dit ça ?

Dominique – Son notaire.

René – Marcelle ?

Dominique – En viager, tu te rends compte ?

René – Mais à qui ?

Dominique – Marcelle n’a pas voulu me le dire. Secret professionnel, il paraît. N’empêche qu’avec la mort de la baronne, on est en droit de se demander à qui profite le crime. Tu as déjà voté ?

René – Pas encore, je t’accompagne.

Ils s’en vont. Ramirez et Marcelle ressortent du bistrot.

Marcelle – Le maire n’est toujours pas rentré de son contrôle judiciaire, je commence à être inquiète…

Ramirez – Ils ont peut-être décidé de le garder.

Sanchez arrive.

Ramirez – Du nouveau Sanchez ?

Sanchez – Le boucher a procédé à l’analyse des oreilles et de la queue du chien de la baronne retrouvés dans l’enveloppe.

Marcelle – Le boucher ?

Ramirez – Je vous ai dit, le légiste est en vacances, et comme le vétérinaire n’était pas disponible non plus, on a dû réquisitionner la boucherie Halal de Beaucon.

Marcelle – Et alors ?

Sanchez – Les résultats sont sans appel : il s’agit de la queue et des oreilles d’un cochon.

Marcelle – Nom d’un chien ! Le clébard de la baronne était donc vraiment un cochon ?

Ramirez – Ou alors les oreilles et la queue retrouvées dans l’enveloppe n’étaient pas celles du chien de la baronne de Mutzig Kanterbrau.

Sanchez – Qui lui est bien mort au volant de cette Twingo équipée d’un moteur de Jaguar.

Marcelle – Décidément, cette affaire se complique… Qu’est-ce que vous en pensez Ramirez ?

Ramirez – C’était peut-être la baronne qu’on visait dans cet accident, et son chien est la victime innocente d’une méprise. Et si cet attentat contre la baronne n’avait rien à voir avec sa candidature aux élections ?

Marcelle – Le kidnapping du chien de la baronne ne serait donc qu’une diversion ?

Ramirez – Il pourrait y avoir un lien entre cet attentat manqué contre la baronne de Corona Desperados et la vente en viager de son château ?

Marcelle – Cela ne nous dit pas où est passé la baronne…

Sanchez – Ou alors elle est bien morte dans l’accident, et on a fait disparaître son corps.

Marcelle – Mais pourquoi ?

Sanchez – À moins que le corps ne se soit volatilisé.

Marcelle – Mais comment ?

Ramirez – Encore une question sans réponse…

Sanchez – Cette voiture aura été son tombeau… mais le tombeau est vide.

Le portable de Sanchez sonne.

Sanchez – Oui ? Très bien merci. (Il range son portable) J’ai lancé un appel à témoin, et je viens d’avoir un premier témoignage. Quelqu’un a cru voir la baronne dans un bordel à Marseille.

Marcelle – Elle serait donc bien en vie ! (Elle se tourne vers Ramirez) Vous avez l’air songeur Ramirez. Si vous avez une idée pour faire avancer cette enquête, c’est le moment de nous la faire partager…

Ramirez – Cela ne vous rappelle rien cette histoire de tombeau vide et son occupant qui réapparaît quelques jours plus tard.

Marcelle – Ma foi non…

Ramirez – La résurrection du Christ !

Marcelle – Mmmm… Ça pourrait avoir un rapport avec Bernadette qui voit la Vierge.

Sanchez – La baronne est peut-être une Sainte, et elle est venue à Beaucon-le-Château pour bouter les envahisseurs hors du Plus Beau Village de France.

Marcelle – La Pucelle de Beaucon… Ça aussi ça aussi ça pourrait faire vendre des souvenirs, des T-shirt et des porte-clefs….

Claude – Oui enfin… Jésus Christ n’est pas réapparu dans un bordel, tout de même…

Le téléphone de Sanchez sonne.

Sanchez – Oui ? Non ? Si, si… (Il range son portable) Il y a du nouveau. On a retrouvé la baronne, éjectée de sa voiture à plusieurs dizaines de mètres de l’accident. Elle était encastrée dans un platane, c’est pour ça qu’on ne l’a pas repérée tout de suite…

Marcelle – C’est grave ?

Sanchez – Le platane était déjà pourri. Il n’a pas résisté au choc.

Marcelle – Je parle de la baronne !

Sanchez – Ah oui, bien sûr. Les pompiers sont en train de la désincarcérer. Mais hélas, il semble bien qu’elle ait succombé, comme le platane.

Claude – Au moins ses proches vont pouvoir faire leur deuil.

Sanchez – C’est vrai qu’il est très rare qu’on ne retrouve pas le corps dans un accident de la route…

Marcelle jette un regard à l’écran de son portable.

Marcelle – Le maire lui reste introuvable. J’ai envoyé un texto au commissariat où il devait pointer. Ils viennent de me répondre qu’il ne s’est pas présenté à son contrôle judiciaire…

Claude – Il est peut-être en cavale…

Ramirez – Une disparition volontaire pour échapper à la justice ? C’est une possibilité… Parce que lui, s’il était passé en jugement, pas sûr qu’on l’aurait désincarcéré de si tôt…

Ils entrent tous dans le bistrot. Mario et Bernadette arrivent.

Bernadette – Il faut que je retourne travailler mon rôle… Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Mario – Tu m’aimes ?

Bernadette – Suffisamment pour être en cloque. Mais pas assez pour être sûre que c’est toi le père.

Mario – Alors je vais demander ta main à ta mère.

Bernadette – Ça je ne suis pas sûre qu’elle soit ravie. Depuis le temps qu’elle essaie de me caser avec son conseiller bancaire, pour qu’il accepte de fermer les yeux sur ses découverts. Tu ne veux pas m’enlever, plutôt ? Ce serait plus romantique.

Mario – Ne t’inquiète pas ma princesse, je saurai te donner l’écrin que tu mérites.

Bernadette – Un écrin ? Je préférerais un bijou…

Mario – C’est toi mon bijou. La place d’une princesse, c’est dans un château, non ?

Ils échangent un baiser. Bernadette entre dans le bistrot. Marcelle en ressort avec Ramirez.

Marcelle – Je viens d’avoir les résultats du premier tour : le maire sortant est en ballotage. Et c’est la baronne qui arrive en tête.

Ramirez – La mort de la baronne remet JR en selle.

Marcelle – Ça lui ouvre un boulevard pour le deuxième tour, c’est sûr.

Ramirez – Si on le retrouve d’ici là…

Marcelle – Sinon, c’est la vacance du pouvoir au plus haut niveau de la commune.

Ramirez – La porte ouverte à toutes les aventures…

Charles arrive, catastrophé.

Charles – Ma femme est morte !

Ramirez – Elle était à bord de la voiture, elle aussi ?

Charles – J’avais oublié de la prévenir pour la fuite. Elle a plongé dans la piscine alors que le bassin était vide…

Ramirez – Écoutez, mon brave, nous compatissons. Mais vous ne croyez pas que nous avons des affaires plus sérieuses à traiter en ce moment ?

Marcelle – C’est l’avenir de Beaucon qui est en jeu. Que dis-je ? Le sort de la démocratie !

Francine arrive.

Charles – Ah, Francine ! Je suis content de vous voir. Figurez-vous que je suis veuf…

Francine – Ah, ça c’est amusant, moi aussi. Mon mari s’est étouffé en avalant une compote de pommes zéro pour cent à l’hôpital.

Marcelle – S’étrangler en avalant une compote de pommes alors qu’on en est à sa troisième attaque cardiaque… C’est presque un miracle.

Claude fait une brève apparition.

Claude – Mais ça va être dur à faire homologuer autrement que par Vie de Merde point com.

Marcelle et Ramirez rentrent dans le bistrot. Mario arrive.

Francine – Ah Mario, il faudra que vous passiez chez moi, j’ai une fuite.

Charles – Comme ma piscine…

Mario – Très bien, vous pouvez compter sur moi.

Charles – Mais je ne savais pas que Mario faisait aussi la plomberie ?

Francine – Ce garçon sait tout faire, croyez-moi. S’il n’était pas roumain, ce serait le gendre idéal.

Mario – Justement, je voulais vous demander…

Charles lui coupe la parole.

Charles (à Francine) – Allez, je me jette à l’eau… En espérant ne pas m’écraser au fond… Vous êtes libre, ce soir ?

Francine – Ce soir et tous les autres soirs, Charles ! Je vous l’ai dit, je suis veuve depuis une heure à peine… Vous êtes l’homme que j’attendais pour combler mon découvert…

Charles et Francine repartent. René arrive.

Mario – Vous avez mon fric ?

René – Je l’aurai tout à l’heure, je vous assure…

Mario – Je ne fais pas crédit, moi. Un deal, c’est un deal.

René – Aujourd’hui, c’est promis, j’attends une grosse rentrée d’argent. Et en attendant, je compte sur votre discrétion, bien sûr…

Mario – Si je n’ai pas l’argent ce soir, je déballe tout…

Mario et René s’en vont. Maurice arrive. Marcelle et Ramirez ressortent du bistrot.

Maurice – Ah justement, je vous cherchais…

Marcelle – Du nouveau, Docteur ?

Maurice – Ah oui, on peut dire ça comme ça.

Marcelle – Bon je vous écoute.

Maurice – Les pompiers ont réussi à désincarcérer le corps encastré dans le platane, et j’ai pu procéder à un premier examen sommaire.

Ramirez – Bon ben allez-y, crachez le morceau.

Maurice – La victime avait bien ses deux oreilles, mais aussi une queue.

Marcelle – Je ne suis pas sûre de vous suivre, Docteur…

Ramirez – Moi j’ai peur de comprendre.

Maurice – La baronne était un baron…

Ramirez – La Baronne de Guiness Adelscot, un travesti ?

Marcelle – Oh mon Dieu ! Dans un sens, heureusement qu’elle est morte. Elle est arrivée en tête au premier tour. Vous imaginez ? Pour le Plus Beau Village de France avec pour maire une baronne belge travesti ?

Ramirez – Bon, et bien allons voir ça…

Ils sortent. René et Dominique arrivent.

René – J’ai appris le décès du mari de Francine…

Dominique – Oui, c’est bien triste.

René – Tu crois qu’elle va mettre sa maison en vente.

Dominique – En tout cas, je vais lui faire une offre.

René – Et dire que tu es la dernière personne à avoir vu Bertrand vivant…

Dominique – Oui… C’est même moi qui lui ai donné son dernier repas.

René – Qui lui est visiblement resté en travers de la gorge…

Dominique – Il arrive que dans la compote, il reste quelques pépins.

Francine arrive, effondrée. Claude sort du bistrot.

Claude – On a appris pour votre mari…

Dominique – Oui, toutes nos condoléances.

Francine – Ah oui, bien sûr…

Dominique – Vous avez l’air soucieuse… Il y a autre chose ?

Francine – Je viens d’apprendre que ma fille est enceinte.

Claude – Une candidate en cloque, ça ne va pas être évident pour le concours Miss Miss Bouches du Rhône…

Dominique – Et pour le pèlerinage non plus…

Claude – Il y a des jours comme ça où rien ne va.

Dominique – Et qui est le père ?

Francine – Elle dit qu’elle ne sait pas.

Claude – Ce n’est sûrement pas l’Esprit Saint, en tout cas…

Dominique – Je vais te raccompagner chez toi, ma pauvre… J’en profiterai pour revoir la maison. Ça va faire grand pour toi maintenant que ton mari est mort.

Francine – Oui… Mais maintenant que Bernadette est fille mère, il va falloir prévoir une chambre pour le bébé…

Dominique – Ah merde, je n’avais pas pensé à ça. Il faut absolument savoir qui est le père de cet enfant…

Ils s’en vont. Claude rentre dans son bistrot. Arrivent Marcelle, Ramirez et Sanchez.

Marcelle – Je n’ose même plus vous demander si vous avez du nouveau…

Sanchez – Hélas, si.

Ramirez – Les services municipaux de la voirie ont analysé l’ADN de la victime retrouvée encastrée dans ce platane.

Marcelle – Et ?

Ramirez – Je crois qu’il vaudrait mieux vous asseoir.

Marcelle s’assied.

Sanchez – C’est l’ADN du maire !

Marcelle (dépassée) – Vous pouvez développer un peu…

Sanchez – C’est le maire qui conduisait la voiture de la baronne, et c’est lui qui est mort dans l’accident.

Marcelle – Cela n’explique pas pourquoi il était travesti en baronne…

Ramirez – Vous avez raison, à chaque fois que nous progressons dans cette enquête, le mystère s’épaissit…

Sanchez – C’est donc le maire qui est mort, et non la baronne.

Marcelle – Et c’est bien la baronne que nous aurons pour maire. Puisque son opposant au deuxième tour est décédé !

Ramirez – La bonne nouvelle, c’est que la baronne n’est pas forcément un travesti.

Marcelle – Ça ne nous dit pas toujours où elle est passée…

Ils s’en vont. René arrive avec Charles qui tient son tableau à la main. Claude ressort.

René – Tu as mon fric ?

Charles – Oui, oui, je te donne ça tout de suite.

Claude – Qu’est-ce que c’est que cette croûte ?

Charles – C’est un tableau de René. Je vais le faire encadrer.

René – Pourquoi ? Vous vous y connaissez en peinture ?

Claude – Vous savez, dans notre métier, on rencontre toutes sortes de gens. Ma grand-mère tenait déjà une maison close, elle a eu pour clients les plus grands peintres de l’époque.

Charles (impressionné) – Votre grand-mère a couché avec les impressionnistes ?

René – Bientôt elle va nous dire qu’elle est la petite fille naturelle de Van Gogh…

Claude examine le tableau.

Claude – En tout cas, je peux vous dire que ce tableau date du début du siècle.

Charles – Quel siècle ?

Claude – Pas le 21ème, ça c’est sûr.

Charles lance un regard suspicieux à René.

René – Mais enfin, vous racontez n’importe quoi ! C’est moi qui l’ai peint, ce tableau !

Claude – La seule peinture fraîche qu’il y ait sur ce tableau, c’est la signature de René.

Charles lance à René un regard soupçonneux.

Charles – Tu veux que je le fasse expertiser ?

René – Ok, j’ai acheté cette croûte à Mario pour 50 euros, et je ne sais pas où il l’a trouvée.

Charles lui tend le tableau.

Charles – Une chance que je ne t’avais pas encore payé.

René – Tu es sûr que tu ne veux le garder ? Pour ta cheminée, c’est exactement la bonne dimension !

Charles lui lance un regard assassin.

Charles – Estime-toi heureux que je ne porte pas plainte. Parce que ça ne m’étonnerait pas qu’en plus, il s’agisse d’un tableau volé.

René – D’accord, je me remets tout de suite à La Liberté Guidant le Peuple…

Charles s’en va. Mario arrive.

Mario – Vous avez mon fric ?

René – Non, mais je vous rends le tableau… Mon acheteur vient de se désister…

René tend le tableau à Mario, et s’en va.

Claude – Vous permettez que j’y jette un coup d’œil à ce chef d’œuvre en péril ?

Claude entre dans le bistrot avec le tableau. Marcelle revient avec Ramirez.

Ramirez – Et pour le maire ? Vous avez prévu quelque chose pour lui rendre un dernier hommage ?

Marcelle – On va lui faire des funérailles municipales. Avec un peu de chance, il aura la Légion d’Honneur à titre posthume, et on oubliera ses démêlés avec la justice.

Ramirez montre le journal.

Ramirez – Un peu de baume sur toutes ces plaies… Vous avez vu ? Beaucon a été élu plus Beau Village de France !

Marcelle – Le jury s’est réuni à l’Hôtel Martinez. Et apparemment, avec l’aide de Madame Claude et de ses starlettes, le maire sortant a fait le nécessaire pour que cette élection se passe dans la joie et la bonne humeur.

Dominique revient.

Dominique – Je ne voudrais pas casser l’ambiance, mais la disparition de la baronne fait aussi peser des soupçons sur la personne qui lui a acheté son château en viager…

Marcelle – Je n’ai acheté que par procuration, je l’ai déjà dit.

Dominique – Mais vous refusez de révéler l’identité de l’acheteur ?

Marcelle – Qu’est-ce que tu veux insinuer ?

Dominique – Tu aurais pu acheter ce château pour ton propre compte…

Marcelle s’approche de Dominique, menaçante.

Marcelle – Mais puisque je te dis que ce n’est pas le cas !

Dominique – Sans compter qu’avec la disparition des deux principaux candidats aux municipales…

Marcelle – Quoi encore ?

Dominique – En cas de nouvelle élection, la Première Adjointe serait bien placée pour accéder à la mairie…

Dominique et Marcelle sont sur le point d’en venir aux mains.

Ramirez – C’est vrai que ça fait au moins deux mobiles… (Le portable de Ramirez sonne). À propos de mobile, le mien est en train de sonner… Oui ? Ah d’accord. Bon, je la préviens tout de suite…

Marcelle abandonne sa confrontation avec Dominique, pressée de savoir ce que Ramirez va encore lui apprendre.

Marcelle – J’ai peur de ce que vous allez me dire…

Ramirez – Le service culturel de la mairie a comparé les ADN du maire et de la Baronne, ainsi que leurs deux abonnements à la saison théâtrale.

Marcelle – Et alors ?

Ramirez – Le maire et la baronne sont une seule et même personne.

Marcelle – Vous allez rire, mais plus rien ne m’étonne.

Dominique – Je commence à comprendre…

Marcelle – Moi je ne comprends rien.

Sanchez – La baronne n’était qu’un faux nez du maire.

Ramirez – Un double, en quelque sorte.

Marcelle – JR et la baronne ? Vous voulez dire… comme Docteur Mabuse et Mister Hyde ?

Ramirez – Comme le maire avait pour seule opposante la baronne, il était sûr d’être élu sous l’une ou l’autre de ses deux identités.

Sanchez – Et sous l’une ou l’autre de ses deux étiquettes politiques.

Marcelle – Pour le coup, on peut parler d’une candidature de rassemblement… Toutes tendances politiques et sexuelles confondues…

Ramirez – Malheureusement, le maire et la baronne sont morts tous les deux dans l’accident, puisqu’ils n’étaient que les deux faces d’une même médaille.

Dominique – Et Beaucon-le-Château, n’a plus de maire du tout.

Le maire arrive, précédé de Maurice essoufflé, et suivi de Charles, René et Mario. Le maire est à moitié travesti mais dans un style assez trash du fait de son accident.

Maurice – J’ai été un peu vite à délivrer le certificat de décès… Le maire avait seulement perdu momentanément connaissance sous la violence du choc…

Maire – Rassurez-vous, je suis bien vivant. Et tout va pouvoir rentrer dans l’ordre. Votre maire est là, plus rien de grave ne peut vous arriver.

Dominique – Je crois quand même que vous nous devez quelques explications.

Maire – D’accord, je le reconnais, j’ai un peu déconné. C’est vrai, la baronne de Carlsberg Kronenbourg, c’est moi.

Charles – Vous avouez donc ?

Maire – J’ai inventé le personnage de la baronne pour fédérer les voix de l’opposition. Elle devait disparaître opportunément entre les deux tours après avoir joué son rôle de diversion électorale. En me laissant le champ libre pour être réélu au deuxième tour. Malheureusement, comme vous le savez, il y a eu quelques imprévus…

Dominique – Et dans cette histoire de viager ? Qui est l’acheteur du Château ?

Maire – C’est Mario.

Tous les regards se tournent vers Mario

Ramirez – Mario ?

Maire – Ça ne devait être qu’un homme de paille. Et j’aurais récupéré le Château après la disparition de la baronne.

Ramirez – Un château acheté avec le fruit de vos malversations, j’imagine…

Sanchez – Une bonne façon de blanchir la part des anges.

Marcelle – Mais il y a eu cet accident.

Ramirez – Allez savoir si la voiture n’a pas été trafiquée. En faisant disparaître le maire, Mario gardait le château…

Mario – Et c’est d’ailleurs ce que je vais faire. Sinon je balance tout à la presse, je vous préviens.

René – C’est vrai qu’avec une histoire pareille, il aurait de quoi faire une sacrée comédie de boulevard…

Ramirez – Si tout le monde en est d’accord, je crois qu’il serait préférable de trouver un bon arrangement et de classer l’affaire.

Sanchez – Un bon arrangement vaut souvent mieux qu’un mauvais procès.

Maire – Nous n’allons pas jeter le discrédit sur le Plus Beau Village de France. Après tout, il n’y a pas mort d’homme.

Marcelle – Très bien, alors la baronne est élue, et on n’en parle plus.

Maire – La baronne ? Comment ça, la baronne. Mais mon plan initial, c’était de faire disparaître la baronne…

Marcelle – Je vous conseille de ne trop pousser le bouchon, JR. Les faire-part sont déjà partis en ce qui vous concerne.

Maurice – Et puis de quoi vous plaignez-vous ? Vous aurez des funérailles somptueuses !

René – Peut-être même une statue sur la place du village. Comme si vous étiez mort en héros à Verdun !

Dominique – On peut ouvrir une souscription, vous étiez quand même très populaire, de votre vivant. Et vous savez que les morts bénéficient toujours d’un préjugé favorable.

Maire – Mais alors je vais devoir rester travesti en baronne jusqu’à la fin de mes jours ?

Maurice – Jusqu’à la fin de votre mandat, en tout cas.

Ramirez – Voyez le bon côté des choses. Comme ça vous échappez aux poursuites judiciaires.

Sanchez – Vous vous refaites une virginité en quelque sorte.

Maire – Mais politiquement, je vais devoir changer de bord !

Marcelle – Ce n’est pas la première fois que vous retournez votre veste, non ? Vous avez déjà changé de sexe, vous n’êtes plus à ça près.

Francine arrive d’un côté et Bernadette de l’autre.

Francine – Ah Bernadette, ma chérie !

Bernadette – Maman, je crois que Mario a quelque chose à te dire…

Mario – Madame, je vous demande officiellement la main de votre fille.

Bernadette – Selon toute probabilité, c’est le père de mon enfant.

Dominique – À moins que ce ne soit celui du jury du plus Beau Village de France…

Mario – Quoi qu’il en soit, vous allez être grand-mère, Francine.

Francine – Grand-mère ? Ne soyez pas grossier en plus.

Mario – Je vous ferais tout de même remarquer que désormais, je suis propriétaire du château de Beaucon.

Marcelle – La baronne n’est pas encore morte, mais je suis sûre que dans un esprit d’apaisement, elle vous en cédera l’usufruit…

Francine – Le château ? Vraiment ?

Claude ressort du bistrot le tableau à la main.

Claude – J’ai gratté un peu la peinture, et j’ai découvert qu’il y a un autre tableau sous cette croûte !

Charles – Et alors ?

Claude – Vous n’allez pas le croire.

Marcelle – Au point où on en est…

Claude – Il est signé Van Gogh !

René – C’est vrai qu’il a séjourné dans le coin autrefois.

Charles – Si cette toile est authentifiée, elle vaudra une fortune.

Charles s’approche du tableau mais Mario s’interpose.

Mario – Je vous rappelle que ce tableau est à moi. Puisque vous n’en n’avez pas voulu…

Francine – J’ai toujours dit que ce garçon était le gendre idéal. Et bien soit, nous célébrerons ce mariage au château de Beaucon et tout le village sera invité à la fête !

Marcelle – Le Maire en personne se fera un plaisir de les marier, n’est-ce pas Madame la Baronne ?

Les futurs époux s’embrassent. Musique nuptiale.

Maurice – Le mariage du RMI et de l’ISF…

René – Une autre façon de régler la lutte des classes dans le Plus Beau Village de France.

Noir. Apparition de la Vierge en diapo. Noir.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Octobre 2013

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-48-2

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Happy Hour

Comédie de Jean-Pierre Martinez

4 personnages : 2H/2F ou 1H/3 F
5 personnages : 1H/4F ou 2H/3F ou 3H/2F
6 personnages : 1H/5F ou 2H/4F ou 3H/3F ou 4H/2F

Dans un bar de nuit, surveillé par la police à la recherche d’un dangereux psychopathe, un inquiétant barman sert de confident à des clientes esseulées ayant rendez-vous avec de mystérieux partenaires rencontrés sur le net… Outrance et humour noir, à mi-chemin entre le Splendid et les Monty Python…


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VERSION À 4 PERSONNAGES
2H/2F ou 1H/3F


VERSION À 5 PERSONNAGES
2H/3F ou 3H/2F

VERSION À 5 PERSONNAGES
1H/4F

VERSION À 6 PERSONNAGES
1H/5F ou 2H/4F ou 3H/3F ou 4H/2F

 

 

 


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