Un personnage est là, debout mais courbé. On sonne. Il va ouvrir, toujours courbé.
Deux (off) – Bonjour ! C’est pour les compteurs.
Un – Entrez, je vous attendais.
Le deuxième apparaît, courbé lui aussi.
Un – C’est par là, suivez-moi. Faites attention, le plafond est très bas.
Deux – Ne vous inquiétez pas, j’ai l’habitude.
Le deuxième suit le premier jusqu’à un endroit de la scène.
Un – Voilà, alors là c’est l’eau.
Le deuxième note le chiffre sur un calepin.
Deux – Très bien…
Le premier repart suivi par le deuxième jusqu’à un autre endroit.
Un – Ça c’est l’électricité…
Le deuxième note le chiffre sur un calepin.
Deux – Parfait…
Le premier repart suivi par le deuxième jusqu’à un autre endroit.
Un – Là ça doit être le gaz.
Deux – Mmm…
Le deuxième note le chiffre sur son calepin.
Deux – Ah, votre consommation est en baisse ce mois-ci. Il faut dire qu’on a eu un hiver très doux.
Un – Il faut bien que le réchauffement climatique ait quelques avantages quand même…
Le premier repart suivi par le deuxième vers un dernier endroit.
Un – Et voilà le compteur d’oxygène…
Deux – Très bien…
Le deuxième regarde le compteur avec un air désapprobateur.
Deux – Ah, alors là, en revanche, vous avez explosé votre forfait ! (Il se tourne vers l’autre) Qu’est-ce qui s’est passé, Monsieur Dumortier ?
Un – Je ne sais pas… C’est vrai que j’ai tendance à être un peu essoufflé, en ce moment, quand je fais mon footing… Sur mon tapis roulant…
Deux – Il faut arrêter de faire de l’exercice, Monsieur Dumortier… C’est peut-être bon pour la santé, mais ce n’est pas bon pour le porte-monnaie…
Un – Surtout que l’oxygène a encore augmenté, ce mois-ci…
Deux – Vous n’avez pas une fuite, au moins ?
Un – Je ne crois pas…
Il note le chiffre sur un calepin.
Deux – Vous devriez peut-être rabaisser encore un peu le plafond… Il y aurait moins de déperdition, croyez moi…
Un – C’est à dire qu’avec mon dos…
Deux – Ah, c’est vous qui voyez, hein…
Le deuxième sort un terminal de carte de paiement.
Deux – Alors… Chèque ? Carte bleue ?
Un – C’est à dire que… Ça ne pourrait pas attendre un peu ? C’est que ma retraite, elle, elle aurait plutôt tendance à baisser…
Deux – Ah, oui, mais Monsieur Dumortier… Vous me mettez dans l’embarras, là…
Un – Je pourrais payer en deux fois…
Deux – Ah, oui, mais ça, ce n’est pas possible, Monsieur Dumortier… Vous comprenez, si tout le monde faisait comme vous…
Le premier ne sait pas quoi répondre. L’autre est visiblement dans l’embarras.
Deux – Bon… On va dire que je n’ai pas pu relever les compteurs parce que vous étiez sorti, et je repasse la semaine prochaine, d’accord ?
Un – D’accord… Mais si vous pouviez plutôt repasser dans une quinzaine…
Deux – Monsieur Dumortier… Il ne faut pas exagérer, non plus ! Et puis vous imaginez… Si on était obligé de vous couper l’oxygène, vous savez ce que ça veut dire…
Un – Il ne me resterait plus que le gaz.
Deux – Si vous avez payé la facture…
Le deuxième donne malgré tout une tape amicale dans le dos du premier pour dédramatiser avant de prendre congé.
Deux – Allez, ne vous en faites, Monsieur Dumortier… Je repasse le mois prochain, d’accord ? Mais c’est la dernière fois, hein ?
Un – Merci…
Deux – Et d’ici, là, fini l’exercice ! Et puis essayez de ne pas respirer aussi souvent, bon sang ! Je ne sais pas moi… Une fois sur deux, c’est largement suffisant, non ? Quand on a des problèmes de fin de mois, il faut savoir se serrer un peu la ceinture… Il suffit de remonter la ceinture au niveau des poumons…
Le premier lui répond par un sourire résigné, et s’apprête à le raccompagner à la porte.
Un – Pas la peine de me raccompagner, je connais le chemin. Et autant économiser votre souffle…
L’autre s’arrête et ils se serrent la main.
Deux – Allez, au revoir, Monsieur Dumortier… Et pensez à ce que je vous ai dit… Un plafond rabaissé de trente centimètres, c’est dix pour cent de consommation d’oxygène en moins… Vous n’avez pas écouté notre dernière campagne d’information à la télé ?
Un – Merci… (Le deuxième s’en va, et le premier reste seul) Je crois que je ferai mieux d’éteindre aussi la lumière…
Noir.