Cercueil

Café des Sports

The Jackpot –  Bar Manolo –  O Jackpot – ΚΑΦΕΝΕΙΟΝ «ΤΟ ΤΕΡΜΑ»

Comédie de Jean-Pierre Martinez

7 à 17 personnages
distribution très variable en nombre et sexe

Suite à un accident de corbillard, l’arrivée dans un café d’un cercueil qui s’avère contenir un billet de loto gagnant fournit le prétexte d’une comédie très enlevée.


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


TÉLÉCHARGER GRATUITEMENT LE TEXTE

 

 

 

 

 

 

 

 


CAFÉ DES SPORTS POUR 7

1 homme / 6 femmes

2 hommes / 5 femmes

3 hommes / 4 femmes

4 hommes / 3 femmes

5 hommes / 2 femmes

CAFÉ DES SPORTS POUR 8

1 homme / 7 femmes

2 hommes / 6 femmes

3 hommes / 5 femmes

4 hommes / 4 femmes

5 hommes / 3 femmes

6 hommes / 2 femmes

CAFÉ DES SPORTS POUR 9

1 homme / 8 femmes

2 hommes / 7 femmes

3 hommes / 6 femmes

4 hommes / 5 femmes

5 hommes / 4 femmes

6 hommes / 3 femmes

7 hommes / 2 femmes

CAFÉ DES SPORTS POUR 10

1 homme / 9 femmes

2 hommes / 8 femmes

3 hommes / 7 femmes

4 hommes / 6 femmes

5 hommes / 5 femmes

6 hommes / 4 femmes

7 hommes / 3 femmes

8 hommes / 2 femmes

CAFÉ DES SPORTS POUR 11 ou 12

version pour 11 ou 12 distribution variable nombre/sexe

CAFÉ DES SPORTS POUR 13 à 17

version pour 13 à 17 distribution variable nombre/sexe


ACHETER LE LIVRE FORMAT PAPIER

The Book Edition Amazon    
 

Cet ouvrage peut être commandé en impression à la demande sur le site The Book Edition, avec des réductions sur quantité (5% à partir de 4 exemplaires et 10% à partir de 12 exemplaires), livraison dans un délai d’une semaine environ.


EXTRAIT VIDÉO

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



LIRE LE TEXTE COMPLET DE LA PIÈCE 

CAFÉ DES SPORTS 

Suite à un accident de corbillard, l’arrivée dans un café d’un cercueil qui s’avère contenir un billet de loto gagnant fournit le prétexte d’une comédie très enlevée.

 Distribution 

Robert : le patron cruciverbiste
Josiane : la cuisinière célibataire
Martial : le croque-mort philosophe

Justin : le croque-mort terre à terre
Nathalie : l’héritière survoltée
Charlotte : la lycéenne désabusée
Antoine : le professeur débordé
Jésus : le plombier veinard
Blanche : la vieille pas si folle

Le facteur pourra être joué par le comédien qui interprète Jésus et la sourde muette pourra être jouée par la comédienne qui joue Blanche ou bien ces deux petits rôles pourront être attribués à des comédiens d’appoint.

Multiples adaptations disponibles auprès de l’auteur pour différentes distributions, de 7 à 10 personnages avec une répartition par sexe très variable :

1H/6F, 1H/7F, 1H/8F, 1H/9F, 2H/5F, 2H/6F, 2H/7F, 2H/8F, 3H/4F,
3H/5F, 3H/6F, 3H/7F, 4H/3F, 4H/4F, 4H/5F, 4H/6F, 5H/2F, 5H/3F,
5H4F, 5H/5F, 6H/2F, 6H/3F, 6H/4F, 7H/2F, 7H/3F…
et jusqu’à 16 personnages.

Au centre le bar. Au-dessus un panneau Café des Sports. D’un côté un flipper, de l’autre deux tables. Derrière le bar, Robert, le patron, fait les mots croisés du Parisien. Dans la salle, Josiane, la femme à tout faire, passe la serpillière.

Robert – Il faut des pièces pour y jouer… En sept lettres…

Josiane s’interrompt pour réfléchir avec lui.

Josiane – Flipper…?

Robert la regarde, étonné par cet accès de génie. Il compte sur ses doigts jusqu’à sept et son visage s’illumine. Il se penche sur sa grille, mais il est déçu.

Robert – Et merde, ça commence par un t…

Un facteur à l’ancienne arrive (uniforme, casquette, sacoche, pinces à vélo). Le facteur sera joué par le même comédien qui interprétera plus tard le plombier (qui, lui, arrivera en bleu de travail). Comme ils porteront des tenues très différentes, il ne sera pas nécessaire de les grimer pour les distinguer, mais on pourra ajouter une moustache postiche au facteur, qui a par ailleurs tout de l’idiot du village. Robert lève les yeux de sa grille.

Robert – Tiens, voilà le facteur…

Facteur – Salut Robert. Tu as encore un courrier de ministre, aujourd’hui…

Il pose un paquet de lettres sur le comptoir.

Robert – Ministre, tu parles… (Il regarde les enveloppes) Facture, impôts, appel à cotisation, facture… (Il range le courrier). Un petit blanc sec, comme d’habitude ?

Facteur – Oh non, le blanc, ça ne me réussit pas trop en ce moment… Mets-moi plutôt une petite côte.

Robert le sert.

Robert – Et voilà, une côtelette.

Le facteur vide son verre d’un trait.

Robert – C’est toujours ça que les boches n’auront pas…

Facteur – Au fait… Pinard, ça te dit quelque chose ?

Robert – Pinard ?

Le facteur sort une lettre recommandée.

Facteur – Madame Pinard. Elle habite au numéro 13. C’est l’immeuble d’à côté.

Robert – Ah ouais…

Facteur – Mais je n’ai pas vu son nom sur les boîtes.

Robert – Ça m’étonne pas…

Facteur – Elle habite à quel étage ?

Robert – Septième. Mais elle est morte il y une quinzaine.

Facteur – Ah merde… Alors en somme… elle a déménagé, comme qui dirait…

Robert – On peut dire ça comme ça, oui… Boulevard des Allongés.

Facteur – Non, parce que j’ai un recommandé pour elle.

Robert – Ah, ouais… C’est ballot…

Facteur – Alors qu’est-ce que je fais ?

Robert – Je ne sais pas, moi…

Facteur – Elle ne t’a pas laissé une adresse, par hasard ?

Robert – Elle est morte, je te dis.

Facteur – Ah ouais… C’est emmerdant… Mais qui est-ce qui va le signer, mon recommandé ?

Robert – Ça…

Facteur – Donc elle ne va pas revenir…

Robert – C’est peu probable.

Facteur – Ça ne m’arrange pas.

Robert – Dans tous les métiers, c’est pareil, tu sais… Il y a toujours des emmerdeurs qui ne pensent qu’à te compliquer la vie…

Facteur – Alors je ne sais pas moi… Et toi tu ne pourrais pas signer à sa place ?

Robert – Pourquoi je ferais ça ?

Facteur – Entre voisins, on peut se rendre de petits services… Ça m’éviterait de revenir.

Robert – Revenir ? Pourquoi faire ?

Facteur – Pour lui remettre ce recommandé !

Robert – Mais puisque je te dis qu’elle est morte ! Décédée, tu comprends ? Et il y a au moins un avantage à être mort, c’est qu’on devient définitivement inaccessible aux recommandés en tous genres !

Facteur – Je comprends.

Robert – Tu n’as qu’à lui laisser un avis de passage.

Facteur – Tu crois ?

Robert – C’est quoi, ce recommandé ? Avis d’imposition ? Avis d’expulsion ? Avis de radiation ?

Facteur Ça vient de la Française des Jeux.

Robert – La Française des Jeux ?

Facteur – Ça ne peut pas être une mauvaise nouvelle.

Robert – Tu crois vraiment que quand on est mort, on peut encore faire la différence entre une bonne et une mauvaise nouvelle ?

Facteur – Quand même… La Française des Jeux…

Robert – Fais voir… (Prenant la lettre de la main du facteur). Ah oui, la Française des Jeux, dis donc…

Facteur – Elle jouait au loto ?

Robert – Je ne sais pas… On se croisait de temps en temps… Elle avait une petite chienne…

Facteur – Et qu’est-ce qu’elle est devenue ?

Robert – Elle est morte, je te dis !

Facteur – La chienne aussi ?

Robert – Pas le chien, elle !

Facteur – Et le chien, qu’est-ce qu’il est devenu ?

Robert – Je ne sais pas…

Facteur – C’est triste, un chien qui se retrouve tout seul dans la vie, comme ça… Je ne comprends pas tous ces gens qui prennent un animal et qui l’abandonnent. Prendre un animal, c’est une responsabilité. Les gens ne se rendent pas compte…

Robert – Tu crois qu’elle aurait pu gagner le gros lot ?

Facteur – Si c’est le cas, il ne faudrait pas qu’elle tarde à se manifester. Parce qu’il y a une date butoir, quand même. Si on ne vient pas chercher son chèque avant, on perd tout. Et la somme est remise en jeu…

Robert – C’est vrai que ce serait ballot…

Facteur – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Robert – On ?

Facteur – Comme tu dis, ce serait ballot…

Robert – Ok. Je vais signer.

Facteur – Ça m’évitera de repasser.

Robert signe le reçu que lui tend le facteur, ouvre fébrilement l’enveloppe et lit.

Facteur – Alors ?

Robert – C’est une lettre de licenciement…

Facteur – Ce n’est pas un chèque ?

Robert (lisant) – Elle travaillait à la Française des Jeux. En CDD. C’est juste un avis de fin de contrat.

Facteur – Ah merde… Alors non seulement elle n’a pas gagné au loto, mais en plus elle perd son boulot, dis donc.

Robert – Ouais…

Facteur – Ah oui, ce n’est pas de bol… Parce que pour retrouver du boulot en ce moment…

Robert – Surtout quand on est mort.

Facteur – Et évidemment, ce n’est jamais les gens comme nous qui gagnent au loto, hein ? Ceux qui en auraient vraiment besoin.

Robert – Non…

Facteur – Tiens j’ai lu un article hier dans le journal hier : il gagne 60 millions au loto et il continue à vivre exactement comme avant… Je vais te dire, moi : il y a des gens, ils ne méritent pas de gagner !

Robert – C’est clair…

Facteur – Bon ben ce n’est pas tout ça, mais il faut que je continue ma tournée, moi.

Il s’apprête à partir. Robert brandit la lettre.

Robert – Et qu’est-ce que je fais de ça, moi ?

Facteur – Ça c’est toi qui vois, hein… Moi du moment que tu as signé le reçu.

Le facteur s’en va. Robert regarde à nouveau la lettre, perplexe, avant de la mettre de côté. Entre Antoine, cartable à la main, absorbé dans ses pensées.

Antoine – Messieurs-Dames. Un café…

Robert lui sert son café, et prend une bouteille sur une étagère derrière lui.

Robert – Un petit calva, pour arroser ça ?

Antoine (surpris) – Pour arroser quoi ?

Robert – Ben, votre café…

Antoine – Ah, euh… Non, merci… Je donne un cours dans un quart d’heure…

Robert, tentateur, la bouteille à la main.

Robert – Allez… Ils ne vont pas vous faire souffler dans le ballon…!

Antoine – Et puis après tout, pourquoi pas…

Pendant que Robert lui sert un calva et en profite pour s’en servir un aussi, Antoine jette un coup d’œil au Monde qu’il vient de sortir de sa poche.

Antoine (lisant) – L’École Nationale d’Administration accueillera, cette année, quelques jeunes issus de l’immigration…

Robert pose un calva devant Antoine, et s’apprête à s’enfiler le sien.

Robert – Remarquez, les immigrés, c’est comme les pitbulls, hein ? C’est les bons qui paient pour les mauvais…

Robert descend son calva d’un trait.

Robert (appréciatif) – Ah…

Mais son sourire satisfait se fige aussitôt.

Robert – Il a un drôle de goût ce calva… Vous ne trouvez pas ?

Antoine porte son verre à ses lèvres et fait la grimace.

Antoine – On sent bien le goût de la pomme…

Tandis que Robert repose la bouteille sur l’étagère, il la soupèse et regarde le niveau.

Robert – Ce n’est pas possible ! Hier encore elle était presque pleine. Ce n’est pas moi qui ai bu tout ça !

Il prend un crayon et fait une marque sur l’étiquette. Josiane, qui a fini de laver par terre, s’éloigne vers la cuisine. Antoine s’apprête à vider son verre. Il s’étrangle en voyant arriver Nathalie, en noir, et sa fille Charlotte. Antoine et Charlotte échangent un regard embarrassé. Antoine se planque derrière le Monde tandis que Charlotte et sa mère vont s’asseoir.

Nathalie (examinant l’endroit) – C’est crado, non ?

Charlotte – C’est populaire…

Nathalie – Ouais… C’est crado…

Charlotte – C’est le seul bistrot en face du cimetière… Evidemment, ça ramène moins de monde qu’un lycée…

Nathalie jette un regard vers le patron qui arrive pour prendre la commande.

Nathalie – La circulation doit plutôt se faire dans l’autre sens… Ils ont l’air déjà bien imbibés dès le matin.

Robert – Mesdames. Qu’est-ce que je vous sers ?

Nathalie – Un thé avec… (Se ravisant, avec un air dégoûté) Un thé.

Charlotte – Un diabolo citron.

Le patron s’éloigne. Nathalie regarde l’inscription au-dessus du comptoir.

Nathalie – Café des Sports… Tu parles d’un nom pour un bistrot. Je me demande quel sport ils peuvent bien pratiquer. Il n’y a même pas un baby-foot…

Charlotte sort une cigarette et s’apprête à l’allumer.

Nathalie – Tu ne vas pas fumer ?

Charlotte – Pourquoi pas…? Je te rappelle que toi, quand tu étais enceinte de moi, tu te tapais deux paquets par jour… Il paraît que c’est le meilleur moyen pour avoir des enfants débiles…

Nathalie – Ouais, ben à l’époque, on ne savait pas… Pourquoi tu as dit « toi, quand tu étais enceinte ? ».

Robert, qui apporte les consommations, fait diversion.

Robert – Si vous voulez fumer, c’est dehors…

Charlotte range sa cigarette en soupirant. Robert repart.

Nathalie – Alors finalement, c’était pas une appendicite…

Charlotte – Une appendicite ! À soixante-quinze ans ! Confondre une cirrhose du foie avec une maladie infantile ! C’était pas le roi du diagnostic ce médecin…

Nathalie – C’était un interne. Ils sont tellement mal payés. Enfin, c’était incurable, de toute façon. C’est drôle, je n’arrive pas à réaliser que ton grand-père est mort.

Charlotte – Avant d’être mon grand-père, c’était un peu ton père, non…?

Nathalie – Oui… J’ai toujours eu un peu de mal à communiquer avec lui.

Charlotte – Ça ne risque plus de s’arranger…

Nathalie – J’ai une copine qui a fait quinze ans d’analyse pour essayer de renouer le dialogue avec son père. Quinze ans, tu te rends compte ?

Charlotte – Et alors…?

Nathalie – Au bout de quinze ans, son père était mort…

À l’insu de sa mère, Charlotte échange avec Antoine quelques regards gênés.

Charlotte – Et grand-mère ?

Nathalie – Elle ne se souvenait même plus qu’elle était mariée, alors lui apprendre maintenant qu’elle est veuve… (Soupir) Ce n’est pas très gai, tout ça…

Charlotte – Les enterrements, c’est rarement gai…

Robert s’est replongé dans la lecture de son journal.

Robert (lisant) – Le suicide est la première cause de décès chez les adolescents… Remarquez, à seize ans, c’est rare qu’on meurt de vieillesse, hein ?

Charlotte – Tu savais que pépé avait souscrit une convention-obsèques ?

Nathalie – Non…

Charlotte – C’est spécial, hein ? Je ne me vois pas choisir à l’avance si je veux du chêne ou du sapin, des poignées dorées ou argentées, un capitonnage rose bonbon ou vert pomme…

Nathalie – Remarque, c’est pratique. Comme ça on ne s’occupe de rien.

Charlotte (ironique) – Et on n’a rien à payer…

Nathalie sort un miroir de son sac et s’examine.

Nathalie – Ouh, là ! Si je me croisais dans la rue, je ne me reconnaîtrais pas ! Je vais me remaquiller un peu, sinon on va croire que c’est moi qu’on enterre…

Nathalie, se dirigeant vers les toilettes, tombe sur Antoine, qui fait pourtant tout pour passer inaperçu en se cachant derrière un bouquin de Kant. Après une hésitation, elle l’aborde avec un grand sourire.

Nathalie – Antoine ? C’est Nathalie ! Tu te souviens ? On était… au lycée ensemble.

Antoine (feignant l’enthousiasme) – Ah, Nathalie…!

Nathalie – Alors, qu’est-ce que tu deviens ?

Antoine – Ben, je suis toujours au lycée…

Nathalie – Prof ?

Antoine – Elève, ensuite pion, maintenant prof. C’était la dernière solution pour qu’on ne me vire pas de l’école… Et toi ?

Nathalie – Oh, moi… Je me suis mariée… Et puis j’ai divorcé…

Robert (sentencieux) – Des fois, il vaut mieux un bon divorce qu’un mauvais mariage…

Nathalie le fusille du regard.

Nathalie (à Antoine, amusée) – Tu écris toujours des pièces de théâtre…?

Charlotte semble surprise.

Antoine – Non… (Devant l’air déçu de Nathalie, il rectifie). Maintenant, c’est plutôt des romans…

Nathalie – Ecrivain ? Génial ! Il faudra que tu me dédicaces un de tes bouquins.

Antoine (embarrassé) – Oui, enfin…

Nathalie – Et sinon, tu es marié ? Tu as des enfants ?

Antoine – Euh… Non, je suis toujours célibataire…

Nathalie – C’est marrant, ma fille a presque l’âge de tes élèves, maintenant. Ça ne nous rajeunit pas… (Désignant Charlotte) Tiens, justement la voilà !

Antoine échange un regard embarrassé avec Charlotte.

Antoine – Charlotte…? Ah, c’est marrant, c’est une de mes élèves… Je ne savais pas que c’était ta fille…

Nathalie – Elle porte le nom de son père… C’est tout ce qu’il lui a laissé en partant, d’ailleurs… Tu es son prof de gym, c’est ça ? Elle en parle tout le temps…

Antoine – Non… De philosophie…

Nathalie – Ah, oui, c’est vrai ! Tu as plutôt le gabarit d’un prof de philo… Dis donc, ça n’a pas l’air d’être le grand amour entre ma fille et Kant ? Tu crois qu’elle va enfin le décrocher, ce bac ? Ça fait quand même la troisième fois… Je me demande s’il n’y a pas eu une petite erreur d’orientation. Elle a toujours eu l’esprit plutôt concret. Et puis entre nous, la philo, ça ne mène nulle part…

Antoine – Ben, non…

Nathalie – De toute façon, si ça ne marche pas cette année, je la colle dans une école commerciale ! Le genre… grande école où on peut rentrer sans le bac, tu vois ? J’en ai déjà trouvé une. C’est cher, mais bon… Quand on veut quelque chose de bien. Et puis franchement, le bac, c’est bien beau, mais si c’est pour se retrouver à l’université avec le tout-venant. Maintenant tout le monde va à la fac… Il n’y a plus aucune sélection !

Charlotte (exaspérée) – Maman…!

Nathalie – Ah, la, la… Ce n’est pas tous les jours facile pour une femme seule d’élever un enfant, crois-moi… D’ailleurs, tu sais ce que dit Freud en ce qui concerne l’éducation des enfants : «Faites ce que vous voulez, de toute façon ce sera mal». Bon, excuse-moi, il faut que je file, j’ai un enterrement sur le feu…

Nathalie poursuit son chemin vers les toilettes.

Charlotte – Je ne savais pas que vous connaissiez ma mère.

Antoine – Moi non plus…

Charlotte – Il faut absolument qu’on se voit ce soir… On se retrouve chez vous…?

Antoine – Ecoute, Charlotte, il vaudrait mieux qu’on arrête, tous les deux. On fait fausse couche… Fausse route…

Charlotte – Fausse route ?

Antoine – Dans une semaine tu auras ton bac. L’année prochaine, tu iras à la fac. Moi je redoublerai ma terminale, comme tous les ans.

Charlotte – Mon bac ? Ça fait deux fois que je le rate pour rester dans ta classe. Mais cette année, ça t’arrangerait bien que je l’ai, hein… Comme ça, en septembre, tu en trouveras une autre à qui donner des cours particuliers…

Antoine lui fait gentiment signe de parler moins fort.

Antoine – Je pourrais être ton père!

Charlotte (menaçante) – Justement. Je pourrais porter plainte pour détournement de mineure…

Antoine – Tu as vingt-et-un ans…

Charlotte – D’accord, pour harcèlement sexuel, alors.

Antoine (faussement détaché) – Fais ce que tu veux. De toute façon, ce serait peut-être me rendre service que de me faire radier de l’Education Nationale.

Charlotte (se levant, méprisante) – Pauvre mec !

Nathalie ressort des toilettes.

Nathalie (à Antoine, charmeuse) – Passe à la maison, un de ces soirs. On se fera un petit dîner entre célibataires…
(À son oreille, coquine) Qui sait ? On arrivera peut-être à ranimer la flamme…

Antoine, gêné, répond d’un sourire.

Nathalie – Tu viens, Charlotte ? (À Antoine) – Ne la surmène pas trop, quand même…

Nathalie et Charlotte s’en vont. Antoine reste là, peu fier de lui mais soulagé. Robert n’a rien raté de la conversation, mais fait mine de ne pas avoir écouté.

Antoine – Les risques du métier… Euh… je peux vous demander d’être discret…? Je joue mon boulot, là…

Robert (sentencieux) – Un bistrot, c’est comme un confessionnal. On entend tout, mais rien n’en sort.

Soudain, Charlotte revient un instant et met quelque chose dans la main d’Antoine.

Charlotte – Tiens, c’est le premier examen de ma vie que je réussis. Et cette fois, c’est vraiment grâce à toi… Je te laisse le diplôme, en souvenir!

Charlotte s’en va. Antoine regarde l’objet incrédule. C’est un test de grossesse.

Robert – Quand il y a deux traits, c’est que c’est des jumeaux…

Antoine s’en va, paniqué. Robert soupire, et se replonge dans ses mots croisés. Josiane arrive de la cuisine avec une revue. Profitant de la distraction de Robert, elle se sert un verre de calva, le boit cul sec, et reverse le contenu d’un verre d’eau minérale dans la bouteille de calva à l’aide d’un entonnoir. Comme elle range le tout, Robert se tourne vers elle, méfiant. Elle ouvre Le Chasseur Français et affiche un sourire innocent.

Robert – Vous lisez Le Chasseur Français, maintenant ?

Josiane – Non ! C’est pour les annonces… (Regard étonné de Robert) Les annonces matrimoniales !

Robert – Et alors…?

Josiane – Oh, vous savez, c’est comme pour les voitures, hein… Il faut faire des essais comparatifs…

Robert – Et vous avez trouvé le modèle que vous voulez ?

Josiane – Pas encore. Malheureusement, à mon âge, je dois me limiter au marché de l’occasion…

Un téléphone portable sonne.

Josiane – Ça doit être le mien… Je viens de m’en offrir un pour Noël. Il faut bien vivre avec son temps…

Elle prend la communication avec maladresse, visiblement peu habituée à ce genre d’appareil.

Josiane (énervée) – Merde, comment ça marche, déjà…

Robert la regarde, interloqué.

Josiane (avec une amabilité forcée) – Allô oui ! Oui, c’est moi… Oui, bonjour… Oui, la quarantaine, c’est ça…

Elle se rend compte que Robert l’écoute.

Josiane – Enfin, plus près de quarante que de cinquante… Oui, je suis tombée sur votre annonce par hasard dans Le Chasseur Français et… Euh, non, je ne chasse pas. J’ai sûrement feuilleté ça chez la coiffeuse… Non, ma coiffeuse ne chasse pas non plus, pourquoi…? Divorcée, c’est ça… Et vous…? (Se figeant) Ah… Et elle est morte de quoi…? (Riant) Si ce n’est pas indiscret, bien sûr… Oh la la… Qu’est-ce qu’elle a dû souffrir… Moi je dis que dans ces cas-là, on devrait les faire piquer… (Robert la regarde, sidéré) Oui, ça a dû vous faire un vide… Non, moi je n’ai pas d’animaux… Seulement un fils de 17 ans… (Riant) Mais ça fait des saletés aussi, vous savez…! Vous aimez les enfants…? Non, je crois que pour ça c’est un peu tard, hein…? À nos âges, il ne serait sûrement pas normal… Ecoutez, je ne suis pas seule, là. Au Café des Sports, ça vous va ? Non, pas en face du stade, en face du cimetière… C’est ça. (Enjôleuse) À tout à l’heure…

Josiane raccroche et pose son téléphone sur le comptoir. Robert, dubitatif, est en train de vérifier la marque qu’il a faite au crayon sur la bouteille de calva.

Josiane – Vous n’avez pas vu Marcel ?

Robert – Ça fait trois jours qu’il n’est pas venu faire son loto… Il doit être malade.

Josiane – Depuis le temps qu’il joue son numéro de sécu… Ça serait dommage qu’il sorte quand il l’a validé sur une feuille de remboursement…

Robert s’est replongé dans Le Parisien. Il tourne une page de son journal et sursaute.

Robert – Dites donc, à propos de loto, vous avez vu ça ?

Josiane – Quoi ?

Robert – La super-cagnotte ! Le numéro a été joué ici !

Josiane – Sans blague ?

Robert (montrant le journal) – Tenez ! 75 millions !

Josiane – D’ancien francs ?

Robert – D’euros ! Vous vous rendez compte tout ce qu’on peut faire avec 75 millions d’euros ! (Josiane a visiblement du mal à l’imaginer) C’est forcément quelqu’un qu’on connaît…

Josiane – Il est peut-être célibataire…

Robert – Allez savoir… Des fois, il y a des gagnants qui préfèrent rester anonymes…

Robert se sert un calva.

Josiane – Oui, c’est comme les alcooliques…

Robert s’envoie son calva derrière la cravate, puis fait la grimace en se touchant le ventre.

Robert – Je ne sais pas ce que j’ai, moi, j’ai mal à l’estomac depuis quelque temps…

Josiane – C’est le stress, ça. Vous verrez, quand vous serez à la retraite, vous n’aurez plus mal au ventre.

Robert – C’est ça… Et quand je serai mort, je n’aurai plus mal nulle part…

Il refait un trait au crayon sur l’étiquette.

Josiane – Bon, ben je vais au Casino, moi.

Elle sort. Le portable oublié par Josiane sur le comptoir se met à sonner.

Robert – Elle a oublié son engin ! Et merde… (Après quelques tâtonnements, il parvient à prendre la communication) Allô ! Non, ce n’est pas Josiane, c’est Robert…! De la part de qui…? Jésus…! L’annonce ? Quelle annonce ? Ah, oui, Le Chasseur Français… Non, mais attendez que je vous explique ! Il n’est pas à moi, cet engin… Il a raccroché, ce con! (Il repose le téléphone sur le comptoir) De la part de Jésus… C’était quand même pas les Témoins de Jéhovah…?

Entrent deux croque-morts, en costume et lunettes noirs.

Robert – Tiens, voilà les Blues Brothers ! Comment ça va les affaires ?

Martial – Les traditions se perdent. Les gens sont en retard même aux enterrements. En attendant, on va boire un coup, vite fait… (Il jette un regard dehors par la vitre) Mais il faut que je garde un œil sur mon corbillard, moi.

Justin – Il ne s’agirait pas qu’on nous le vole, avec la marchandise et tout. On voit tellement de trucs, maintenant. Vous avez entendu parler de ces Belges qui passaient des cigarettes de contrebande planquées dans un fourgon mortuaire ?

Robert – Remarque, avec les nouvelles lois, maintenant… Vu les têtes de mort qu’on est obligé de mettre sur les paquets… Bientôt, les camionnettes de livraison de tabac ressembleront à des corbillards… (Un temps) Qu’est-ce que je vous sers ? (Goguenard) Un croque et une bière ?

Martial – Comme d’habitude. (Avec un sous-entendu) Eh, on ne change pas une équipe qui gagne…!

Robert se renfrogne, tout en lui servant un petit blanc.

Martial (insistant, ironique) – Tu as regardé la télé hier ?

Robert – Ouais, oh, ça va… (De mauvaise foi) Le deuxième, il n’y était pas…

Martial (scandalisé) – Comment ça, il n’y était pas ?

Robert – Hors jeu…

Martial (s’étouffant) – Hors jeu ?

Josiane revient, avec un grand sac en plastique marqué Casino, et se fait aussitôt prendre à partie.

Robert – Il n’était pas hors jeu, le deuxième ?

Josiane – Depuis que les arbitres ont le droit de faire de la pub… (Les croque-morts la regardent sans comprendre) Qu’est-ce qu’il avait de marqué sur son maillot, l’arbitre ?

Elle montre son sac en plastique.

Martial (lisant) – Casino…? Et alors ?

Josiane – Et qu’est-ce qu’il faut mettre sur la table pour jouer au casino ?

Robert (se figeant, illuminé) – Des pièces !

Robert retourne précipitamment à ses mots croisés, sous le regard éberlué des autres.

Justin – D’abord, c’était pas Casino, c’était Champion.

Josiane (avec un air entendu) – Ouais, oh…

Josiane sort vers la cuisine avec ses provisions.

Robert (comptant sur ses doigts) – Ah, ça ne fait que six lettres ! Et ça ne commence toujours pas par un t…

Martial cherche un moyen d’attirer l’attention du patron sur son verre vide.

Martial – Dis donc, elles sont pas mal tes chaussettes. Ils font les mêmes, pour hommes ?

Le patron hausse les épaules et remet une tournée aux croque-morts. Tandis qu’il sert Justin, celui-ci lui fait signe que ça suffit, alors que le verre déborde déjà.

Justin – Hop, hop, hop… Pas d’excès, hein ? Il y a assez de morts comme ça sur les routes.

Martial – Oh, nos clients, à nous, il ne peut plus rien leur arriver. (Il sirote son ballon) Encore que… Figure-toi que le mois dernier, on a incinéré Madame Pinard…

Robert – Qui ça…?

Martial – Madame Pinard ! Son mari tenait le magasin de farces et attrapes ! Elle est morte d’une crise cardiaque…

Robert – Ah, oui…

Martial – D’ailleurs, son mari ne sera pas resté veuf très longtemps…

Robert – Il s’est déjà remarié ?

Martial – Ah, tu n’es pas au courant non plus ? Cancer du pancréas. Il est parti quinze jours après. Et pourtant il était plus jeune que toi…

Robert – Il n’y a pas de justice…

Justin (soupirant, philosophe) – Et oui, c’est la vie…

Martial – Bref, le mari avait oublié de nous prévenir avant l’incinération que sa femme portait un pacemaker. En plein milieu de la cérémonie, boum ! La pile au lithium explose sous l’effet de la chaleur, dis donc… La porte du four a été projetée contre le mur !

Justin – Heureusement que personne n’était devant.

Martial – Je ne te raconte pas l’état de la famille. Sans parler de Madame Pinard, évidemment. Enfin, il n’y a pas eu de blessés, c’est le principal… Mais les dégâts sont importants, hein… Heureusement qu’on est assuré…

Justin – C’est qu’un appareil comme ça, c’est plus cher qu’un four à pizzas.

Robert – Eh ben… Vous faites un métier dangereux… (Un temps) Tiens, ça m’étonne qu’on ait pas encore vu Marcel…? C’est le jour de sa grille…

Martial – Marcel ? Il est garé juste en face, dans une belle voiture.

Robert (excité) – C’est lui qui a gagné le gros lot ?

Martial – Si on veut… Il est mort. Dans notre corbillard, c’est lui !

Robert – Sans blague ?

Justin – Cirrhose du foie.

Robert – Ça m’en fout un coup… Pauvre Marcel… Je l’ai vu il y a trois jours. Il a fait son loto, comme d’habitude… Et dire qu’il aurait pu gagner. (Fièrement) C’est moi qui ai vendu le billet gagnant !

Josiane ressort de sa cuisine.

Josiane – Eh, c’est peut-être lui…

Robert – Lui quoi ?

Josiane – Le gagnant ! Il ne s’est pas manifesté. Lui, il avait une bonne raison de ne pas se manifester…

Robert – Oh, ben c’est facile à vérifier, puisqu’il jouait son numéro de Sécurité Sociale… (Il cherche dans le journal les résultats du loto) 1 25 12 37 39 16 et le numéro complémentaire le 14… Oui mais c’était quoi, son numéro de sécu, à Marcel ?

Les autres affichent leur ignorance.

Josiane – Ça serait un sacré veinard !

Martial – Je préfère quand même être à ma place qu’à la sienne….

Robert – C’est surtout les héritiers qui seraient contents. Parce que sinon, le Marcel, il ne doit pas leur laisser grand chose.

Josiane – À part des bouteilles vides…

Justin – Qu’est-ce que tu ferais, toi, Robert, si tu gagnais au loto ?

Robert – Je te paierais une tournée… Malheureusement, je ne joue pas.

Josiane – Moi, si je gagnais le gros lot, je me paierais un voyage dans l’espace. (Les autres la regardent, interloqués) Vous n’avez pas lu, dans le journal ? Maintenant, les milliardaires peuvent faire un tour en fusée !

Justin – Ça me rappelle un truc que me disait toujours mon père : « Quand on mettra les cons en orbite, tu n’as pas fini de tourner ».

Martial – Allez, sers-nous un coup à boire pour arroser ça.

Robert – Pour arroser quoi ?

Martial fait signe que ça n’a pas d’importance. Robert le sert. Entre Blanche, un foulard sur la tête, jouant une sourde-muette vendant des statuettes. Elle dispose sa collection sur le comptoir. Les autres la regardent, ne sachant comment réagir. Blanche pose un papier sur le bar. Josiane se penche pour lire.

Robert – Qu’est-ce qu’elle dit ?

Josiane – Si on en achète six, le septième est gratuit…

Martial (considérant les statuettes) – Qu’est-ce que c’est ?

Justin – C’est pas les sept nains…?

Josiane – Il n’y en a que cinq !

Robert – Et puis c’est petit, pour des nains. Tu as intérêt à tondre ta pelouse toutes les semaines, sinon tu ne les retrouves plus…

Justin (compatissant) – Si on en prend deux chacun…

Robert – Qu’est-ce qu’on va foutre avec deux nains chacun ?

Josiane – Oui. Surtout qu’il n’y en a que cinq…

Robert (fort) – Non, merci, on a ce qu’il faut !

Josiane – Ce n’est pas la peine de gueuler comme ça, elle est sourde.

Blanche remballe sans insister, mais l’air pas contente.

Robert – Je ne gueule pas, j’articule. Pour qu’elle puisse lire sur mes lèvres…

Blanche s’en va. Avant de franchir la porte, elle se retourne.

Blanche – Bandes de nains !

Elle sort. Les autres se regardent, interloqués.

Martial – On dirait qu’elle a retrouvé la parole…

Robert – Et dire qu’on a failli se laisser apitoyer.

Josiane (rêveuse) – Ça me rappelle une histoire…

Robert – Blanche-Neige ?

Josiane – Non, c’est dans un bouquin que je viens de lire.

Elle sort un livre genre Harlequin et le pose sur le comptoir.

Josiane – Ça s’appelle « Une Femme est une Femme ». Ça se passe en Floride. C’est l’histoire d’une jeune milliardaire américaine sourde et muette qui tombe amoureuse d’un séminariste français en mission à Miami… Elle est emmerdée parce qu’elle ne sait pas comment lui avouer son amour…

Robert – Parce qu’il est séminariste ?

Josiane – Oui… Et surtout parce qu’elle est muette. Lui de son côté, il est amoureux aussi mais il ne sait pas comment lui faire comprendre…

Justin – Il est timide…

Josiane – Oui… Et en plus elle est sourde.

Robert – Elle ne pouvait pas lire sur ses lèvres…?

Josiane – Si… Le problème c’est qu’il ne parle que français, et elle, ben elle ne comprend que l’anglais, puisqu’elle est américaine…

Martial (un peu perdu) – Ah ouais, d’accord…

Josiane – En secret, il apprend le langage des signes…

Robert – Et l’anglais…

Josiane – Le jour de la Saint-Valentin, il l’invite au restaurant et lui déclare sa flamme !

Martial (scotché) – Et alors ?

Josiane – Sous le coup de l’émotion, elle retrouve la parole et l’ouïe.

Justin – Louis ?

Robert – Alors il avait appris le langage des signes pour rien…

Josiane – Non ! Parce qu’ensemble, ils décident d’ouvrir une école pour sourds-muets…

Justin (inquiet) – Ils se marient, quand même ?

Josiane – Evidemment.

Robert – Je croyais qu’il était séminariste…?

Josiane – À la fin, il décide de se convertir au protestantisme pour l’épouser…

Silence, le temps de digérer toute la portée symbolique de cette histoire.

Josiane – Bon ben c’est pas tout ça, mais il faut que j’aille faire ma cuisine, moi…

Robert – C’est ça, allez-y.

Josiane sort. Les croque-morts sirotent leurs verres en silence. Robert se replonge dans Le Parisien.

Robert (lisant) – La cigarette tue aussi les non-fumeurs… Oh ben autant fumer, alors…

Martial – À propos de macchabées, tu sais ce que m’a demandé ma fille, ce matin, pendant que je l’emmenais à la maternelle avec mon corbillard?

Robert – Tu emmènes ta fille à l’école en corbillard?

Martial – Ben, quoi? C’est une voiture de fonction. Ça ou La Maison du Surgelé… (S’énervant) Bon, tu sais ce qu’elle m’a demandé ?

Robert – Non.

Martial – Où est-ce qu’on va quand on est mort…?

Robert – Et qu’est-ce que tu lui as répondu ?

Martial – À ton avis ?

Robert – Je ne sais pas.

Martial – Oui. C’est exactement ce que je lui ai répondu.

Robert – Et alors ?

Martial – Elle m’a dit : Mais papa, quand on est mort, on va au cimetière !

Robert – Forcément, elle devait être surprise qu’avec le métier que tu fais tu ne sois pas encore au courant…

Justin – Où est-ce qu’on va quand on est mort… On ne sait déjà pas où on va quand on est vivant…

Robert les ressert, vidant la dernière goutte de la bouteille dans le verre de Martial.

Robert – Marié dans l’année… Je vais chercher une caisse de blanc en bas. Avec tout ce que vous me sifflez.

Justin (jetant un regard au Parisien) – Violée par son beau-père le jour de son mariage, elle se jette sous le train qui devait l’emmener en voyage de noces et provoque un terrible déraillement…

Martial – On dirait que les affaires reprennent…

Robert descend à la cave par la trappe derrière le bar. Josiane revient passer un coup d’éponge sur le comptoir.

Martial (à Josiane) – Et le fiston, comment ça va ?

Josiane – Ça va. Il est en stage pour trois mois. Par son école de commerce.

Martial – Ah bon ? Où ça ?

Josiane – Chez Burger King… À Cap Canaveral.

Martial – À Cap Canaveral ! Et qu’est-ce qu’il fait là-bas ? Il s’occupe du marketing ?

Josiane – Non, il est à la vente. La philosophie américaine, dans les affaires, c’est qu’il faut commencer à la base.

Martial (interloqué) – Chez Burger King…

Josiane – À Cap Canaveral ! Ils ne prennent pas n’importe qui…Pensez donc ! Pour servir des hamburgers aux cosmonautes…

Josiane n’a pas le temps de répondre.

Robert – Oh, nom de Dieu !

Robert remonte.

Robert – J’ai un mètre d’eau dans ma cave !

Justin (horrifié) – De l’eau…!

Robert – Il faut que je ferme le compteur.

Il va fermer le compteur.

Josiane – Ben oui, mais comment je vais faire ma vaisselle moi, maintenant…

Robert – En tout cas, pour le blanc, vous repasserez…

Justin – Peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. Allez, sers-moi une petite côte… dans un grand verre.

Robert regarde Martial pour lui demander ce qu’il veut.

Martial – Pareil, une côtelette…

Robert – Tiens, moi aussi je vais me descendre une petite côte, ça va me remonter. (Robert remplit les verres en soupirant) Ça doit être une canalisation qui a pété. C’est la Bérézina, là-dessous. Il n’y a que les cadavres de bouteilles qui flottent à la surface.

Justin – Il aurait mieux valu que ce soit les pleines…

Josiane – Mais pourquoi vous stockez toutes ces bouteilles vides, aussi ? Ce n’est plus consigné…

 

Justin – Quand j’étais gosse, on allait les porter à l’épicerie pour se faire un peu d’argent de poche et acheter des cigarettes. La vieille les empilait au fond de sa cour. Mais comme son mur donnait sur notre jardin, on récupérait les bouteilles avec un escabeau et on retournait les vendre à la boutique. Elle était sympa, mais c’était plus fort que nous. Fallait qu’on lui fasse des vacheries… On dit toujours que les enfants, c’est des anges. Ce n’est pas vrai. Il n’y a rien de plus cruel qu’un gosse…

Josiane – Bon ben ce n’est pas tout ça, mais comment je vais faire ma cuisine, moi ? Sans eau…

Robert – Ça va, ça va, j’appelle le plombier.

Robert cherche dans un bottin. Martial ouvre Le Parisien.

Robert (lisant le bottin) – Da Silva, Dos Santos, Da Costa… Ah ben on a le choix, au moins…

Justin (lisant le journal) – Les Français font l’amour une fois tous les trois jours… C’est dingue…

Robert (composant le numéro) – Alors, 01…

Josiane – Alors ? Il vient quand votre plombier ?

Robert – Je n’en sais rien. Ça ne répond pas…

Josiane – Bon, j’en profite pour aller au boulanger, moi…

Justin – Vous saviez que les Français faisaient l’amour une fois tous les trois jours ?

Josiane (ironique) – Et les Françaises ?

Justin (regardant le journal) – Ce n’est pas marqué.

Robert – Merde ! Je vais essayer son portable…

Josiane – Tous les trois jours ! Dans leurs rêves, peut-être…

Josiane part chez le boulanger.

Robert (composant le numéro) – 06…

Justin – C’est une moyenne…

Robert – Vu la date à laquelle ça t’est arrivé pour la dernière fois, il faut vraiment que les autres en mettent un coup. (Son interlocuteur décroche enfin) Ah, ce n’est pas trop tôt… Allô ! Je vous entends très mal… Vous êtes en voiture, c’est ça… Bon ben vous avez quand même cinq minutes ! C’est pour une fuite, dans une cave… Oui, le Café des Sports… Non, pas en face du stade ! En face du cimetière… Vous voyez…? Non, en face ! (Plus fort) En face ! Allô…! Allô…!

Juste à ce moment-là, on entend un crissement de pneus suivi d’un bruit de ferraille. Les croque-morts regardent dehors.

Martial – Oh, nom de Dieu !

Robert (raccrochant le téléphone) – Et merde, on a été coupés…

Justin – C’est la première fois que je vois un cercueil voler…

Les croque-morts sortent en catastrophe. Robert va regarder par la vitre du café.

Robert – Ouh, là… Il t’a pris le corbillard de plein fouet, dis donc. Pauvre Marcel… Heureusement qu’il était déjà mort…

Jésus entre, en bleu de travail, tenant Blanche par le bras. La vieille n’a plus de foulard sur la tête, et Robert ne la reconnaît pas.

Blanche – Vous ne pouviez pas faire attention, non ?

Jésus – Vous vous êtes jetée sous mes roues ! (À Robert) Vous êtes témoins ? Elle a traversé comme une folle.

Robert fait mine qu’il n’a rien vu et qu’il ne veut pas être mêlé à ça.

Blanche – Il m’écrase, et en plus il me traite de folle!

Robert – Elle n’a qu’à s’asseoir cinq minutes.

Jésus – Vous pourriez peut-être lui donner un petit remontant ?

Robert s’exécute. Il ramène un petit verre de calva à Blanche, qui le vide d’un trait.

Blanche – C’est de la flotte, votre truc !

Comprenant le message, Robert remplit à nouveau le verre et lui tend. Elle le vide à nouveau d’un trait. La vieille retend son verre.

Blanche – Je me sens encore un peu faible…

Robert refuse d’obtempérer.

Robert – Ah, non, ça suffit !

Jésus – Elle n’a rien. Je ne l’ai même pas touchée. Ma bagnole, en revanche…

Blanche – J’ai failli mourir et il s’inquiète pour son tas de ferraille…

Jésus – Ouais, ben, avant d’être un tas de ferraille, c’était une camionnette toute neuve… (À Robert) Et pour le constat, ça ne va pas être simple. Vous savez où ils sont les croque-morts…

Robert se préoccupe de la vieille.

Robert – Alors comment ça va, mémé?

Blanche (offusquée) – Je ne m’appelle pas mémé…

Robert – Il faudrait prévenir quelqu’un de la famille, qu’il vienne la chercher. (À Blanche) Vous voulez qu’on appelle vos enfants?

Blanche (le regardant) – Des enfants ? Ça je ne suis pas bien sûre que j’en ai.

Robert – Vous n’êtes pas sûre ?

Blanche – Si j’en ai eu, je ne sais plus ce que j’en ai fait.

Robert – Comment que c’est votre nom ?

Blanche – Qu’est ce que ça peut vous faire ? Vous êtes de la police ?

Robert – Vous êtes mariée ?

Blanche – Evidemment, puisque j’allais retrouver mon mari au cimetière quand ce chauffard m’a écrasée.

Robert – Et il est où, votre mari ?

Blanche – Ben, il est mort !

Robert – Dans l’accident ?

Blanche – Mais non, pas dans l’accident !

Jésus – Puisqu’elle n’a rien, je vais peut-être y aller…

Robert – Attendez, c’est vous qui l’avez amenée ici après l’avoir écrasée, vous n’allez pas partir comme ça. Ou alors, vous l’emmenez avec vous. J’ai déjà une fuite à la cave, moi. Ce n’est pas les Restos du cœur ici !

Jésus – Bon, mais qu’est-ce qu’on fait, là ?

Robert (à Blanche) – Qu’est-ce qu’il y a de marqué, sur la tombe de votre mari ?

Blanche – Oh ben alors là… « Repose en paix », je crois.

Robert – Mais non, qu’est-ce qu’il y a de marqué comme nom ? (Blanche fait un signe d’ignorance) Ça doit être le choc… On va attendre un peu, ça va sûrement lui revenir… (À Blanche) Réfléchissez bien. Ça commence par quelle lettre, votre nom ?

Blanche – Le vôtre, ça commencerait pas par un c, en trois lettres.

Robert – Elle commence à me faire chier.

Jésus – Elle a l’air un peu… désorientée. Elle s’est peut-être échappée d’un établissement spécialisé…

Blanche fait une grimace pour simuler la folie. Regards consternés des deux autres.

Robert (à Jésus) – Qu’est-ce que vous en pensez, vous ?

Jésus – Elle ne serait pas un peu bourrée, plutôt ?

Robert – Bourrée ?

Jésus – Vous lui avez quand même filé deux calvas…

Robert – Ça y est, c’est de ma faute maintenant ! (Soupçonneux) D’ailleurs habituellement, ce n’est pas les victimes, qu’on fait souffler dans le ballon… Vous voulez que j’appelle la police, pour le constat ?

Jésus – Oh, ce n’est peut-être pas la peine de les déranger… On n’a qu’à la laisser se remettre un peu. Moi, je vais voir si ma camionnette veut bien redémarrer, sinon il faudra que j’appelle une dépanneuse…

Jésus sort. Les croque-morts reviennent avec le cercueil sur l’épaule.

Robert – Qu’est-ce que vous faites…?

Martial – Pauvre Marcel, on n’allait pas le laisser dans sa boîte au milieu de la route…

Blanche se tourne vers le cercueil.

Blanche (intriguée) – Marcel…?

Les croque-morts posent le cercueil sur le bar. Martial aperçoit sur le comptoir le portable oublié par Josiane.

Martial (prenant le portable, à Robert) – Tu permets que je passe un coup de fil au dépôt ?

Robert – Vas-y, c’est le portable de Josiane…

Martial compose un numéro.

Martial – Ah ! Ça ne répond pas. (Reposant le téléphone sur le comptoir) Ils sont déjà partis bouffer, la vache !

Martial – Il faut pourtant qu’on fasse ça quelque part, hein ? C’est que le costume en sapin en a pris un coup. Il faut qu’on le remette à neuf.

Justin – C’est dans le contrat…

Robert – Ici ?

Martial – Ben, ça éviterait de reporter la cérémonie. La famille est chez le fleuriste… On en a pour un quart d’heure, au maximum… Le temps d’aller chercher un nouveau couvercle. Je suis sûr qu’il aurait été content de passer un dernier moment ici avec vous… Où est-ce qu’on peut le mettre pour qu’il ne soit pas dans le passage…?

Robert – La cave est inondée, alors à part la cuisine, je ne vois pas…

Prenant ça pour une proposition, les croque-morts emmènent le cercueil dans la cuisine. Robert les regarde faire interloqué.

Blanche – Ça ne serait pas mon mari, ça ?

Les croque-morts disparaissent dans la cuisine suivis par Robert, l’air accablé. Blanche s’apprête à leur emboîter le pas quand elle est retenue par la sonnerie du portable de Josiane. Elle prend la communication.

Blanche – Allô oui…? Si vous pouvez m’appeler Josiane…? Ben… Oui, si ça vous fait plaisir… Euh, non, plutôt veuve… Justement, je m’apprêtais à enterrer mon mari, là. Il est dans la cuisine. (Minaudant) Mon âge…? Disons plus près de quatre-vingts que de vingt… Vous n’avez rien contre les vieux…? (Le sourire de Blanche se fige) Il a raccroché, le malotru !

Blanche continue son chemin vers la cuisine avec le portable. Les croque-morts et Robert reviennent sans le cercueil et sans Blanche. Nathalie et Charlotte arrivent, affolées, avec une couronne (portant la mention «Mort pour la France»).

Nathalie – Mais qu’est-ce qui est arrivé à papa ?

Martial – Il a eu… un petit accident de la route.

Charlotte – Je croyais que c’était une cirrhose…

Martial – Je vais vous expliquer. Vous allez voir, tout va s’arranger…

Les croque-morts entraînent Nathalie dehors en lui parlant à voix basse. Antoine revient, cherchant Charlotte, qui suit sa mère. Il cherche à la retenir.

Antoine – Tu en as déjà parlé à ta mère…?

Charlotte – J’essaie d’enterrer mon grand-père, là. Je me demande si c’est vraiment le moment pour annoncer à ma mère que je suis enceinte de son ex.

Robert – Eh oui… Les uns s’en vont, les autres arrivent. C’est le grand cycle de la vie…

Antoine – Vous auriez dû faire prof de philo, vous…

Robert – Oh, vous savez, moi, j’ai arrêté mes études juste après le bac. (Il se marre) Le bac à sable !

Antoine se tourne à nouveau vers Charlotte.

Antoine – Mais je ne sais pas… C’est arrivé comment ?

Charlotte – Tu n’as pas une petite idée…?

Antoine – Excuse-moi, je…

Antoine a l’air complètement anéanti. Charlotte est partagée entre la consternation et la pitié.

Charlotte – Ne te fatigue pas, c’était une blague.

Antoine – Une blague ?

Charlotte – Le test ! J’en ai fait un, oui, mais il est négatif…

Antoine sort le test de sa poche et le regarde, perplexe. Robert se penche aussi et confirme.

Robert – Ah ouais… (Expliquant à Antoine) Vous voyez, c’est là qu’il devrait y avoir un…

Antoine l’interrompt en le foudroyant du regard.

Charlotte – Il serait temps que tu grandisses un peu, Antoine…

Charlotte s’en va.

Antoine – Je crois que je vais reprendre un autre calva… (Robert le sert et il vide son verre d’un trait) Il a un goût de flotte, votre calva…

Antoine se dirige vers les toilettes et croise Blanche qui ressort de la cuisine avec un air de conspiratrice. Robert lui lance un regard suspicieux.

Blanche (pour elle) – Je n’avais pas un téléphone dans la main, tout à l’heure…?

Retour de Jésus.

Jésus – On ne va jamais réussir à le signer, ce constat ! Où est-ce qu’ils sont repartis, encore… C’est que j’ai une chaudière à installer, moi…

Robert écarquille les yeux.

Robert – Vous êtes plombier ?

Jésus – Ben, oui…

Robert – Vous vous appelez comment ?

Jésus – Jésus…

Robert – Mais alors vous êtes celui que j’attendais ! (Lui montrant la trappe) C’est par en bas…

Jésus (pas très motivé) – Qu’est-ce qu’on a ?

Robert – Une canalisation qui a pété. Une véritable hémorragie…

Le plombier s’approche, pose un trousseau de clefs sur le comptoir et descend quelques marches.

Jésus – Oh, nom de Dieu !

Robert – Vous allez quand même pouvoir opérer ? Je ne sais pas, il faudrait au moins faire un garrot.

Jésus (remontant) – Je suis plombier, pas homme-grenouille…

Robert – Ben qu’est-ce je fais alors ?

Jésus – Vous pouvez appeler les pompiers… Ou alors attendre que ça s’évapore.

Robert – C’est que je n’ai plus d’eau, moi !

Jésus (ironique) – Vous en avez plein votre cave… (Voyant que Robert n’est pas d’humeur à plaisanter) Je vais couper l’alimentation du bas, comme ça vous pourrez rouvrir le compteur.

Le plombier se met au travail derrière le bar.

Robert – Il faut toujours que ça tombe sur moi…

Jésus – Oh, ce n’est pas ça, c’est que quand il y a une fuite d’eau chez les autres, ça vous dérange moins, c’est tout.

Antoine ressort des toilettes.

Antoine – Il y a un cadavre sur la table de la cuisine, c’est normal ?

Robert – Ne vous inquiétez pas, c’est juste pour dépanner…

Le plombier se relève et revient devant le bar.

Robert – Vous avez déjà fini ?

Jésus – Oui, oui. Vous pouvez vous servir du robinet. Vous me rappellerez quand il n’y aura plus d’eau dans la cave pour la réparation.

Robert – Bon, combien je vous dois ?

Jésus – 100 euros.

Robert (estomaqué) – 100 euros pour 5 minutes de boulot !

Jésus – C’est forfaitaire. Vous voulez voir la grille des tarifs ?

Robert – C’est avant que j’aurais aimé la voir… (Robert sort de sa caisse des billets et les tend au plombier à contrecœur) Et dire qu’un médecin vous prend que 20 euros pour une visite à domicile…

Jésus (empochant les billets) – Ben la prochaine fois que vous aurez une fuite, appelez SOS Médecins. (Un temps) Vous avez quelque chose à manger…?

Robert – La cuisine est en dérangement… On n’a que de la viande froide…

Jésus (s’en allant) – Bon ben, il faut vraiment que j’y aille, là. Je vous laisse ma carte, pour le constat.

Le plombier qui sort croise Josiane qui revient avec des pains sous le bras.

Josiane (soulagée) – Ça y est, il a réparé la fuite ?

Robert – En tout cas, on a de l’eau.

Josiane – Ah ben c’est pas trop tôt… Je ne suis pas en avance, moi, avec tout ça.

Josiane disparaît dans la cuisine. L’instant d’après, on l’entend pousser un cri strident.

Robert – J’ai oublié de la prévenir, pour Marcel…

Blanche (intriguée) – Marcel…?

Robert va dans la cuisine. Il en ressort en tenant Josiane par le bras.

Robert – Il a dit un quart d’heure. Il devrait pas tarder à arriver. Vous n’avez qu’à vous asseoir en attendant…

Robert, revenant au bar, voit que le plombier a oublié son trousseau de clefs sur le comptoir.

Robert (jubilant) – Il a oublié ses clefs, le salopard !

Josiane (ailleurs) – Qui ça ?

Robert – Le plombier ! Ben il peut toujours appeler un serrurier, le fumier.

Josiane – Je me demande ce qu’il a pu en faire…

Robert – Je viens de vous dire qu’il les avait oubliées ! Sur le comptoir !

Josiane – Non, Marcel ! Qu’est-ce qu’il en a fait de son ticket de loto…?

Robert – Vous vous rendez compte ? La super-cagnotte…

Josiane – Il l’a peut-être encore sur lui…

Ils regardent tous les deux vers la cuisine. Blanche aussi. Silence. Le plombier revient, l’air préoccupé.

Jésus – Je suis emmerdé, je ne sais pas ce que j’ai fait de mes clefs. Vous ne les auriez pas trouvées, par hasard ?

Robert – Ah, je ne sais pas… C’était quoi comme clefs ?

Jésus – Ben, c’était les clefs de ma voiture, de chez moi, de mon coffre…

Robert (perfide) – Vous voulez que je vous appelle un serrurier ? Il vous fera un forfait…

Jésus (profil bas) – On va peut-être les retrouver…

Robert se retourne et prend les clefs sur une étagère.

Robert (montrant les clefs) – Ça ne serait pas celles-là, par hasard.

Jésus – Si !

Robert fait mine de laisser tomber «accidentellement» le trousseau de clefs dans la cave pleine d’eau.

Robert – Mince ! Elles sont tombées dans la cave ! (Tête déconfite du plombier) Ah… C’est qu’il y a toujours un mètre d’eau là-dedans, il va falloir attendre que ça parte tout seul…

Jésus – Il doit y avoir moyen d’arranger ça. J’ai une pompe dans la camionnette.

Robert – Ah ben voila ! Vous voyez, entre gens de bonne volonté… En tout cas maintenant, vos clefs, vous savez où elles sont ! (Le plombier s’apprête à sortir) Euh, c’est inclus dans le forfait, bien sûr ?

L’autre acquiesce d’un signe de tête et sort. Robert brandit les clefs qu’il a en réalité gardées dans la main.

Robert (jubilant) – Hé, hé…

Blanche va fureter du côté de la cuisine. Robert le remarque.

Robert (sèchement) – Vous cherchez quelque chose ?

Blanche – Je vais prendre un Banco…

Robert attend l’argent avant de donner le Banco.

Robert – Ça fait un euro.

Blanche fait mine de chercher dans ses poches. Les regards d’Antoine et de Blanche se croisent. Antoine reste impassible, mais le visage de Blanche s’illumine.

Blanche – Ce n’est pas vrai ! Tu me reconnais ?

Antoine – Non…

Blanche – Mais si !

Antoine – Ah, oui, peut-être…

Blanche – Qu’est-ce que tu fais là ?

Antoine – Ben, rien…

Blanche – En tout cas, tu n’as pas changé, hein ?

Antoine – Merci…

Blanche – Tu es revenu il y a longtemps ?

Antoine – D’où ?

Blanche – Ben, de là-bas !

Antoine – Ah, euh… Oui. Enfin, non.

Robert s’impatiente, avec son Banco à la main.

Robert – Bon, alors ? Vous le prenez, ce Banco, oui ou merde ?

BlancheAntoine) – Tu ne pourrais pas me dépanner d’un euro. Je ne sais pas ce que j’ai fait de mon porte-monnaie.

Antoine pose une pièce sur le comptoir. Robert la prend et donne le Banco à Blanche.

Blanche – Bon ben… Merci, mon petit Paul !

Antoine – De rien.

Elle s’éloigne en lui faisant des petits signes.

Antoine (interloqué) – Paul ?

Josiane farfouille sur le comptoir.

Robert – Vous avez perdu quelque chose, vous aussi ?

Josiane – Mon téléphone… Vous ne l’auriez pas vu, par hasard ?

Robert – Il était sur le bar il y a cinq minutes ! Où est-ce qu’il est encore passé, cet engin…?

Il cherche aussi. Blanche profite de cette diversion pour se diriger en catimini vers la cuisine.

Robert Josiane) – Ah, au fait, quelqu’un vous a appelée, tout à l’heure…

Josiane (horrifiée) – Et vous avez répondu ?

Robert – Ben oui…

Josiane – Et alors…?

Robert – C’était un certain… Moïse ou Joseph.

Josiane – Jésus ?

Robert – Ah, oui, c’est ça !

Josiane – Et qu’est-ce qu’il a dit ?

Robert – Ben… Il avait l’air assez surpris de tomber sur moi forcément. Et… il a dit que finalement, il ne pourrait pas venir au rendez-vous.

Josiane, furieuse, retourne à la lecture de son roman.

Robert (soupirant) – Rendez service aux gens…

Nathalie et Charlotte reviennent, avec leur couronne Mort pour la France. Antoine, embarrassé, tente sans succès d’attirer l’attention de Charlotte, qui feint de l’ignorer.

Nathalie – C’est vraiment incroyable… Même les morts ont des accidents, maintenant… Je parie qu’il était encore en train de téléphoner…

Charlotte – Pépé ?

Nathalie lance à sa fille un regard exaspéré.

Nathalie – Le plombier ! Celui qui a embouti le corbillard !

Elles vont s’asseoir. Charlotte regarde la couronne.

Charlotte – Mort Pour La France… Ce n’est pas un peu excessif…?

Nathalie – C’est tout ce qui restait. On a encore eu de la chance (Soupirant) En tout cas, je te préviens, si je meurs avant toi, je veux être enterrée avec mon portable.

Charlotte (estomaquée) – Pardon ?

Nathalie – Au cas où je ne serais pas vraiment morte ! C’est ma hantise, ça. De me faire enterrer vivante. Pas toi ?

Charlotte – Ça ne doit pas arriver très souvent.

Nathalie – Il suffit d’une fois…

Nathalie remarque la présence d’Antoine tandis qu’il tente de sortir discrètement en faisant signe à Charlotte de lui téléphoner.

Nathalie – Dis donc, Antoine, toi qui es prof de philo. Tu crois vraiment qu’il y a une vie avant la mort ?

Antoine – Tu veux dire après…? Est-ce que c’est vraiment à souhaiter…? Comme dit un des personnages de mon dernier roman « On a beau être sourd et muet, une fois mort, ce sera peut-être encore pire… ».

Alertée par cette dernière réplique, Josiane regarde Antoine, avec des yeux ronds.

Josiane (émerveillée) – Mais c’est une réplique de Une femme est une femme, ça ! C’est ce que crie Michael à Samantha au moment où elle s’apprête à se jeter du haut de la falaise ! Barbara Shetland, c’est vous !

Stupéfaction de Nathalie et de Charlotte.

Antoine (embarrassé) – Euh, parfois, oui… Mais… je préférerais que ça ne s’ébruite pas trop.

Josiane – J’ai dévoré votre bouquin en une nuit. Comme tous les autres, d’ailleurs… J’étais en train de le relire, justement. Vous pourriez me le dédicacer ?

Antoine (s’exécutant, flatté malgré tout) – Oui, bien sûr…

Josiane (aux anges) – Merci ! Vos romans devraient être remboursés par la Sécurité Sociale ! On consommerait sûrement moins d’antidépresseurs…

Antoine – J’essaie seulement d’apporter aux femmes la part de romantisme qu’elles ne trouvent pas toujours dans leur vie quotidienne…

Robert jette un œil à la couverture, plutôt chaude.

Robert – Ah oui, en effet…

Antoine – J’ai d’abord essayé d’écrire des tragédies, mais… Hélas, le théâtre ne fait pas partie de la nouvelle économie. Il ne faisait déjà pas partie de l’ancienne…

Josiane – Vos pièces ont été jouées ?

Antoine – Oui… A la Salle des Fêtes de Saint-Léonard-des-Bois… C’est dans la Sarthe…

Josiane – Votre dernier bouquin se passe à Miami. On est loin de la Sarthe…

Antoine – Aucune de mes lectrices n’est jamais allée en Floride. Moi non plus d’ailleurs. On peut fantasmer un peu. Tandis que la Sarthe…

Robert – Oui, à part les rillettes…

Antoine (à Robert) – Je ne vous propose pas un exemplaire…

Robert – Vu l’effet que ça produit sur vos lectrices, je commence à être tenté. Après tout, comme vous le dites si justement, « Une femme est une femme »…

Antoine s’apprête à sortir discrètement, embarrassé.

Antoine – Bon ben… Il va falloir que je file. Mes élèves m’attendent…

Charlotte l’interpelle alors qu’il passe la porte.

Charlotte – Au revoir… Barbara…

Antoine sort, décomposé. Robert retourne à ses mots croisés. Blanche revient discrètement de la cuisine.

Robert (dubitatif) – Il faut des pièces pour y jouer… Ça commence par un t… Alors là…

Blanche – Théâtre !

Robert (agacé) – Je ne vous ai rien demandé, à vous !

Blanche – Il faut des pièces pour y jouer… Au théâtre. Ça commence par un t.

Robert vérifie sur son journal. Nathalie et Charlotte découvrent Blanche, interloquées.

Robert – Et ça fait sept lettres !

Blanche – Comme les sept nains…

Robert – Et comme les sept numéros du loto !

Robert complète sa grille.

Nathalie (s’approchant de Blanche) – Eh ben alors, maman, qu’est-ce que tu fais là ?

Blanche – Ben je viens à l’enterrement, tiens ! (À Robert) C’est qui celle-là ?

Robert (à Nathalie) – C’est votre mère ? On ne savait plus quoi en faire… (À voix basse) Elle a une case en moins, non ?

Nathalie – Disons qu’elle a la mémoire sélective… Elle connaît le numéro de sécurité sociale de son mari par cœur…

Blanche – 1 25 12 37 039 016 et la clef de 14…

Nathalie (poursuivant) – Mais la plupart du temps elle ne se souvient pas qu’elle a un mari. En l’occurrence, ce n’est pas plus mal, il est mort…

Robert, intrigué, ressort le journal.

Robert (à Blanche) – Comment que c’est, le numéro de sécu de votre mari ?

Blanche – 1 25 12 37 039 016.

Robert (sidéré) – Et le numéro complémentaire le 14… (Robert montre les résultats du loto, excité) Il a gagné !

Nathalie considère Robert avec un air inquiet, commençant à se demander si la folie de Blanche ne serait pas contagieuse. Robert considère à nouveau les résultats du loto.

Robert (secouant la tête, incrédule) – Sacré Marcel !

Les croque-morts reviennent avec un couvercle de cercueil neuf.

Martial – Voilà, on va arranger ça tout de suite.

Robert interpelle Martial et Justin.

Robert – Euh… Je peux vous dire un mot avant que vous ne refermiez la boîte…

Il les prend à part et leur parle à voix basse.

Martial – C’est un peu embarrassant…

Justin – C’est qu’on n’est pas supposé leur faire les poches…

Robert – Il faudrait demander son avis à la famille. C’est quand même le gros lot…

Nathalie remarque le conciliabule.

Nathalie (inquiète) – Qu’est-ce qui se passe, encore…?

Moment de flottement.

Martial – C’est un peu délicat…

Charlotte – Je crois que pour la délicatesse, là…

Martial lui explique quelque chose à voix basse.

Nathalie – Non, on n’a rien trouvé…

Martial continue ses explications. Nathalie et Charlotte se regardent.

Charlotte – Ce n’est pas vrai !

Nathalie (excitée) – La super-cagnotte ?

Martial – Dans les 75 millions… Ça ne coûte rien de vérifier tout de suite.

Justin – Après, ce sera plus compliqué…

Nathalie et Charlotte acquiescent d’un signe de tête. Les croque-morts se dirigent vers la cuisine. Nathalie et Charlotte attendent, pleines d’espoir…

Charlotte – Tu savais que Pépé jouait au loto…?

Nathalie – Non… C’est complètement dingue, cette histoire !

Les croque-morts reviennent en portant le cercueil.

Nathalie (très excitée) – Alors ?

Regard réprobateur de Charlotte, qui lui montre le cercueil pour la ramener à plus de décence.

Nathalie (avec une tête davantage de circonstance) – Alors…?

Les croque-morts posent le cercueil sur le comptoir avec un air cérémonieux.

Nathalie – Vous avez bien cherché ? (À la façon d’un magicien, Martial fait apparaître un ticket, et Nathalie s’en empare) Le gros lot ? (À Robert) Je n’ai jamais joué au loto. Qu’est-ce qu’il faut faire pour toucher l’argent ?

Robert – Pour une somme pareille, il faut aller au siège. Vous pensez bien que je n’ai pas ça en caisse… Je peux le voir ? C’est moi qui lui ai vendu…

Nathalie lui confie le ticket comme si elle lui passait le Saint-Sacrement.

Nathalie – Sacré Papa ! Dire qu’on a failli refuser l’héritage…

Robert regarde le ticket, et son sourire se fige.

Robert – Nom de Dieu !

Nathalie (inquiète) – Qu’est-ce qu’il y a ?

Robert – Mais ce n’est pas un billet de loto !

Nathalie – Pardon ?

Robert – C’est un Banco !

Charlotte – Et alors ?

Robert gratte le billet. Tous attendent le verdict.

Robert (enthousiaste) – C’est un billet gagnant !

Nathalie – Combien ?

Robert (regardant à nouveau le billet) – Un euro… Vous pouvez toujours en reprendre un autre…

Nathalie est effondrée.

Nathalie – C’était trop beau… Ça m’étonnait aussi…

Charlotte – Oui, je ne voyais pas tellement Pépé dans la peau d’un gagnant…

Robert – Mais alors il est où, son billet de loto ? Je lui en ai vendu un, moi !

Josiane – Vous croyez qu’on aurait pu lui voler ?

Robert – Détrousser un cadavre… Je ne vois pas qui pourrait faire une chose pareille.

Les regards se tournent d’abord vers les croque-morts, qui prennent un air indigné. Tous les regards se tournent ensuite vers Blanche, qui prend un air innocent.

Robert – Qu’est-ce que vous avez dans la main…? (Robert tente de lui faire lâcher prise) Elle ne veut pas le lâcher, la vache…

Robert parvient à lui arracher le ticket.

Nathalie – Alors ?

Robert regarde le ticket.

Robert – Ah, cette fois, c’est bien un ticket de loto ! (Son sourire se fige) Nom de Dieu !

Nathalie (inquiète) – Qu’est-ce qu’il y a encore ?

Robert – Ce n’est pas son numéro de sécurité sociale!

Nathalie (ne comprenant pas) – Pardon ?

Robert – Le con, il n’avait pas joué son numéro de sécu ce jour-là !

Charlotte – Et alors ?

Robert – Ben, ce n’est pas lui le gagnant…

Nathalie est à nouveau effondrée.

Charlotte – Bon, je crois qu’il serait temps de conclure…

Josiane – Qu’est-ce qu’il avait joué comme numéro, alors ?

Robert (regardant le ticket) – Ça ressemble à un numéro de téléphone…

Josiane s’approche, prend le ticket et l’examine.

Josiane – Mais c’est le mien ! Il a dû tomber dessus dans Le Chasseur Français… (À Robert) Au fait, mon portable ? Vous l’avez retrouvé ?

Robert – Je n’ai pas eu vraiment le temps de chercher, là (Désignant le téléphone fixe du bar). Vous n’avez qu’à appeler votre numéro, comme ça on va le retrouver…

Josiane, gardant le ticket de loto sous les yeux, compose son numéro. On entend une sonnerie provenant de l’intérieur du cercueil. Ils regardent tous le cercueil.

Robert – Mais qui est-ce qui a été fourrer ça là-dedans…?

Josiane raccroche et la sonnerie s’arrête.

Josiane – Ben oui, mais comment je vais récupérer mon téléphone, moi, maintenant ? C’est que j’attends des coups de fil importants…

Le téléphone se remet à sonner. Tout le monde regarde Josiane avec un air réprobateur.

Josiane – Ah, non ! Cette fois ce n’est pas moi !

Robert – Elle a passé une annonce dans Le Chasseur Français. Ça n’a pas fini de sonner, là-dessous…

Martial – Si j’avais su qu’il y aurait un tel va-et-vient, je t’y aurais mis une porte-saloon à ce cercueil. Vous êtes sûrs que vous n’avez rien oublié d’autre, là dedans ?

Le téléphone continue à sonner.

Nathalie – Il faut pourtant bien faire quelque chose !

Justin – L’incinération c’est propre, et il n’y a jamais de réclamations.

Martial, à regret, enlève à nouveau le couvercle. Un bras sort du cercueil et lui tend le téléphone. Il le saisit comme si de rien n’était.

Martial – Merci.

Il tend le téléphone à Josiane, qui répond.

Josiane (avec une amabilité forcée) – Allô, oui…?

Josiane se rend compte que tout le monde écoute et s’éloigne pour continuer sa conversation. Justin replace le couvercle du cercueil en maugréant.

Robert – Mais alors si ce n’est pas Marcel, le gagnant, c’est qui ?

Air dubitatif des autres. Soudain, le plombier déboule dans le café, brandissant un billet de loto en exultant.

Jésus (hystérique) – C’est moi ! Ils viennent de rappeler le numéro gagnant à la radio. C’est le mien ! J’ai gagné !

Robert – Il n’y a de la veine que pour la canaille…

Josiane, intéressée, écourte sa conversation téléphonique et s’approche du plombier.

Josiane (minaudant) – Heureux au jeu… C’est quoi votre petit nom, déjà ?

Jésus – Jésus.

Josiane – Jésus ? Mais alors vous êtes celui que j’attendais !

Jésus – Ah, vous aussi…?

Le portable de Josiane se remet à sonner. Elle répond.

Josiane – Bon, maintenant, ça suffit ! La chasse est fermée !

Jésus – Allez, patron c’est ma tournée !

Robert sert la tournée à même le cercueil posé sur le comptoir. Le téléphone du bar se met à sonner.

Robert – Allô, Café des Sports, j’écoute…

Tous commencent à trinquer en discutant bruyamment. Robert tente de se faire entendre du croque-mort dans ce brouhaha.

Robert – C’est le cimetière ! Le fossoyeur…! (Robert montre d’un geste du menton le cercueil encombré de verres et de bouteilles.) Ben… Il demande si c’est pour aujourd’hui ou pour demain…

Martial – Oh, eh…! On n’est pas aux pièces… Dis-lui de venir boire un coup…

Le plombier remarque enfin le cercueil sur le comptoir.

Jésus – Qu’est-ce que c’est que ça…?

Robert – Ben, c’est Marcel ! (Fouillant dans ses poches) Tiens, qu’est-ce que j’ai fait de vos clefs, moi, au fait…?

Robert regarde vers le cercueil.

Martial – Oh, non !

Robert – Allez, qu’est-ce que je te sers ?

Martial – Une bière, avec la mousse au fond…

Robert s’apprête à le servir.

Justin – Pauvre Marcel. Il n’a vraiment pas de chance.

Il tape sur le cercueil pour ponctuer sa phrase.

Justin – Il ne pourra même pas trinquer avec nous !

Le couvercle du cercueil se soulève alors. En sort le buste de Marcel (incarné par l’acteur qui jouait Antoine, grimé pour qu’on ne le reconnaisse pas).

Marcel – Repose en paix, qu’ils disaient ! Tu parles !

Tous se figent, le regard rivé sur Marcel, qui tend un verre.

Marcel – Allez, un petit dernier ! Pour la route…

Noir.

Fin.

 

 

L’auteur

Né en 1955 à Auvers-sur-Oise, Jean-Pierre Martinez monte d’abord sur les planches comme batteur dans divers groupes de rock, avant de devenir sémiologue publicitaire. Il est ensuite scénariste pour la télévision et revient à la scène en tant que dramaturge. Il a écrit une centaine de scénarios pour le petit écran et une soixantaine de comédies pour le théâtre dont certaines sont déjà des classiques (Vendredi 13 ou Strip Poker). Il est aujourd’hui l’un des auteurs contemporains les plus joués en France et dans les pays francophones. Par ailleurs, plusieurs de ses pièces, traduites en espagnol et en anglais, sont régulièrement à l’affiche aux États-Unis et en Amérique Latine.

Pour les amateurs ou les professionnels à la recherche d’un texte à monter, Jean-Pierre Martinez a fait le choix d’offrir ses pièces en téléchargement gratuit sur son site La Comédiathèque (comediatheque.net). Toute représentation publique reste cependant soumise à autorisation auprès de la SACD. Cette édition papier est destinée à tous ceux qui souhaitent seulement lire ces œuvres ou qui préfèrent travailler le texte à partir d’un format livre traditionnel.

Pièces de théâtre du même auteur

Apéro tragique à Beaucon-les-deux-Châteaux, Au bout du rouleau, Avis de passage, Bed and breakfast, Bienvenue à bord, Le Bocal, Brèves de trottoirs, Brèves du temps perdu, Bureaux et dépendances, Café des sports, Cartes sur table, Come back, Le Comptoir, Les Copains d’avant… et leurs copines, Le Coucou, Coup de foudre à Casteljarnac, Crise et châtiment, De toutes les couleurs, Des beaux-parents presque parfaits, Dessous de table, Diagnostic réservé, Du pastaga dans le champagne, Elle et lui, monologue interactif, Erreur des pompes funèbres en votre faveur, Eurostar, Flagrant délire, Gay friendly, Le Gendre idéal, Happy hour, Héritages à tous les étages, L’Hôpital était presque parfait, Hors-jeux interdits, Il était une fois dans le web, Le Joker, Ménage à trois, Même pas mort, Miracle au couvent de Sainte Marie-Jeanne, Les Monoblogues, Mortelle Saint-Sylvestre, Morts de rire, Les Naufragés du Costa Mucho, Nos pires amis, Photo de famille, Le Pire village de France, Le Plus beau village de France, Préhistoires grotesques, Primeurs, Quatre étoiles, Réveillon au poste, Revers de décors, Sans fleur ni couronne, Sens interdit – sans interdit, Série blanche et humour noir, Sketchs en série, Spéciale dédicace, Strip poker, Sur un plateau, Les Touristes, Un boulevard sans issue, Un cercueil pour deux, Un mariage sur deux, Un os dans les dahlias, Une soirée d’enfer, Vendredi 13, Y a-t-il un pilote dans la salle ?

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables sur La Comédiathèque :

http://comediatheque.net 

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Novembre 2011

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-00-0

Ouvrage téléchargeable gratuitement

Café des Sports Lire la suite »

Un Cercueil Pour Deux

Casket for two –  Un Ataúd para Dos – Um caixão  para dois

Comédie de Jean-Pierre Martinez

2 hommes / 2 femmes

Quand deux candidats aux élections, le jour même du scrutin doivent aussi incinérer leurs conjoints respectifs, on risque le bourrage d’urnes. Surtout lorsque le directeur des pompes funèbres a recruté une intérimaire…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


TÉLÉCHARGER
PDF GRATUIT
TÉLÉCHARGER
EBOOK GRATUIT

ACHETER LE LIVRE

vvv

Cet ouvrage peut être commandé en impression à la demande sur le site The Book Edition, avec des réductions sur quantité (5% à partir de 4 exemplaires et 10% à partir de 12 exemplaires), livraison dans un délai d’une semaine environ.


Adaptation et mise en scène de ma pièce UN CERCUEIL POUR DEUX au Сатиричен театър « Алеко Константинов » de Sofia par le génial Teddy Moskov qui, pour le Festival d’Avignon IN en 1999 et en 2002, présenta deux spectacles à l’Opéra. Je devrai peut-être un jour à un Bulgare l’honneur d’un spectacle dans le IN à Avignon, ma ville d’adoption…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

+++++

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

+++++

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 



TEXTE INTÉGRAL

Un Cercueil pour Deux

Personnages : Edmond – Samantha – Francis – Chantal

ACTE 1

Face au mur d’un cimetière, recouvert de panneaux électoraux, la réception déserte d’une entreprise de pompes funèbres, ressemblant à celle de n’importe quelle autre entreprise. Sur le bureau, un téléphone sonne avec insistance. Edmond, le patron, vêtu d’une façon très stricte, arrive en maugréant.

Edmond – Oui, oui, j’arrive… Qu’est-ce qu’ils ont tous aujourd’hui à être aussi pressés… Ce n’est pas encore les soldes… Ah, non, je vous jure, ils finiront par avoir ma peau… (Il décroche) Picard Pompes Funèbres à votre service…? (Avec une amabilité commerciale) Oui Monsieur Dumortier, nous allons le recevoir ce matin… Parfaitement, en chêne avec des poignées dorées et un capitonnage vert pomme… La collection automne-hiver, c’est cela… Mais vous savez, le modèle Elisabeth 2, c’est un classique. C’est indémodable. Ce n’est pas le moins cher, c’est vrai, mais je sais que Madame Dumortier était très coquette. Croyez-moi, avec ce modèle-là, on n’est jamais déçu. En tout cas, on n’a jamais eu de réclamation, n’est-ce pas… Mardi, c’est entendu… Au plaisir Monsieur Dumortier… Enfin, je veux dire, euh… À mardi, Monsieur Dumortier… Et encore une fois, toutes nos condoléances… (Il raccroche) Je commence vraiment à fatiguer, moi… (Mais le téléphone sonne à nouveau, ne lui laissant aucun répit) Et merde… (Il décroche) Picard Pompes Funèbres à votre service…? Ah, c’est toi, Yvonne… Alors le docteur est passé… ? La grippe évidemment…? Avec l’épidémie qui sévit cet hiver… C’est qu’elle est très virulente, cette année… Ici, le téléphone n’arrête pas de sonner… Heureusement qu’on me livre la nouvelle collection ce matin, parce que si j’avais un imprévu… Je ne dis pas ça pour toi, bien sûr… Mais c’est vrai que je suis complètement débordé. Non, ce n’était vraiment pas le moment que tu tombes malade toi aussi… Tout seul ici, je ne m’en sors pas, moi… Non, l’intérimaire n’est pas encore arrivée. Je ne sais pas ce qu’elle fait, d’ailleurs. Elle devait être là à neuf heures. Ça commence bien, je te jure… (Jetant un regard par la vitrine) Ah, je vois quelqu’un arriver, ça doit être elle. Bon il faut que je te laisse. Soigne-toi bien. Moi aussi, je t’embrasse…

Entre Samantha, une jeune femme au look à l’évidence peu approprié au poste qu’elle vient occuper (au choix : outrageusement sexy ou au contraire grunge ou gothique, par exemple).

Samantha – Bonjour ! Je suis un peu en retard, je sais…

Edmond – En effet… Une panne d’oreiller, dès le premier jour ?

Samantha – Même pas ! Non, le réveil a sonné à l’heure, je me suis bien levée, et tout. C’est dans l’autobus que je me suis rendormie. Le chauffeur m’a réveillée au terminus. Alors le temps de reprendre la ligne dans l’autre sens…

Edmond – Bon… Vous vous appelez comment ?

Samantha – Samantha.

Edmond – Samantha ?

Samantha – Ça pose un problème.

Edmond – Non, non… C’est à dire que… Samantha, ça fait un peu… Enfin vous voyez ce que je veux dire…

Samantha – Non…

Edmond – Disons que dans notre profession, on est habitué à des prénoms plus discrets.

Samantha – Genre ?

Edmond – Je ne sais pas, moi… Josiane, Martine… Christelle à la rigueur… Ou Yvonne. Ma femme s’appelle Yvonne… Vous croyez vraiment pouvoir la remplacer…?

Samantha – La remplacer…?

Edmond – Alors vous tenez vraiment à vous faire appeler Samantha ?

Samantha – C’est mon nom.

Edmond – Bon… Et votre tenue là… On vous a dit que vous aurez à faire à la clientèle ?

Samantha – Ben… Oui…

Edmond – Vous comprenez bien que pour travailler ici, une tenue plus… classique serait quand même plus appropriée.

Samantha – Ah bon…

Edmond – Vous avez une formation, au moins ? Une première expérience dans notre domaine d’activité ?

Samantha – J’ai un CAP d’esthéticienne. Et j’ai fait une mission comme vendeuse chez Leclerc il y a trois mois.

Edmond – Esthéticienne… Oui, ça pourrait à la rigueur nous dépanner un peu…

Samantha – Ah bon…?

Edmond – Mais, Leclerc… Vous voulez dire dans la branche funéraire.

Samantha (surprise) – Ben non… Au rayon charcuterie, pourquoi ?

Edmond – Non, parce qu’autant vous dire que chez Picard, on ne fait pas dans le discount. Et pourquoi pas la vente par correspondance ou la vente en ligne, aussi ?

Samantha – Ah, oui, pourquoi pas…

Edmond – Leclerc et nous, on ne fait pas le même métier, d’accord ?

Samantha – D’accord…

Le téléphone sonne.

Edmond – Bon, et bien c’est le moment de me montrer ce que vous savez faire… Autant vous jeter à l’eau tout de suite, parce que je vous préviens, on est à flux tendu en ce moment. Je n’aurais pas le temps de vous former.

Samantha – Pas de problème… (Elle s’empare du téléphone et décroche avec assurance) Picard Surgelé, j’écoute…? Ah, non, Madame, je suis désolée, mais apparemment, vous avez fait un faux numéro… Mais je vous en prie, Madame… Pas de problème Madame… Au revoir Madame…

Samantha, visiblement contente d’elle, se tourne en souriant vers Edmond, qui la regarde pétrifié.

Samantha – Qu’est-ce qu’il y a ?

Edmond – C’est une blague ? C’est pour la Caméra Cachée, c’est ça ?

Samantha – Quoi ? C’était une bonne femme en pleurs qui croyait téléphoner aux pompes funèbres…

Edmond – Nous SOMMES une entreprise de pompes funèbres !

Samantha (anéantie) – Non…?

Edmond – L’agence d’intérim ne vous a rien dit ?

Samantha – Ils m’ont juste parlé de viande froide… Et comme la boîte s’appelait Picard…

Edmond – C’est un cauchemar… (Prenant sur lui) Bon, malheureusement, je n’ai plus le choix.

Samantha – Et donc, ici, c’est une entreprise de…

Edmond – Écoutez, vous vous contentez de répondre au téléphone et de prendre les messages. Quand un visiteur se présente, vous m’appelez. Et surtout, vous ne prenez aucune initiative, d’accord ?

Samantha – D’accord.

Edmond – Maintenant, je dois retourner m’occuper de mon député…

Samantha – Le député ?

Edmond – Delamare. Les législatives anticipées… Vous n’avez pas vu les panneaux électoraux contre le mur du cimetière ? C’est le premier tour de scrutin aujourd’hui !

Samantha – Et le député sortant est ici ?

Edmond – Ah oui, cette fois, on peut même dire que c’est une sortie définitive. Je suis en train d’essayer de lui refaire une beauté, là-bas derrière. Et croyez-moi, il y a du boulot…

Samantha – Madame Delamare ? Pourtant, sur les affiches, elle a l’air pas trop mal conservée…

Edmond – Son mari ! C’est lui le député sortant. Sa femme se présente aux élections pour lui succéder à l’Assemblée Nationale.

Samantha – Ah, d’accord…

Edmond – Les obsèques de Monsieur Delamare ont lieu aujourd’hui. Mais j’ai bien du mal à lui redonner une allure présentable. C’est que le corps a séjourné longtemps dans l’eau, alors évidemment…

Samantha (horrifiée) – Dans l’eau.

Edmond – D’ailleurs, si vous voulez vous charger du dernier coup de polish. D’habitude, c’est ma femme qui s’occupe de ça, mais comme elle n’est pas là…

Samantha – C’est à dire que…

Edmond – Vous m’avez bien dit que vous aviez un CAP d’esthéticienne ?

Samantha – Oui, enfin…

Edmond – Je vois… Bon… Vous croyez pouvoir vous en sortir avec le standard ?

Samantha – Oui, oui, bien sûr…

Edmond – Dans ce cas, je vous laisse. (Se retournant une dernière fois) Ah, au fait, j’attends une livraison ce matin. Quand la marchandise arrive, vous me prévenez tout de suite, d’accord…

Samantha – Une livraison…

Edmond – La nouvelle collection ! Vous avez le catalogue sous les yeux !

Edmond sort. Samantha jette un regard sur le catalogue, et reste estomaquée. Le téléphone sonne.

Samantha – Picard Sur… Pompes Funèbres Picard, j’écoute… Oui… Oui… (Écrivant sur un bloc) La promotion du mois, parfaitement… Le modèle Sapin Basique… À 99 euros TTC… Très bien, je lui dirai, Madame Delamare… Vous pouvez compter sur moi… Au revoir Madame Delamare…

Elle raccroche et soupire de soulagement. Un soulagement très momentané, puisqu’un homme entre par la porte et s’approche du bureau.

Samantha – Vous venez pour la livraison…?

Francis – Euh… Non… Francis Martino. J’ai rendez-vous avec Monsieur Picard. Pour choisir un modèle…

Samantha (avec un sourire commercial) – Je vais l’appeler… Vous voulez jeter un coup d’oeil sur notre catalogue en attendant… (Elle lui tend le catalogue) C’est pour offrir ?

Francis – C’est pour ma femme…

Samantha – Pardonnez-moi, mais… il me semble vous avoir déjà vu quelque part…

Francis – Oui… Ma photo est placardée sur tous les murs de la ville…

Samantha – Vous êtes recherché par la police ?

Francis – Pas encore… Pour l’instant, je me présente seulement aux élections… (Avec un geste en direction des panneaux électoraux contre le mur du cimetière) Sur les affiches, là, c’est moi…

Samantha – Francis Martino ! L’adversaire de Madame Delamare, parfaitement !

Francis – Disons son challenger…

Samantha – La liste divers droite, c’est bien ça ?

Francis – Ah, non, ça c’est Madame Delamare… Moi je suis centriste. Mais vous savez ce qu’on dit : le centre est partout et sa circonscription nulle part…

Samantha – Mmm… Alors vous avez perdu votre conjoint, vous aussi ?

Francis – Oui…

Samantha – Ah… Bataille !

Francis – Pardon ?

Samantha – Avec un décès dans sa famille entre les deux tours, Madame Delamare partait avec un avantage. Là ça remet les compteurs à zéro…

Francis – Oui…

Samantha – Si la grand-mère d’Obama n’était pas morte juste avant le scrutin, est-ce qu’un noir serait Président des États Unis aujourd’hui ?

Francis – Bien sûr…

Samantha – Et si Ségolène avait perdu ne serait que son caniche avant les présidentielles, l’histoire de France en aurait peut-être été changée…

Francis – Peut-être…

Samantha – Malheureusement pour elle, non seulement son infidèle compagnon n’est pas mort entre les deux tours, mais il a été folâtrer ailleurs. Qu’est-ce que vous voulez ? Les Français n’aiment pas les cocus, c’est comme ça…

Francis – Je vois que vous êtes une fine observatrice de la vie politique française… Euh… Monsieur Picard est là ?

Samantha – Oui, bien sûr, je l’appelle tout de suite. (Elle jette un regard au clavier de son standard et lit les différentes indications) Alors… Chambre froide… Coin cuisine… Thanatopraxie… Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais je vais essayer ça… (Elle compose le numéro et attend un instant avant que Edmond finisse par répondre) Bingo ! Monsieur Picard ? Francis Martino vient d’arriver… (Elle raccroche) Il vient tout de suite…

Silence un peu embarrassé. Francis feuillette le catalogue pour se donner une contenance.

Francis – Et vous, vous avez déjà fait votre choix ?

Samantha – Pour…?

Francis – Le scrutin d’aujourd’hui ! Vous avez déjà voté ?

Samantha – Euh… Non, pas encore…

Francis – Ah, j’ai encore une chance, alors… Vous connaissez notre programme ?

Samantha – Vous avez un programme ? Je croyais que vous étiez centriste ?

Edmond arrive.

Edmond – Bonjour Monsieur Martino. Et toutes mes condoléances…

Francis affiche à nouveau une mine de circonstances.

Francis – Qu’est-ce qu’on y peut…? C’est le destin, n’est-ce pas…?

Edmond – Au moins, elle a eu une belle mort.

Francis – Vous trouvez…?

Edmond – Non ?

Francis – Elle a été broyée par un train corail…

Edmond – Excusez-moi, je dois confondre avec Madame Dumortier… Elle est morte dans son lit pendant son sommeil. Elle avait 91 ans…

Francis – Ah, oui… Ma femme était un peu plus jeune…

Edmond se rend compte que Samantha écoute leur conversation avec une curiosité peu discrète.

Edmond – Si vous alliez nous chercher deux cafés, Sandra…

Samantha – Samantha…

Edmond – Oui, bon… Vous savez faire du café…?

Samantha – Je peux essayer…

Francis – Serré, pour moi, s’il vous plaît.

Samantha – Serré… Comme le scrutin d’aujourd’hui, pas vrai Monsieur Martino…?

Vague sourire de Francis. Edmond est visiblement exaspéré.

Edmond – La machine à expresso, c’est par là…

Samantha disparaît.

Edmond – On a tellement de mal à trouver du personnel compétent aujourd’hui… Et ma femme est clouée au lit avec la grippe. Vous savez qu’elle est très virulente, cette année…

Francis – Oui… Ma femme en est morte…

Edmond – Je croyais qu’elle s’était fait renverser par un train.

Francis – En allant chercher son vaccin anti-grippe à la pharmacie…

Edmond – J’ai toujours pensé qu’il y avait un problème avec ce vaccin… Et croyez-moi, je suis bien placé pour le savoir… D’ailleurs j’ai interdit à ma femme de se faire vacciner…

Francis – Madame Picard va bien ?

Edmond – Un léger refroidissement, mais elle sera sur pied dans quelques jours. Mieux vaut laisser faire la nature, pas vrai ?

Francis – Bien sûr…

Edmond – Vous avez déjà fait votre choix, Monsieur Martino ? Comme vous pouvez le voir sur notre catalogue, la nouvelle collection est absolument superbe…

Francis (jetant un regard rapide sur le catalogue) – Mmm…

Edmond – Comme je dis toujours : c’est au prix du cercueil qu’on évalue combien nos défunts nous étaient chers…

Francis – Je pensais à quelque chose de très simple, en fait…

Edmond – Je vois… Quelque chose d’élégant, mais discret en même temps… Vous avez une idée du modèle ?

Francis (montrant sur le catalogue) – Pourquoi pas celui-ci…

Edmond (pas ravi) – Sapin Basique. Notre modèle d’entrée de gamme. En promotion en ce moment. À 99 euros TTC. Très bien Monsieur Martino…

Francis – Je me suis dit que pour une crémation…

Edmond – Le sapin, ce sera bien suffisant… Vous avez de la chance, il ne nous en reste plus qu’un en réserve. C’est un modèle qui part très vite en ce moment… En ce qui concerne les options, nous pouvons vous proposer…

Francis – Le modèle de base.

Edmond – Sapin Basique sans option. Parfaitement. Vous vouliez voir autre chose ?

Francis – Pour l’instant ça ira…

Edmond – Parfait, Monsieur Martino. Alors c’est noté.

Samantha arrive avec le café. Elle tend une tasse à Francis et l’autre à Edmond.

Francis – Merci Mademoiselle…

Samantha (minaudant) – Samantha…

Francis vide sa tasse d’un trait et fait la grimace. Edmond, intrigué, trempe les lèvres dans son café et lance un regard furieux en direction de Samantha.

Edmond (avec un regard d’excuse à Francis) – Un peu trop serré, peut-être…

Francis – Ah, oui, ça…

Edmond – Ça réveillerait un mort…

Le téléphone portable de Francis sonne avec un bruit de réveil.

Francis – Excusez-moi… (Prenant l’appel) Oui…? Alors, vous avez les premières estimations ? Oui… Oui… oui… Ah… Bon, très bien, j’arrive tout de suite… Non, la cérémonie a lieu à onze heures… C’est ça, dans une heure… Mais vous savez, ce sera dans la plus stricte intimité… Je ne voudrais pas exploiter le drame qui me frappe pour m’attirer la sympathie des électeurs… Vous avez tout de même pensé à prévenir la presse ? Très bien, merci… À tout de suite…

Edmond – Alors ? Et cette campagne électorale Monsieur Martino ? Comment ça se présente ?

Francis pose machinalement son portable sur le bureau de la réception et sort de sa poche deux tracts électoraux.

Francis – Comme vous le savez, normalement, c’était ma femme qui devait se présenter à cette élection. Mais en raison de cette tragédie…

Edmond – Bien sûr…

Samantha – Il arrive qu’on fasse voter les morts, mais même en Corse, on n’a encore jamais réussi à en faire élire un à l’assemblée…

Edmond – Remarquez, vu le taux d’absentéisme au parlement, je ne suis pas sûr qu’on s’en apercevrait tout de suite, pas vrai…?

Francis (tendant les tracts à Edmond et à Samantha) – Tenez, je vous laisse quand même quelques informations sur notre programme.

Edmond – Ah, vous avez un programme… Je pensais que vous étiez… Non, rien…

Francis – À vrai dire, je n’ai aucune expérience en politique. Mais le parti centriste a tellement de mal à trouver des candidats…

Samantha – Oui… C’est sûrement le seul parti en France qui a encore moins d’électeurs que de candidats…

Edmond la fusille du regard.

Francis – Bref, on m’a un peu forcé la main, et je me suis laissé faire… Bon, je vais devoir vous laisser… Un petit problème à régler…

Edmond – Rien de grave, j’espère ?

Francis – Comme je ne trouvais personne d’autre, j’ai dû prendre la fille de ma femme de ménage comme suppléante. Mais on me dit qu’elle vient de se faire arrêter pour racolage sur la voie publique…

Edmond – Si les candidats aux élections n’ont plus le droit de proposer leurs charmes aux électeurs sur les marchés, où va la démocratie ?

Francis – N’est-ce pas…?

Samantha – Si vous cherchez une nouvelle suppléante, je peux vous dépanner…

Francis – Pourquoi pas…? Je vais y réfléchir, c’est promis…

Edmond – Alors tout à l’heure pour la cérémonie…

Francis – Parfait.

Francis s’en va. Edmond tourne un regard de reproche vers Samantha.

Samantha – Ah, j’ai oublié de vous dire. Vous allez être fière de moi, je viens de faire ma première vente au téléphone.

Edmond (inquiet) – Je vous avais dit de ne prendre aucune initiative…

Samantha – Madame Delamare a appelé. La veuve du député. Elle a choisi le modèle Sapin Basique.

Edmond – Sapin Basique !

Samantha – Oui, je sais, c’est le moins cher, mais bon… C’est quand même une vente.

Edmond – Il ne nous en reste plus qu’un en stock, et je viens de le promettre à Monsieur Martino pour sa femme !

Madame Delamare arrive.

Chantal – Ah, Monsieur Picard. Je voulais vous voir.

Edmond – Bonjour Madame Delamare… et toutes mes condoléances pour votre époux. Mais je suis sûr qu’il approuverait votre choix.

Chantal – Pour le cercueil, vous voulez dire ? C’est vrai que c’était un homme très près du peuple, et qu’il avait des goûts très simples…

Edmond – Au sujet de votre candidature ! Pour lui succéder au parlement…

Chantal – Oh, vous savez, je n’ai pas beaucoup la tête à la politique en ce moment. (Elle en profite néanmoins pour gratifier Edmond et Samantha de deux tracts électoraux) Si les électeurs de mon mari n’avaient pas insisté pour que je me présente afin de sauver son siège à l’assemblée… Mais je voulais vous parler de l’organisation des obsèques, justement…

Edmond – Vous avez changé d’avis sur le modèle, peut-être… C’est vrai que le Sapin Basique, pour un député…

Chantal – Non, non, pas du tout. Le sapin, ça me convient très bien. D’autant que j’ai opté pour l’incinération…

Edmond – Ah, vous aussi…

Chantal – Pardon ?

Edmond – Non, je veux dire… C’est une pratique qui se développe beaucoup en ce moment… Vous ne voulez pas jeter un nouveau coup d’oeil sur notre catalogue ?

Samantha (commercial) – Un petit coup d’oeil, ça n’engage à rien…

Edmond (lui montrant le catalogue) – Regardez. Le modèle Louis Philippe, par exemple… En acajou… Garanti trente ans…

Chantal jette un regard distrait sur le catalogue.

Chantal – Non merci, vraiment… D’ailleurs, excusez-moi, mais… Louis Philippe, Elisabeth 2, Marie Antoinette… Ça ne fait pas très républicain, tout ça…

Samantha – D’un autre côté, Sapin Basique… Ça fait un peu Ikéa, non ?

Chantal – Le Sapin Basique, ça ira très bien…

Edmond – C’est à dire que…

Chantal – Il y a un problème ?

Edmond – Je suis vraiment désolé, Madame Delamare, mais nous sommes momentanément en rupture de stock sur ce produit…

Chantal – Mais… cette jeune femme m’a dit au téléphone tout à l’heure que…

Edmond – Entre temps, j’avais promis le dernier exemplaire qui me restait à Monsieur Martino…

Chantal – Martino ? Mon adversaire aux élections !

Edmond – C’est un regrettable malentendu, et je vous prie d’accepter toutes mes excuses… Cette jeune personne débute dans le métier et…

Chantal – Il n’en est pas question !

Edmond – Je peux vous proposer un autre modèle… Je vous ferai une ristourne… Un surclassement, en quelque sorte…

Chantal – Vous n’avez qu’à proposer ça à Martino.

Justement, Martino revient.

Francis – Je crois que j’ai oublié mon téléphone portable chez vous. (Il est surpris de reconnaître Chantal). Madame Delamare…

Edmond – Vous vous connaissez, je crois…

Chantal – Un peu… Madame Martino s’était déjà présentée aux dernières élections contre mon mari…

Edmond – Ah… C’est presque une histoire de famille, alors…

Francis – J’en profite pour vous présenter toutes mes condoléances…

Edmond – Monsieur Martino est un gentleman. Il acceptera sans doute de se désister en votre faveur…

Francis – Pardon ?

Chantal – Il semblerait que nous ne soyons pas concurrent seulement pour ce fauteuil de député…

Edmond – Sandra a promis le dernier Sapin Basique qui nous restait à Madame Delamare…

Samantha – Samantha…

Edmond (enjoué) – Allez, ne me dites pas que vous aussi, les politiques, il ne vous arrive pas quelque fois de promettre la même chose à tout le monde pour vous faire élire…

Samantha – Je suis vraiment désolée…

Francis – On va sûrement trouver un arrangement à l’amiable… N’est-ce pas, Monsieur Picard ?

Edmond – Mais bien sûr… On doit justement me livrer la nouvelle collection d’une minute à l’autre…

Le téléphone sonne et Samantha répond.

Samantha – Picard Sur… Pompes Funèbres Picard, j’écoute. Ne quittez pas, je vous le passe. (À Edmond) Pour vous…

Edmond – Pardonnez-moi un instant… (Prenant le combiné) Oui…? Non…! Votre livreur à la grippe ? C’est une plaisanterie ? Quand ? Cet après-midi ? Mais il sera trop tard ! Ah, vous entendrez parler de moi, je vous le garantis…

Il raccroche consterné.

Francis – Si cela peut rendre service à Madame Delamare, je suis tout à fait disposé à opter pour un autre modèle… Qu’est-ce que vous me proposez ?

Edmond – C’est à dire que… Je viens d’apprendre que la livraison que j’attendais ce matin est repoussée de quelques heures…

Francis – Et ?

Edmond – Le Sapin Basique, c’était le dernier cercueil qui nous restait en magasin…

Francis – Le dernier ?

Edmond – Désolé, je n’en ai plus aucun autre de disponible dans l’immédiat… À moins de remettre Madame Dumortier au frigo… Mais elle est déjà dans la chambre funéraire avec sa famille…

Consternation générale.

Chantal – Les obsèques de mon mari doivent avoir lieu ce matin à 11 heures !

Francis – Ceux de ma femme également.

Edmond (pour lui même accablé) – Un cercueil pour deux… Il ne manquait plus que ça…

Chantal – Vous ne voulez quand même pas qu’on place mon mari et la femme de monsieur dans le même cercueil ?

Francis – Ah, oui… Ce ne serait pas très convenable…

Edmond – On pourrait peut-être remettre une des deux cérémonies à demain…?

Samantha – Après tout, maintenant, ils ne sont pas si pressés…

Chantal – Mais moi, si !

Francis – Ah, non, demain, ça ne va pas être possible pour moi non plus…

Chantal – La presse est déjà prévenue… Il n’y a aucune raison pour que je laisse la vedette à mon adversaire !

Edmond – Cet après-midi, alors ?

Francis – Je vous rappelle que ce soir, on dépouille.

Edmond – On dépouille…?

Francis (à Samantha) – À propos, vous n’êtes pas libre ce soir ?

Samantha – Pour…?

Francis – Pour le dépouillement !

Noir.

ACTE 2

Francis et Chantal attendent ensemble à la réception avec une mine de circonstances. Francis jette un regard discret sur sa montre.

Francis – Vous pensez qu’il y en a encore pour longtemps…?

Chantal – Je ne sais pas… Je n’ai pas trop l’habitude…

Francis – C’est bizarre… Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression d’être à la maternité, en train d’attendre un heureux événement…

Chantal (lui jetant un regard inquiet) – Oui, c’est bizarre…

Francis – Vous savez déjà ce que vous allez en faire ?

Chantal – Pardon ?

Francis – Les cendres de votre mari… Vous allez les mettre où ?

Chantal – Je n’ai pas encore décédé… Décidé… (Un temps) C’est… C’est volumineux ?

Francis – Je ne sais pas… Ça tient dans une urne, en tout cas…

Chantal – Une urne…?

Francis – Une urne funéraire…

Chantal – Ah oui, bien sûr…!

Francis – Oui… Quelle ironie pour un député… Finir dans une urne…

Chantal – Et vous ?

Francis – Je ne vais pas les garder sur le rebord de la cheminée, en tout cas… Ce serait un peu spécial, non ?

Chantal – Oui…

Francis – Peut-être les répandre dans le jardin… On a le droit ?

Chantal – Je crois, oui… En tout cas, personne n’est jamais allé en prison pour avoir dispersé les cendres de son conjoint dans son jardin…

Francis – Sauf le Docteur Petiot, évidemment…

Chantal – Mmm…

Francis – En même temps, je ne sais pas… Savoir que son conjoint est répandu sur le gazon entre la niche du chien et le barbecue… C’est un peu spécial aussi, non ?

Chantal – Oui…

Francis – C’est une décision lourde de sens. Il vaut mieux bien y réfléchir avant. Parce qu’après, c’est trop tard…

Chantal – C’est sûr… À part l’aspirateur…

Francis – Et on est vraiment obligés de repartir avec ?

Chantal – Je crois, oui… C’est comme à la maternité…

Justement, Edmond et Samantha arrivent en portant chacun une urne.

Edmond – Je ne vois pas la plaque. Le député, c’est laquelle ?

Samantha – Mince… Les plaques…

Edmond – Quoi ?

Samantha – J’ai oublié de les mettre…

Edmond – Mais je vous avais dit de… J’avais mis un post it avec le nom sur chaque urne ! Vous n’aviez qu’à visser les plaques !

Samantha – Je suis vraiment désolé…

Edmond – Mais vous savez dans quelle urne se trouve le député ?

Le silence embarrassé de Samantha est un aveu. Mais Edmond n’a pas le temps de réagir. Francis et Chantal tournent vers eux un regard de circonstance. Après une petite hésitation, Edmond tend son urne à Chantal, et Samantha la sienne à Francis.

Edmond – Nous vous laissons vous recueillir un instant sur les cendres de vos conjoints respectifs…

Edmond sort en lançant un regard incendiaire à Samantha.

Edmond – Je ne sais pas ce qui me retient de vous incinérer vous aussi…

Samantha – En même temps, si je n’étais pas allée chez Leclerc pour qu’il nous dépanne d’un cercueil en sapin…

Edmond – Un cercueil à monter soi-même, je ne savais même pas que ça existait…

Samantha – Eux, ils n’étaient pas en rupture de stock, au moins…

Edmond – Oui, bon, ça va…

Samantha – Et puis maintenant, Picard ou Leclerc, hein ? On ne voit plus la différence…

Edmond – Oui, ça vous pouvez le dire… Il y a une chance sur deux pour qu’en ce moment, Madame Delamare soit en train de se recueillir sur les cendres de Madame Martino.

Samantha – Et Monsieur Martino sur celles de Monsieur Delamare…

Edmond – Pas facile à monter, d’ailleurs, ces cercueils en kit…

Samantha – Oui… De ce côté là aussi, ça ressemble beaucoup à du Ikéa…

Ils sortent. Francis et Chantal regardent leur urne respective, plongés dans leurs pensées.

Francis – Nous ne sommes que poussière…

Chantal – Et nous retournerons à la poussière.

Francis – Il est mort comment, exactement, votre mari ?

Chantal – Noyé…

Francis – Noyé…?

Chantal – C’était un grand pêcheur devant l’Éternel. Il a dû tomber de son bateau. On n’a retrouvé le corps que six semaines après…

Francis – Et il ne savait pas nager…

Chantal – Il ne me l’avait jamais dit… Mais c’est vrai que je ne l’ai jamais vu nager de son vivant.

Francis – Peu de gens se vantent de ne pas savoir nager…

Un temps.

Chantal – Et votre femme ?

Francis – Un accident de la route.

Chantal – Ah, oui…

Francis – À un passage à niveaux dangereux… Sa voiture a calé au milieu des rails… Elle n’a pas eu le temps de redémarrer…

Chantal – Si je suis élue, je vous promets de faire aménager ce passage à niveau.

Francis – Merci… De mon côté, si j’ai la faveur des électeurs, je vous promets de faire passer une loi pour obliger tous les pêcheurs à passer un brevet de natation…

Ils restent un instant silencieux, contemplant les urnes.

Chantal – Et dire qu’ils s’étaient présentés l’un contre l’autre aux dernières élections. Voilà où ils en sont. Chacun dans son urne…

Chantal – Oui…

Francis – Ça… On peut dire que la politique ne leur a pas réussi…

Chantal – Non…

Francis – J’espère qu’on ne finira pas de la même façon.

Chantal – Enfin pas tout de suite…

Francis – À propos, vous avez vu les derniers sondages sortie d’urnes ?

Chantal – Oui…

Francis – Le deuxième tour s’annonce très serré.

Chantal – Mais je devrais être en ballottage favorable… Mon mari peut reposer en paix…

Francis – Mmm… Au dernier scrutin, on avait soupçonné vos amis d’avoir bourré les urnes…

Edmond et Samantha reviennent.

Edmond – Ils ont l’air de sympathiser, finalement…

Samantha – Vous verrez, ça se terminera par un mariage. (Edmond lui lance un regard réprobateur) Ils sont veufs tous les deux, non ?

Francis et Chantal les aperçoivent.

Chantal – Bon, on va peut-être vous laisser…

Edmond – Prenez votre temps… Vous pouvez rester le temps que vous voulez…

Samantha – Et vous serez toujours les bienvenus chez nous…

Edmond lui lance un regard réprobateur.

Francis – Je peux vous déposer quelque part ? J’ai un break…

Chantal – Je ne sais pas si…

Francis – Vous avez raison, excusez-moi… Ça pourrait faire jaser…

Samantha s’approche de Chantal.

Samantha – Je vais vous aider… Parce que c’est quand même un peu lourd…

Chantal – Ça ira, merci.

Samantha fait un geste maladroit pour saisir l’urne de Chantal. Ce faisant, elle bouscule celle de Francis qui tombe par terre. Son contenu se répand en partie sur le sol. Edmond regarde la scène effaré.

Chantal – Oh mon Dieu !

Edmond (anéanti) – C’est un cauchemar…

Samantha – Je suis vraiment désolée… Je vais réparer ça tout de suite…

Edmond – Ne touchez à rien, je m’en occupe…

Edmond disparaît.

Samantha – C’est la première fois que ça m’arrive, je vous assure…

Edmond revient avec un tablier fantaisie, un balai et une pelle.

Edmond – Je vais arranger ça…

Sous le regard consterné des trois autres, il balaie les cendres, les pousse vers la pelle, et s’apprête à les remet dans l’urne. Mais il se trompe d’urne.

Francis – Euh, non, là c’est le mari de Madame.

Edmond – Autant pour moi… (Edmond remet les cendres dans l’autre urne). Voilà, ce petit accident est réparé…

Samantha se penche et ramasse quelque chose par terre.

Samantha – Tiens… Qu’est-ce que c’est que ça ?

Edmond (embarrassé) – Ça arrive parfois qu’il reste quelques… Des plombages, par exemple…

Samantha – Ah, oui, en effet… On peut dire que la personne qui est là-dedans s’est vraiment fait plomber. On dirait une balle… Et du gros calibre, encore…

Consternation générale.

Edmond (examinant la balle) – Ah, oui…? Votre femme est morte d’un accident de chasse ?

Francis – Euh, non… Je vous l’ai dit, d’un accident de vaccin…

Samantha – Ah, oui, mais là c’est un sacré suppositoire, hein ?

Edmond – Je dirais de la chevrotine…

Samantha – C’est que là, Monsieur Martino… Si c’est vous qui avez confondu votre femme avec un sanglier… Ce ne serait pas bon du tout pour votre élection à l’assemblée.

Francis prend la balle des mains de Samantha et la regarde.

Francis (embarrassé) – Je ne comprends pas, je vous assure…

Silence embarrassé.

Samantha – En même temps… Je vous avoue que je ne suis pas complètement sûr qu’il s’agisse des cendres de votre femme…

Francis – Pardon ?

Samantha – Je me suis un peu mélangée dans les plaques…

Edmond – Elle veut dire que ce pruneau pourrait aussi bien provenir de l’urne de Monsieur le Député…

Francis lance un regard vers Chantal, qui semble anéantie.

Francis – Je vois…

Chantal – Je peux tout vous expliquer…

Francis (étonnée) – Vraiment…?

Chantal (à Edmond et Samantha) – Veuillez nous laisser un instant, je vous prie.

Edmond et Samantha s’éclipsent discrètement.

Francis – Vous avez quelque chose à me dire ?

Chantal fait un geste pour arracher la balle des mains de Francis.

Chantal – Donnez-moi ça !

Francis – Pas si vite…

Chantal se décompose.

Chantal – Ok, c’est moi qui l’ai tué…

Francis – Vous ?

Chantal – Mon mari n’est pas mort noyé.

Francis – Et vous avez maquillé son meurtre en accident…

Chantal – Oui…

Francis – Mais pourquoi ?

Chantal – Pour qu’on ne me jette pas en prison, évidemment !

Francis – Non, je veux dire… Pourquoi l’avoir tué ?

Chantal – Ne me dites pas que vous n’étiez pas au courant ?

Francis – Au courant de quoi ?

Chantal – Mon mari me trompait.

Francis – Et pourquoi est-ce que je devrais être au courant.

Chantal – Mais parce qu’il me trompait avec votre femme ! Vous ne le saviez pas ?

Francis (consterné) – Non…

Chantal – J’ai tué mon mari avec son fusil de chasse. Et je me suis arrangée pour faire passer ça pour un accident de pêche…

Francis – Ah, oui, c’est tordu…

Chantal – Ça a failli marcher… Si le corps était resté au fond, comme prévu…

Francis – Malheureusement, le passé finit toujours par remonter à la surface…

Chantal – Je pensais qu’en choisissant la crémation, je serai tranquille une bonne fois pour toute… Hélas, apparemment, la balle a résisté à la chaleur…

Francis – Mais il n’y a pas eu d’autopsie ?

Chantal – C’est mon médecin de famille qui a signé le permis d’inhumer. Il est assez âgé. Plutôt myope. Il n’a pas été très regardant.

Francis – Je vois… Mais un crime passionnel, ça se plaide très bien, non ? Ce ne serait pas plutôt pour prendre sa place au parlement que vous auriez assassiné votre mari ?

Chantal – Si je me présente aux élections, c’est surtout pour bénéficier d’une immunité parlementaire, au cas où je viendrais à être inquiétée…

Francis – Une assurance tous risques, en quelque sorte… Les impunités électives…

Chantal – Vous allez me dénoncer ?

Francis – Ça dépend un peu de vous. (Montrant la balle) Il n’y a que moi qui suis au courant…

Chantal s’approche de lui avec un air lascif.

Chantal – Vous pouvez faire de moi ce que vous voulez… Je serai votre chose…

Poursuivant ses avances, Chantal renverse aussi l’urne de Francis dont le contenu se répand en partie sur le sol.

Francis – Si vous commenciez par vous désister en ma faveur…

Noir.

ACTE 3

Edmond est occupé à la réception. Samantha arrive.

Samantha – Bonjour, bonjour…!

Edmond – Il y a du progrès… Vous n’avez qu’une demi-heure de retard… Vous ne vous êtes pas rendormie dans le bus aujourd’hui ?

Samantha – Si… Mais je me suis réveillée un peu avant le terminus… Vous ne pouvez déjà plus vous passer de moi, c’est ça ?

Edmond – Mmm…

Samantha – Alors, Monsieur Picard ? Comment vont les affaires ?

Edmond – Plutôt calme en ce moment. Après le coup de feu de la semaine dernière.

Samantha – Le coup de feu ?

Edmond – C’est une façon de parler…

En retirant son manteau, elle jette un regard vers les panneaux électoraux.

Samantha – Ah, vous avez vu ? Finalement, c’est le centriste qui est passé au deuxième tour.

Edmond – Oui… Madame Delamare s’est désistée en sa faveur…

Samantha – Mais il l’a prise comme suppléante…

Edmond – Dommage pour vous. La place n’est plus à prendre.

Samantha – Je vous l’avais dit que ça finirait par un mariage.

Edmond – Vous êtes vraiment très perspicace…

Samantha – Votre femme est là ?

Edmond – Elle est à côté.

Samantha (déçue) – Vous n’avez plus besoin de moi alors.

Edmond – Enfin, je veux dire… Elle est là mais… Ma femme a succombé à la grippe finalement…

Samantha – Je suis vraiment désolée… Toutes mes condoléances…

Edmond – Merci.

Samantha – C’est arrivé quand ?

Edmond – Cette nuit. J’aurais peut-être dû la faire vacciner, finalement…

Samantha – Au moins, avec vous, elle aura un bel enterrement…

Edmond – Mouais…

Samantha – Vous pourrez lui prouver combien vous l’aimiez. Comme vous dites toujours : c’est au prix du cercueil qu’on évalue combien nos défunts nous étaient chers… Vous avez choisi quel modèle ?

Edmond – Sapin Basique…

Samantha – Ah, oui, c’est… Le bois naturel, c’est très chaleureux.

Edmond – Très calorifuge, surtout. J’ai opté pour l’incinération, moi aussi.

Samantha – Bien sûr.

Edmond – Alors maintenant, évidemment… Je vais devoir la remplacer… Définitivement.

Samantha – La remplacer…?

Edmond – Ici, à la boutique.

Samantha – Ah, oui, bien sûr… Vous me passez en CDI alors…?

Edmond – Je peux vous prendre à l’essai, en tout cas. Du coup, j’ai un poste de thanatopracteur qui se libère…

Samantha – Thanatopracteur…

Edmond – Moi ma spécialité, c’est plutôt le gros oeuvre. C’est que parfois, ça relève carrément du puzzle… Et encore, on n’a pas toujours toutes les pièces…

Samantha – Comme avec Madame Martino… C’est vrai que là, vous aviez fait des miracles…

Edmond – Vous pouvez le dire… Quand on nous l’a amenée, après qu’elle soit passée sous le train avec sa voiture… On aurait dit une sculpture de César…

Samantha – César… L’empereur romain ?

Edmond – Bref… C’était ma femme qui faisait la finition… Alors maintenant qu’elle n’est plus là… Si ça vous tente…

Samantha – Je ne sais pas si je saurais…

Edmond – Ce n’est pas très compliqué, vous savez. C’est un peu comme esthéticienne, mais les clientes sont toujours contentes…

Samantha – Pourquoi pas…

Edmond – Et puis c’est un métier plein d’imprévu, contrairement à ce qu’on pense. Vous avez pu en juger vous même, on ne s’ennuie jamais ici…

Samantha – Et on côtoie parfois du beau monde…

Edmond – C’est qu’un jour ou l’autre, riche ou pauvre, célèbre ou anonyme, tout le monde passe entre nos mains…

Samantha commence à passer un coup de balai.

Samantha – Et pour la balle qu’on a trouvée dans l’urne du député, vous allez faire quelque chose ?

Edmond – Pensez-vous… On n’est pas de la police… Et puis on est liés par le secret professionnel… Dans notre métier, forcément, on pénètre dans l’intimité des familles…

Samantha – Ah, oui…?

Edmond – Vous n’avez pas idée de tout ce qu’on peut trouver dans les poches des défunts… Une fois j’ai même trouvé un Tacotac gagnant.

Samantha – C’est la veuve qui a dû être contente…

Edmond – Vous pensez bien que j’ai préféré ne pas lui en parler. Ça m’aurait paru déplacé…

Samantha – Bien sûr…

Edmond – C’est comme ça que j’ai acheté la machine expresso, d’ailleurs… À propos, vous voulez un petit café ?

Samantha – Pourquoi pas…?

Edmond disparaît un instant pour aller chercher le café..

Edmond (off) – Tenez, pas plus tard que la semaine dernière, dans les cendres de Madame Dumortier, j’ai trouvé une paire de ciseaux…

Samantha – Elle a été assassinée, elle aussi ?

Edmond – Des ciseaux de chirurgien ! Elle venait de se faire opérer de l’appendicite… Et elle est morte des suites opératoires…

Samantha – Vous me donnerez quand même le nom de la clinique… Au cas où je doive subir une intervention…

Edmond revient avec le café.

Samantha – Merci de me donner ma chance, en tout cas. Vous verrez, vous ne serez pas déçu…

Edmond – J’ai déjà un aperçu de vos talents…

Samantha remarque quelque chose dans la poussière qu’elle est en train de balayer.

Samantha – Tiens, qu’est-ce que c’est que ça…

Edmond s’approche et regarde l’objet qu’elle lui tend.

Edmond – Une deuxième balle ?

Samantha (avec un air pénétré) – Il y aurait donc eu un deuxième tireur pour ce qui est de l’assassinat de Monsieur Delamare… Ce n’est plus un coup de feu, c’est une véritable fusillade !

Edmond – Vous regardez trop la télé, Samantha… Il était député, c’est vrai, mais ce n’était pas Kennedy, tout de même. (Réfléchissant à son tour) Et si cette balle provenait de la deuxième urne…

Samantha – Bravo inspecteur… Vous croyez que Monsieur Martino aussi aurait pu plomber sa dinde…

Edmond – Avant de s’arranger pour lui faire prendre le corail de cinq heures vingt-trois…

Samantha – De plein fouet… dans sa voiture.

Edmond – Oui, c’est une possibilité…

Samantha – Mais pourquoi…?

Edmond – La jalousie ! Vous savez ce qu’on disait de la femme de Martino, en ville ?

Samantha – Non ?

Edmond – Madame Martino, il n’y a que le train qui ne soit pas encore passé dessus…

Samantha – À moins qu’il ait tué sa femme seulement pour apitoyer les électeurs… et se faire élire plus facilement.

Edmond – Allez savoir…

Samantha – En tout cas, maintenant, il bénéficie de l’immunité parlementaire…

Edmond jette un regard du côté de la vitrine.

Edmond – Ah, quand on parle du loup…

Samantha – C’est qu’il y a un loup.

Francis et Chantal arrivent dans la boutique.

Samantha – On dirait que les affaires reprennent.

Edmond – Monsieur Martino, Madame Delamare. Quel bon vent vous amène ? Pas un autre décès dans la famille, j’espère ?

Francis – Non, non, rassurez-vous…

Edmond – Cela me donne en tout cas l’occasion de vous féliciter pour votre élection, Monsieur Martino.

Francis – Merci, Edmond.

Samantha (à Chantal) – Pas trop déçue ?

Chantal – Je suis quand même suppléante… Ce qui veut dire que s’il arrivait malheur à Monsieur Martino, son fauteuil de député me reviendrait d’office. C’est pourquoi je ne le quitte plus d’une semelle…

Edmond – Un viager, en quelque sorte, Monsieur Martino…

Samantha – Faites attention à vous… Une balle perdue, c’est si vite arrivé, quand on va à la pêche.

Edmond – Ou quand on attend tranquillement à un passage à niveau…

Chantal lance un regard suspicieux en direction de Francis, qui préfère changer de sujet.

Francis – Non, cette fois, c’est nous qui venions vous présenter nos condoléances, monsieur Picard.

Edmond – Pour…?

Chantal – Votre femme !

Edmond – Ah, oui, c’est vrai… Pardonnez-moi, je suis tellement bouleversé en ce moment…

Francis – Enfin, la vie continue…

Chantal – Et justement, nous venions aussi vous annoncer un heureux événement.

Samantha – Vous attendez un bébé ?

Chantal – Pas encore…

Francis – Chantal et moi-même allons nous marier.

Chantal – Sous le régime de la communauté réduite aux aguets, comme on dit.

On entend le signal sonore d’un four de cuisine dont la minuterie est arrivée à son terme.

Chantal – Vous faites de la cuisine ? Vous feriez bien d’aller voir, on dirait que c’est en train de brûler.

Edmond – Euh, non, c’est… ma femme.

Francis – Votre femme ?

Edmond – Ses cendres, en tout cas.

Chantal – Ah, d’accord…

Edmond – Vous voulez bien aller voir, Samantha ? Je n’ai vraiment pas le cœur à m’occuper de ça…

Samantha – Bien sûr, Monsieur Picard.

Francis – Bon, et bien je crois que nous allons vous laisser.

Chantal – Nous venions seulement pour la couronne.

Edmond – Une couronne ? Pour votre mariage ?

Chantal – Pour les obsèques de votre épouse.

Francis – Au nom de Monsieur le Député.

Chantal – Et de sa suppléante.

Edmond – Bien sûr.

Francis – Je vous laisse choisir… Vous n’aurez qu’à envoyer la facture à ma permanence.

Edmond – Merci Monsieur le Député. Madame la Suppléante. Croyez bien que je suis très sensible à cette délicate attention dans le malheur qui me frappe aujourd’hui.

Chantal – Au revoir Monsieur Picard.

Francis (lui serrant la main) – Edmond…

Francis et Chantal s’en vont.

Edmond – Bon ben ça c’est fait…

Samantha revient.

Samantha – Ils sont partis ?

Edmond – C’est vous qui aviez raison… Ça se termine par un mariage…

Samantha jette un regard par la vitrine.

Samantha – Ils vont tellement bien ensemble… Ça se voit tout de suite…

Edmond – Mmm… Et nous, on ne va pas trop mal ensemble, non ?

Samantha – Vous trouvez ?

Edmond – Et maintenant que je suis veuf…

Samantha – Ah, à propos, j’ai trouvé ça dans les cendres de Madame Picard… (Elle montre une troisième balle) Je croyais que votre femme était morte de la grippe…

Edmond – Je vous l’ai dit… la grippe est très virulente, cette année…

Noir.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Novembre 2011

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-19-2

Ouvrage téléchargeable gratuitement

Un Cercueil Pour Deux théâtre télécharger texte gratuit librairie théâtrale

Un Cercueil Pour Deux théâtre télécharger texte gratuit librairie théâtrale

Un Cercueil Pour Deux théâtre télécharger texte gratuit librairie théâtrale

Un Cercueil Pour Deux théâtre télécharger texte gratuit librairie théâtrale

 

Un Cercueil Pour Deux Lire la suite »