Hôpital

Hôpital ou maison de retraite

L’hôpital et la maison de retraite sont des lieux propices au théâtre dans la mesure où ils constituent le cadre de huis clos : on séjourne rarement à l’hôpital ou dans une maison de retraite de son plein gré ou du moins par plaisir. Des patients sont contraints d’y cohabiter avec d’autres patients, sous la protection d’un personnel qui a autorité sur eux. En ces lieux qui tiennent de l’univers carcéral (parce qu’ils supposent de façon provisoire ou définitive une privation de liberté consentie ou non) se côtoient par ailleurs la vie et la mort. Une proximité toujours favorable à l’humour noir


Au répertoire de La Comédiathèque

Hôpital 

SÉRIE BLANCHE ET HUMOUR NOIR
(L’Hôpital était presque parfait)

DIAGNOSTIC RÉSERVÉ

MÊME PAS MORT

Maison de retraite

BIENVENUE À BORD

 

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L’Hôpital Était Presque Parfait

L’Hôpital Était Presque Parfait
(ou Série Blanche, Humour Noir )

Comédie de Jean-Pierre Martinez

10 à 13 personnages : 8H/2F, 7H/3F, 6H/4F, 5H/5F, 4H/6F, 3H/7F, 2H/8F, 8H/3F, 7H/4F, 6H/5F, 5H/6F, 4H/7F, 3H/8F, 2H/9F, 8H/4F, 7H/5F, 6H/6F, 5H/7F, 4H/8F, 3H/9F, 2H/10F, 8H/5F, 7H/6F, 6H/7F, 5H/8F, 4H/9F, 3H/10F, 2H/11F

L’hôpital était presque parfait… Le crime aussi. Une comédie policière teintée d’humour noir. 

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Série Blanche et Humour Noir

ou « L’Hôpital Était Presque Parfait »

White Coats Dark Humour – Batas blancas y humor negro (español)Batas brancas e humor negro (português)

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

10 à 13 comédiens et/ou comédiennes

10 : 8H/2F, 7H/3F, 6H/4F, 5H/5F, 4H/6F, 3H/7F, 2H/8F, 1H/9F, 10F
11 : 8H/3F, 7H/4F, 6H/5F, 5H/6F, 4H/7F, 3H/8F, 2H/9F, 1H/10F, 11F
12 : 8H/4F, 7H/5F, 6H/6F, 5H/7F, 4H/8F, 3H/9F, 2H/10F, 1H/11F, 12F
13 : 8H/5F, 7H/6F, 6H/7F, 5H/8F, 4H/9F, 3H/10F, 2H/11F, 1H/12F, 13F

L’hôpital était presque parfait… Le crime aussi. Une comédie policière teintée d’humour noir.


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TEXTE INTÉGRAL

Série Blanche et Humour Noir

L’hôpital était presque parfait…

Personnages :

Le docteur : Gunter
Les 2 infirmières : Sœur Emmanuelle et Barbara
Les 3 patients (ou patientes) : Thelma, Louis(e), Berthe (ou Bertrand)
Les 5 visiteurs (ou visiteuses) : Jack, Sandy, Fred, Angela (ou Angelo), Alex
Les 2 policiers (ou policières) : Commissaire Ramirez et Adjoint Sanchez
Patients, visiteurs et policiers peuvent indifféremment être masculins ou féminins.

Le petit salon de réception de l’hôpital, destiné à recevoir les visiteurs. Sœur Emmanuelle, brune à la beauté discrète en tenue d’infirmière religieuse, décore en chantonnant un sapin de Noël malingre posé dans un coin sur une table. Devant le sapin, sur la table, est installée une crèche. Derrière Emmanuelle arrive Gunter, beau médecin genre play boy, blouse blanche et stéthoscope autour du cou. Ambiance Série Blanche Harlequin.

Gunter – Bonjour Sœur Emmanuelle, tout va bien ?

Emmanuelle sursaute, surprise et un peu troublée.

Emmanuelle – Bonjour Docteur Müller. Vous m’avez fait peur…

Gunter – Je suis vraiment désolé. Mais appelez-moi Gunter…

Emmanuelle – Et pourquoi cela, Docteur Müller ?

Gunter – Mais parce que c’est mon prénom, Emmanuelle !

Emmanuelle – Bien sûr… Mais si vous permettez, je continuerai à vous appeler Docteur Müller. Cela me semble plus convenable. Et je préférerais que vous m’appeliez Sœur Emmanuelle…

Gunter – Comme vous voudrez, ma sœur… Ah, mais vous avez fait des merveilles avec ce sapin ! Il est vraiment magnifique…

Emmanuelle considère avec satisfaction l’arbre de Noël en fin de vie que quelques guirlandes en mauvais état ont du mal à égayer un peu.

Emmanuelle – Nos patients ont bien besoin d’un peu de réconfort, en cette période de fête où ils ne sont pas tous entourés de l’amour de leur famille…

Gunter – Bien sûr…

Emmanuelle – À ce symbole laïc qu’est le sapin de Noël, je me suis permis d’ajouter une crèche. J’espère que vous n’y voyez pas d’inconvénient, Docteur ?

Gunter – Cela fait aussi partie de la magie de Noël ! Même les grands magasins du Boulevard Haussman ont une crèche, pourquoi pas notre hôpital ? Après tout, nous aussi nous sommes une entreprise commerciale !

Emmanuelle – Il est important que tous nos patients qui n’ont pas de famille sachent qu’ils peuvent compter malgré tout sur l’amour de notre Seigneur…

Gunter – C’est clair…

Emmanuelle se penche vers la crèche pour installer les figurines dedans.

Emmanuelle – Voulez-vous m’aider à mettre le petit Jésus dans la crèche ?

Gunter – Euh… oui.

Gunter s’approche d’Emmanuelle pour lui donner un coup de main et ils se frôlent.

Emmanuelle – Tenez, voilà le bœuf et l’âne… Bien dans le fond…

Gunter – Parfait.

Emmanuelle – Et voilà la Sainte Vierge.

Arrive Barbara, aussi blonde qu’Emmanuelle est brune, et vêtue d’une blouse mettant ses charmes beaucoup plus en avant.

Barbara (ironique) – J’imagine que ce n’est pas de moi dont vous parliez, ma sœur…

Gunter – Ah, Barbara, je vous cherchais, justement…

Barbara – Ce n’est pas dans une crèche que vous me trouverez…

Gunter – Voilà, ma sœur… J’ai réussi à les caser tous, mais j’ai eu du mal…

Barbara – Ce n’est pas toujours facile de trouver une place en crèche…

Gunter – Bonjour Barbara. J’allais commencer ma visite. Vous me suivez ?

Barbara – Comme les Rois Mages suivaient l’Étoile du Berger, Gunter. Vous le savez bien, où vous irez, j’irai…

Gunter – Je vous laisse Emmanuelle… Je veux dire Sœur Emmanuelle…

Barbara lance à Emmanuelle un regard jaloux. Emmanuelle, embarrassée, juge préférable de s’éclipser.

Emmanuelle – J’ai à faire, moi aussi…

Emmanuelle sort.

Gunter – On y va, Barbarella ? Je veux dire Barbara…

Gunter et Barbara sortent. Poussée par Angela, habillée de façon gothique, Louise arrive assise dans un fauteuil roulant surplombé par une poche de perfusion.

Angela – Alors Joyeux Noël, Tante Louise !

Louise – Merci, Angela… Je ne sais pas si je verrai le prochain…

Angela – Allez, ne dis pas ça… (Elle sort de son sac une bouteille de Champagne et deux coupes). Tiens, j’ai amené de quoi trinquer pour célébrer ça…

Louise – Oh, mais c’est de la folie…

Angela ouvre la bouteille et emplit les coupes. Puis elle sort un paquet de biscuit de son sac.

Angela – Je t’ai aussi apporté des langues de chat, je sais que tu aimes bien…

Louise – Tu es vraiment un ange, Angela, mais avec mon estomac. Enfin ce qui m’en reste… J’aurais préféré des biscuits à la cuillère…

Angela – Tu n’auras qu’à les tremper dans ton champagne pour les ramollir. Tiens, voilà ton cadeau…

Angela tend à Louise une enveloppe.

Louise – Merci ! Qu’est-ce que c’est ?

Angela – Surprise !

Louise – Une enveloppe… Ce n’est pas de l’argent, au moins… C’est bien la seule chose dont je ne manque pas… À mon âge, ce qui me manque, c’est plutôt le temps pour le dépenser…

Angela – Eh oui… (Plus bas) Comme quoi la vie est mal faite… Moi du temps, je n’ai que ça…

Louise, qui n’a pas entendu, entreprend avec difficulté d’ouvrir le paquet. Pendant ce temps, Angela verse le contenu d’une petite fiole dans la coupe de sa tante. Louise parvient enfin à extraire de l’enveloppe un papier.

Louise – Qu’est-ce que c’est que ?

Angela – Un abonnement d’un an au magazine Pleine Vie !

Louise – Un an ! Je ne sais pas si j’en profiterai jusqu’au bout…

Angela (à mi-voix) – Oui, je ne suis pas sûre non plus.

Louise – Comment ?

Angela sort de son sac un exemplaire du magazine qu’elle tend à Louise.

Angela – Tiens, voilà le premier numéro… Ça te fera de la lecture…

Louise – Merci Angela !

Angela – Si ça te fait plaisir, ça me fait plaisir aussi, ma tante…

Elles se font la bise.

Angela – Alors on trinque ?

Louise – Je ne sais pas si c’est très raisonnable ?

Angela – Allez, un petit verre pour Noël, ça ne peut pas faire de mal !

Louise – Oh, mais tu m’en as mis beaucoup trop…

Angela – Mais non !

Louise – Tu peux me passer mon châle, s’il te plaît ?

Angela se retourne pour prendre le châle sur un fauteuil. Louise en profite pour intervertir les verres afin d’avoir celui qui est le moins rempli.

Angela – Tiens le voilà…

Louise – Merci, c’est gentil… Heureusement que tu es là, toi au moins… Sinon personne ne viendrait me voir…

Angela – Mais c’est normal, je suis ta nièce… (Grand sourire) Alors Tata, tu as réfléchi à ce qu’on s’était dit la dernière fois ?

Louise – Quoi ?

Angela – Au sujet de ton testament, tu sais… Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée de tout laisser à l’Abbé Pierre…

Louise – Ce n’est pas l’Abbé Pierre, c’est le Docteur Müller ! Enfin sa fondation ! Une fondation qui s’occupe des orphelins qui n’ont pas de parents…

Angela – Oh tu sais, maintenant, tout le monde a sa fondation, même les tueurs en série… Et puis moi aussi, je serai un peu orpheline quand tu ne seras plus là…

Louise – Toi tu as tes parents, tout de même. Ils ne sont pas dans le besoin, ils sont dentistes tous les deux… Et puis tu sais bien que ta mère a toujours eu une dent contre moi… D’ailleurs, elle ne vient jamais me voir…

Angela – Mais moi je suis là !

Louise – C’est pour ça que j’avais d’abord rédigé ce premier testament en ta faveur… Il est dans le tiroir de ma table de nuit… Mais le Docteur Müller m’a convaincue de… Et puis je sais bien que si tu viens me voir, ce n’est pas pour mon argent…

Angela – Bien sûr…

Louise – Tu as une famille, toi. Tu peux faire des études. Et être dentiste, comme tes parents. Tandis que ces pauvres orphelins. Si ce bon Docteur Müller n’avait pas les moyens de s’occuper d’eux…

Angela – Écoute, fais ce que tu voudras… Après tout c’est ton argent ! Mais ce nouveau testament, tu l’as déjà rédigé ?

Louise – Pas encore… Je vais m’en occuper tout à l’heure…

Sourire d’Angela.

Angela – Parfait… Allez, à ta santé !

Elles boivent.

Louise – Il est bien frais…

Angela – Oui, c’est du bon…

Louise jette un regard à l’étiquette en plissant les yeux.

Louise – La Veuve Tricot… Tiens, je ne la connaissais pas, celle-là…

Angela – Une langue de chat, pour faire passer tout ça ?

Louise – Merci, je les goûterai peut-être tout à l’heure quand tu seras partie…

Angela – C’est ça… En lisant Pleine Vie… Bon, je vais te laisser, Tata… Tu dois sûrement être un peu fatiguée…

Louise – Ça va… Tu ne veux pas faire un Cluedo avant de partir ?

Angela – Désolée, mais je n’ai vraiment pas le temps… Je reviendrai pour te souhaiter la bonne année…

Elles se font la bise.

Louise – Allez, amuse-toi bien… Et merci d’être passée voir ta vieille tante pour Noël… Ah, au fait, moi aussi j’ai un cadeau pour toi ! Tiens, il est sous la table là…

Angela prend le paquet, l’ouvre et en sort un truc en laine.

Angela – Qu’est-ce que c’est ?

Louise – Ben c’est une écharpe ! Je l’avais tricoté pour une amie, mais elle est morte avant de pouvoir la porter. Elle te plaît ?

Angela – Beaucoup… Allez, à bientôt Tata… Et Joyeux Noël !

Angela s’en va.

Louise – Drôle de look, quand même… À chaque fois qu’elle vient me voir, j’ai l’impression d’être déjà en enfer… (Soupir) Alors, voyons voir ça…

Louise ouvre Pleine Vie et se met à le feuilleter tout en trempant une langue de chat dans son champagne. Elle plisse les yeux.

Louise – Qu’est-ce que j’en ai encore fait de mes lunettes, moi…? J’ai dû les laisser dans ma chambre…

Louise repart dans sa chaise roulante. Sœur Emmanuelle arrive, tenant Berthe par le bras. Elle l’aide à s’installer dans le fauteuil.

Emmanuelle – Tenez, installez-vous un peu ici, Berthe. Ce n’est pas bon de rester toute la journée allongée…

Berthe – Oh, vous savez, le Boulevard des Allongés, ce sera ma prochaine adresse, alors…

Emmanuelle – Et bien raison de plus, vous avez bien le temps. Vous voulez faire un scrabble, pour vous dégourdir un peu ?

Berthe – Me dégourdir quoi ?

Emmanuelle – Les méninges !

Berthe – D’accord…

Emmanuelle dispose le jeu.

Emmanuelle – Tenez, voilà vos lettres… Vous commencez ?

Berthe – Oh vous savez, je ne sais pas si je vais y arriver, je n’ai plus toute ma tête…

Emmanuelle – Essayez toujours…

Berthe – Bon, je vais faire ça alors… (Berthe aligne toutes ses lettres sur le plateau) OXYDIEZ du verbe oxyder. Alors, 35 avec le x qui compte double 45 multiplié par 2 égale 90 plus 50 qui font 120…

Emmanuelle – Eh ben… Vos neurones, au moins, elles ne sont pas encore trop oxydées…

Un couple débarque, Sandy et Jack, fille et gendre de Berthe.

Emmanuelle – Ah, je crois que vous avez de la visite, Berthe… Je vous laisse en famille… Messieurs Dames…

Sandy (à Emmanuelle) – Bonjour ma sœur…

Berthe – C’est votre sœur ?

Emmanuelle (avec indulgence) – Non Berthe, c’est votre fille…

Emmanuelle échange un sourire avec Sandy et sort.

Sandy – Alors maman, comment ça va aujourd’hui ?

Berthe – Oh, tu sais, à mon âge…

Jack – Bonjour belle-maman…

Berthe – C’est qui celui-là ?

Sandy – Mais enfin, maman, c’est Jack, mon mari !

Berthe – Tu es mariée ? Depuis quand ?

Sandy – Ça va faire une vingtaine d’années.

Berthe – Tu aurais au moins pu m’envoyer un faire-part…

Sandy – Mais tu as assisté à notre mariage, maman ! (Elle sort une photo de son portefeuille) Tiens regarde, c’est toi là, sur la photo, à la sortie de la mairie.

Berthe – Ah, oui… Et celui qui te tient par le bras, là, avec son costume trop grand, c’est qui ?

Jack – C’est moi, belle maman. Jack, votre gendre !

Berthe le regarde.

Berthe – Ouh là… Qu’est-ce qu’il a vieilli ! Ça ne m’étonne pas que je ne l’ai pas reconnu…

Jack – Eh oui, on vieillit tous…

Sandy tend à sa mère une boîte.

Sandy – Tiens je t’ai apporté une boîte de pâtes de fruits.

Berthe – Merci… Ce n’est pas trop dur au moins ? Parce qu’avec mes dents…

Jack – Ce sont des pâtes de fruits, belle-maman… C’est tout mou…

Berthe (en aparté à Sandy) – Pourquoi est-ce qu’il m’appelle belle-maman ?

Jack préfère changer de sujet..

Jack – Alors Berthe, on a bien dormi, cette nuit ?

Berthe – J’ai fait un rêve bizarre…

Jack – Ah oui ? Quoi donc ?

Berthe – Oh, ça n’a plus grande importance, maintenant…

Sandy – Dis toujours… (Plus bas) Ça nous fera au moins un sujet de conversation…

Berthe – J’ai rêvé de ces lingots que ma mère m’avait offerts pour Noël juste avant de mourir…

Sandy et Jack, sidérés, échangent un regard.

Sandy – Des lingots ?

Jack – Vous voulez dire des lingots d’or, belle-maman ?

Berthe – Comment ?

Sandy – Ta mère t’a donné des lingots ? Tu ne nous avais jamais parlé de ça avant !

Berthe – Ça ne vous regardait pas… Et puis comme je ne savais plus du tout ce que j’en avais fait… C’est cette nuit, seulement, que ça m’est revenu…

Jack – Et alors ?

Berthe – Vous savez comment c’est, les rêves, dès qu’on se réveille, on en oublie la moitié.

Sandy – Et de quelle moitié tu te souviens ?

Berthe – Je me souviens de la boîte… Et de tous les lingots à l’intérieur.

Sandy – Tous les lingots ? Parce qu’en plus, il y en avait beaucoup ?

Jack – Et cette boîte, vous ne vous souvenez plus où vous l’avez cachée ?

Berthe – Cachée ?

Jack – Faites un effort, belle maman !

Sandy – Tu les as peut-être enterrés quelque part dans le jardin ?

Berthe – Quoi donc ?

Jack (pétant les plombs) – Les lingots, putain ! Les putains de lingots !

Berthe – Ah, ça, j’ai complètement oublié…

Sandy – Essaie de te souvenir…

Berthe – Oui, je me souviens bien de la boîte. (Désignant la boîte de pâtes de fruits) Un peu plus grosse que celle-là, quand même.

Le Docteur Müller repasse par là. Sandy et Jack paraissent embarrassés par l’arrivée de ce témoin gênant.

Gunter – Bonjour Berthe, alors comment ça va aujourd’hui ?

Berthe – Bonjour Docteur.

Gunter – Ah, mais je vois qu’on est allé chez le coiffeur pour le réveillon ! Ça vous va très bien…

Berthe – Flatteur…

Gunter – Messieurs Dames… Tout va bien ?

Jack – Bonjour Docteur Müller…

Sandy – Oui, oui, tout va bien. Hein, maman ? (Plus bas) Elle perd de plus en plus la mémoire, mais à part ça, ça va…

Gunter – Votre mère est solide, croyez-moi. Elle nous enterrera tous ! N’est-ce pas Berthe ?

Jack – Et pour la mémoire, vous n’avez pas quelque chose de…

Sandy – Même si l’effet n’était que passager.

Gunter – Pour la mémoire, voyons voir, j’essaie de me souvenir… Si, je prends moi-même quelque chose de très efficace, mais… Je n’arrive pas du tout à me rappeler le nom de ce médicament… (Sandy et Jack le regardent interloqués) Je plaisante, bien sûr… Ici, il faut bien rigoler un peu, vous savez, sinon… On aurait vite fait de se suicider. Non, malheureusement, pour les pertes de mémoire, il n’existe aujourd’hui aucun remède…

Jack – Je vois… Il s’agit sans doute d’une maladie dégénérative…

Dans sa chaise roulante, Berthe s’assoupit lentement.

Gunter – Et voilà ! Une longue maladie dégénérative dont hélas nous souffrons tous dès notre naissance…

Jack – Et qui s’appelle ?

Gunter – La vie, cher Monsieur ! La vie ! Une maladie génétique dont l’issue est toujours fatale à plus ou moins longue échéance. (Le bip du Docteur retentit) Et bien chers amis, le devoir m’appelle. Je vous souhaite un Joyeux Noël !

Sandy secoue un peu sa mère pour la réveiller.

Sandy – Réveille-toi, on va aller faire un petit tour dans le parc…

Jack – L’air frais, ça va peut-être lui rafraîchir la mémoire…

Sandy – Allez, maman ! Lève-toi et marche !

Sandy, Jack et Berthe sortent. Louise revient en chaise roulante et se remet à lire Pleine Vie. Thelma arrive, marchant avec difficulté, agrippée d’une main au portique à roulettes de sa perfusion, et tenant de l’autre un ordinateur portable.

Thelma – Alors Louise, vous n’êtes pas encore morte ?

Louise – Sacrée Thelma, toujours le mot pour rire… Quand vous ne serez plus là, on va s’ennuyer…

Thelma – Avec un peu de chance, vous partirez avant moi… Qu’est-ce que vous lisez ?

Louise – Pleine Vie. C’est un cadeau de ma petite nièce…

Thelma – Au moins, elle a le sens de l’humour… Et c’est intéressant ?

Louise – Oui, mais qu’est-ce qu’il y a comme pubs… Sonotones, fauteuils monte-escalier, conventions obsèques…

Thelma – Ça a l’air sympa…

Thelma s’assied dans un fauteuil, et ouvre le capot de son ordinateur portable.

Louise – Il y a le wifi, ici ?

Thelma – Ça capte mieux du côté de la chambre mortuaire, mais là c’est occupé.

Louise – Ah, oui ? Par qui ?

Thelma – Je croyais que c’était vous, mais apparemment non…

Thelma allume son ordinateur.

Louise – C’est peut-être Berthe…

Thelma – Vous croyez ?

Louise – C’est toujours les meilleurs qui partent les premiers…

Thelma – Je préfère être une peau de vache… Ça conserve…

Louise – Pauvre Berthe… Pourtant, elle n’avait pas l’air si mal en point… Je n’aurais pas parié que ce serait elle qui nous quitterait en premier.

Thelma – Moi oui…

Louise – Pardon ?

Thelma – J’avais parié sur elle.

Louise – Non ?

Thelma – Cinquante euros… Puisque ce n’est pas vous, dans la chambre mortuaire, ça me laisse encore une chance…

Louise – Tant que vous ne pariez pas que je serai la prochaine sur la liste…

Thelma examine le dossier médical suspendu au fauteuil roulant de Louise.

Thelma – Voyons voir… Ah oui, quand même… Sans vouloir vous flatter, vous avez plutôt un bon dossier…

Louise lui lance un regard inquiet.

Louise – Vous trouvez ?

Thelma se met à pianoter sur son clavier

Thelma – Ça va… J’ai deux barres…

Louise – Deux barres ?

Thelma – Pour le wifi !

Louise – Ah, oui…

Thelma continue de pianoter sur son ordinateur. Louise se remet à sa lecture.

Thelma – Ouah ! Il est pas mal, celui-là ! Regardez ça !

Thelma tourne un instant l’écran vers Louise.

Louise – Vous êtes sur quel genre de site ?

Thelma – Un site de rencontre… Mon pseudo, c’est Thelma…

Louise – Thelma, ce n’est pas votre vrai nom ?

Thelma – Mon vrai nom, c’est Henriette… Mais pour rencontrer quelqu’un sur le net, Henriette, ce n’est pas un prénom facile.

Louise – Vous croyez vraiment que dans notre état, on peut encore rencontrer quelqu’un ?

Thelma – À part quelqu’un qui soit chargé de nous administrer les derniers sacrements, de constater le décès ou de procéder à l’autopsie, vous voulez dire ? On peut toujours rêver… Mais là, je dois dire que j’ai un coup de cœur…

Louise – Avec la tension que vous avez… Un coup de cœur, ça tourne vite à la crise cardiaque..

Thelma se remet à pianoter.

Thelma – J’hésite…

Louise – Dans l’état où on est, il vaut mieux ne pas hésiter trop longtemps.

Thelma – Allez, je tente ma chance…

Louise – Je ne voudrais pas vous décourager, mais quand il va voir votre photo…

Thelma lui montre à nouveau l’écran.

Thelma – Tenez, la voilà, ma photo…

Louise – Mais… c’est Sœur Emmanuelle !

Thelma – Elle n’est pas super sexy, mais c’est tout ce que j’avais sous la main… Je l’ai prise avec mon portable hier en lui disant que je voulais avoir une photo d’elle sur ma page d’accueil…

Louise – J’espère qu’elle ne surfe pas sur le net, elle aussi…

Thelma – Une religieuse… En tout cas, elle ne doit pas fréquenter des sites de rencontre… Et puis comme ça au moins, ça fait plus crédible…

Louise – Quoi ?

Thelma – La photo ! Il ne faut pas exagérer, non plus, les hommes savent bien que quand on a le physique d’une femme de footballeur, on n’a pas besoin d’aller sur ce genre de site pour avoir le ballon…

Louise – Remarquez, vous avez raison… Ce petit air niais et un peu naïf, il y en a que ça peut attendrir…

Thelma – On lui donnerait le bon Dieu sans confession…

Louise – Ah, quand on parle du loup…

Sœur Emmanuelle arrive. Thelma ferme précipitamment le capot de son ordinateur.

Thelma – Bonjour ma sœur !

Emmanuelle – Thelma et Louise ! Toujours inséparables, alors ! Comment ça va, aujourd’hui ?

Louise – Comme dit le Docteur Müller, la vie est une longue maladie dégénérative…

Thelma – Disons que nous on serait plutôt au stade terminal…

Emmanuelle – Ici ou ailleurs, nous ne sommes que de passage sur terre… Et le Seigneur nous attend tous en son paradis.

Thelma – Vous vous rendez compte, ma sœur ? Avec nous, c’est la première génération internet qui va arriver là-haut… Vous croyez qu’il y a du réseau, au paradis ?

Emmanuelle – Si c’est le paradis, il y a sûrement du wifi…

Thelma – C’est sûrement pour ça que ça capte déjà mieux du côté de la chambre mortuaire…

Emmanuelle – Est-ce que je peux faire quelque chose pour votre bien être, Mesdames ?

Thelma – Le haschich n’est toujours pas admis dans cet établissement même à usage thérapeutique ?

Emmanuelle – Je crains que non…

Thelma – Alors tant pis.

Emmanuelle – Bien, alors je repasserai tout à l’heure pour votre cours de gym… Bonne journée, Mesdames.

Louise – Bonne journée à vous, ma sœur.

Thelma – Et encore merci pour la photo… Je l’ai mise aussitôt sur ma… page d’accueil.

Emmanuelle – Si cela peut vous être d’un petit réconfort…

Thelma – Croyez-moi, ma sœur, grâce à vous, plusieurs de mes prières ont déjà été exaucées…

Emmanuelle sort. Louise range sa revue et commence à rouler son fauteuil pour partir.

Louise – Allez, ce n’est pas que je m’ennuie avec vous, mais il faut que j’aille faire mes devoirs…

Thelma – Vos devoirs ? Vous avez repris des cours ?

Louise – Non, mais c’est pour ne pas être prise de court, justement. Je dois rédiger mon testament…

Thelma – C’est vous qui avez raison, Louise, à nôtre âge, c’est plus facile de coucher quelqu’un sur son testament que dans son lit… Et qui est l’heureux élu ?

Louise – Je ne me suis jamais très bien entendu avec ma famille… Alors je me demande si je ne vais pas tout léguer au Docteur Müller… Il est tellement gentil…

Thelma – Et plutôt bel homme…

Louise – À tout à l’heure, Thelma.

Thelma rouvre le capot de son ordinateur.

Thelma – Adieu, Louise.

Louise sort. Thelma se remet à pianoter sur son ordinateur. Arrive un jeune homme, façon rappeur.

Alex – Salut Mémé, ça roule ?

Thelma ferme à nouveau le capot de son ordinateur.

Thelma – Je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler Mémé.

Ils se font la bise.

Alex – Qu’est-ce que tu mates sur ton ordi ?

Thelma – Rien de spécial, pourquoi ?

Alex – Tu fermes la page quand j’arrive, c’est chelou.

Thelma – Tu es passé à la pharmacie pour mon ordonnance ?

Alex – T’inquiètes, j’ai ça là…

Il ouvre une poche de son blouson et tend à Thelma un petit truc dans une feuille d’aluminium.

Thelma – Ce n’est pas un générique au moins ?

Alex – Je me fournis directement chez un herboriste afghan… (Comme Thelma s’apprête à prendre la chose, il l’en empêche) Pas si vite ! Je ne fais pas le tiers payant.

Thelma lui tend un billet de cinquante.

Thelma – Tiens, je les ai honnêtement gagnés.

Alex – Ah ouais, comment ?

Thelma – J’ai gagné un pari.

Thelma range son petit paquet en aluminium et sort un joint qu’elle allume.

Alex – Tu as parié sur quoi ?

Thelma – Tu ne le croirais pas…

Thelma tire sur le joint.

Alex – Tu penses qu’un jour ils vont légaliser la beuh, Mémé ?

Thelma – Pour les vieux, peut-être. En soins palliatifs.

Alex – C’est relou.

Thelma – Et tes parents, comment ça va ?

Alex – Ça roule. Tu fais tourner ?

Thelma – Eh, je suis ta grand-mère quand même ! Je ne vais pas te pousser à te droguer.

Alex – Parce que toi, tu me donnes le bon exemple, peut-être ?

Thelma – Moi c’est différent, c’est pour soulager mes douleurs…

Alex – C’est ça, ouais…

Thelma est surprise par le retour de Sœur Emmanuelle. Elle refile le joint à Alex qui fait de son mieux pour le planquer.

Emmanuelle – Ah bonjour Alex ! C’est gentil de venir rendre visite à votre grand-mère.

Alex – Oui, je… Bonjour ma sœur…

Emmanuelle – Ça sent l’eucalyptus ici, non ? C’est vous qui fumez des cigarettes à l’eucalyptus, Thelma ?

Thelma – C’est à dire que…

Emmanuelle – Vous savez que c’est strictement interdit de fumer dans l’enceinte de l’établissement, même si ce sont des cigarettes pour dégager les bronches… Allez, je vous laisse en famille. Au revoir Alex…

Alex – Au revoir ma sœur…

Thelma – Allez on s’arrache.

Alex – Où est-ce qu’on peut-être tranquille ?

Thelma – Suis-moi, tu verras. Et en plus, c’est un endroit où on capte très bien le wifi…

Alex – Cool…

Ils sortent, mais Thelma oublie son ordinateur portable. Gunter, le médecin, repasse en compagnie de Barbara.

Gunter – Bon, et bien cela ne va pas trop mal, ce matin, n’est-ce pas Barbara ?

Barbara – Tous nos patients répondent à l’appel. Ça n’arrive déjà pas si souvent que ça. Cela tiendrait presque du miracle…

Gunter – C’est curieux, j’avais pourtant cru apercevoir quelqu’un dans la chambre mortuaire…

Barbara – Un oubli, peut-être… Il y a aussi des morts que personne ne vient réclamer…

Gunter – Je vais m’occuper de ça…

Barbara (provocante) – Vous ne voulez pas vous occuper de moi, plutôt ?

Gunter – C’est à dire que… On ne peut pas laisser un corps abandonné, comme ça…

Barbara – Un corps abandonné… Vous en avez un devant vous, Docteur Müller… Êtes-vous aveugle à ce point ?

Gunter aperçoit l’ordinateur et saisit le prétexte pour se dégager.

Gunter – Mais que vois-je ?

Barbara – Quoi ?

Gunter – Un ordinateur à la pomme…

Barbara (déçue) – Cruel, je vous lancerai bien cette pomme à la figure…

Gunter – An Apple a day, keep the doctor away…

Barbara – Vous parlez anglais, Gunter ? Je pensais que vous étiez allemand…

Gunter – Mon grand-père a émigré en Argentine à la fin de la guerre, mais j’ai été élevé dans un collège anglais en Suisse.

Barbara – Je vois…

Gunter – Quoi qu’il en soit, ce n’est pas le genre de chose à laisser traîner… C’est à vous ?

Barbara – Non…

Gunter – Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de voleurs ici, mais bon…

Le regard de Barbara est attiré par l’image sur l’écran.

Barbara – Ah oui, comme vous dites… C’est d’autant moins à laisser traîner quand on surfe sur ce genre de site…

Gunter – Quel genre de site ?

Barbara – Un site de rencontre !

Gunter – Ce ne sont quand même pas nos patients qui…

Barbara – Mais… c’est la photo de Sœur Emmanuelle !

Gunter – Vous plaisantez…

Barbara – Si ce n’est pas elle, cela lui ressemble beaucoup…

Gunter – Faites voir…

Barbara – Elle se fait appeler Thelma.

Gunter – Non ?

Barbara – C’est clair que quand on s’appelle Sœur Emmanuelle, sur ce genre de site, il vaut mieux prendre un pseudo pour ne pas risquer de tomber sur des pervers…

Sœur Emmanuelle arrive. Gunter et Barbara, stupéfaits, la regardent avec d’autres yeux.

Emmanuelle – Tout va bien ?

Gunter – Très bien…

Barbara – Très, très bien…

Emmanuelle – Parfait…

Barbara – Vous êtes sûre que vous n’oubliez rien, ma sœur ?

Emmanuelle – Je ne vois pas, non ? Alors à plus tard…

Sœur Emmanuelle continue son chemin, un peu gênée par le regard insistant des deux autres, et elle sort.

Gunter – Je n’aurais jamais cru ça d’elle… Elle a l’air tellement…

Barbara – Eh oui… On croit connaître les femmes…

Gunter – Elle n’a pas repris son ordinateur…

Barbara – Elle n’a pas osé… Cette Sainte Nitouche…

Gunter – C’est vrai que ç’aurait été un peu gênant.

Barbara – Tu m’étonnes…

Gunter – On va le laisser ici, elle viendra le reprendre discrètement…

Barbara s’apprête à sortir.

Barbara – Vous venez ?

Gunter – Oui, oui, je vous rejoins tout de suite…

Barbara sort. Gunter hésite un instant, puis se met à pianoter fébrilement sur l’ordinateur. Thelma revient. Gunter s’éclipse.

Thelma – Ouah… C’est de la bonne… (Elle aperçoit l’ordinateur) Ah, il me semblait bien aussi que je l’avais oublié là…

Berthe revient accompagnée de Sandy et Jack.

Thelma – Berthe ? Je croyais que vous étiez décédée !

Berthe – Et bien non, vous voyez…

Thelma – Encore cinquante euros de perdu… Mais alors c’est qui dans la chambre mortuaire ?

Le regard de Thelma est attiré par l’écran de l’ordinateur.

Thelma – Tiens, une nouvelle proposition… Décidément, je suis très sollicitée… (Elle pianote sur le clavier et regarde l’écran) Non, le Docteur Müller…

Thelma sort tout en regardant son écran. Arrive Fred, la deuxième fille (ou le deuxième fils) de Berthe.

Fred – Bonjour maman… (Plus froidement) Sandy… Jack…

Berthe (à Sandy) – Tiens voilà ta mère.

Sandy – C’est toi ma mère. Elle c’est ma sœur…

Berthe – Tu es sûre ? Elle a l’air tellement vieille…

Jack – On va vous laisser, hein, Sandy ?

Fred – Je ne vous chasse pas, j’espère…

Sandy – On allait partir.

Sandy embrasse Berthe.

Fred – Tiens, je t’ai amené des pâtes de fruits…

Berthe – Ah, merci… Ce n’est pas ta sœur qui m’en aurait apportées… Elle ne m’apporte jamais rien…

Sandy – On t’en a apporté une boîte, maman, elle est là…

Jack – À la prochaine, Berthe…

Jack et Sandy sortent, après avoir échangé un regard hostile avec Fred. Fred lui tend la boîte qu’elle a apportée.

Fred – Prends donc une pâte de fruits…

Berthe – Merci… (Elle prend une pâte de fruits et la mange) Elles sont moins bonnes que celles de ta sœur…

Fred – Alors, maman, tu as réfléchi à ce que je t’ai demandé la dernière fois ?

Berthe – Quoi ?

Fred – Au sujet de cette boîte contenant des lingots, que tu aurais caché quelque part dans la maison…

Berthe – Ah, ça…

Fred – Tu te souviens de ce que tu en as fait ?

Berthe – Oui.

Fred – Et alors ?

Berthe – Alors quoi ?

Fred – Qu’est-ce que tu en as fait ?

Berthe – Ben je l’ai mise dans le grenier, je crois.

Fred – Non ?

Berthe – Si, mais je viens de le dire à ta sœur…

Fred – La salope…

Fred sort en trombe. Louise arrive.

Louise – Vous voulez un chocolat ? C’est le Docteur Müller qui me les a offerts parce que je viens de lui léguer toute ma fortune…

Berthe – C’est vraiment très gentil de sa part… Qu’est-ce que c’est comme chocolat ?

Louise – Des lingots.

Berthe – Ah oui, je vais en prendre un. Ça me rappellera ma jeunesse. Ma mère m’en offrait souvent quand j’étais petite. Je me souviens, j’ai encore toutes les boîtes dans le grenier…

Thelma arrive à son tour. Par derrière, elle coupe avec une pince à linge le tuyau du goutte à goutte de Louise. Berthe la voit. Tout en affichant un sourire hilare, Thelma lui fait signe d’un geste de se taire.

Thelma – Je ne devrais pas, je sais, mais je trouve ça tellement marrant…

Berthe commence à tourner de l’œil. Sœur Emmanuelle revient, dans une tenue de gymnastique très voyante, avec un gros lecteur de CD sur l’épaule façon rappeur des rues. Comme une collégienne prise en faute, Thelma retire discrètement la pince à linge et Louise recouvre ses esprits.

Emmanuelle – Allons Mesdames, il faut bouger un peu ! C’est l’heure de votre cours de gymnastique.

Thelma – Oh, non, pas la gym…

Sœur Emmanuelle appuie sur la touche du lecteur et lance une bande son entraînante façon step.

Emmanuelle – Allons, tous avec moi !

Emmanuelle, un peu exaltée, se met à faire des mouvements de step de façon assez spectaculaire, que les patientes mal en point imitent mollement.

Emmanuelle – Allez, un peu plus d’entrain !

Thelma coupe à nouveau avec la pince à linge la perfusion de Louise, qui recommence à tourner de l’œil.

Berthe – Sœur Emmanuelle… On dirait que Louise a un peu forcé…

Emmanuelle – Bon, d’accord, on va peut-être arrêter là pour aujourd’hui, alors…

Thelma retire la pince à linge la perfusion de Louise, qui recouvre peu à peu ses esprits.

Thelma – On s’en sort bien…

Emmanuelle – Ça va mieux, Berthe ?

Berthe – Ça va… J’ai dû faire un petit malaise…

Les trois patientes sortent. Gunter arrive et découvre la tenue plutôt moulante et flashy de Sœur Emmanuelle, en train d’éteindre son lecteur de CD pour partir.

Gunter – Et bien… Décidément, je vous découvre sous un autre jour, Emmanuelle…

Emmanuelle – C’est une tenue de gymnastique… Vous trouvez que c’est un peu trop…?

Gunter – Je ne pensais pas que sous votre blouse blanche se cachait un tel feu d’artifice… Vous avez bien reçu mon message ?

Emmanuelle – Quel message ?

Le bip de Gunter se fait entendre.

Gunter – Excusez-moi, on m’a bipé… Mais nous reprendrons cette conversation tout à l’heure, n’est-ce pas ?

Gunter s’en va. Barbara arrive.

Barbara – Alors, Sœur Emmanuelle, on mouille le maillot ?

Emmanuelle – Je sais, je ne devrais pas trop les surmener, mais en même temps…

Barbara – Vous devriez surtout être un peu plus discrète…

Emmanuelle – Discrète ?

Barbara – Nous nous comprenons, n’est-ce pas… Mais je vous préviens, pour ce qui est de Gunter, c’est chasse gardée !

Sœur Emmanuelle sort. Gunter revient catastrophé, en poussant un chariot devant lui sur lequel est allongé un corps recouvert d’un drap blanc.

Gunter – Je viens de découvrir un cadavre dans la salle mortuaire !

Barbara – Ça n’a rien de très extraordinaire, non ? En moyenne, on en dénombre deux ou trois tous les matins…

Gunter – Non mais là ce n’est pas un de nos patients. J’en suis même à me demander si c’est vraiment un être humain. On dirait un zombie. Regardez…

Gunter lève un coin du drap et on reconnaît Angela, la gothique. Louise revient en chaise roulante et aperçoit le cadavre.

Louise – Angela !

Barbara – Vous la connaissez ?

Louise – C’est ma nièce, elle est venue me voir tout à l’heure !

Barbara – Où est-ce que vous l’avez trouvée, Docteur ?

Gunter – Dans la chambre mortuaire, je vous dis !

Barbara – Astucieux, pour dissimuler un cadavre. C’est le dernier endroit on penserait à regarder…

Gunter recouvre à nouveau le corps avec le drap.

Gunter – Vous pensez qu’il pourrait s’agir d’un meurtre ?

Barbara – Allez savoir… Oh, mon Dieu ! Le criminel se trouve peut-être encore parmi nous ! Il faut prévenir la police !

Gunter – C’est fait, je viens d’appeler le commissariat… D’ailleurs les voilà…

Le (ou la) commissaire arrive, avec son adjoint (ou adjointe).

Commissaire – Commissaire Ramirez, et voici mon adjoint Sanchez… J’espère que personne n’a touché à rien.

Gunter – J’ai seulement transporté le corps jusqu’ici sur ce chariot à roulettes…

Commissaire – Très bien, cela nous évitera un changement de décor inutile. (Soulevant le drap pour jeter un coup d’œil) Ouh là… Ce n’est pas beau à voir… Le producteur n’a pas lésiné sur les effets spéciaux…

Adjoint – Ah oui, cette bave verte qui lui sort de la bouche… On se croirait dans l’Exorciste…

Commissaire – Le décès remonte à combien de temps, Docteur ?

Gunter – Je n’en ai aucune idée. Je ne suis pas médecin légiste…

Adjoint – Ne vous inquiétez pas, ça viendra sûrement…

Commissaire (apercevant Louise) – Ça va Mémé, la soupe est bonne, ici ? J’espère que pour Noël, on améliore un peu l’ordinaire à la cantine ? Vous avez eu droit à une bûche glacée au moins ?

Barbara – C’est la tante de la victime, Commissaire. Elle doit être sous le choc…

Commissaire – Ah, très bien… Donc nous connaissons déjà l’identité du cadavre… Ça nous fera gagner du temps. Sanchez, soyez gentil, roulez-moi ce chariot de viande froide un peu plus loin, j’ai l’impression que ça commence déjà à cocoter un peu…

Louise – Pauvre petite… Elle est venue me voir il y a à peine une heure, vous vous rendez compte ?

Commissaire – Donc c’est encore tout frais… Remarquez, peut-être qu’elle sentait déjà mauvais de son vivant…

Louise – Vous êtes sûrs qu’elle est morte, au moins ?

Sanchez s’apprête à rouler le cadavre dans les coulisses.

Adjoint – Ou alors, c’est bien imité… La dernière fois que j’ai vu quelqu’un baver comme ça, c’était un pauvre type mordu par sa belle-mère atteinte de la rage…

Commissaire – Allons, Sanchez, je vous prie de respecter le deuil de cette pauvre femme qui vient de perdre sa nièce dans des conditions particulièrement atroces.

Sanchez – Pardon, Commissaire. Autant pour moi…

Sanchez sort avec le corps sur le chariot à roulettes.

Commissaire – Donc, chère Madame, votre nièce est la dernière personne à vous avoir vue vivante…

Louise – Ce ne serait pas plutôt le contraire, Commissaire ? Je ne suis pas encore tout à fait morte…

Commissaire – N’essayez pas de m’embrouiller, je connais mon métier… Ce n’est pas vous qui l’avez tuée, au moins ? Ça ça nous ferait gagner encore plus de temps…

Louise – C’est une animation, pour le réveillon de Noël, Docteur Müller ? Un Cluedo en live ? Monsieur est comédien ?

Gunter – Je crains que non, ma chère Berthe… Ou alors c’est un très mauvais comédien…

Le commissaire prend Gunter à part.

Commissaire – Remarquez, Docteur, ce n’est pas une si mauvaise idée que ça…

Gunter – Quoi ?

Commissaire – Et si vous faisiez croire à vos patients qu’il s’agit d’un jeu de rôles ? Ce serait moins traumatisant pour eux, non ? D’un point de vue psychologique…

Gunter – Enfin… Je pense quand même que Louise se rendra compte à un moment donné que sa nièce est vraiment morte.

Commissaire – Pensez-vous… Dans l’état où elle est ! Dans un quart d’heure elle aura même oublié qu’elle avait une nièce… Enfin, c’est vous qui voyez. Mais c’est important, la psychologie, vous savez…

Adjoint – Voilà, commissaire, c’est fait.

Commissaire – Très bien. Et qu’est-ce que vous avez fait du corps ? Que je sache où vous l’avez fourré si je veux mettre la main dessus un peu plus tard ?

Adjoint – Je l’ai mise dans la chambre froide.

Commissaire – Ah, vous avez une chambre froide ? Très bien, c’est pratique. Nous aussi on a ça à l’institut médico-légal…

Barbara – Oui, enfin, nous c’est dans les cuisines…

Adjoint – Je me disais aussi… Pourquoi est-ce que qu’ils stockent autant de carcasses d’animaux dans une morgue ?

Commissaire – Bon, on essayera de faire l’autopsie avant que la victime soit complètement congelée, sinon il va falloir y aller au pic à glace…

Adjoint – Ou au micro-onde…

Commissaire – Et donc, vous ne savez pas du tout de comment elle a été assassinée ?

Barbara – Comment le saurions-nous, Commissaire ?

Commissaire – Je ne sais pas, moi… Vous êtes médecins, vous avez l’habitude de tuer des gens, non ? Je blague…

Adjoint – Qui a bien pu faire ça ?

Commissaire (lui posant la main sur l’épaule) – Nous sommes ici pour le découvrir, Sanchez…

Adjoint – Vous avez un plan, Commissaire ?

Commissaire – Virez-moi tout ce petit monde d’ici, sauf la vioque. On va l’interroger tout de suite, et après elle pourra aller déjeuner. Nous ne sommes pas des monstres, tout de même. Nous savons que les personnes âgées ont l’habitude de déjeuner tôt…

Barbara (à mi-voix) – On la nourrit par perfusion, Commissaire, nous avons dû lui enlever l’estomac la semaine dernière…

Commissaire – Eh bien comme, au moins, elle n’a plus de problème de digestion… Allez, tout le monde dehors, on vous appellera par votre numéro quand ce sera votre tour, comme aux ASSEDIC.

Gunter et Barbara sortent.

Commissaire – Sanchez, pendant que j’interroge Madame, vous allez me perquisitionner cette taule de la cave au grenier. Et vous mandatez quelqu’un d’ici comme médecin légiste pour procéder à l’autopsie. On ne va pas y passer les fêtes, non plus…

Adjoint – Bien Commissaire.

Sanchez sort.

Commissaire – Alors Mémé ? Vous ne voulez pas avouer tout de suite ? Ça soulagerait votre conscience, et moi je pourrais réveillonner ce soir en famille.

Louise – Je lui avais fait cadeau d’une écharpe en laine. C’est avec ça qu’elle s’est pendue ?

Commissaire – Ça ressemble plutôt à un empoisonnement, si j’en crois la couleur de la bave qui lui sort de la bouche… Vous avez mangé quelque chose ensemble, quand elle vous a rendu visite ?

Louise – On a mangé des langues de chat…

Commissaire – Apparemment, ça ne lui a pas réussi… Pauvres bêtes… Des chats noirs, je parie… Mais c’était quoi, un repas de Noël ou un rite satanique ?

Louise – Enfin ce n’était pas des vraies langues de chat… Elles venaient de chez Auchan. Et puis on a bu un peu de Champagne…

Commissaire – Eh ben, on ne se refuse rien ! Si vous croyez qu’avec ma retraite, moi, j’aurai de quoi me payer du Champagne…

Louise – Nous aussi, on a cotisé ! Et puis ce n’est pas Noël tous les jours… Et dans l’état où je suis, je ne suis même pas sûre de fêter le prochain…

Commissaire – Vous ne savez pas la chance que vous avez… Moi, Noël, ça m’a toujours foutu un peu le bourdon… Déjà, quand j’étais petit…

Louise – Bon, ça va, vous n’allez pas me raconter votre enfance malheureuse, non plus…

Commissaire – Bien… Est-ce que vous diriez que vous aviez des relations conflictuelles avec votre nièce, chère Madame ?

Louise – Oh… Elle venait me voir dans l’espoir de toucher l’héritage, mais bon… Quand on n’a plus que quelques mois à vivre, et qu’on a quelques millions sur son compte, vous savez, ça devient difficile de croire aux visites désintéressées…

Commissaire – Ça pourrait expliquer qu’elle ait voulu abréger vos souffrances, mais pas l’inverse… Et vous l’avez effectivement couchée sur votre testament pour la remercier de son dévouement ?

Louise – Tu parles d’un dévouement…

Commissaire – Reconnaissez que d’aller voir des mourants à l’hosto, ce n’est quand même pas une partie de plaisir ! Sans parler des frais : fleurs, confiseries, magazines… Ça mérite bien une petite compensation, non ?

Louise – J’ai tout légué au Docteur Müller.

Commissaire – Et vous avez bien raison… Ce Docteur Müller m’a l’air d’être un Saint Homme…

Sanchez revient.

Adjoint – Commissaire, on vient d’identifier le véhicule de la victime. Une voiture noire de couleur grise, garée dans le parking de l’hôpital sur une place handicapé…

Commissaire – Et quelles conclusions en tirez-vous, Sanchez ?

Adjoint – Eh bien… La victime n’était pas handicapée…

Commissaire – Ça c’est l’autopsie qui nous le dira… À propos, vous avez mis quelqu’un là dessus.

Adjoint – Oui, Commissaire… Le Docteur Müller s’en occupe…

Sanchez reste là.

Commissaire – Quoi encore ?

Adjoint – Je me disais que… On tenait peut-être le mobile du crime…

Commissaire – Quel mobile ?

Adjoint – Un handicapé qui aurait voulu se venger qu’on lui ait pris sa place de parking ?

Commissaire – Bravo Sanchez, nous ne manquerons pas d’exploiter cette piste. En attendant, vous me débarrassez de la vieille, et vous m’envoyez le témoin suivant…

Adjoint – Quel témoin, Commissaire ?

Commissaire – Je ne sais pas, moi ! Celui qui vous tombera sous la main… (Sanchez embarque Louise). Ces jeunes, il faut tout leur expliquer…

Le commissaire examine les lieux. Il ramasse par terre une fiole, et essaie vainement de lire l’étiquette. Sanchez revient avec Sœur Emmanuelle.

Commissaire – Qu’est-ce que vous lisez là dessus, Sanchez, je ne sais pas ce que j’ai fait de mes lunettes…

Adjoint – Poison, Commissaire… Vous pensez que cela pourrait avoir quelque chose à voir avec cette affaire d’empoisonnement ?

Commissaire – Franchement, ça m’étonnerait… Mais on va quand même envoyer ça au labo pour vérifier s’il ne s’agit pas d’un produit toxique…

Adjoint – Bien Commissaire…

Sanchez prend la fiole et repart.

Commissaire – Alors, ma sœur, à nous… Tout d’abord, qu’est-ce qui vous a poussé à devenir religieuse. Une belle fille comme vous…

Emmanuelle – Je suis mariée avec Notre Seigneur… Je consacre ma vie à aider les autres…

Commissaire – Dans ce cas, nous faisons un peu le même métier.

Emmanuelle – Par d’autre voies, tout de même…

Commissaire – Les voies du Seigneur sont impénétrables… Auriez-vous remarqué quelque chose d’inhabituel dans le coin, ces temps-ci…

Emmanuelle – Par exemple ?

Commissaire – Vous même, vous ne pratiqueriez pas la sorcellerie : messes noires, sacrifices humains, exorcismes ?

Emmanuelle – Non, Commissaire.

Commissaire – Une petite euthanasie de temps en temps, peut-être…?

Emmanuelle – C’est tout à fait contraire aux principes de ma religion, Commissaire.

Commissaire – Tiens donc ? Je l’ignorais. Il faudra que je relise le Coran, un de ces jours…

Emmanuelle – Et puis ce n’est pas un de nos patients en fin de vie qui est décédé, mais une jeune femme qui venait rendre visite à l’un d’entre eux…

Commissaire – On croit abréger les souffrances d’un mourant et on cueille une jeune vie dans la fleur de l’âge. Personne n’est à l’abri d’une erreur médicale…

Emmanuelle – Je suis infirmière diplômée…

Commissaire – Allons ma sœur… Ne me dites que ce n’est jamais arrivé ici qu’un patient vienne pour se faire enlever les hémorroïdes et reparte avec une jambe en moins…

Emmanuelle – Vous avez d’autres questions à me poser, Commissaire ? Mes malades ont besoin de moi…

Commissaire – Ce sera tout pour l’instant, mais je vous demanderais de rester à la disposition de la police jusqu’à nouvel ordre.

Emmanuelle – C’est à dire ?

Commissaire – On va essayer d’éviter le bracelet électronique pour l’instant, mais si vous aviez prévu un petit voyage dans un pays n’ayant pas d’accord d’extradition avec la France, comme Les Bahamas ou les Îles Caïman, je vous demanderais de le reporter…

Emmanuelle – J’avais juste prévu un pèlerinage à Lourdes pour le Nouvel An…

Commissaire – C’est dans l’espace Schengen ?

Emmanuelle – C’est en France, en tout cas…

Commissaire – Très bien, on vous fera un ausweis pour aller saluer Bernadette Soubirous…

Emmanuelle – Merci Commissaire.

Commissaire – Allez dans la paix du Seigneur, belle enfant.

Emmanuelle sort. Sanchez revient.

Commissaire – Alors, cette perquisition, qu’est-ce que ça donne, Sanchez ?

Adjoint – La routine, Commissaire… Un peu de marijuana, des armes de poing, du liquide sous les matelas… J’ai même trouvé de la morphine…

Commissaire – De la morphine… Où va-t-on ? Dans un hôpital, vous vous rendez compte ? Mais quand vous dites du liquide sous les matelas…?

Adjoint – Je parle de cash, Commissaire : Euros, Francs Suisse, Lires Italiennes… J’ai même trouvé quelques Pesetas…

Commissaire – Ah, les pesetas ! C’était le bon temps, n’est-ce pas, Sanchez ? La Costa Brava à un prix encore abordable, les gardes civils avec leurs drôles de tricornes, le Général Franco à la télé avec ses lunettes de soleil… Quel orateur, tout de même ! Ça ne nous rajeunit pas, Sanchez…

Adjoint – Mais ce qui m’inquiète, Commissaire, c’est plutôt ça…

Il sort et revient avec dans les bras une pile de boîtes.

Commissaire – Qu’est-ce que c’est que ça, Sanchez ? Vous croyez que c’est le moment de faire vos courses de Noël ? On a une enquête à résoudre, bon sang !

Adjoint – Des pâtes de fruits, Commissaire. Vingt-quatre boîtes exactement…

Commissaire – Je vois le topo… Et vous avez trouvé ça où ?

Adjoint – Sous le lit d’une patiente. La dénommée Berthe. Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas un pseudo… Plus personne ne s’appelle Berthe, de nos jours…

Commissaire – Je suis de votre avis, Sanchez… Là je crois qu’on tient une piste sérieuse. Vous m’envoyez ça au labo aussi… Ça ne risque pas d’exploser, au moins ?

Adjoint – En tout cas la plupart de ces produits ont dépassé la date limite de consommation.

Commissaire – Et cette Berthe, vous l’avez interrogée ?

Adjoint – Une vrai tête de mule, je n’ai rien pu en tirer… Je me suis dit que vous, vous sauriez davantage y faire… Tout le monde connaît vos qualités de psychologue lorsqu’il s’agit d’interroger les témoins les plus retors… Je vous l’ai amenée…

Commissaire – Vous avez bien fait, Sanchez… Introduisez Madame…

Sanchez sort un instant et revient avec Berthe.

Commissaire – Asseyez-vous là, Berthe, je vous en prie…

Sanchez repart. D’entrée, le commissaire flanque une baffe à Berthe.

Berthe – Mais ça ne va pas, non ?

Commissaire – Je préférais les bottins, mais de nos jours, avec internet, c’est devenu très difficile à trouver… Alors, vous allez parler ?

Berthe – Vous ne m’avez même pas encore posé de questions !

Commissaire – C’est ça… Et ces pâtes de fruits, bien sûr, vous allez me dire que c’était pour votre consommation personnelle ?

Berthe – Tout le monde s’entête à m’amener des pâtes de fruits, Commissaire… J’ai horreur de ça… Vous aimez ça vous, les pâtes de fruits…

Commissaire – Ma foi… (Il en prend une et la goûte) Oui, ce n’est pas si mauvais que ça…

Berthe – Ce que j’aime, moi, c’est les lingots… Ma mère m’en donnait quand j’étais petite. Vous aimez les lingots, Commissaire…

Commissaire – Les lingots ?

Fred, la fille de Berthe, arrive.

Fred – Ah, maman… Pardonnez-moi de faire irruption, Monsieur le Commissaire, mais il fallait que je vous parle… (Elle le prend à part et s’adresse à lui à mi-voix) Vous êtes parvenu à lui faire cracher le morceau ?

Commissaire – À propos de quoi, chère Madame…

Fred – Les lingots ! Elle vous a dit où elle les avait planqués, oui ou non ?

Commissaire – Pas encore, mais ça ne saurait tarder. Faites confiance à la police…

Fred – N’hésitez pas à employer des méthodes un peu… musclées. Je pensais que c’était ma sœur qui les avait trouvés, mais elle m’assure que non…

Commissaire – Vraiment ?

Fred – Je vous laisse faire votre travail… Vous me tenez au courant ?

Commissaire – Je n’y manquerais pas, chère Madame.

Fred sort.

Commissaire – Quelle cupidité, tout de même… S’entredéchirer comme ça en famille… Tout ça pour des chocolats…

Sanchez revient.

Adjoint – J’ai pris la liberté d’interroger moi-même quelques témoins, Commissaire, et toutes les déclarations concordent : on mange très mal dans cet établissement…

Berthe – Ah, oui, ça je vous le confirme ! C’est infect !

Adjoint – J’ai même trouvé de la viande avariée dans le frigo.

Commissaire – En plus de notre cadavre, vous voulez dire ? Je rigole…

Adjoint – J’y retourne et je vous préviens s’il y a du nouveau…

Commissaire – Bon, débarrassez-moi de cette sorcière, et amenez-moi la Poupée Barbie.

Adjoint – Barbara, l’infirmière ?

Commissaire – C’est ça…

Sanchez sort avec Berthe. Barbara arrive.

Commissaire – Ah, chère Madame… Asseyez-vous, je vous en prie…

Barbara – Vous pouvez m’appeler Barbara. (Barbara s’assied en face de lui en croisant les jambes, ce qui déstabilise évidemment son interlocuteur). Vous aviez une question à me poser, Commissaire ?

Commissaire – Euh… oui. Mais bizarrement, là tout de suite, ça ne me revient pas…

Barbara – J’ai tout mon temps…

Commissaire – Ah si, voilà… Avez-vous des raisons de soupçonner votre patron, le Docteur Müller, de se livrer sur ses patients à des essais médicaux prohibés ?

Barbara – Comme les médecins nazis, vous voulez dire ?

Commissaire – Il a un nom à consonance germanique… et il est médecin. Reconnaissez que c’est une hypothèse à ne pas négliger… Même si ça n’est qu’une hypothèse…

Barbara – Le Docteur Müller ? Je ne crois pas Commissaire. D’ailleurs Gunter est Suisse…

Commissaire – Il y avait aussi des nazis en Suisse… En Suisse Allemande, en tout cas…

Barbara – C’est une page de l’histoire que j’ignorais complètement, Commissaire…

Commissaire – Admettons… Mais le Docteur Müller pourrait aussi administrer à ses patients à leur insu du maïs transgénique pour voir s’ils développent des tumeurs ? On connaît bien les liens parfois incestueux que le corps médical entretient avec les laboratoires pharmaceutiques…

Barbara – Il est vrai que presque tous nos patients ont déjà des tumeurs… Mais cela ne cadre guère avec le personnage, Monsieur le Commissaire… Le Docteur Müller est un médecin tout à fait désintéressé. Vous avez entendu parler de sa fondation au profit des orphelins qui n’ont pas de parents ?

Commissaire – Oublions ça, chère amie… Il s’agissait d’un simple interrogatoire de routine et je ne vous retiendrai pas plus longtemps… (Barbara se lève et s’apprête à sortir) Ah Barbara, une dernière petite question…

Barbara – Oui Inspecteur Colombo…

Commissaire – Surtout après avoir mangé des plats épicés, comme du couscous ou du chorizo, j’ai de terribles démangeaisons… à un endroit que la bienséance m’empêche de nommer dans une pièce de théâtre… Vous sauriez de quoi il peut s’agir ?

Barbara – De votre postérieur, j’imagine…

Commissaire – Non, je veux dire, de quelle maladie… Vous pensez que c’est grave ?

Barbara – Simple petit problème d’hémorroïdes probablement… Je vais vous arranger un rendez-vous avec le Docteur Müller pour après les fêtes. En attendant, évitez les excès…

Commissaire – Merci, Barbara, je me sens déjà soulagé…

Barbara sort. Sanchez revient.

Commissaire – Alors Sanchez, que donnent vos investigations ?

Adjoint – Cet hôpital est un vrai foutoir, Commissaire : trafic de stupéfiants, paris clandestins, abus de faiblesse, blanchiment d’argent, call girls recrutées sur le net…

Commissaire – Et l’autopsie ?

Adjoint – De ce côté-là, on a pas mal avancé aussi. L’autopsie révèle que la victime avait absorbé des langues de chat en grande quantité.

Commissaire – Pas de pâtes de fruits, vous êtes sûr ?

Adjoint – Uniquement des langues de chat, dont la date limite de consommation était dépassée de plus d’une semaine… J’ai retrouvé l’emballage dans une poubelle.

Commissaire – Bravo Sanchez ! C’est sûrement la raison du décès… Les langues de chat pas fraîches, ça ne pardonne pas. Reste à savoir s’il s’agit d’un empoisonnement ou d’une simple intoxication accidentelle…

Adjoint – Il y a autre chose Commissaire…

Commissaire – Quoi encore ?

Adjoint – L’autopsie a révélé que la victime n’était pas vraiment morte avant l’autopsie…

Commissaire – Et alors ?

Adjoint – Ben… Le Docteur Müller a essayé de tout remettre à peu près en place…

Commissaire – La victime a été découverte dans une chambre mortuaire… C’est sûrement ça qui a induit les médecins en erreur. Comme quoi, Sanchez, il faut toujours se méfier des conclusions hâtives…

Adjoint – Une dernière chose, Commissaire… J’ai procédé à l’examen des ordinateurs…

Commissaire – Et ?

Adjoint – Bingo ! Je viens d’arrêter un type qui avait rendez-vous avec un membre du personnel de cet hôpital rencontré sur Internet…

Commissaire – Introduisez, Sanchez, introduisez…

Sanchez introduit Gunter et Emmanuelle.

Commissaire – Vous, Docteur Müller ? Et vous ma sœur ?

Gunter – Je peux tout vous expliquer Commissaire…

Commissaire – Confessez-vous à moi, Docteur…

Gunter – Je suis secrètement amoureux de Sœur Emmanuelle depuis son arrivée dans notre établissement. Lorsque j’ai appris par hasard qu’elle s’était inscrite sur un site de rencontre, j’ai pris un pseudo et je lui ai proposé un rendez-vous… Elle a accepté sans savoir qui j’étais… (Se tournant vers Emmanuelle) Emmanuelle, j’espère que vous n’êtes pas trop déçue…

Emmanuelle – Mais cela ne peut être qu’une machination du Diable, Commissaire ! Je ne fréquente pas de sites de rencontre, je vous l’assure !

Commissaire – Allons, ma sœur, inutile de jouer les vierges effarouchées… Vous savez, on a tous un jour où l’autre surfé sur ce genre de sites…

Sanchez arrive.

Adjoint – Je vous amène la victime, Commissaire… Croyez-moi, c’est une véritable résurrection… J’ai assisté moi-même à l’autopsie, il y avait des organes aux quatre coins de la pièce…

Commissaire (à Gunter) – Bravo ! Le Docteur Frankenstein n’aurait pas fait mieux…

Arrive Angela plus zombie que jamais, et la bave colorée au coin de la bouche.

Gunter – J’ai fait ce que j’ai pu, mais si vous voulez l’interroger, je vous conseille de ne pas trop traîner…

Commissaire – Vous avez raison… Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion d’interroger la victime d’un meurtre…

Angela (voix d’outre-tombe) – Allez tous brûler en enfer !

Emmanuelle sursaute.

Emmanuelle – C’est l’Antéchrist, et le Seigneur m’a désignée pour l’affronter. (Elle ouvre sa blouse sous laquelle elle a sa tenue fluo de gymnastique, et se met en position de karaté avant d’esquisser quelques mouvements d’intimidation). Vade retro Satanas !

Emmanuelle décoche un coup fatal à Angela. Sanchez se penche vers le corps.

Adjoint – Cette fois, je crois qu’elle est vraiment morte, Commissaire…

Emmanuelle – Les Forces du Bien ont triomphé des Forces du Mal… Maintenant, vous pouvez faire de moi ce que vous voudrez…

Commissaire – Ne me tentez ma sœur… Mais pour ce qui est du cadavre que vous venez d’assassiner, on en restera à la version officielle… On dira que la victime était déjà morte avant l’autopsie…

Adjoint – Nous ne sommes pas des monstres, tout de même. On ne va pas mettre en prison une religieuse.

Commissaire – Surtout une religieuse qui vient de rencontrer le grand amour grâce à internet…

Barbara arrive, furieuse, suivie de Thelma.

Thelma – Mais puisque je vous dis que Thelma, c’est moi !

Barbara (à Emmanuelle) – Salope. Je t’avais dit de ne pas t’approcher de Gunter !

Barbara se jette sur Emmanuelle et elles se crêpent le chignon.

Adjoint – Vous ne croyez pas qu’on devrait les séparer, Commissaire ?

Commissaire (fasciné) – Attendez encore un peu…

Berthe et Louise arrivent.

Thelma – Je parie sur la brune et vous ?

Berthe – Cinquante euros sur la blonde…

Fred, Jack et Sandy arrivent, en pleine rixe eux aussi.

Fred – Qu’est-ce que tu as fait des lingots, morue ?

Sandy – Attends, je vais t’étrangler, garce !

Jack – Ne vous inquiétez pas Commissaire, c’est juste un petit différend familial…

Jack se joint à la rixe.

Commissaire – Je crois que nous pouvons considérer cette affaire comme résolue, Sanchez. Nous représentons ici les forces de l’ordre, et je crois qu’on peut dire que l’ordre est rétabli.

Adjoint – Bravo Commissaire. Encore une enquête rondement menée. Beau travail…

Commissaire – Merci Sanchez. Vous réveillonnez en famille, ce soir ?

Adjoint – Hélas, Commissaire, je suis un orphelin de la police. Je n’ai plus de famille.

Commissaire – Vous ne savez pas la chance que vous avez, Sanchez…

Adjoint – Mon père est mort en service. Je peux vous l’avouer maintenant, il servait sous vos ordres, et il en était fier… C’est la raison pour laquelle j’ai tenu à rejoindre votre unité, Commissaire.

Commissaire – Ce que vous me dites me bouleverse, Sanchez. Je vous considère comme un fils, vous le savez, et je ne vous laisserai pas tomber un jour comme celui-là.

Adjoint – Je savais que je pouvais compter sur vous, Commissaire…

Commissaire – Tenez, voici le Docteur Müller. Avec sa Fondation, financée par de généreux donateurs en fin de vie comme Berthe, il s’occupe des orphelins qui n’ont pas de parents, comme vous. Il a sûrement une solution pour que vous ne restiez pas seul un soir de réveillon. N’est-ce pas, Docteur ?

Adjoint – Merci Commissaire.

Commissaire – Je vous abandonne, Sanchez… On m’attend à la maison. Et c’est moi qui suis chargé de fourrer la dinde… Joyeux Noël à tous !

Le commissaire sort tandis que la moitié de ceux qui restent continuent à se battre, et les autres à les regarder. Sirènes d’ambulance et de police mêlées…

Noir. Fin.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Octobre 2013

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-42-0

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Diagnostic réservé

Critical but stable – Pronóstico Reservado –  Prognóstico reservado –  Prognosi Riservata –  OPATRNĚ S DIAGNÓZOU 

Comédie de Jean-Pierre Martinez

5 ou 6 personnages (hommes et/ou femmes)

Patrick est dans un coma profond suite à un accident de Velib. Ses proches depuis longtemps perdus de vue sont appelés à son chevet pour décider de son sort afin d’éviter tout acharnement thérapeutique. Mais cette décision collégiale est d’autant plus difficile à prendre que le patient s’avère ne pas être exactement celui qu’on croyait et qu’il est détenteur d’un secret qui pourrait rapporter gros…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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LE MOT DE L’AUTEUR SUR LA PIÈCE

Pour espérer faire la meilleure des comédies, il faut prendre pour sujet le pire des drames… Il y a un sujet de société qui revient régulièrement sur le tapis (ou en l’occurrence sur le billard), c’est celui de l’euthanasie. Je me suis donné comme défi, avec cette pièce, de faire rire en prenant comme point de départ un homme qui est dans un coma profond. À partir de là, bien sûr, il faut trouver le biais pour produire du comique avec une situation aussi tragique. Quand quelqu’un est dans le coma, ses proches sont consultés pour savoir s’il faut ou non maintenir le patient artificiellement en vie. Dans cette comédie, ce sont le frère et la soeur qui sont convoqués par le médecin. Mais ces proches supposés n’étaient en fait plus en relation avec cette victime collatérale depuis longtemps. Ils ne savent donc pas trop quoi décider. D’autant qu’ils s’en foutent un peu, et qu’ils ont d’autres soucis en tête. Par là-dessus arrive la présumée compagne du patient dans le coma et, par elle, on va en apprendre un peu plus sur les circonstances de l’accident qui a conduit le patient à l’hôpital. Ces éléments nouveaux, distillés au goutte à goutte, vont très cyniquement faire pencher les proches tantôt vers le maintien en vie du patient, tantôt vers la décision de précipiter sa fin. La vie est une farce. Et quand quelqu’un meurt ou qu’il est sur le point de mourir, il semble que cet événement cristallise tous les éléments de cette tragi-comédie, à travers l’hypocrisie sociale à laquelle nous sommes tous contraints de nous conformer en des moments aussi solennels. La société, en effet, nous oblige à respecter voire à sacraliser la mort. Le problème c’est que tous les vivants, à l’exception des papes, ne deviennent pas automatiquement des saints du simple fait de leur passage de vie à trépas. D’autant plus que quand les gens meurent, ils laissent souvent de l’argent derrière eux. Parfois aussi de l’argent sale… Cet aspect tragi-comique de la vie fait qu’il est parfois difficile de garder son sérieux devant la perspective de la mort. Les meilleurs fous rires sont ceux qu’on peut avoir à un enterrement. Ou encore au théâtre. J’espère avoir écrit une comédie à mourir de rire…


LIRE LE TEXTE INTÉGRAL

Diagnostic Réservé

6 personnages (masculins ou féminins) :

Alban(e) : le frère (ou la sœur) de Patrick
Louise : la sœur (ou le frère) de Patrick
Josiane : la compagne de Patrick
Docteur Mahler : le (ou la) médecin
Lajoie : l’infirmière (ou l’infirmier)
Sanchez : le commissaire

Une chambre d’hôpital. Sur un lit à roulettes repose le corps d’un patient en position inclinée, relié à un goutte à goutte ainsi qu’à de multiples appareillages électriques. Son visage est couvert d’un drap. Ce rôle n’étant que de figuration, le patient sera un mannequin. Le Docteur Mahler (homme ou femme) et Mademoiselle (ou éventuellement Monsieur) Lajoie, son infirmière (ou infirmier) entrent, tous deux en blouses blanches.

Mahler – Il fait une chaleur, dans ces hôpitaux. Ça donne envie d’ouvrir une clinique privée rien que pour avoir la clim.

Lajoie – Et après on s’étonne que les microbes prolifèrent.

Mahler – On nous rebat les oreilles avec le déficit de la Sécurité Sociale. Si on commençait déjà par arrêter le chauffage en été dans les hôpitaux publics, on réduirait déjà notre facture de fioul.

Lajoie – Et on ralentirait aussi la propagation des maladies nosocomiales, (prononcer Malheur) Docteur Mahler.

Mahler – D’ailleurs, je me demande si je ne couve pas un petit staphylocoque doré, moi. À moins qu’il ne s’agisse d’une maladie tropicale. En tout cas vous, Mademoiselle Lajoie, vous avez une mine resplendissante.

Lajoie – Merci Docteur. C’est la carotène. Je ne suis pas trop orange au moins ?

Mahler – Mais non, mon lapin. Alors, qu’est-ce qu’on a aujourd’hui ?

Elle lui tend un dossier médical.

Lajoie – Patrick Mariani, quarante ans. Le patient est dans un coma profond suite à un accident de Velib.

Le médecin jette un regard au dossier.

Mahler – Le port du casque, en vélo, ça devrait être obligatoire.

Lajoie – Dans le cas présent, la victime portait bien un casque. Malheureusement, cela n’a pas suffit. Il a percuté un bus de plein fouet.

L’infirmière relève le drap et on découvre que la tête du patient est couverte d’un casque intégral.

Mahler – Mais ici, il ne risque plus rien, à part tomber de son lit. Pourquoi ne lui a-t-on pas retiré son casque ?

Lajoie – C’est tellement en vrac là-dedans… On n’a pas osé lui enlever de crainte que le cerveau ne se répande sur l’oreiller.

Mahler – J’en conclus qu’il y a peu de chance pour qu’il se réveille prochainement…

Lajoie – Arrêt respiratoire ayant probablement entraîné un manque d’oxygénation du cerveau.

Le médecin regarde à nouveau le dossier.

Mahler – Je vois… Encéphalogramme plat. Mort cérébrale apparente. Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux abréger ses souffrances tout de suite ?

Lajoie – C’est vrai que ça libérerait un lit, mais…

Mahler – Vous avez raison, il vaudrait mieux consulter les proches avant. La famille a été prévenue ?

Lajoie – Oui, ils ne devraient pas tarder.

Mahler – Parfait.

Lajoie – Pas d’autres recommandations au sujet de ce patient, Docteur ?

Mahler – Laissez-moi réfléchir… Veillez à laisser la visière du casque bien fermée pour éviter que les mouches ne puissent entrer à l’intérieur.

Lajoie – Vous êtes impayable, Docteur Mahler…

Mahler – Impayable, c’est le mot ! C’est pourquoi je vais bientôt opter pour la médecine à deux vitesses, ma chère. Le public n’a plus les moyens de rémunérer mon talent à sa juste valeur… Ça vous dirait de me suivre dans ma nouvelle clinique, si j’avais besoin d’une bonne infirmière en chef ?

Lajoie – Je vous suivrais jusqu’au bout du monde, Docteur Mahler… Même dans un dispensaire gratuit au fin fond de l’Afrique. Alors pourquoi pas dans une clinique bien climatisée à Neuilly ?

Mahler – Je sens que nous allons faire de grandes choses ensemble, Mademoiselle Lajoie… Il ne me reste plus qu’à trouver quelques généreux donateurs pour rassembler les fonds nécessaires à la réalisation de mon projet !

Lajoie – J’ai peut-être une idée à ce sujet…

Mahler – Vraiment ? Vous êtes merveilleuse, Mademoiselle Lajoie.

Elle replace le drap sur le casque intégral.

Mahler – Mais pourquoi est-ce que vous lui couvrez la tête avec ce drap ? Tout à l’heure, j’ai cru qu’il était déjà mort…

Lajoie – Parfois, il ouvre les yeux. Ça doit être nerveux. C’est pour le protéger de la lumière…

Mahler – C’est vrai que ces néons, c’est très agressif… Dans notre clinique, je ferai installer une lumière d’ambiance. C’est beaucoup plus agréable.

Lajoie – Surtout pour ces pauvres gens en fin de vie.

Mahler – Rassurez-vous, ma clinique n’accueillera que des patients solvables et en parfaite santé. Je pense plutôt me recycler dans la chirurgie esthétique…

Lajoie – Les gens riches aussi ont le droit qu’on s’occupe un peu de leurs petits défauts… Moi même, je sais bien que je ne suis pas tout à fait parfaite. Qu’est-ce que vous pensez de ma poitrine, Docteur ?

Ils commencent à partir.

Mahler – Le plus grand bien, Mademoiselle Lajoie. Le plus grand bien. Mais si vous le souhaitez, je regarderai cela de plus près tout à l’heure, n’est-ce pas ? Patient suivant ?

Lajoie – Un SDF que le Samu Social a retrouvé dans la rue cette nuit en coma éthylique. Lui non plus, il n’y a guère de chances pour qu’il se réveille maintenant.

Mahler – Avec la chaleur qu’il fait ici, il ne faudrait pas le garder trop longtemps, sinon ça ne va pas tarder à sentir… Il ne reste pas une petite place dans le congélateur à la cuisine ? Au moins, lui, il serait au frais…

Lajoie – Vous allez me faire mourir de rire, Docteur ! Avec vous, au moins, on ne s’ennuie pas…

Mahler – Avec le métier qu’on fait, il faut bien rigoler un peu…

Ils quittent la chambre.

Aussitôt après, Alban (ou éventuellement Albane selon les besoins de la distribution), un homme (ou une femme) au look bobo, entre dans la pièce, téléphone portable vissé sur l’oreille.

Alban – Écoute, je ne sais pas du tout. Je viens juste d’arriver à l’hôpital, mais je me suis trompé de chambre. Je suis tombé sur un pauvre type en hypothermie qui ne sentait pas très bon. Mais là ça y est, je suis devant lui…

Il aperçoit le patient sur son lit.

Alban – Et il n’a pas l’air d’aller très bien non plus, dis donc… Il y a des fils et des tuyaux partout… On dirait un transformateur électrique. Remarque, je ne suis encore complètement sûr que c’est lui. Il y a un drap qui recouvre son visage… Oui, tu as raison, souvent ce n’est pas très bon signe… Enfin, le médecin ne va pas tarder à passer, j’en saurai un peu plus…

Louise, look bcbg, arrive à son tour.

Alban – Excuse-moi, je vais devoir te laisser. Ma sœur vient d’arriver. D’accord, je t’appelle quand j’ai du nouveau, mais ne m’attends pas pour déjeuner… Moi aussi, je t’embrasse…

Il range son portable et fait la bise à sa sœur.

Louise – Bonjour Alban.

Alban – Bonjour Louise.

Elle aperçoit le patient sur son lit recouvert d’un drap.

Louise – Oh mon Dieu ! Ne me dis pas que j’arrive trop tard… Il est mort ?

Alban – Je pense que s’il était mort, ils auraient débranché tout ça.

Louise – Tu es sûr que c’est lui, au moins ? J’ai commencé par me tromper de chambre…

Alban – Ah toi aussi ? Il faut dire qu’entre la chambre 13 et la 13 bis…

Louise – Espérons que ça lui portera chance quand même…

Alban – Quoi ?

Louise – Le numéro 13 !

Il regarde la feuille de soin accroché au pied du lit.

Alban – Patrick Mariani. Oui, c’est bien ça.

Louise – On pourrait peut-être lui enlever ce drap qu’il a sur la tête, non ?

Alban – C’est vrai que ça ressemble un peu à un suaire, mais bon… Je ne sais pas si…

Louise – Tu as raison. Il vaut mieux ne toucher à rien avant que la police arrive.

Alban – Tu veux dire le médecin…

Louise – Je l’ai croisé dans le couloir, il m’a dit qu’il venait tout de suite.

Alban – Quelle histoire… Ça fait tellement longtemps que je n’avais pas de ses nouvelles… Le retrouver aujourd’hui comme ça… Dans cet état… Et toi, ça va ?

Louise – Oui, oui, ça peut aller…

Silence embarrassé.

Alban – Tu habites toujours à Fontenay-sous-Bois ?

Louise – Je n’ai jamais habité à Fontenay-sous-Bois.

Alban – Sans blague ?

Louise – C’est Fontenay-aux-Roses

Alban – Ah oui, bien sûr…

Nouveau silence embarrassé.

Louise – Et toi, toujours dans la publicité ?

Alban – Je suis dans la finance.

Louise – Ah oui, c’est vrai…

Alban – Et Patrick, tu avais de ses nouvelles ?

Louise – Pas plus que toi… La dernière fois que je l’ai vu, c’est à l’enterrement de papa. Auquel tu n’es pas venu, si ma mémoire est bonne.

Alban – Un empêchement de dernière minute. Mais il faut bien reconnaître que dans la famille… on n’a jamais trop eu le sens de la famille.

Louise – C’est terrible… Décidément. Il n’aura jamais eu de chance.

Alban – Non… Pauvre Patrick… Déjà avec son prénom…

Louise – Quoi ?

Alban – Tu n’as jamais trouvé ça curieux qu’il s’appelle Patrick ?

Louise – Plein de gens s’appellent Patrick.

Alban – Pas des gens de notre milieu. Et pas des gens de son âge.

Louise – C’est vrai… Et à ma connaissance, on n’a aucun grand-père ou aucun oncle qui s’appelle Patrick.

Alban – Je ne sais pas… Il a peut-être été adopté…

Louise – Remarque, ça expliquerait pas mal de choses…

Alban – C’est vrai que ça a toujours été le vilain petit canard…

Louise – Oui… On ne peut pas dire qu’il nous ressemble beaucoup.

Alban – Il a un petit côté asiatique, non ?

Louise – Asiatique, tu crois ?

Alban – Non mais léger, hein.

Louise – Tu crois qu’il aurait été adopté, et qu’on lui aurait laissé son prénom d’origine ?

Alban – En même temps, des Chinois qui s’appellent Patrick…

Louise – Ah oui…

Un temps.

Alban – L’avantage, si finalement on n’était pas vraiment de la même famille, c’est que s’il avait besoin d’un rein, on ne serait pas compatible…

Louise – Oui…

Alban – Ah, tiens… Voilà le médecin, justement… (En aparté) Et vu son nom à lui, ça m’étonnerait qu’il soit porteur de bonnes nouvelles…

Le médecin et l’infirmière entrent avec une mine de circonstances.

Mahler (prononcé Malheur) – Docteur Mahler. Et voici mon infirmière, Mademoiselle Lajoie.

Louise – Bonjour Docteur.

Alban – Mademoiselle…

Louise – Nous sommes venus dès que l’hôpital nous a prévenus.

Mahler – Vous êtes ses frère et sœur, je crois ?

Alban – Oui, enfin…

Mahler – Je suis vraiment désolé pour votre frère.

Louise – Alors c’est si grave que ça ?

Mahler – Je ne vous cacherai pas que son état est extrêmement préoccupant, et que le pronostic vital est engagé.

Louise – Vous pensez qu’il y a encore un espoir ?

Mahler – Monsieur Mariani a subi un traumatisme très violent à la tête. Hélas, la boîte crânienne est gravement endommagée. Il se trouve actuellement plongé dans un coma profond, et il est maintenu en vie artificiellement. Nous allons poursuivre les examens, mais il est à craindre qu’il soit d’ores et déjà en état de mort cérébral.

Alban – C’est un légume, quoi…

Mahler – J’ai fait 14 années d’études supérieures. Je me devais de développer un peu en employant ce jargon médical pour justifier mon salaire astronomique. Mais oui, on peut résumer ça comme ça.

Louise – Donc il n’y a aucune chance qu’il sorte un jour du coma ?

Mahler prend la radio que Lajoie vient de sortir d’un dossier, et leur montre.

Mahler – Voici une radio du crâne de Monsieur Mariani. Comme vous pouvez le constater, les lésions sont nombreuses et les fractures multiples.

Alban et Louise font mine de regarder et d’y comprendre quelque chose.

Louise – Ah oui, en effet, ce n’est pas beau à voir.

Alban – Pourtant, le crâne a l’air en bon état… La courbe est parfaite…

Mahler – Non, ça ce n’est pas le crâne. C’est son casque.

Louise – Son casque ?

Lajoie – La boîte crânienne est tellement endommagée que nous avons préféré lui laisser son casque pour l’instant afin de maintenir le cerveau en place.

Mahler – Enfin ce qu’il en reste…

Alban – Vous voulez dire que sans ça…

Mahler – Imaginez un tas de spaghettis contenu dans une passoire fêlée, le tout contenu dans un casserole. Disons que nous avons jugé plus prudent de laisser la casserole sous la passoire pour éviter que les spaghettis ne se répandent dans l’évier.

Alban – Ah oui, je comprends beaucoup mieux comme ça…

Mahler range ses radios.

Mahler – Je suis vraiment désolé de vous demander ça aussi brutalement, mais… À votre connaissance, Monsieur Mariani avait-il émis des souhaits particuliers pour ce qui est de la marche à suivre dans l’hypothèse où, comme c’est malheureusement le cas aujourd’hui, il en viendrait à être maintenu artificiellement en vie ?

Louise – Je ne sais pas… Nous n’avions jamais eu l’occasion d’aborder ce sujet ensemble… Il faut dire qu’on ne se voyait pas très souvent… (À Alban) Il t’en avait parlé à toi ?

Alban – Non… La dernière fois que je l’ai vu, c’était à ton mariage. J’imagine que les circonstances n’étaient pas très favorables pour aborder ce genre de sujet. Encore que… Au moment de la danse des canards, qui peut affirmer sans mentir n’avoir jamais songé au suicide assisté…

Mahler – Je ne vous presse pas, bien sûr. Mais il faudra que vous y pensiez pour ce qui est de votre frère.

Lajoie – Et le cas échéant, il y aura aussi un choix à faire en ce qui concerne un éventuel don d’organe.

Alban – Un don d’organe ? Ah non, mais… Il faut vous préciser, Docteur… Nous avons de bonnes raisons de supposer que Patrick n’est que notre frère adoptif… Nous ne sommes donc probablement pas compatibles pour un don d’organe…

Lajoie – Je crois que le Docteur Mahler pensait plutôt au fait de donner les organes de Patrick…

Alban – Les organes de… Bien sûr… C’est évident… Et personnellement, j’y suis tout à fait favorable. Si cela peut sauver une vie…

Mahler – Quoi qu’il en soit, évidemment, il faudra aussi prendre l’avis de Madame Mariani. Elle vient de nous appeler, et elle ne devrait pas tarder à arriver.

Louise – Madame Mariani…

Lajoie – Son épouse. Votre belle-sœur.

Alban – Bien sûr…

Mahler – Je vous laisse avec votre frère… Vous pouvez lui parler, évidemment, mais je ne peux pas vous garantir qu’il soit en mesure de vous entendre…

Alban – Merci Docteur.

Mahler – Je reste à votre entière disposition… Et en cas de besoin, vous pouvez aussi sonner. Une infirmière viendra… Ou le cas échéant un prêtre…

Le médecin et l’infirmière sortent. Alban et Louise jettent un regard vers le patient.

Louise – Tu savais qu’il était marié ?

Alban – Non…

Louise – Il aurait au moins pu nous envoyer un faire-part. Je ne sais pas si je serai allée à son mariage, mais bon… Ça se fait, non ?

Alban – C’est curieux, je ne l’imagine pas marié.

Louise – Ouais… Je serai curieux de savoir à quoi ressemble sa femme…

Alban – D’après ce que dit le médecin, on ne devrait pas tarder à le savoir…

Justement Josiane, l’épouse présumée de Patrick, arrive. Le personnage peut être incarné par une femme au look et à l’attitude peu féminine, ou encore par un homme travesti en femme.

Josiane – Oh mon Dieu ! Patrick !

Alban et Louise échangent un regard intrigué.

Josiane – Ne me dites pas que j’arrive trop tard ?

Alban – Rassurez-vous, il est encore en vie. Enfin si on peut dire…

Josiane – Josiane. Je suis la compagne de Patrick. Mais qui êtes-vous ?

Alban – Je suis son frère…

Louise – Et moi sa sœur…

Josiane – C’est curieux… Il ne m’avait jamais parlé de vous…

Alban – Il ne nous avait pas dit non plus qu’il était marié…

Josiane – C’était un garçon très discret. Enfin, je veux dire… C’est toujours un garçon très discret.

Alban – C’est sûr que dans l’état où il est, pour la discrétion.

Josiane – Le médecin vous a dit s’il y avait encore un espoir ?

Louise – Il ne nous a guère rassuré, à vrai dire… Croyez bien que nous sommes aussi désolés que vous… Vous aviez des enfants ?

Josiane – Pas encore, hélas… J’aurais au moins pu garder un souvenir de lui…

Louise – Bien sûr.

Josiane – Mais ils vont essayer de le soigner, quand même ?

Alban – Je crois qu’ils nous ont surtout fait venir pour savoir si on était d’accord pour abréger ses souffrances…

Josiane – Abréger ses souffrances ?

Louise – Patrick est malheureusement plongé dans un coma profond suite à son accident.

Josiane – Son accident ? Mais qu’est-ce qui s’est passé, au juste ?

Alban – C’est vrai, ça… Qu’est-ce qui lui est arrivé, au fait ?

Louise – On a oublié de demander…

Alban – Un accident de la route, peut-être.

Josiane – Patrick n’avait pas son permis.

Alban – Quoi qu’il en soit, j’ai l’impression que le Docteur Mahler n’attend plus que notre feu vert pour le débrancher…

Josiane – Le débrancher ? On dirait que vous parlez d’un grille-pain. C’est votre frère, tout de même…

Louise – Pour tout vous dire, cela fait des années qu’on ne se voyait plus…

Alban – Je me demande même pourquoi on nous a fait venir.

Louise – Certes, nous sommes sa seule famille à part vous, mais prendre une décision pareille…

Alban – Moi je ne suis pas croyant, alors l’euthanasie, je n’ai rien contre. C’est le mot qui n’est pas très vendeur. Surtout la deuxième moitié.

Josiane – La deuxième moitié ?

Alban – Nazi !

Louise – C’est vrai que les Allemands ne nous ont pas laissé un bon souvenir de l’euthanasie…

Alban – Ce qui nuit beaucoup à l’image de cette pratique pourtant bien utile dans des cas comme celui-ci.

Louise – Il vaudrait peut-être mieux que ce soit vous qui preniez la décision. C’est vrai, vous le connaissiez mieux que nous, au fond…

Josiane se met à sangloter de façon assez peu convaincante.

Josiane – Non, je ne suis pas prête à… le débrancher comme vous dites… Pas pour l’instant en tout cas…

Louise – Nous respectons tout à fait votre décision, croyez-le. N’est-ce pas Alban ?

Alban – Évidemment… (Il jette un regard à sa montre) D’ailleurs, je ne vais pas tarder à vous laisser… Puisqu’on ne peut rien faire pour l’instant…

Louise – Moi aussi… J’ai un dîner ce soir et…

Alban – Je ne pense pas que dans l’état où il est, de toute façon, notre présence fasse une grande différence…

Josiane – Je vais rester auprès de lui, si vous le permettez…

Louise – Mais bien sûr… Vous êtes sa femme après tout…

Alban et Louise s’apprêtent à décamper mais l’infirmière revient.

Lajoie – Ah, vous devez être Madame Mariani, je présume…

Josiane – Oui… Vous pouvez me donner quelques précisions sur l’état dans lequel se trouve Patrick ?

Lajoie – Nous attendons les derniers résultats d’analyses, mais je ne vous cacherais pas que nous ne sommes pas très optimistes.

Josiane – Son état empire ?

Lajoie – Non, on ne peut vraiment pas dire ça. Disons que son état est stationnaire.

Josiane – Dans ce cas, il y a peut-être encore un espoir.

Lajoie – Malheureusement, chère Madame, stationnaire dans le cas présent ne signifie rien de bon.

Alban – L’état d’un légume aussi peut être stationnaire.

Lajoie – Monsieur Mariani se trouve en effet dans un état végétatif. Et il y a hélas peu de chances pour qu’il en sorte un jour.

Josiane – Vous êtes sûre ?

Lajoie – Malheureusement, je crois qu’il faudrait aussi que vous envisagiez ce qui vous paraît le mieux pour lui.

Louise – Vous croyez qu’il souffre ?

Lajoie – C’est difficile à dire, mais… vous conviendrez que survivre dans ces conditions… ce n’est pas une vie.

Louise – Madame a raison, Josiane. Je comprends votre douleur, mais on ne peut pas le laisser comme ça…

Lajoie – Il y a un moment où il faut faire son deuil. Le départ d’un être cher, c’est une épreuve que le Seigneur nous envoie, bien sûr. Mais quand le moment est venu, autant ne pas retarder l’échéance et affronter les choses en face. Il y a des tas de paperasses à remplir. Et puis il y a la succession, évidemment. Mieux vaut ne pas laisser traîner tout ça inutilement.

Alban – La succession ?

Louise – C’est vrai, la succession, on avait oublié ça…

Alban – Et les héritiers, c’est qui ?

Lajoie – Eh bien au premier chef… (À Josiane) C’est vous sa femme, non ?

Josiane – Oui, enfin…

Lajoie – Si votre mari venait à décéder, c’est vous qui hériterez, bien sûr… D’ailleurs, en tant qu’épouse du patient, j’aurais quelques papiers à vous faire signer dès maintenant…

Josiane – C’est à dire que… En fait, on n’était pas encore mariés…

Lajoie – Ah… Et vous n’aviez pas d’enfants non plus ?

Josiane – Non…

Lajoie – Dans ce cas, ce sont ses frère et sœur qui hériteront… Mais je me doute que ce n’est pas votre principal souci en ce moment…

Alban (rêveur) – Non, bien sûr…

Lajoie – Je vous laisse réfléchir à tout ça en famille…

L’infirmière s’en va.

Josiane – Je crois que j’ai besoin de me rafraîchir un peu…

Josiane sort vers la salle de bain.

Alban – Alors ce serait nous, les héritiers…

Louise – On était sa seule famille, alors s’il n’est pas marié…

Alban – C’est dingue…

Louise – Oui…

Alban – Tu crois qu’il avait beaucoup de fric ?

Louise – Ça m’étonnerait, mais bon… Va savoir… On ne l’avait pas vu depuis des années…

Alban – Je ne sais même pas ce qu’il faisait comme métier, Patrick.

Louise – Je ne sais pas pourquoi, mais je l’imagine plutôt au chômage, pas toi ?

Alban – Si… Et même en fin de droit, non ?

Louise – Certainement pas redevable de l’ISF, en tout cas.

Alban – Il faudrait demander à sa femme… Enfin à Josiane… Elle doit bien savoir, elle…

Josiane revient.

Louise – Ça va mieux ?

Josiane semble chercher quelque chose. 

Josiane – Ça va… Vous savez où ils ont rangé ses affaires ?

Louise – Ses affaires ?

Josiane – Il n’avait pas une valise, en arrivant ici ?

Alban – S’il a été hospitalisé à la suite d’un accident, je ne pense pas qu’il ait eu le temps de faire sa valise…

Louise – Comme dans le cas d’un accouchement…

Alban – Pourquoi voulez-vous savoir s’il a une valise ? Je ne crois pas qu’il en ait beaucoup besoin en ce moment…

Josiane – Non, bien sûr… Excusez-moi, c’est les nerfs…

Alban – Et sinon… vous qui viviez avec lui, vous pourriez nous donner un peu de ses nouvelles ? Je veux dire, comme on ne l’avait pas vu depuis très longtemps…

Louise – Oui, comment ça marchait pour lui ?

Josiane – Comment ça marchait ?

Louise – Les affaires… Il avait un métier ?

Josiane (ailleurs) – Un métier ? Patrick ?

Alban – Je me disais aussi…

Josiane semble préoccupée par autre chose.

Josiane – Je vais quand même demander à l’infirmière s’ils ont rangé sa valise quelque part…

Elle sort.

Alban – Elle a l’air passablement perturbée, non ?

Louise – On le serait à moins.

Alban – En tout cas, apparemment, il n’avait pas fait fortune… Alors question succession…

Louise – Il n’a peut-être pas fait fortune… mais il y a trois ans, quand notre mère est morte, il a quand même touché sa part de l’héritage de nos parents.

Alban – Merde, c’est vrai, tu as raison…

Louise – Ça nous permettrait de récupérer ça… Je veux dire, c’est normal que ça nous revienne. Après tout, pourquoi est-ce que ça sortirait de la famille ?

Alban – Surtout que Patrick n’était peut-être même pas vraiment de la famille. Si nos parents l’ont adopté en Chine. Ou même dans le Treizième arrondissement.

Louise – Je t’avoue que moi, en ce moment, ça m’arrangerait assez, une petite rentrée d’argent. On vient d’acheter une maison en Provence, juste à côté de celles de Charles Aznavour…

Alban – Non ? Ah oui, c’est très beau la Provence.

Louise – Le problème c’est qu’il y a pas mal de travaux avant que ça ressemble à la maison de Charles Aznavour, tu vois. Pour l’instant, ça ressemblerait plutôt à un moulin en ruines…

Alban – C’est sûr que là, il est comme un légume…

Louise – Ce serait un geste de compassion, en somme.

Ils restent pensifs un instant.

Alban – Et s’il avait déjà tout claqué ?

Louise – Tu crois ?

Alban – C’est Patrick, quand même…

Josiane revient.

Josiane – Non, apparemment, il n’avait pas de valise…

Louise – Mais sinon, ça allait ? Il n’avait de problèmes financiers au moins ?

Josiane – Des problèmes financiers ?

Alban – Je crois qu’il avait récemment touché un petit héritage. J’espère qu’il l’a géré en bon père de famille…

Josiane – En père de famille ? Je vous ai dit qu’on n’avait pas d’enfants.

Louise – Ah oui, c’est vrai…

L’infirmière revient.

Lajoie – Alors ? Vous avez pu débattre en famille de ce qui serait le mieux pour la fin de vie de l’être aimé ?

Alban – C’est à dire que…

Louise – Nous n’avons pas encore pris notre décision.

Alban – Et nous ne sommes pas forcément tous d’accord…

Louise – Madame n’est pas encore tout à fait prête à ce que…

Josiane semble toujours chercher quelque chose.

Josiane – Donc, il n’avait pas de valise en arrivant ici, nous sommes bien d’accord ?

Elle regarde même sous le lit.

Lajoie – Ceci dit, si Monsieur Mariani n’était pas marié, c’est à ses frère et sœur qu’il revient de décider de ce qui est le mieux pour lui.

Alban – En fait… nous aimerions avoir encore quelques informations supplémentaires.

Lajoie – Vous voulez dire… sur son état médical, j’imagine. Et bien comme je vous le disais tout à l’heure…

Alban – Nous pensions aussi à l’aspect financier.

Lajoie – Ne vous inquiétez pas pour ça. L’euthanasie n’est pas encore remboursée par la Sécurité Sociale, mais nous considérerons cet acte médical comme un geste de charité chrétienne entièrement désintéressé. Maintenant, si vous tenez absolument à faire un don, le Docteur Mahler a le projet de créer une fondation à Neuilly pour…

Louise – Nous pensions plutôt à l’aspect successoral…

Lajoie – La succession, je vois… Et c’est bien normal.

Alban – Vous savez si Monsieur Mariani était à l’aise financièrement ?

Lajoie – En tout cas, il était suffisamment à l’aise pour se payer un abonnement Velib… Mais il faudrait plutôt demander cela à sa dernière compagne…

Josiane a la tête ailleurs, mais réagit en entendant qu’on parle d’elle.

Josiane – Pardon ?

Lajoie – Maintenant, il faut que vous sachiez qu’en acceptant l’héritage de votre frère, vous acceptez aussi de prendre en charge ses dettes éventuelles. Notamment ses frais d’hospitalisation…

Louise – Sans blague ?

Alban et Louise considèrent un instant le malade et tout le dispositif médical qui l’entoure.

Alban – Ça doit coûter un max ces soins intensifs, non ?

Lajoie – Ah oui, une fortune. En principe, c’est assez bien remboursé. Mais quand on n’a pas une bonne mutuelle…

Louise – Et Patrick, il a une bonne mutuelle ?

Lajoie – Il faudra que je vois cela avec la comptabilité… Mais en cas de doute, vous pouvez toujours refuser l’héritage, et vous désister au profit de la fondation du Docteur Mahler…

Alban – Ah, oui, évidemment…

Lajoie – En tout cas, pour ce qui est de son maintien en vie, je vous conseille quand même de bien peser le pour et le contre… Car bien sûr s’il restait des années dans le coma, ça ne fera qu’augmenter la facture…

Louise – Dans ce cas, il faudrait peut-être songer à abréger rapidement ses souffrances. Qu’est-ce que tu en penses, Alban ?

Lajoie – Je vous laisse réfléchir encore un peu…

Elle sort.

Louise (à Josiane) – Qu’est-ce que vous en pensez, vous ?

Josiane – Il y a encore une petite chance qu’il sorte du coma, non ?

Alban – Après tout, si on refuse l’héritage, qu’il reste en vie ou pas…

Louise – Oui, on ne va peut-être pas précipiter sa fin. Ce n’est pas très chrétien…

Alban – Il faudra que je demande à mon avocat, mais même si on refuse l’héritage, je me demande si les frais d’hospitalisation ne restent pas à la charge de la famille. Ils appellent ça le devoir d’assistance.

Louise – Le devoir d’assistance ? Mais on le connaît à peine, Patrick !

Il s’approche du patient.

Alban – Vous croyez qu’il nous entend ?

Josiane – Allez savoir…

Louise – Et pour ce qui est de donner ses organes, qu’est-ce que vous en pensez ?

Alban – Donner ses organes ?

Louise – Quoi ? Tu veux les vendre ?

Alban – Je ne sais pas… On pourrait en tirer combien ?

Louise – Ça pourrait peut-être rembourser les frais d’hospitalisation… Je déconne. C’est les nerfs.

Alban – Tu es sûre qu’il ne nous entend pas ?

Louise (à Josiane) – Vous savez quelle position il avait en ce qui concerne les dons d’organes ?

Josiane – Non…

Moment de flottement.

Louise (à Josiane) – Et ça vous dirait d’épouser Patrick, avant qu’on le débranche ?

Alban – Et avant qu’on lui retire ses organes, bien sûr.

Louise – Comme ça vous pourriez porter son nom. Ça vous ferait un souvenir.

Alban – À défaut d’enfants.

Louise – Oui, je pense qu’il ne serait pas raisonnable d’aller jusqu’à l’insémination post mortem.

Alban – Maintenant, je ne sais pas si on peut épouser quelqu’un dans le coma… Il faudrait aussi que je pose la question à mon avocat…

Josiane – C’est ça, oui… Je vous vois venir avec vos gros sabots… Tout à l’heure, je ne faisais pas partie de la famille. Et maintenant vous voulez que je l’épouse pour que ce soit moi qui règle la facture de l’hosto…

Louise – Il ne faut pas voir les choses comme ça, voyons…

Le Docteur Mahler arrive.

Mahler – Alors ? Tout va bien, ici ? Enfin je veux dire… Compte tenu des circonstances. On vous a proposé un café ? Une viennoiserie ?

Louise – Ah Docteur ! Justement, nous aurions bien besoin de vos conseils…

Mahler – Mais je vous en prie. Nous sommes là pour vous aider.

Alban – C’est au sujet de la mutuelle de Patrick.

Mahler – Hélas, votre frère n’avait pas de mutuelle. Et sans vouloir vous affoler, il n’était plus couvert non plus par la Sécurité Sociale depuis plus de six mois. Mais je ne voudrais pas vous inquiéter avec ça pour l’instant…

Louise – Je vous rassure, nous sommes déjà passablement inquiets…

Mahler – Je comprends… Voir son frère… ou son compagnon dans un état pareil… C’est très difficile à vivre, je le sais.

Josiane – Mais vous pensez qu’il y a encore une chance pour qu’il puisse reparler un jour ?

Mahler – Reparler ? Mon Dieu… Un miracle est toujours possible. Mais pour les miracles, je le crains, il faudra vous adresser plus haut. Les miracles, c’est moins sûr que l’euthanasie, mais contrairement aux soins intensifs, c’est pris en charge à cent pour cent par l’Église…

Louise – Merci pour ces paroles réconfortantes, Docteur…

Mahler – Ah j’oubliais, un policier vient de se présenter à l’accueil.

Josiane – Un policier ?

Mahler – Je lui ai dit que le patient n’était pas en état de répondre à ses questions, mais il souhaiterait entendre les proches. Je lui ai dit de monter… En tout cas, si vous changez d’avis pour le café et les viennoiseries, n’hésitez pas à sonner le room service…

Le médecin s’en va.

Alban – Un policier ? Pourquoi un policier ?

Louise – Ils font peut-être une enquête pour établir les circonstances exactes de l’accident, c’est normal…

Alban – C’est vrai. On ne sait toujours pas comment c’est arrivé, cet accident.

Louise – L’infirmière a parlé d’un abonnement Velib…

Alban – Alors vous non plus, vous savez comment ça s’est passé ?

Josiane – C’est à dire que… Enfin non, pas exactement.

Louise – Ce policier nous en dira sûrement plus.

Alban (voyant le malaise de Josiane) – Vous n’avez pas envie de savoir ?

Josiane – Écoutez, je n’ai pas le temps de vous expliquer, mais s’il vous plaît, ne parlez pas de moi à la police, d’accord ?

Alban – Et pourquoi ça ?

Josiane – Je… Je ne suis pas la femme de Patrick… Je veux dire, je n’étais pas vraiment sa compagne non plus.

Louise – Ah bon ? Mais alors vous êtes qui ?

Josiane – Disons que… nous étions en affaires, voilà.

Alban – En affaires ? Quelles genres d’affaires ?

Louise – Le genre d’affaires dont la police ne doit pas être au courant, apparemment…

On frappe à la porte.

Josiane – Je vous expliquerai tout à l’heure. Je vais me planquer dans la salle de bain en attendant que le flic soit parti…

Le commissaire Sanchez (homme ou femme) arrive.

Sanchez – Commissaire Sanchez. (S’épongeant le front) Il fait une chaleur ici, non ? Vous devez être la famille, j’imagine…

Alban – Son frère et sa sœur, oui.

Sanchez – J’enquête sur l’affaire dans laquelle votre frère est impliqué.

Louise – L’affaire ? C’est un accident de Velib, non ? Ce n’est quand même pas le naufrage du Costa Concordia…

Sanchez – C’est un peu plus compliqué que ça, en fait…

Alban – Vraiment ?

Sanchez – Je pensais que vous étiez déjà au courant… Votre frère est dans le coma à la suite d’un braquage.

Louise – Un braquage ?

Sanchez – Le braquage du Crédit Mutuel près duquel il habitait.

Alban – Je vois. Patrick a toujours eu l’esprit mutualiste.

Louise – Surtout lorsqu’il s’agissait de nous taper de l’argent.

Alban – Il passait par là en vélo, et il a pris une balle perdue, c’est ça ?

Louise – Quelque part, ça ne m’étonne pas.

Alban – Notre frère n’a jamais eu de chance…

Sanchez – En fait, ça ne s’est pas passé exactement comme ça… Votre frère a bien été impliqué dans une affaire de braquage mais… c’était lui le braqueur.

Sidération des deux autres.

Louise – Patrick ? Il a braqué Le Crédit Mutuel ?

Sanchez – Oui. Enfin, avec un complice.

Alban – Un braquage… Ça ne lui ressemble pas…

Louise – Un braquage en Velib ? Avec un casque intégral sur la tête ?

Alban – Ah oui remarquez ça, ça lui ressemblerait davantage…

Sanchez – Vous saviez quelque chose de ses activités illicites ?

Louise – Ça fait des années qu’on ne le voyait plus…

Alban – En Velib… Il devrait avoir les circonstances atténuantes, non ? Somme toute Patrick vient d’inventer le braquage écolo…

Louise – Donc ce n’est pas un accident de la route ?

Sanchez – Oui et non… Votre frère a heurté un bus de plein fouet après une course poursuite avec la police dans les rues de Paris.

Alban – Une course poursuite ? Il était en Velib ! Et les policiers ? Ils étaient en rollers ?

Sanchez – Ce n’est pas une plaisanterie Monsieur Mariani. Nous parlons d’une attaque à main armée.

Louise – Nous en sommes bien conscients, Monsieur l’Inspecteur. D’ailleurs je vous rappelle que notre frère est entre la vie et la mort…

Sanchez – J’en suis désolé, croyez-le bien… Surtout que sans cet accident, il aurait pu nous donner le nom de sa complice…

Alban – Sa complice ? Donc c’est une femme…

Sanchez leur met une feuille sous les yeux.

Sanchez – Voici son portrait robot. Ce visage vous dit quelque chose ?

Alban – Malheureusement, je n’ai pas sur moi mes lunettes pour voir de près… (Il fait semblant d’avoir des difficultés à lire) Vous savez ce que c’est, quand on devient presbyte…

Sanchez (à Louise) – Et vous ?

Louise – Qui ? Moi ? Alors là, vous savez… Il n’y a pas moins physionomiste que moi… Les gens, je les confonds tous. C’est bien simple. Vous m’emmèneriez dans un club échangiste, je serais fichu de coucher avec mon mari parce que je ne l’aurais pas reconnu…

Sanchez – Je vois…

Alban – Vous avez bien de la chance…

Sanchez s’approche du lit.

Sanchez – Je me suis entretenu tout à l’heure avec le médecin… D’après lui, il y a peu de chances que le suspect sorte du coma dans un avenir prévisible.

Alban – S’il en sort, c’est pour aller en prison… Ça ne risque pas de le motiver beaucoup pour sa résurrection.

Louise – Qu’est-ce qu’il risque au juste ?

Sanchez – S’il nous donnait le nom de sa complice et qu’il rendait le butin, les juges seraient peut-être enclin à la clémence, mais bon…

Alban – Combien ?

Sanchez – L’arme était factice, mais sur le papier, c’est le même tarif. En théorie, ça va chercher dans les vingt ans.

Alban – Non, je voulais le butin… Combien ?

Sanchez – Trois millions.

Alban – Trois millions d’euros ?

Louise – Ah oui, quand même…

Alban – Moi qui pensais que Patrick n’avait aucune ambition… Il remonterait presque dans mon estime…

Louise – Et vous dites qu’on n’a pas retrouvé ces trois millions d’euros ?

Sanchez – Des témoins ont confirmé que c’est bien votre frère qui avait la mallette après le braquage au Crédit Mutuel… Mais quand on l’a retrouvé après son accident, la mallette n’était plus là…

Alban – Comment ça s’est passé, exactement ?

Sanchez – Les deux complices se sont enfuis chacun de leur côté après le braquage pour brouiller les pistes. Elle, on a perdu sa trace. Votre frère, on a fini par le localiser du côté de la Gare Saint Lazare.

Louise – Le relocaliser…

Sanchez – Un type en Velib avec un casque intégral, c’est quand même assez visible…

Alban – Apparemment pas assez pour le chauffeur de bus qui lui est passé dessus…

Sanchez – En tout cas, avant son accident, il a eu le temps de se débarrasser de la valise.

Louise – La valise…

Sanchez – Vous savez quelque chose à propos de cette valise ?

Louise – Non, non, rien…

Sanchez – Quoi qu’il en soit, sachez que votre frère est sous mandat d’arrestation. En principe, je devrais rester ici faire le planton au cas où il se réveille, mais…

Alban – Dans l’état où il est, il ne risque pas de s’échapper…

Sanchez – Et puis pour tout vous dire, je déteste les hôpitaux… Ça me déprime.

Alban – Oui… Et il paraît que c’est bourré de microbes résistants à tous les antibiotiques.

Louise – Vous connaissez le proverbe : L’hôpital, on sait quand on y entre, on ne sait jamais si on en sortira vivant.

Alban – Même quand on vient seulement pour rendre visite à un malade… ou même à une femme qui vient d’accoucher. Personnellement, rien que pour çà, j’ai refusé d’assister à la naissance de mes trois enfants.

Sanchez – Non ?

Louise – C’est clair qu’en termes de microbes et de virus, l’hôpital, c’est un véritable bouillon de culture.

Alban – Le service des maladies tropicales est juste à côté. Le Docteur Mahler me racontait que la semaine dernière, ils ont même eu un cas de Malaria.

Louise – Il n’a pas dit la fièvre Ébola ?

Alban – Ah oui, peut-être…

Sanchez – Il vous a dit ça ?

Louise – Gardez-le pour, mais à mon avis, cet hôpital devrait déjà être en quarantaine. Il paraît que les infirmières tombent comme des mouches…

Sanchez semble maintenant pressé de partir.

Sanchez – Bon, dans ce cas, je vais vous laisser… Je reviendrai prendre des nouvelles de temps en temps…

Alban – Merci de votre sollicitude, Inspecteur.

Alban lui tend une main qu’il ne peut pas refuser de serrer.

Sanchez – Vous permettez que je me lave les mains avant de partir ?

Louise – Où ça ?

Sanchez – Dans la salle de bain !

Consternation des deux autres.

Alban – C’est à dire que…

Sanchez – Il y a un problème ?

Louise – Non, non, aucun problème…

Sanchez entre dans la salle de bain. Les deux autres échangent un regard inquiet.

Alban – On n’aura qu’à dire qu’elle a menacé de nous tuer si on parlait d’elle…

Louise – Avec son arme factice ?

Alban – On n’était pas supposé savoir !

Sanchez revient.

Sanchez – J’ai vraiment très chaud depuis que je suis arrivé ici. J’espère que je n’ai pas déjà attrapé une saloperie… En tout cas, vous me prévenez si votre frère se réveille, d’accord ?

Louise – Nous n’y manquerons pas, Inspecteur…

Sanchez s’en va.

Louise – Comment elle a fait ?

Alban – Elle s’est peut-être planquée derrière le rideau de douche. J’ai vu faire ça dans un film d’horreur…

Alban – En tout cas, je crois que côté héritage, on peut oublier. Si Patrick en était à braquer Le Crédit Mutuel en Velib, c’est que la période ne devait pas être très faste.

Louise – Reste le butin du braquage…

Alban – Ah oui… La valise…

Louise – Voilà pourquoi Josiane refuse de débrancher Patrick avant qu’il lui ait dit ce qu’il avait fait du fric…

Alban – Je comprends maintenant pourquoi elle tenait absolument à savoir si Patrick avait des bagages en arrivant ici…

Josiane revient.

Josiane – Heureusement, la salle de bain communique avec la chambre d’à côté.

Alban – Le patient qui l’occupe n’a pas été surpris de vous voir ?

Josiane – Il est dans le coma, lui aussi…

Louise – Ah oui, la 13 bis…

Josiane – Ok, j’ai tout entendu…

Louise – Alors ?

Josiane – D’accord, la complice c’est moi.

Alban – Sans blague… D’ailleurs, votre portrait robot est d’une ressemblance saisissante.

Louise – On va avoir du mal à expliquer à l’inspecteur qu’on ne vous ait pas reconnue s’il apprend qu’on vous a rencontrée ici…

Josiane – Alors merci pour votre discrétion…

Alban – Il n’empêche qu’on pourrait avoir de gros ennuis…

Louise – Et qu’est-ce qu’on gagne ?

Josiane – D’accord, si vous m’aidez à remettre la main sur ce fric on partage. Ça fait un million chacun…

Louise – On partage en trois ?

Alban – Et qu’est-ce qu’on fait de Patrick ?

Josiane – Dans l’état où il est de toute façon…

Louise – Justement. Ça ne va pas être facile de lui faire dire ce qu’il a fait du magot.

Josiane – Il se confiera peut-être plus facilement à sa famille.

Alban – Et ensuite ?

Josiane – Si on arrive à lui faire cracher le morceau, on peut toujours le débrancher après. Plutôt que de le laisser vivre comme un légume. Et puis trois millions divisés en quatre… Vous conviendrez que ça ne fait pas un compte rond…

Alban – Sans compter que ça lui éviterait de vous dénoncer à la police, pas vrai ?

Josiane – J’ai cru comprendre que vous n’étiez pas très liés. Vous ça vous évitera de payer ses frais médicaux pendant des années…

Louise – J’aimerais être vraiment sûre qu’il ne nous entend pas…

Alban – Tu crois qu’il pourrait simuler ?

Josiane – Simuler un coma profond ? C’est possible ?

Louise – Il avait quand même des dispositions naturelles, non ? Tu te souviens quand on était gamins ? Parfois il avait le sommeil tellement profond… Le matin on se demandait s’il n’était pas dans le coma.

Ils s’approchent tous les trois du lit.

Josiane – Peut-être que ce salopard veut garder le fric pour lui tout seul…

Louise – Patrick, tu nous entends ?

Alban – Avec le casque intégral, ce n’est pas très commode.

Louise – Le médecin a dit que si on lui enlevait, le cerveau risquait de se répandre sur l’oreiller…

Josiane – On n’a qu’à simplement ouvrir la visière.

Elle ouvre la visière.

Alban – Patrick, c’est moi ton frère, Alban…

Josiane le secoue un peu rudement.

Josiane – Patrick ? Mais putain, tu vas parler ! Où est-ce que tu as foutu l’oseille ?

Louise – Doucement, vous allez le tuer !

Alban – Il a ouvert la bouche…

Josiane – Merde, c’est vrai.

Louise – On dirait qu’il veut nous dire quelque chose…

Alban – C’est peut-être nerveux…

Josiane – Regardez, on croirait… Il a quelque chose dans la bouche !

Louise – Ah oui, en effet…

Josiane met sa main dans la fente du casque.

Josiane – Mais crache, bon sang !

Alban – Doucement quand même.

Josiane – Ah le salaud, il m’a mordu…

Alban – J’espère pour vous qu’il n’est pas contagieux…

Louise – Et alors, qu’est-ce que c’est ?

Josiane sort de la bouche de Patrick une clef qu’elle brandit.

Josiane – Oh putain ! Une clef !

Louise – Une clef ?

Josiane – Ça ressemble à une clef de consigne… Il a peut-être eu le temps de planquer la mallette dans une consigne de gare…

Louise – Et il a essayé d’avaler la clef en voyant qu’il allait être rattrapé par la police.

Alban – Les gares, ce n’est pas ça qui manque à Paris…

Josiane – Le flic a dit qu’il avait eu son accident près de la Gare Saint Lazare.

Alban – C’est dingue… On se croirait dans un film policier.

Louise – Ou dans une pièce de théâtre…

Josiane – Moi je ne peux pas y aller. Les flics me recherchent, et ils ont mon portrait robot.

Alban – Très ressemblant, d’ailleurs.

Josiane (à Louise) – Vous n’avez qu’à y aller, vous.

Louise – Moi ?

Josiane – Avec votre look de bourgeoise coincée, vous passerez plus inaperçue.

Louise – Merci bien… Et si je me fais arrêter ?

Alban – On parle de trois millions d’euros, là… Pense à tous les travaux que tu pourrais faire au noir dans ta maison en Provence.

Louise – Et pourquoi on n’y va pas tous les deux ?

Josiane – C’est ça, pour que vous partiez avec l’oseille. Pas question. (Elle sort un flingue et le braque sur eux) Lui il reste ici.

Louise – Ouais oh ça va, pas à nous… Le flic a dit que c’était une arme factice.

Josiane – Ok, mais n’essayez pas de m’embrouiller, hein ?

Alban – Et puis il faut bien que l’un de nous reste au chevet de Patrick. Sinon, ça paraîtrait bizarre.

Louise – Je ne sais pas trop, quand même… Vous ne pensez pas que ce serait mieux de prévenir la police ?

Josiane – Pour que j’aille en taule ?

Alban – Et puis il n’y a peut-être rien dans cette consigne. Si on trouve quelque chose, il sera toujours de temps de savoir ce qu’on en fait.

Louise – En attendant, ça s’appelle du recel…

Alban – Pense à tout ce que tu pourrais faire avec un million d’euros.

Louis – Ouais…

Alban – Tu pourrais faire de ton moulin en ruine un château ! Avec une piscine encore plus grande que celle de Charles Aznavour !

Louise – J’y vais.

Elle sort. Les deux autres échangent un regard embarrassé.

Le portable de Alban sonne, il répond. Josiane s’approche du patient.

Alban – Oui… Non, je suis toujours à l’hôpital là… C’est à dire que… Disons que c’est un peu plus compliqué que prévu… Écoute, à toute chose malheur est bon, ça pourrait aussi être une bonne nouvelle, finalement… Patrick ? Ah, non, lui il est toujours dans le coma… Écoute, je te raconterai… Je ne peux pas te parler, là… Non, non, ne m’attends pas pour dîner… Ok, moi aussi…

Josiane – On dirait qu’il respire mieux, depuis qu’on lui a retiré cette clef de la gorge, non ?

Alban – On lui a peut-être sauvé la vie…

Josiane – Ne nous emballons pas, quand même.

Alban – Il faudrait prévenir le médecin, non ?

Josiane – Pour que les flics le mettent en taule ?

Justement, l’infirmière fait une brève apparition.

Lajoie – Tout va bien ?

Josiane – Disons que… c’est stationnaire.

Lajoie – N’hésitez pas à sonner si vous avez besoin de moi.

Elle repart.

Alban – Bon, alors qu’est-ce qu’on fait ?

Josiane – Pour l’instant on attend.

Ils s’installent chacun sur une chaise et commencent à somnoler. On suppose qu’ils s’assoupissent pendant un moment. Ellipse qui peut être suggérée par un changement de lumière. Le portable de Alban sonne à nouveau. Il se réveille en sursaut. Josiane continue à dormir.

Alban – Ah Louise… Alors ça y est, tu as trouvé la consigne ? Une mallette ! Oh putain… Non, tu as raison, il vaut mieux ne pas l’ouvrir dans le métro, c’est bourré de pickpockets. Alors si la valoche est pleine de billets de banque… Josiane ? Non, elle roupille, là… Écoute, je ne sais pas si… Je ne peux filer à l’anglaise, comme ça, sans rien lui dire ? On a passé un deal avec elle, quand même… Ok, voler une voleuse, ce n’est pas vraiment voler, mais…

Josiane se réveille et entend la fin de la conversation. Alban s’en rend compte et change de ton.

Alban – Je crois qu’il vaut mieux que tu rappliques ici, et on verra ça tous ensemble, d’accord ? Ok, à tout de suite…

Il range son portable. Josiane lui lance un regard méfiant.

Josiane – Vous ne cherchez pas à me doubler, au moins ?

Alban – Mais pas du tout ! Louise a la mallette ! Elle arrive…

Le médecin revient.

Mahler – Quel touchant tableau de famille… Patrick a vraiment de la chance d’avoir des proches aussi aimants pour le veiller comme ça… Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas, vous savez…

Alban – Oui, je… Mais après tout, on ne meurt qu’une fois, n’est-ce pas ?

Le médecin examine un peu les appareils entourant le patient.

Mahler – Hélas, je ne vois guère d’évolution. L’encéphalogramme est toujours plat.

Alban – Remarquez, je ne suis pas sûr qu’avant son accident son encéphalogramme avait beaucoup plus de reliefs, mais bon… Je plaisante.

Mahler – Vous avez raison. Ça aide à dédramatiser. Et puis comme je dis toujours à mes patients en soins palliatifs : Nous ne sommes que de passage sur terre…

Alban – Comme vous savez trouver les mots qui apaisent, Docteur Mahler. Ça doit sûrement beaucoup leur remonter le moral, en effet…

Mahler – C’est un métier… Presque un sacerdoce… Vous savez où me trouver si vous avez besoin de moi…

Josiane – Merci Docteur…

Le médecin s’apprête à sortir. Louise revient avec une mallette et tombe nez à nez avec lui. Moment de flottement.

Mahler – Ah, vous êtes allé lui chercher quelques affaires. C’est très gentil. Je ne suis pas sûr que dans son état… Mais je vous laisse en famille.

Le médecin sort. Louise pose la mallette sur le lit au pied du patient. Ils la regardent, fascinés.

Alban – Alors ? Tu as regardé ce qu’il y avait dedans…

Louise – Je préférais l’ouvrir ici, c’est plus prudent, non ?

Josiane – Vous avez bien fait.

Louise – Et puis il y a un code…

Alban – Un code ? Ce con de Patrick… Il devait avoir peur des voleurs…

Louise – Comment on va faire ?

Josiane – Rassurez-vous, je connais le code.

Josiane prend la mallette et marque le code.

Alban – 007 ? Quelle imagination…

Josiane ouvre la mallette. La déception se lit sur les visages. Louise fait l’inventaire du contenu de la mallette.

Louise – Quelques fringues… Un maillot de bain…

Alban – Et une méthode Assimil pour apprendre le Wallon…

Josiane – Ce salopard a essayé de me doubler. Il voulait sûrement partir en Belgique avec le fric.

Louise – De la Gare Saint Lazare ?

Josiane – En tout cas, le fric n’est pas là…

Alban (à Louise) – Ce n’est pas toi qui essaie de nous doubler, au moins ?

Louise – Moi ? Mais puisque je t’ai dit que je n’avais pas le code !

Josiane – Allons, voyons, restons calmes… C’est votre sœur, tout de même… Et nous sommes presque une famille…

Louise s’approche du patient.

Louise – Il a ouvert les yeux !

Alban – Tout espoir n’est pas perdu.

Louise – Pour retrouver le fric, tu veux dire ?

Alban – Aussi, oui…

Josiane – C’est peut-être nerveux…

Louise – Patrick, tu nous entends ?

Alban – Il a cligné des yeux !

Louise – C’est peut-être pour dire oui…

Alban – Ah oui, tu as raison. C’est comme ça qu’on fait pour parler au gens qui sont dans le coma. J’ai vu ça dans un film. Une fois pour oui, deux fois pour non. Ou l’inverse, je ne sais plus…

Louise – Patrick ? Écoute-moi bien et essaie de répondre à cette question par oui ou par non : Est-ce que tu t’appelles Patrick ?

Alban – C’est con, comme question…

Louise – C’est juste pour savoir si il a compris le code.

Alban – Il a cligné des yeux ou pas ?

Josiane – C’est vrai qu’à travers le casque, c’est pas très pratique. On pourrait essayer de lui enlever…

Louise – Vous voulez l’achever, c’est ça ?

Josiane – Mais pas du tout !

Alban – Et puis ça pourrait être très salissant…

L’infirmière arrive dans la chambre. Josiane rabat brusquement la visière du casque.

Lajoie – Je voulais juste vous prévenir que l’Inspecteur Sanchez est en bas. Il sera là dans un instant…

Louise – Très bien, merci de nous avoir prévenu Mademoiselle Lajoie…

L’infirmière s’en va.

Alban – Je crois qu’il vaut mieux aller vous planquer.

Josiane – Oui, je vais prendre la mallette, pour qu’il ne la voit pas.

Louise – On va la mettre sous le lit, plutôt.

Elle prend la mallette et la glisse sous le lit. Josiane semble dépitée.

Louise – Bon ben allez !

Josiane sort se planquer dans la salle de bain.

Sanchez arrive. Il peut être couvert de plaques rouges ou de boutons.

Alban – Inspecteur Sanchez, comment allez-vous ?

Sanchez – Pas très bien, à vrai dire… J’ai toujours des bouffées de chaleur…

Louise – Mais je vous prie, asseyez-vous Sanchez…

Sanchez – En fait je suis revenu pour consulter le Docteur Mahler… Vous ne l’auriez pas aperçu, par hasard ?

Alban – Il doit être dans les parages. Vous devriez demander à Mademoiselle Lajoie, ils ont l’air très liés.

Louise – D’où tu tiens qu’ils sont très liés ?

Alban – Je ne sais pas… L’intuition masculine… Et puis en arrivant, je me suis trompé de porte, et j’ai cru voir le Docteur Mahler besogner Mademoiselle Lajoie dans la chambre 13 bis.

Louise – Quelle honte… Heureusement que le patient qui occupe cette chambre est lui aussi dans le coma…

Sanchez – Et votre frère, comment ça évolue ?

Louise – À vrai dire, ça n’évolue pas dans le bon sens.

Alban – Je crois que si ça continue, on va être obligé de le faire piquer…

Louise – Et de votre côté, cette enquête, ça avance ?

Sanchez – C’est clair qu’on est loin de Bonny and Clyde. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que votre frère avait le QI d’une huître. Il semble se confirmer que c’est la complice qui a tout organisé. C’est elle le cerveau de la bande.

Alban – Le cerveau ? Oui. Ça ne m’étonne pas beaucoup, remarquez.

Louise – Son cerveau à lui, même avant son accident…

Sanchez – Cette garce l’a envoyé au feu en espérant récupérer le butin juste après. Malheureusement pour elle… et pour votre frère, les choses ont mal tourné.

Alban – Je vois…

Louise – Décidément, il n’aura jamais eu de chance.

Alban – Autre chose ?

Sanchez – Des témoins auraient vu Patrick déposer une mallette dans une consigne Gare Saint Lazare. On a fouillé. Mais on n’a rien trouvé de ce côté là…

Louise – Saint Lazare… Espérons que cela lui portera bonheur…

Sanchez – Pardon ?

Louise – Saint Lazare ! Ressuscité d’entre les morts par Jésus Christ, Notre Seigneur !

Sanchez – Bien sûr… Bon et bien je vais essayer de trouver ce médecin de malheur… (S’épongeant avec son mouchoir) Parce que j’ai de plus en plus chaud, moi… Je vous tiens au courant si j’ai du nouveau…

Alban – Merci Inspecteur… Et surtout, prenez soin de vous…

Sanchez sort. L’infirmière arrive.

Lajoie – Je ne voudrais pas vous brusquer, mais il va falloir prendre une décision au sujet de votre frère… Nous venons de recevoir une demande pour un foie. Cela pourrait sauver une vie…

Louise – Très bien… Je vous promets que nous allons vous donner une réponse positive. Laissez nous seulement lui faire un dernier adieu en famille…

Lajoie – Mais bien sûr…

Elle sort.

Louise, pétant les plombs, secoue Patrick pour le réveiller.

Louise – Mais bon sang, Patrick, réveille-toi ! Tu veux vraiment finir avec un poumon en moins ?

Les deux autres la regardent un peu inquiets.

Alban – Elle a dit le foie, je crois bien, non ?

Josiane – Bon, je vais vous laisser en famille… Et puis autant que je file avant que ce flic revienne…

Alban – Peut-être qu’il fait le mort pour ne pas aller en prison ?

Louise – Et pour garder le magot pour lui tout seul !

Josiane – Vous permettez que j’emmène la mallette ? Pour vous, ce n’est rien, et pour moi, elle a une valeur sentimentale…

Alban – Une valeur sentimentale ?

Josiane – Cette mallette, c’est… C’est un cadeau de Patrick…

Louise – Depuis le début, vous vous intéressez à cette mallette.

Alban – Oui, avant même qu’on en retrouve la clef.

Louise – Donc vous saviez que l’argent était dedans…

Josiane – Mais vous avez bien vu qu’il ne l’est plus !

Louise – Est-ce qu’on a bien regardé, au moins…

Louise tente de saisir la mallette. Josiane résiste. Elle tire chacune de leur côté et la mallette se casse en deux morceaux. Alban s’approche.

Alban – Il y a un double fond…

Louise – Le fric est dedans.

Alban – Vous le saviez, et vous avez voulu nous rouler !

Josiane – Ok, je le savais… Et alors qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

Louise – On partage, comme prévu !

Josiane – Pourquoi est-ce que je partagerais avec vous ?

Alban – Pour éviter qu’on vous dénonce à la police, par exemple. Et que vous sortiez de cet hôpital pour aller croupir pendant vingt ans à La Santé.

Josiane – Bon d’accord…

Alban sort quelques billets de la mallette.

Alban – Trois millions d’euros.

Louise – J’ai l’impression d’avoir gagné au loto…

Josiane – Je vous rappelle quand même que c’est de l’argent sale.

Alban – Sale mais en petites coupures usagées.

Louise – Pour payer mes travaux au noir dans ma villa en Provence, ce sera parfait…

L’infirmière revient avec un piqûre. Josiane remet en hâte le fric dans la mallette.

Lajoie – Voilà, la piqûre est prête…

Alban – La piqûre ?

Louise – Mon Dieu, Patrick ! C’est notre frère quand même…

Lajoie (avec un air inquiétant) – Ne vous inquiétez pas. Personne ne s’est jamais plaint de mes piqûres…

Noir.

Josiane – Qu’est-ce qui se passe ?

Lajoie – Une panne d’électricité. Je ne comprends pas, le système de secours aurait dû prendre la relève aussitôt… Je vais voir ce qui se passe…

Alban – Oui, je crois que c’est plus prudent. Parce que dans l’obscurité… Il ne s’agirait pas que vous vous trompiez de patient pour la piqûre…

L’infirmière sort.

Louise – En tout cas, on ne va pas tarder à savoir s’il avait vraiment besoin de tous ces appareils électriques pour rester en vie…

Alban – Moi je ne reste pas là dans le noir avec un mort-vivant, ça me fout les jetons.

Louise – Moi aussi.

Josiane – Allons-nous en…

Ils sortent.

On entend un message d’attente genre les Quatre Saisons de Vivaldi. Ellipse.

La lumière revient. Alban, Louise et Josiane reviennent. L’infirmière aussi.

Lajoie (bouleversée) – Oh mon Dieu ! Le circuit de secours aussi est tombé en panne. Normalement, cela ne devrait jamais arriver… Maintenant, c’est résolu, mais…

Alban – Quoi ?

Lajoie – Votre frère était maintenu en vie grâce à plusieurs appareils… qui bien entendu fonctionnent tous à l’aide du courant électrique…

Louise – Et ?

Lajoie – Et bien je crains fort que la question de l’euthanasie ne se pose plus vraiment.

Josiane – Il est mort ?

Lajoie – On ne peut pas vraiment dire qu’il était encore très vivant, mais là… Je crains en effet qu’il ne soit complètement mort. Je vais quand même vérifier…

Elle s’approche du patient et l’ausculte rapidement.

Lajoie – Oui, c’est fini… Cela ne s’est pas passé exactement comme nous le prévoyions, mais après tout, c’est aussi bien comme ça, non ? Je vous laisse. Le médecin passera vous voir dans un instant…

Elle sort. Les autres sont interloqués.

Louise – C’est terrible…

Alban – C’était notre frère, malgré tout…

Josiane s’approche du lit.

Josiane – Je crois que maintenant, on peut lui retirer son casque.

Alban – Je ne sais pas si c’est très prudent… On va en mettre partout…

Louise – On ne pourra quand même pas l’enterrer avec un casque intégral…

Josiane – Je vais au moins ouvrir la visière… Pour qu’on puisse lui faire un dernier adieu…

Elle ouvre la visière.

Alban – Tu te souvenais qu’il avait les yeux verts ?

Louise – Ce serait bien le seul de la famille…

Alban – Ce qui tendrait aussi à prouver qu’il n’est peut-être pas vraiment de la famille…

Josiane s’approche et regarde à son tour.

Josiane – Non !

Alban – Quoi encore ?

Josiane – Ce n’est pas Patrick !

Louise – Ce n’est pas Patrick ? Mais tout à l’heure, c’était Patrick.

Alban s’approche.

Alban – Ouais ben là ce n’est plus Patrick.

Louise – Mais alors c’est qui ?

Josiane – Ce type ressemble beaucoup au mort-vivant que j’ai vu dans la chambre d’à côté tout à l’heure.

Alban – Ah oui, en effet, je l’ai aperçu aussi en arrivant. C’est bien lui !

Louise – Il n’est quand même pas venu ici tout seul…

Josiane – Alors où est Patrick ?

Alban regarde sous le lit.

Alban – Il n’y a pas que Patrick qui a disparu…

Louise – La mallette ! Elle n’est plus là !

Sanchez arrive.

Sanchez – Le Docteur Mahler a décidé de me garder en observation pour un check up… C’est vous qui aviez raison : L’hôpital, on sait quand on y entre…

Sanchez tombe nez à nez avec Josiane.

Sanchez – C’est curieux, vous ressemblez beaucoup à quelqu’un dont j’ai le portrait dans ma poche…

Josiane – C’est vous qui m’avez donné aux flics ? Et qui avez planqué l’oseille ?

Louise – Mais pas du tout !

Alban – Je vous assure qu’on ne sait absolument pas de quoi elle parle.

Sanchez (soupçonneux) – Vous m’aviez dit tout à l’heure que vous ne la connaissiez pas.

Louise – Mais on ne la connaît absolument pas. C’est la première fois qu’on la voit. Hein Alban ? D’ailleurs c’est qui ?

Alban – Nous sommes un peu bouleversés, Inspecteur, vous pouvez le comprendre.

Louise – Et je vous demanderais de respecter notre douleur.

Alban – Notre frère vient de mourir.

Sanchez – Lui au moins, il n’ira pas en prison. Mais celle-là, je l’embarque. Ok, en ce qui vous concerne, on verra ça plus tard. Je vous demanderais de passer au poste pour faire une déposition. Pour l’instant, je vous présente toutes mes condoléances.

Louise – Merci, Inspecteur.

Sanchez (à Josiane) – Quant à vous, comme on dit dans les séries policières américaines, vous avez le droit de garder le silence, mais tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous…

Sanchez passe les menottes à Josiane, et s’en va avec elle.

Alban – C’est à n’y rien comprendre.

Louise – Qu’est-ce qui a bien pu se passer ?

Alban – Tu crois qu’il aurait pu faire semblant d’être dans le coma pendant tout ce temps ?

Louise – Et il aurait profité de la panne d’électricité pour mettre le cadavre du SDF à sa place, pour qu’on croit qu’il était mort et qu’on l’oublie ?

Alban – Ça expliquerait que ses yeux aient changé de couleur…

Louise – Ça expliquerait surtout que le fric ait disparu…

Alban – Finalement, il n’était peut-être pas si con que ça, Patrick.

Louise – Oui, c’est ça qui m’étonne un peu, d’ailleurs.

Alban – Il avait les yeux de quelle couleur, exactement ?

Louise n’a pas l’air de savoir.

Louise – Il était roux, je crois… Je ne vois pas un roux avec les yeux verts…

Alban – Patrick était roux ?

Louise – Non…?

Le médecin arrive.

Mahler – Je suis vraiment désolé pour ce qui s’est passé. Et je tiens à vous présenter au nom de l’hôpital, toutes nos excuses . Et bien sûr toutes nos condoléances.

Louise – Merci…

Mahler – Comme une aide au départ était de toute façon envisagée dans le cas de votre frère, j’espère que vous ne porterez pas plainte contre l’hôpital pour ce petit désagrément… qui après tout vous a épargné d’avoir à prendre une décision bien douloureuse…

Alban – Rassurez-vous. On a déjà assez de soucis comme ça…

Mahler – Considérons que c’est le destin… Pour ne pas dire la main de Dieu…

Alban – N’exagérons pas. Ce n’est quand même pas la main de Dieu qui a coupé le compteur électrique de l’hôpital, non ?

Mahler – Celle de la CGT, plutôt… Je crois qu’il s’agit d’une grève sauvage à EDF…

Alban – En contrepartie de notre mansuétude, Docteur Mahler, vous conviendrez avec nous qu’un geste commercial serait le bienvenu…

Mahler – Un geste commercial ?

Alban – Pour ce qui est des frais d’hospitalisation de notre cher défunt. Reconnaissez que si on s’en tenait à la formule satisfait ou remboursé…

Mahler – Bien entendu. C’est offert par la maison, cela va sans dire.

Louise – Nous vous demandons aussi, si c’est possible, d’épargner à notre frère une autopsie. Je crois qu’il a déjà assez souffert comme ça, non ?

Mahler – Bien sûr. Merci pour votre compréhension, et revenez quand vous voulez. Vous êtes ici chez vous.

Le médecin s’en va, soulagé. Ils tournent tous les deux le regard vers le lit.

Louise – Enfin, pour lui au moins tout est bien qui finit bien.

Alban – Mais puisque ce n’est pas lui !

Louise – Justement ! Ça veut dire qu’il n’est pas mort !

Alban – Tu as raison. Mais comme la police le croit mort, on lui foutra la paix.

Louise – Et avec ses trois millions, il y a peu de chance qu’on le revoit bientôt.

Alban – C’est dommage, je commençais presque à le trouver sympathique…

Moment de flottement. On pourra éventuellement passer ici en bande son un extrait de la chanson de Maxime Le forestier : Toi le frère que je n’ai jamais eu, sais-tu si tu avais vécu ce que nous aurions fait ensemble…

Louise – En tout cas, il nous a bien roulé dans la farine, ce frère qu’on n’a jamais eu.

Alban – Et oui… Comme dirait l’autre : C’est quand la mer se retire qu’on voit les gens qui se baignent à poil.

Louise – Michel Audiard ?

Alban – Warren Buffet.

Louise – Un nouveau philosophe…

Alban – Un milliardaire américain qui a fait fortune en spéculant en bourse… Mais les rois de la finance ne sont-ils pas les philosophes du 21ème siècle ?

Louise – Tout de même. Faire ça à ses frère et sœur. Quelle ingratitude…

Alban – Ce type n’a jamais eu le sens de la famille, je te dis.

Ils commencent à s’en aller.

Alban – C’est où exactement ta maison en Provence, à côté de celle de Charles Aznavour ?

Louise – À Beaucon-Les-Deux-Châteaux.

Alban – Tiens, c’est marrant, je ne connais pas…

Ils sortent.

Le médecin et l’infirmière reviennent. Elle pousse un petit chariot médical recouvert d’un linge blanc.

Lajoie – Ça y est, ils sont partis.

Mahler – Ce n’est pas trop tôt… Je peux voir le bébé ?

L’infirmière ôte le linge qui recouvre le chariot et apparaît la mallette pleine de billets.

Lajoie – Je crois que cette fois, on va pouvoir l’ouvrir notre clinique privée, Mademoiselle Lajoie !

Mahler – Je crois qu’à présent, vous pouvez m’appeler Joséphine…

Mahler l’embrasse.

Mahler – Joséphine, vous êtes mon ange gardien ! Alors comme ça, vous saviez depuis le début qu’il n’était pas dans le coma ?

Lajoie – J’ai passé un deal avec Patrick dès qu’on l’a admis ici. On validait le diagnostic du coma pour lui éviter d’aller en taule. Et en échange on partageait le magot en trois.

Mahler – Le coup du casque intégral, c’était une idée de génie. Moi-même, j’ai bien failli m’y laisser prendre, au début…

Ils rient.

Lajoie – Mais aller à la gare, c’était vraiment trop risqué. Il valait mieux se faire livrer le cash à domicile !

Mahler – En leur mettant la clef de la consigne sous le nez…

Lajoie – Ou plutôt bien en évidence sur la langue de Patrick !

Mahler – Et lui, qu’est-ce qu’on en fait, maintenant ? Je veux dire le vrai Patrick, celui qui est dans la chambre d’à côté…

Lajoie – Quand il sera d’aplomb, et que la police l’aura un peu oublier, on pourra toujours lui donner un poste de jardinier dans notre nouvelle clinique de chirurgie esthétique à Neuilly.

Mahler – Après lui avoir refait le visage à l’œil, bien sûr…

Lajoie – Ce sera notre premier patient ! Vous pourrez vous faire un peu la main sur lui…

Mahler – Vous avez raison. Après tout, on lui a quand même promis qu’il serait actionnaire minoritaire…

Ils rient.

Mahler – Et votre idée de la fausse panne de courant, alors là ! Non, vraiment, vous auriez dû écrire des romans policiers !

Lajoie – Ou des pièces de théâtre !

Mahler – Je vous le disais, on va faire de grandes choses ensemble, Mademoiselle Lajoie.

Lajoie – Joséphine, je vous en prie…

Ils s’embrassent. Noir.

Mahler – Mais là, ce n’est plus la peine, pour les pannes d’électricité, non ? Vous êtes sûre que vous n’en faites pas un peu trop ?

Lajoie – Je crains que cette fois, Docteur Mahler, ce soit une vraie panne.

Mahler – Et ce pauvre Patrick qui était encore sous assistance respiratoire…

Lajoie – Oui… Pour peu que le courant ne revienne pas tout de suite… Je crois que finalement, on n’aura pas à partager avec lui…

Mahler – Dans ce cas-là, il n’y a plus qu’à attendre…

Ils s’embrassent à nouveau. On entend Les Quatre Saisons de Vivaldi.

Ils sortent.

Lumière.

Pour un happy end, on peut voir Patrick avec son casque intégral sur la tête (joué par exemple par le comédien qui incarnait Alban) faire une apparition dans la chambre en provenance de la salle de bain avant de s’enfuir vers le couloir.

Fin.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Février 2014

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-54-3

Ouvrage téléchargeable gratuitement.

 

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