Save Our Savings – Había una vez un barco chiquitito – Jogo de Escape |
Une comédie de Jean-Pierre Martinez
7 comédiens
Certains rôles sont indifféremment masculins ou féminins
3H/4F, 2H/5F, 1H/6F
Six personnages mystérieux sont bloqués sur une île par une grève de ferry. Ils ont tous une bonne raison pour vouloir regagner le continent au plus vite. Ils embarquent sur un bateau de pêche piloté par un passeur improvisé. Mais le prix à payer pour cette traversée sera plus élevé que prévu… Une fable humoristique sur les travers de notre société.
Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.
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Le mot de l’auteur à l’occasion de la création de la pièce en Belgique
C’est plaisir et un honneur pour moi, auteur français, de voir cette pièce, écrite il a moins d’un an, créée pour la première fois en Belgique, presque simultanément par deux compagnies, à Bruxelles donc, et aussi dans la Province de Luxembourg. J’aime la Belgique, et elle me le rend bien ! «Il était un petit navire» est une célèbre comptine enfantine, dont j’ignore si elle est aussi connue dans votre pays qu’en France. Cette chanson raconte l’histoire de marins naufragés qui, à la dérive sur un radeau, et venant à manquer de vivres, décident de tirer à la courte paille pour savoir lequel sera mangé. Le thème de cette chanson fait tragiquement écho à l’actualité de ces migrants à la dérive sur des embarcations de fortune, au péril de leur vie. Mais c’est une comédie que j’ai voulu écrire. Cette pièce est donc plutôt une fable sur les travers de notre société, livrée aux excès du capitalisme financier. Le navire en question tient à la fois de l’Arche de Noë et du Radeau de la Méduse. Et les «migrants» qui ont pris place à son bord sont des exilés fiscaux. Cela ne les empêchera pas, devant la perspective du naufrage, de s’entre-déchirer. Car dans le monde des puissants, la seule morale qui vaille est « chacun pour soi et moi d’abord ». Je préfère de loin celle de cette sympathique compagnie, «Les Copains d’abord», nom qui réfère à une autre chanson française, de Georges Brassens celle-là, parlant aussi d’un bateau, dont les matelots n’étaient pas «des enfants de salauds, mais des amis franco de port». Merci aux «Copains d’abord» de donner vie à ce texte, et bon spectacle à tous !
LIEN VIDÉO
TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE
Il était un petit navire
7 personnages
Max
Diane
Yvonne
Charles
Sergio
Amanda
Marie
Les rôles de Maximilien (ou Maximilienne) et de Sergio (ou Sergia) sont indifféremment masculins ou féminins
Tableau 1
Le pont d’un bateau de pêche. Au fond un gouvernail. Quelque part une bouée de sauvetage avec le nom du bateau : L’Entreprenant. Devant deux transats. Max, une casquette de capitaine sur la tête, déplie une carte pour l’étudier. Il regarde la carte à l’envers, la remet dans le bon sens, puis il regarde autour de lui, essayant de s’orienter. Diane, genre business woman, arrive, traînant derrière elle une valise de luxe à roulettes. Après une légère hésitation, elle s’adresse à Max.
Diane – Vous avez consulté la météo marine, ce matin ?
Max replie précipitamment la carte.
Max – Oui, et ils annoncent du brouillard.
Diane – Quel mot de passe à la con…
Max – Les mots de passe, c’est toujours un peu con.
Diane – La question, c’est… pourquoi un mot de passe ?
Max – Par les temps qui courent… Si vous saviez le nombre de gens qui seraient prêts à tuer père et mère pour quitter cette île au plus vite. Vous êtes sûre que personne ne vous a suivie ?
Diane – Je ne crois pas…
Max – Bon… Je vous demanderai quand même de ne pas parler trop fort. Depuis le pont d’un bateau, vous savez, les voix portent très loin. Et il n’est pas impossible qu’on nous observe…
Diane – Vous ne croyez pas que vous en faites un peu trop ?
Max – C’est mon devoir de veiller à la sécurité des passagers. Vous connaissez la formule. Seul maître à bord après Dieu. Et comme je ne crois pas trop en Dieu…
Diane jette un regard autour d’elle.
Diane – Donc vous êtes le… capitaine de ce bateau ?
Max – C’est moi, oui. Mais je vous en prie, appelez-moi Maximilien.
Diane – Maximilien ? C’est curieux, ce nom me dit vaguement quelque chose.
Max – Ou Max, pour les intimes.
Diane (froidement) – Diane de la Rochelière.
Max – Diane, très bien.
Diane – Vous parliez d’un yacht… Je ne m’attendais pas à… ça.
Max – Hélas, j’ai dû laisser mon yacht en cale sèche pour le contrôle technique. C’est un ami qui m’a prêté celui-ci. Mais je vous assure que…
Diane – Ça ressemble beaucoup à un bateau de pêche, non ?
Max – Mon ami est pêcheur, en effet. Enfin… la pêche au gros, bien sûr. Le thon… ou l’espadon.
Diane – Le thon ? D’après l’odeur, je pencherais plutôt pour la pêche à la morue…
Max – Ça doit venir du port… Quand on sera en pleine mer, vous verrez, on ne sentira plus que l’air du large.
Diane – Et vous êtes sûr que ce rafiot est vraiment fait pour le grand large ?
Max – Nous ne sommes qu’à une trentaine de kilomètres du continent… On ne peut pas vraiment parler de grand large.
Diane – Enfin, à la guerre comme à la guerre. La traversée dure combien de temps ?
Max – Je dirais une petite heure, pas plus.
Diane – OK…
Max – Deux au maximum, par vents contraires.
Diane – Par vents contraires ? Ne me dites pas que c’est un bateau à voile… Vous me prenez assez cher comme ça pour le gasoil.
Max – Rassurez-vous, c’est bien un bateau à moteur.
Diane – Je peux voir ma cabine ?
Max – Votre cabine ?
Diane – Ah, d’accord…
Max – Il y a deux couchettes en bas. Mais je vous préviens, c’est assez sommaire.
Diane – Rassurez-moi, il y a des toilettes, au moins…
Max – Ah oui, quand même.
Diane – Bon…
Max – Je vous l’ai dit, il s’agit seulement d’une traversée d’une heure ou deux. On ne va pas y passer la nuit. (Plus bas) Enfin, j’espère…
Diane – Pardon ?
Max – Non, je disais… Si vous voulez vous détendre un peu sur le pont en attendant.
Diane – Je ne suis pas sûre de pouvoir me détendre aussi facilement. J’imagine que vous ne servez pas de cocktails non plus.
Max – Désolé, le barman a pris sa journée. Mais asseyez-vous donc dans cette chaise longue.
Diane – Merci, je vais rester debout. On met les voiles dans combien de temps ?
Max – C’est un bateau à moteur.
Diane – Oui, j’ai compris. Mettre les voiles, c’était juste une façon de parler.
Max – Eh bien… nous appareillerons dès que tout le monde sera là.
Diane – Tout le monde ? Comment ça, tout le monde ?
Max – Les autres.
Diane – Ah parce qu’il y a d’autres passagers ?
Max – Avec cette grève surprise de la compagnie de ferry, beaucoup de gens sont coincés sur cette île. Ils cherchent tous désespérément un moyen de regagner le continent. À n’importe quel prix…
Diane – Donc vous vous êtes improvisé passeur…
Max – J’essaie seulement de rendre service.
Diane – Moyennant finance…
Max – Vous n’étiez pas obligée d’accepter… À ce propos, si cela ne vous dérange pas, je préférerais être payé d’avance. Et en liquide…
Elle fouille dans son sac, et lui tend quelques billets.
Diane – Voilà votre argent… (Ironique) Capitaine…
Max – Merci.
Diane – On se croirait dans un mauvais remake de film noir américain.
Max – Vous trouvez ?
Diane – Le Port de l’Angoisse, par exemple. Sauf que vous ne ressemblez pas du tout à Humphrey Bogart.
Max – Ni vous à Lauren Bacall… Je vais mettre le moteur en route. Si vous avez besoin de moi, vous n’avez qu’à me siffler. Vous savez siffler, Diane ?
Il s’en va sans attendre la réponse. Le portable de Diane sonne et elle répond.
Diane – Oui, Monsieur le Directeur, on vient de signer le contrat, je m’apprêtais à vous appeler, justement. Oui, mais j’ai quelques difficultés à trouver un moyen de transport pour regagner le continent. Les marins de la compagnie de ferry ont arrêté le travail. Que voulez-vous ? Maintenant, même dans les paradis fiscaux, on n’est pas à l’abri d’une grève. Non, ne vous inquiétez pas, je serai bien là demain matin pour le conseil d’administration. Avec le contrat signé, oui, je vous le promets… Je sais, votre réélection au conseil en dépend… Et les actionnaires attendent des résultats… Non, je ne vous décevrai pas, Monsieur le Directeur…
Arrive Amanda, genre starlette ou call girl, vêtue de façon sexy mais plutôt vulgaire. Elle porte une valise, elle aussi, mais plus ordinaire et plus usagée, voire une valise de routard couverte d’étiquettes évoquant d’innombrables destinations de voyages. Diane, toute à sa conversation téléphonique, ne remarque pas son arrivée.
Diane – Oui, je rapporte aussi tous les fonds qui étaient sur le compte secret que vous m’avez demandé de solder. En liquide oui, comme convenu… Dans le double-fond de ma valise, c’est ça… Alors dans un sens, c’est vrai que si on peut éviter la douane… Écoutez, j’ai trouvé une place sur une sorte de chalutier. C’est assez pittoresque… C’est cela, je vous raconterai. Bonne journée, Monsieur le Directeur.
Elle range son portable.
Amanda – Salut. Vous avez regardé la météo, ce matin.
Diane remarque enfin sa présence.
Diane (encore ailleurs) – Non pourquoi ?
Amanda – Excusez-moi, je croyais que…
Diane – Ah oui, si… Pardon… Je crois qu’ils annoncent de l’orage.
Amanda – Je pensais que c’était du brouillard, plutôt…
Diane – Oui, bon, du brouillard, de l’orage… On s’en fout, non ?
Amanda – C’est vous la taulière ?
Diane – La taulière ?
Amanda – J’ai réservé une place sur ce morutier. Il est où, le maquereau ?
Diane – Le maquereau ?
Amanda – Le capitaine !
Diane – Ah oui, le… Il est en train de faire chauffer le moteur, je crois.
Amanda – Je vais l’attendre ici, alors. (Lui tendant la main) Moi, c’est Amanda. Et vous ?
Diane (sans saisir la main qu’elle lui tend) – Diane de la Rochelière.
Amanda – Encore une veine qu’on ait réussi à trouver ce taxi, parce que sinon, on restait coincées là comme des phoques sur la banquise. Une grève surprise, comme ça, sans préavis. Ça ne devrait pas être permis.
Diane – En même temps, s’ils avaient déposé un préavis, ce ne serait plus une grève surprise…
Amanda – Vous êtes une maligne, vous… Alors vous aussi, vous avez le feu au cul ?
Diane – Pardon ?
Amanda – Non, je veux dire, vous aussi, vous êtes pressée de partir.
Diane – Oui. On peut dire ça…
Amanda – Vous avez un rendez-vous urgent ? Ou alors vous avez quelque chose à cacher… Moi aussi, je préférerais autant éviter la douane…
Diane – Ne vous sentez surtout pas obligée de me faire la conversation, vous savez.
Amanda – On va passer trois ou quatre heures ensemble, autant bavarder un peu. Ça passera plus vite, non ?
Diane – Trois ou quatre heures ? Le capitaine m’a parlé d’une petite heure !
Amanda – Moi, il m’a dit une demi-journée, je crois.
Diane – Dans ce cas, il serait temps de partir. Si on veut arriver avant la nuit. Je ne sais pas ce qu’il attend.
Amanda – Les autres passagers, j’imagine.
Diane – Vous savez combien on est, exactement ?
Amanda – Une dizaine, je suppose.
Diane – Mais enfin, ce n’est pas possible ! On ne va jamais tenir à dix sur ce bateau !
Amanda – On dirait que vous n’avez jamais pris le RER A entre 7 et 8 heures du matin.
Diane – Eh bien cela va peut-être vous surprendre, mais non. En effet, je n’ai jamais pris le RER.
Amanda – Vous travaillez en province ?
Diane – Non, mais je ne me déplace qu’en voiture, avec chauffeur.
Amanda – Je vois… Et c’est quoi, votre métier ?
Diane – Je suis dans la finance. Je ne vous demande pas le vôtre…
Amanda – Vous pouvez ! Je n’ai rien à cacher, vous savez…
Diane – Vous voulez dire… dans votre métier, vous n’avez rien à cacher ?
Max revient et aperçoit Amanda.
Max – Ah ! Vous devez être Amanda.
Amanda – Oui… Comment vous m’avez reconnue ?
Max – Je ne sais pas… L’intuition masculine, sans doute. Disons que… vous ressemblez beaucoup à votre prénom.
Amanda – Merci… Et vous, c’est quoi votre petit nom ?
Max – Max.
Amanda – Ah, oui… Ça vous va bien aussi.
Max – Ah oui ? Et pourquoi ça ?
Amanda – Je ne sais pas… Vous avez l’air d’assurer un max… Hein, Capitaine ?
Diane – Bon… Maintenant que les présentations sont faites, on pourrait peut-être lever l’ancre.
Max – Ce n’est sans doute encore qu’une façon de parler, bien sûr, mais sachez que dans un port, on ne jette jamais l’ancre. On se contente de s’amarrer à…
Amanda – À la première bitte qu’on voit sur le quai.
Max – C’est ça… Donc, dans un port, on ne lève pas l’ancre. On largue les amarres…
Diane – Bon, alors autant que les choses soient claires entre nous, Capitaine : je ne suis pas venue ici pour passer mon permis bateau. Et si j’avais pu faire autrement, j’aurais pris l’avion. Alors on décolle quand ?
Max – Dès que les derniers passagers seront là, je vous le promets…
Diane – Et ils arrivent quand ? Je n’ai pas que ça à faire, moi ! On m’attend demain matin à Paris.
Max – Ah, justement, les voilà.
Arrivent Yvonne, une dame très BCBG, accompagnée de Charles, genre gigolo ou vieux beau, qui porte leurs deux valises.
Yvonne – C’est vous, L’Entreprenant ?
Max – Ce n’est pas exactement le mot de passe, mais je crois qu’on va oublier ce détail…
Yvonne – J’ai fait une réservation tout à l’heure. Au nom de Bitaudeau.
Max – Bitaudeau, parfaitement. C’est un nom de code, j’imagine. Assez cocasse, il faut bien le reconnaître.
Yvonne – Non, ce n’est pas un nom de code, pourquoi ?
Max – Monsieur et Madame Bitaudeau, très bien.
Amanda – Eux, on ne peut pas dire que leurs profils collent avec leur patronyme…
Yvonne – C’est le nom de monsieur, pas le mien.
Charles – Nous ne sommes pas mariés. Pas encore…
Amanda (à Yvonne) – Je comprends, vous hésitiez à devenir Madame Bitaudeau.
Max – En tout cas, bienvenue à bord !
Yvonne – Il faut enregistrer les valises ?
Diane – Méfiez-vous, il serait capable de vous facturer un excédent de bagages.
Max – On n’est pas sur Ryanair… On va considérer que ce sont des bagages à main.
Yvonne – Charles, tu n’as qu’à mettre les valises par ici.
Charles – Tout de suite, mon amour.
Il pose les valises dans un coin.
Max – Euh… Je crois que Monsieur n’était pas prévu sur la liste des passagers… En tout cas, je n’ai pas encore encaissé sa contribution.
Yvonne – Vous n’avez qu’à le compter comme un bagage à main, lui aussi…
Max – Je ne sais pas si…
Charles – Enfin, chérie, je ne suis pas une valise.
Yvonne – Non, c’est vrai… Et pourtant ne dit-on pas « con comme une valise » ? Je plaisante, Capitaine. Je paierai pour nous deux. Comme d’habitude…
Diane – Puisque nous sommes au complet, on va pouvoir y aller. On fera les présentations plus tard.
Max – Il me manque encore un passager. Mais tant pis pour lui. Je pense qu’il ne viendra plus. Pourtant, c’était mon premier client. C’est même pour lui que j’ai affrété ce bateau au départ.
Diane – C’est ça… Il n’avait qu’à être à l’heure. Et si on pouvait démarrer sur les chapeaux de roues…
Max – Je sais que c’est une façon de parler, mais… (Son portable sonne) Allô… Oui… C’est-à-dire que… nous allions appareiller, justement… Dans cinq minutes, vraiment ? Bon… Et vous vous souvenez du mot de passe ? C’est ça… et je crois qu’ils annoncent de la pluie… D’accord, alors on vous attend, mais dépêchez-vous…
Il range son téléphone.
Diane – Quoi encore ?
Max – Ce sera le dernier, je vous le promets. Il arrive tout de suite. On ne peut pas partir sans lui, il m’a payé d’avance…
Marie, jeune femme plutôt réservée, un crucifix autour du cou et très enceinte, arrive essoufflée.
Marie – Vous allez sur le continent ?
Max – Oui… Mais en principe, nous sommes complets…
Marie – Je suis enceinte, comme vous le voyez.
Diane – Raison de plus pour ne pas embarquer avec nous ! Vous imaginez si elle accouche pendant la traversée ?
Marie – J’avais prévu de prendre le ferry aujourd’hui. On m’attend à la clinique là-bas, de l’autre côté. Il n’y a pas de maternité digne de ce nom, ici, vous comprenez ?
Yvonne – Les paradis fiscaux sont rarement réputés pour la qualité de leurs services publics.
Max – C’est-à-dire que… j’ai des consignes de sécurité.
Marie – Au nom du Seigneur ! Je vous en prie…
Charles – On peut peut-être faire une petite entorse au règlement. Vu l’état de Madame…
Marie – J’ai de l’argent. Je vous paierai.
Max – Dans ce cas… On ne va pas laisser cette pauvre femme accoucher sur le port.
Marie – Merci ! Dieu vous le rendra… Quel est votre prénom, Capitaine ?
Max – Maximilien.
Marie – Si vous nous conduisez à bon port, je vous promets de baptiser cet enfant Maximilien. Si c’est un garçon. Et Maximilienne, si c’est une fille.
Max – J’en suis très flatté. Mais vous n’oublierez pas non plus de me régler le prix de la traversée.
Marie – Bien sûr. Ça fait combien ?
Max – Cinq cents euros par personne.
Marie – Par personne ?
Amanda – Vous n’allez quand même pas lui compter un billet pour le polichinelle qu’elle a dans le tiroir.
Max – Mais non, rassurez-vous. Pour lui, la traversée est offerte. Pour vous ce sera cinq cent euros.
Marie – Ah, tout de même… C’est beaucoup, non ?
Max – C’est pour le gasoil.
Charles – Je ne pensais pas que l’essence était aussi chère dans les paradis fiscaux.
Arrive Sergio, beau ténébreux genre mafieux.
Sergio – Bonjour Capitaine. Sergio. C’est moi qui viens de vous appeler.
Max – Sergio, tout à fait… Vous n’avez que cette petite mallette ?
Sergio – Oui, j’ai l’habitude de voyager léger. Mais je ne savais pas qu’il y aurait d’autres passagers… (Saluant la compagnie) Messieurs dames…
Max – Tant qu’à faire, je me suis dis que ce serait trop bête de ne pas les faire profiter du voyage. Avec cette grève…
Charles – Bonjour Monsieur. Mais nous nous sommes déjà rencontrés, n’est-ce pas ?
Yvonne – Tais-toi donc, imbécile.
Charles se ravise, et se met en retrait.
Charles – Je dois confondre avec quelqu’un d’autre…
Sergio – On me confond souvent avec quelqu’un d’autre. C’est le drame de ma vie…
Max – Prenez place, je vous en prie… Désolé, je n’avais pas prévu de transats pour autant de monde.
Sergio (désignant Marie) – Je propose que nous en réservions un pour cette dame. En raison de son état…
Diane – C’est ça… Et les autres s’assoiront à tour de rôle.
Sergio – Je vous céderai bien volontiers ma place si vous le souhaitez, chère Madame.
Diane – Merci… Il y a au moins un gentleman à bord de ce bateau.
Max – Il y a aussi deux couchettes en bas… mais je vous préviens, ça sent un peu la marée.
Sergio – Puisque tout le monde est là, on va pouvoir y aller.
Max – Très bien. Alors je vous prie de m’excuser. Je vais regagner mon poste de commandement.
Marie (se signant) – Bon… À la grâce de Dieu !
Max se place derrière la barre, et semble hésiter un peu sur la marche à suivre.
Max – Allez, en avant toute !
Sergio – Mais discrètement, si c’est possible. Je vous rappelle que normalement, avant de quitter cette île très accueillante, pour regagner le continent nous sommes supposés passer par la douane…
Charles – Très accueillante pour les gros patrimoines, en tout cas…
Yvonne – Il faudra qu’un jour on fasse entrer dans le dictionnaire de l’Académie le mot matrimoine, parce qu’en l’occurrence…
Diane – Il ne manquerait plus qu’on se fasse arrêter par les garde-côtes en arrivant en France. Personnellement, je n’ai rien à cacher, mais bon…
Yvonne – Bien sûr… Ici, personne n’a rien à cacher, n’est-ce pas ?
Max – Ne vous inquiétez pas, nous filerons à l’anglaise. (Il actionne un levier, mais semble plutôt surpris par le résultat, qui est un bruit de sirène de bateau) Excusez-moi, ce n’est pas du tout ce que je voulais faire…
Charles – Pour un départ discret, c’est réussi…
Marie – Vous êtes seul à piloter ce navire, Capitaine ?
Max – C’est un petit bateau, vous savez, un pilote, c’est bien suffisant.
Marie – Habituellement, il y a un second.
Amanda – En tout cas dans les avions, c’est comme ça. Si le pilote a une attaque, c’est le second qui prend les commandes.
Max – Mais nous ne sommes pas dans un avion. Que voulez-vous qu’il nous arrive ?
Amanda – C’est ce que disaient aussi les passagers du Titanic…
Max – Et puis regardez ! On voit la côte d’ici.
Les autres regardent vers le large.
Charles – Je ne vois rien…
Yvonne – Moi non plus…
Sergio – Il faut dire qu’on annonce du brouillard.
Diane – Tant que ce n’est pas une tempête…
Sergio (plus bas) – Ou un tsunami…
Diane – Vous avez des informations particulières à ce sujet ?
Sergio – Non, non, pas du tout…
Max actionne une autre manette, et on entend cette fois un ronflement de moteur.
Max – Allez ! Cette fois, c’est parti !
Noir.
Tableau 2
Max est toujours à la barre. Sergio n’a pas lâché sa mallette. Diane et Amanda sont assoupies sur les transats. Charles, Yvonne et Marie, assis sur leurs valises, prennent leur mal en patience.
Yvonne (à Charles) – Tu ne devrais pas rester assis sur cette valise, ça va l’abîmer…
Charles – Mais enfin Yvonne…
Yvonne – Tu pourrais arrêter de discuter tout ce que je dis ? C’est agaçant !
Charles – Excuse-moi… (Il prend sur lui et se lève.) En tout cas, il fait un temps magnifique.
Yvonne – Oui… On va prendre des couleurs. (À Marie) Ça vous fera du bien, ma petite dame, parce que vous êtes un peu pâlichonne… Ça va ?
Marie – Ça fait combien de temps qu’on est partis ?
Charles – Un peu plus de deux heures, non ?
Yvonne – Et on ne voit toujours pas la côte…
Charles – Mais si, regarde là-bas !
Yvonne – Ah oui, peut-être…
Marie – Je commence à avoir le mal de mer.
Yvonne – Quand on est enceinte, ce n’est pas très indiqué de prendre le bateau.
Charles – La pauvre… On ne fait pas toujours ce qu’on veut. (Essayant d’être aimable) Et vous savez qui est le père ?
Marie lui lance un regard offusqué.
Yvonne – Mais enfin, Charles, ce ne sont pas des questions à poser à une femme honnête…
Charles – Pardon, je me suis mal exprimé. Je voulais dire… C’est le papa qui va être content ! C’est un garçon ou une fille ?
Yvonne – Voyons Charles, le papa c’est toujours un garçon ! Même avec le mariage pour tous, on ne changera rien à ça. Il faut toujours la petite graine…
Charles – Je parlais de l’enfant, ma chère. Un garçon ou une fille… C’est ce qu’on demande d’habitude dans ces cas-là, non ?
Yvonne – Un garçon ou une fille… Bien sûr… Je plaisantais, évidemment. Mon pauvre Charles… Et alors ? C’est un garçon ou une fille ?
Marie – Je ne sais pas… Je préfère avoir la surprise.
Yvonne – Vous avez raison. Moi non plus, je ne voulais pas savoir. D’ailleurs, de mon temps, on n’avait pas le choix. On prenait ce qui venait, et puis voilà.
Marie – Les enfants sont un don de Dieu.
Yvonne – Oui… Moi, il m’en a donné sept. Toutes des filles. (Moins fort, comme pour elle-même) Si j’avais pu en noyer une ou deux… Mais finalement, c’est mon mari qui est mort. Noyé, justement. Sinon, je ne sais pas combien de filles le Bon Dieu m’aurait encore donné… Croyez-moi, ma chère, dans ces années-là, le meilleur moyen de contraception, c’était encore le veuvage…
Charles – Et oui… C’était une autre époque… Il n’y avait pas encore internet. La télévision était en noir et blanc, mais le monde était déjà en couleurs.
Yvonne – Dans quel monde on vit… Bientôt, on pourra choisir le sexe de son enfant, sa couleur de cheveux, son quotient intellectuel… (À Marie) Vous trouvez ça normal, vous ? (L’autre ne réagit pas) Qu’est-ce que vous en pensez ?
Marie – Ça me donne envie de vomir.
Yvonne – Croyez-moi, si à notre époque on avait pu choisir ses enfants, aujourd’hui, le monde entier serait peuplé de grand blonds avec le QI d’Einstein.
Charles – Comme le souhaitaient les nazis.
Yvonne – Oui… Et tu ne serais probablement pas là pour en parler, mon pauvre Charles.
Charles – Heureusement, c’est nous qui avons gagné la guerre.
Yvonne – Tu as gagné la guerre, toi ? Mon pauvre ami… Tu ne sais même pas tuer un moustique dans une chambre à coucher, et tu voudrais libérer la France des nazis ?
Charles – Et vous Monsieur Serge, vous faites quoi, dans la vie ?
Sergio – Sergio.
Charles – Sergio ?
Sergio – Sergio, c’est mon prénom. Je suis corse.
Charles – Ah ! Enchanté. Moi c’est Charles. Et vous faites quoi, dans la vie, Sergio ?
Yvonne – Ne sois pas si indiscret, Charles. Monsieur vient de te répondre : il est corse…
Diane et Amanda sortent de leur somnolence.
Diane – Pardon, je me suis un peu assoupie.
Amanda – Je crois même qu’au début, vous avez ronflé…
Diane – Ça ne vous a pas empêché de dormir, apparemment. On n’est pas encore arrivés ?
Amanda – On nous aurait réveillées, j’imagine.
Diane – Capitaine ! On est encore loin ?
Max – Ne vous inquiétez pas, on se rapproche.
Amanda – Pourtant, on ne voit toujours pas la côte…
Diane (regardant sa montre) – Non mais ce n’est pas vrai ! Ça fait deux heures qu’on est partis, et on ne voit toujours pas la côte !
Max – C’est un petit bateau, vous savez, et on est très chargés…
Diane – La faute à qui ? C’est vous qui avez fait du surbooking pour vous en mettre plein les poches !
Max – Je voulais juste rendre service…
Yvonne – C’est ça… En profitant de la misère du monde…
Max – La misère du monde… Il ne faut peut-être pas exagérer, tout de même.
Yvonne – On est toujours le pauvre de quelqu’un, vous savez. Pas vrai, Charles ?
Sergio – Vous êtes sûr que c’est bien par là, au moins ?
Max – Quoi donc ?
Sergio – Le continent ! Vous êtes sûr que c’est par là ?
Max – Sûr ? Évidemment ! Qu’est-ce que vous croyez ? J’ai ma boussole !
Sergio – Depuis le temps qu’on est partis, on devrait voir la côte, non ?
Max – Oui… Je ne me rends pas bien compte… (Plus bas) C’est la première fois que je fais ça…
Diane – Quoi ?
Max – Non, je veux dire… C’est la première fois que je fais cette traversée avec ce bateau ! D’habitude, c’est avec mon yacht. Le moteur est beaucoup plus puissant…
Yvonne – On dirait que le temps se couvre, non ?
Charles – Oui, ça tourne à l’orage.
Max – C’est juste un peu de brouillard, ne vous inquiétez pas.
Amanda – Vous avez consulté la météo marine, ce matin ?
Max – Oui, et ils annoncent du brouillard…
Amanda – Je ne vous parle pas du mot de passe ! Est-ce que vous avez vraiment consulté la météo marine ?
Max – Ah, euh… Non… Pour quoi faire ?
Marie – J’ai mal au cœur…
Amanda – Vous auriez pu regarder la météo, tout de même !
Max – Il faudrait savoir ! Tout le monde était pressé de partir, et maintenant, il aurait fallu regarder la météo !
Sergio – Faites voir cette boussole.
Max – La confiance règne… Je sais lire une boussole.
Sergio prend la boussole que Max lui tend.
Sergio – La côte, c’est où ?
Max – À l’est. Enfin… au nord-est.
Sergio – Est ou nord-est ?
Max – Disons nord-est. Mais la côte, c’est grand vous savez. On ne risque pas de la manquer.
Sergio – Sauf si on est partis complètement de l’autre côté…
Sergio bouge un peu avec la boussole, l’orientant dans différentes directions.
Sergio – Sur une boussole, l’aiguille est supposée indiquer toujours la même direction, non ? Même quand on la tourne dans un autre sens.
Max – Évidemment.
Sergio – Alors pourquoi, sur celle-ci, l’aiguille tourne avec la boussole.
Diane – C’est une blague ! C’est pour la caméra cachée, c’est ça ?
Max – Faites voir… (Il reprend la boussole et la tourne dans tous les sens) Ah merde, vous avez raison. On dirait que l’aiguille est coincée.
Sergio – Donc on ne sait pas où on va…
Max – Juste avant de partir, elle m’a échappé des mains, et elle est tombée par terre. Elle doit être cassée…
Diane – Dites-moi que ce n’est pas vrai !
Charles – On aurait pu s’orienter avec le soleil, mais justement, avec cette brume, on ne le voit plus…
Marie – Je crois que je vais aller vomir.
Amanda – Allez plutôt faire ça derrière, parce qu’avec le vent… on va se prendre tout dans la tronche.
Sergio – C’est vrai que ça souffle de plus en plus fort.
Marie sort précipitamment.
Diane – Mais vous êtes un dingue !
Max – Je suis désolé… Je pensais vraiment qu’on allait dans la bonne direction. Mais c’est vrai que… je commençais aussi à me demander pourquoi on ne voyait pas encore la côte.
Sergio – Vous avez votre permis ?
Max – Oui, bien sûr ! Comme tout le monde…
Sergio – Je parle du permis bateau.
Max – C’est-à-dire que… j’ai plutôt l’habitude de naviguer sur mon yacht.
Sergio – Et…?
Max – Mon yacht, ce n’est pas moi qui le pilote habituellement. J’ai un équipage pour ça…
Sergio – Donc vous n’avez pas de permis bateau, et vous ne connaissez rien à la navigation en mer.
Max – Je ne pensais pas que c’était si compliqué. Par beau temps, on voit presque les côtes françaises, depuis ce paradis fiscal…
Yvonne – Oh mon Dieu… Nous sommes perdus… Nous allons tous mourir…
Max – Ne dramatisons pas.
Marie revient.
Marie – Ah, ça va mieux…
Charles – Vous trouvez ?
Marie – Qu’est-ce qui se passe ? Vous en faites une tête !
Diane – Le capitaine n’a pas son permis bateau, et nous sommes perdus en mer, voilà ce qui se passe.
Charles – Ah, cette fois, je crois que j’aperçois vraiment quelque chose à l’horizon.
Marie – Nous sommes sauvés !
Yvonne – Tu es sûr ?
Amanda – Ah oui… Mais c’est curieux, on dirait que la côte se rapproche de nous à une vitesse phénoménale…
Ils regardent tous vers le fond de la salle, qui figure la ligne d’horizon.
Sergio – Ce n’est pas la côte… C’est une énorme vague !
Max – Non… Je n’ai jamais vu une chose pareille…
Diane – La vague vient droit sur nous.
Marie – Si vous connaissez une prière, c’est le moment de la réciter…
Noir
Tableau 3
Ils sont tous là, serrés les uns contre les autres, pétrifiés.
Charles – J’ai bien cru qu’on allait tous y passer.
Max – Oui, on a failli être engloutis.
Yvonne – Mais la vague est passée sous le bateau, sans le faire chavirer.
Marie – C’est un miracle ! Dieu soit loué !
Diane – J’ai eu tellement peur ! (Plus bas) Je crois même que j’ai eu un orgasme…
Marie – Moi, pour le coup, je n’ai même plus mal au cœur.
Diane – La dernière fois que j’ai ressenti ça, c’était avec mon patron. Sur les montagnes russes, à la Foire du Trône.
Yvonne – Heureusement, il n’y avait pas d’autres vagues derrière.
Sergio – Et maintenant la mer est calme à nouveau.
Charles – Alors on a peut-être encore une chance de s’en sortir…
Ils commencent à se détendre un peu, et à se séparer.
Marie – Il faut garder espoir.
Amanda – Si on est partis dans la mauvaise direction, il suffit de faire demi-tour, non ?
Sergio – Faire demi-tour, en mer, c’est un concept qui n’a pas exactement le même sens que sur une autoroute, vous savez.
Marie – Le ciel se dégage. Il y a même un arc-en-ciel… C’est un signe de Dieu !
Sergio – En tout cas, maintenant qu’on voit le soleil, on peut toujours essayer de s’orienter. Puisque le soleil se couche à l’ouest, il suffit d’aller de l’autre côté.
Diane – Alors qu’est-ce que vous attendez, imbécile !
Max – Malheureusement, ce n’est pas si simple…
Diane – Et pourquoi ça ? Ne me dites pas que le gouvernail aussi est défectueux !
Max – Non, mais on n’a presque plus de gasoil…
Diane – Quoi ? Mais vous nous avez tous rackettés avant de partir pour faire le plein !
Max – On a déjà fait pas mal de route… et je n’avais rempli le réservoir qu’à moitié.
Sergio – À moitié ?
Max – Je pensais que ça suffirait pour une traversée de deux heures…
Diane – C’est une blague ?
Max – Je crains que non, hélas.
Yvonne – Nous voilà tous embarqués sur un rafiot qui prend l’eau, piloté par un marin d’eau douce, et on va bientôt être en panne sèche.
Sergio – J’ai bien entendu… un bateau qui prend l’eau ?
Yvonne – Je suis descendue dans la cale tout à l’heure, pour chercher des toilettes que je n’ai jamais trouvées, d’ailleurs. Et il m’a bien semblé qu’il y avait une grosse flaque à l’arrière.
Amanda – Capitaine…?
Max – C’est juste une petite fuite. Rien de grave.
Charles – Et qu’est-ce que vous comptez faire, appeler un plombier ?
Diane – Ce qu’il faut surtout, c’est appeler les secours.
Max – On ne va peut-être pas s’affoler trop vite.
Amanda – Parce que vous trouvez que notre situation ne mérite pas qu’on s’affole un peu ?
Diane compose un numéro sur son portable. Sergio sort.
Diane – Il n’y a pas de réseau…
Amanda – Évidemment, il n’y a pas de réseau ! On est perdus en pleine mer !
Max – Perdus… Il ne faut rien exagérer.
Diane – Je vais le tuer.
Amanda – J’imagine que vous n’avez pas de radio de bord non plus ?
Max – Je n’ai rien vu qui ressemble à ça, malheureusement. Il y a juste un vieux transistor.
Charles – Vous êtes sûr qu’elle est vraiment à vous, cette épave ?
Max – Disons que… je l’ai empruntée à un ami, que je n’ai pas vraiment eu le temps de prévenir.
Diane – Et en plus, c’est un bateau volé !
Sergio revient.
Sergio – En effet, il y a une voie d’eau à l’arrière. Si on ne commence pas à écoper tout de suite, d’ici une heure ou deux, le bateau va couler.
Marie – Ce n’est pas possible… Dites-moi que c’est un cauchemar, et que je vais me réveiller…
Sergio – On va instaurer un tour pour écoper. Mais pendant ce temps-là, il vaudrait mieux délester le bateau de toute charge inutile.
Ils se regardent tous en chiens de faïence.
Max – On pourrait peut-être commencer par les valises…
Yvonne – Les valises ?
Amanda – Vous plaisantez !
Sergio – Il n’en est pas question.
Yvonne – Pas la mienne, en tout cas…
Diane (à Max) – Et si on commençait par vous jeter par dessus bord, plutôt ? Capitaine…
Tous les regards, menaçants, se tournent vers Maximilien.
Noir
Tableau 4
Ils sont tous là, sauf Max et Sergio. Ils ont l’air accablés.
Yvonne – Et dire qu’au lieu de mourir de soif sur cette épave, je pourrais me prélasser dans le jacuzzi de mon hôtel cinq étoiles, sur cette île paradisiaque que nous venons de quitter, en sirotant un cocktail exotique.
Charles – C’est vrai… Finalement, on n’était pas pressés de partir. On n’avait rien à faire de si urgent.
Yvonne – Parle pour toi ! Tu n’as jamais rien à faire ! Moi j’avais rendez-vous ce matin avec mon chirurgien à Neuilly…
Charles – En même temps, il ne s’agit que d’une petite liposuccion. Pas d’une opération à cœur ouvert…
Yvonne – Une petite liposuccion ? Tu as déjà subi une liposuccion, toi ?
Charles – Non, pas ce genre de liposuccion, en tout cas…
Yvonne – On en reparlera quand tu sauras ce que c’est, alors !
Charles – Excuse-moi…
Yvonne – Mon pauvre ami… Parfois, je me demande ce qu’on fait ensemble…
Charles (plus bas) – Oui, moi aussi…
Yvonne – Et tu réponds, en plus ?
Diane – Mais vous allez la fermer, oui !
Yvonne – Eh, oh ! Pour qui elle se prend, celle-là ?
Diane – Si j’étais vous, Charles, je l’aurais déjà passée par-dessus bord.
Amanda – Ça ferait déjà un poids en moins.
Diane – Mais évidemment, vous êtes trop mou pour ça, mon pauvre.
Charles – J’aimerais que tout le monde arrête de m’appeler « mon pauvre ». Ça finit par être agaçant.
Diane – Pardon… Mais j’imagine que si vous aviez de l’argent, vous ne seriez pas obligé de supporter cette mégère.
Amanda – Finalement, on fait le même métier, vous et moi. Pas vrai, Charles ? Le plus vieux métier du monde. Mais moi je fais de l’intérim, et vous vous êtes en CDI…
Yvonne – Pour l’instant, il serait plutôt en période d’essai…
Charles (à Amanda) – En tout cas, cessez de m’appeler mon pauvre. Est-ce que je vous appelle ma grosse, moi ?
Amanda – Mais c’est lui qui va passer par-dessus bord, le freluquet !
Amanda s’avance menaçante vers Charles. Yvonne s’interpose. Charles se réfugie lâchement derrière elle.
Yvonne – Bas les pattes ! Si quelqu’un doit balancer ce minus par-dessus bord, ici, c’est moi.
Max revient, avec Sergio, mettant fin à cette confrontation.
Sergio – Le moteur vient de s’arrêter. On est en panne sèche.
Marie – Jésus, Marie, Joseph… On va tous mourir…
Max – Je suis vraiment désolé… Je pensais qu’un demi-plein, ce serait largement suffisant.
Diane – Et qu’est-ce que vous comptiez faire avec le reste de l’argent ? On vous a versé cinq cents euros chacun ! Vous n’aviez pas assez pour faire un plein complet ?
Max – C’est une longue histoire…
Sergio – Et ce n’est peut-être pas le bon moment pour la raconter.
Diane – Monsieur a raison. On ferait mieux de se concentrer pour essayer de trouver une solution, vous ne croyez pas ?
Amanda – Une solution ? Sans blague ?
Diane – On n’a qu’à considérer qu’on participe à un jeu ! Un escape game !
Amanda – Un quoi ?
Marie – Un de ces jeux de groupe qu’on pratique dans les séminaires d’entreprise pour resserrer les liens entre les employés. On doit s’évader d’un lieu où on est enfermés, en trouvant tous ensemble un moyen de s’échapper.
Charles – Et à votre avis, qu’est-ce qu’on fait ? Ça fait une heure que je me concentre. Je suis à mon maximum, là.
Amanda – S’il suffisait de se concentrer, on ne serait déjà plus là, sur cette épave, à attendre de couler avec elle…
Yvonne (à Diane) – Mais si vous avez une idée pour nous sortir de là, Madame je-sais-tout, n’hésitez pas à nous la dire…
Diane – Je ne sais pas moi… Les téléphones ne passent pas… Et si on lançait une bouteille à la mer ? Avec un message à l’intérieur.
Charles – Alors là, bravo…
Sergio – Et qu’est-ce que vous diriez, dans ce message, pour aider les secours à nous localiser ?
Diane – C’était juste une idée…
Amanda – Une idée à la con, oui.
Diane – Peut-être, mais quand on fait un brainstorming, il ne faut pas se censurer. Parfois, c’est après avoir dit vingt conneries qu’on trouve la bonne idée.
Amanda – Dans ce cas, je crois que vous avez déjà épuisé votre quota depuis longtemps. C’est le bon moment pour nous sortir une idée géniale.
Sergio – Redescendez un peu sur terre, Diane. On n’est pas dans un séminaire d’entreprise, là. On est sur un bateau prêt à couler à pic !
Amanda – Si on perd cette vie-là, on n’en n’aura pas d’autres. Ce sera game over, et basta.
Marie – Et si on essayait une prière collective ? Dieu nous viendra peut-être en aide…
Consternation générale.
Yvonne – C’est ça, et pourquoi pas une procession.
Charles – Ou un sacrifice humain…
Max – OK, on a dit qu’on avait droit à vingt conneries…
Sergio – À moins que Dieu puisse changer l’eau en gasoil…
Max – Oui… Il n’y aurait plus qu’à se servir dans la cale. Parce qu’on commence à en avoir jusqu’aux genoux… À propos, il faudrait que quelqu’un retourne écoper…
Absence de réaction.
Charles – Il faudrait déjà hisser un signal de détresse. Au cas où un hélicoptère de la gendarmerie nous survolerait, pour qu’il sache que nous sommes en perdition.
Marie – Oui, on n’a qu’à faire ça…
Silence embarrassé.
Yvonne – D’un autre côté, nous ne sommes pas tous en situation très régulière…
Diane – Ça va, on n’est pas des migrants clandestins, non plus.
Yvonne – Il n’empêche que si la police nous demandait d’ouvrir nos valises…
Amanda – Moi, je n’ai rien à cacher.
Yvonne – Ah oui ? Alors ouvrez votre valise, et montrez-nous ce qu’il y a à l’intérieur…
Amanda – Je n’ai pas d’ordre à recevoir de vous.
Max – Quand on quitte un paradis fiscal sur un bateau de pêche, ce n’est pas forcément du poisson qu’on ramène dans ses bagages, c’est sûr.
Amanda – Alors qu’est-ce qu’on fait ? Vous préférez qu’on meure tous noyés ?
Moment d’hésitation.
Sergio – OK. Je m’occupe du drapeau.
Il sort.
Marie – Je commence à avoir très soif.
Charles – Mourir de soif alors qu’on est entourés de flotte. Quelle situation absurde !
Diane – C’est tout ce que vous trouvez absurde dans cette situation ?
Yvonne – Vous, on ne vous a rien demandé.
Max – Rassurez-vous, j’ai quelques bouteilles dans la cale.
Charles – Décidément, vous aviez presque tout prévu, Capitaine…
Diane – Combien de bouteilles ?
Max – Deux.
Yvonne – Grandes ?
Max – Trente-trois centilitres.
Charles – Ah oui, on est tout de suite plus rassurés…
Diane – Même dans les taxis Uber on a droit à une bouteille d’eau par personne. Alors à cinq cent euros le billet, vous auriez au moins pu prévoir quelques rafraîchissements…
Amanda – Deux bouteilles de trente trois centilitres, ça fait soixante-six centilitres.
Yvonne – Bravo, au moins vous savez compter…
Amanda – On est sept. Ça ne fait même pas dix centilitres chacun.
Marie – Il va falloir instaurer un système de rationnement. Je pense que les femmes enceintes devraient être prioritaires.
Diane – Ah oui ? Et pourquoi ça ?
Charles – Et puis quelle idée, pour une femme enceinte, de venir passer ses vacances dans cette république bananière. Qu’est-ce que vous foutiez là, en vrai ?
Marie – Je vous en pose, des questions, moi ? Et vous, vous étiez en voyage de noces ? Dans une île grande comme trois terrains de foot, mais qui compte cinq banques au mètre carré…
Silence.
Max – À propos, vous saviez que le point culminant du micro-état que nous venons de quitter est situé à une altitude de trois mètres ?
Amanda – Non, et on s’en fout.
Yvonne – On ne vient pas dans ce paradis fiscal pour faire du ski. On vient pour y planquer notre oseille.
Diane – En Suisse on peut faire les deux.
Sergio revient.
Sergio – J’ai hissé le drapeau de détresse. Mais si on ne veut pas couler avant l’arrivée éventuelle des secours, il faut vraiment que quelqu’un retourne écoper.
Max – On a dit que les femmes enceintes étaient exemptées, donc c’est à vous, Yvonne.
Yvonne – Charles va y aller à ma place.
Charles – Et pourquoi ça ?
Yvonne – Parce que c’est moi qui t’entretiens, imbécile ! Voilà pourquoi !
Charles – J’y vais… Par galanterie… Mais je n’aime pas beaucoup non plus qu’on me traite d’imbécile.
Yvonne – Mon pauvre…
Charles sort, prenant sur lui pour ne pas répondre.
Max – Si jamais on s’en sort, c’est promis, je vous rembourse la moitié du prix de la traversée.
Diane – Et en plus, il se paie notre tête ! Si jamais on en sort, salopard, vous aurez affaire à mon avocat !
Max – Vous êtes sûre ?
Diane – Que voulez-vous insinuer ?
Max – Nous avons tous une bonne raison d’être ici, sur ce bateau. Et de vouloir regagner le continent sans passer par la douane. Tous, même vous…
Diane – Qu’est-ce qui vous permet de l’affirmer ?
Max – Sinon vous n’auriez jamais accepté de payer une telle somme pour la traversée. Et vous ne seriez pas aussi attachée à votre valise…
Sergio – Je vous rappelle que la compagnie de ferry est en grève.
Max – La grève… Elle a bon dos, la grève… On dirait plutôt que les rats quittent le navire… en emportant l’argenterie.
Sergio – Si seulement on pouvait le quitter, ce putain de navire…
Max – Navire, c’est une façon de parler. Je veux dire cette île. Ce havre de paix pour milliardaires apatrides. Pourquoi étiez-vous tous si pressés de la quitter ?
Diane – Ça ne vous regarde pas… On voulait regagner le continent au plus vite, c’est tout. Les ferries sont en grève, on est montés sur le premier bateau en partance…
Marie – Quand on est sur le Titanic, il faut bien choisir son canot de sauvetage… Malheureusement, j’ai l’impression qu’on n’a pas fait le bon choix…
Max – On est tous dans le même bateau, en effet. Mais pas pour les mêmes raisons. Et je serais curieux de savoir laquelle de ces valises contient le plus de pognon… Pas la mienne, ça c’est sûr…
Diane – Même si vous n’avez rien de compromettant dans vos bagages, Capitaine, je vous rappelle que c’est un délit de faire office de passeur.
Marie – Surtout quand on n’a même pas son permis bateau.
Charles – C’est vrai que si on est secourus par les garde-côtes, on pourrait avoir des ennuis…
Yvonne – En tout cas, j’espère qu’on ne sera pas secourus par des pirates.
Sergio – Encore que… Avec eux, on pourrait toujours s’arranger.
Yvonne – Et au moins on ne finirait pas en prison.
Marie – Si c’est pour finir au fond de l’eau, bouffés par les requins…
Silence embarrassé.
Yvonne – Alors qu’est-ce qu’on fait ? À part écoper…
Sergio – Que voulez-vous qu’on fasse ? On n’a plus de gasoil. À part se laisser dériver en espérant que les courants ou les vents nous ramènent sur la côte.
Marie – C’est tout ce que vous proposez ?
Sergio – Eh, je ne suis pas le capitaine de ce bateau, d’accord ? Vous n’avez qu’à demander à l’imbécile qui nous a conduits jusqu’ici, en pleine mer, au bord du naufrage.
Tous les regards se tournent vers Max, qui juge plus prudent de faire profil bas.
Yvonne – Je commence à avoir faim, moi.
Max – Désolé, je n’avais pas prévu de plateaux-repas. La traversée ne devait durer que quelques heures. Il n’y a qu’un paquet de Pépitos entamé dans la cale.
Yvonne – Je trouve que les grosses devraient être prioritaires. Après tout, elles ont besoin de manger plus que les autres.
Marie – À moins qu’elles n’aient besoin de maigrir. Et puis je suis plus grosse que vous, je vous signale !
Yvonne – Quand on aura fini les Pépitos, on en viendra peut-être à se bouffer les uns les autres. Comme sur le radeau de la méduse.
Marie – C’est ça. On tirera à la courte paille pour savoir celui qui sera mangé le premier. Comme dans la chanson.
Max – Quelle chanson.
Marie se met à chanter la célèbre comptine.
Marie – Il était un petit navire, il était un petit navire, qui n’avait…
Yvonne jette un regard vers le ventre arrondi de Marie.
Yvonne – Dans la chanson, c’est le plus jeune qu’on finit par bouffer…
Marie – Alors espérons que je n’accoucherai pas sur ce bateau.
Silence pesant.
Sergio – Tout de même, Max. Il y a une chose qui m’échappe.
Max – Ah oui…
Sergio – À mon tour de vous poser une question.
Max – Je vous écoute.
Sergio – Il y a d’autres moyens, plus efficaces, pour gagner de l’argent que de piloter un bateau de pêche quand on n’a pas son permis bateau.
Diane – Surtout quand on est déjà très riche, comme vous le prétendez.
Sergio – Qu’est-ce qui vous a pris de vous improviser passeur, alors que vous ne savez pas piloter une barque.
Max – Je vous l’ai dit, c’est une longue histoire.
Sergio – Au point où on en est, on n’a rien d’autre à faire que de l’entendre.
Max – Comme vous le savez, la compagnie de ferry qui relie habituellement cette île au continent est en grève.
Yvonne – Oui, ça on a remarqué, sinon… que viendrions-nous faire dans cette galère ?
Max – Les employés ont arrêté le travail en apprenant la revente de la compagnie à un groupe financier, qui annonce un gros plan social.
Diane – Et qu’est-ce que vous avez à voir avec tout ça ?
Max – Je suis le patron de cette compagnie de ferry. Enfin je l’étais…
Diane – Alors c’est vous ?
Yvonne – Vous le connaissez ?
Diane – Disons que… j’ai entendu parler de ce rachat.
Sergio – Et pourquoi l’avez-vous revendue, cette compagnie ?
Max – J’ai fait de mauvais placements. Suivis de quelques malversations pour essayer de me refaire. Je suis ruiné. La banque en a profité pour me racheter mon entreprise à un prix dérisoire.
Sergio – Et vous avez accepté ?
Max – C’était ça ou aller directement en prison.
Marie – Ça ne nous dit pas comment vous en êtes arrivé à voler un bateau de pêche.
Max – Les marins en grève me séquestraient dans mon bureau. J’ai échappé de peu au lynchage. J’ai réussi à m’enfuir, mais j’ai jugé plus prudent de quitter l’île au plus vite. J’ai… emprunté un bateau de pêche qui était en cale sèche.
Sergio – Sans doute pour réparer cette voie d’eau…
Max – Je n’avais même pas de quoi faire le plein de gasoil. Et puis il me fallait un peu de cash. De quoi survivre en arrivant sur le continent, le temps que la chance tourne.
Diane – Je vois…
Max – J’ai laissé mon adjoint signer le contrat de vente avec la négociatrice de la banque. D’ailleurs, elle aussi ils ont failli la lyncher.
Diane – Je sais…
Max – Comment vous savez ça ?
Diane – C’est moi qui ai signé le contrat au nom de la banque.
Max – Vous êtes la négociatrice de Continental Finances ? Celle qu’on surnomme le requin ?
Diane – Elle-même.
Max – C’est un comble… Alors en un sens, je vous ai sauvé la vie.
Diane – Ne poussez pas trop le bouchon… Je vous rappelle qu’on est perdus en mer, en panne sèche, et au bord du naufrage.
Max – Oui… et je ne sais pas ce qui me retient de vous jeter par-dessus bord. C’est à cause de vos mauvais conseils que mes placements m’ont ruiné ! Et ensuite vous me rachetez mon entreprise pour une bouchée de pain !
Diane – Je ne fais qu’exécuter les ordres de ma direction. Les temps sont difficiles pour tout le monde. C’est la crise…
Marie – C’est curieux, le monde est en crise depuis que Dieu l’a créé… Et pourtant les riches sont toujours de plus en plus riches.
Max (à Diane) – Je préfère aller écoper… avant de céder à des envies de meurtre que je pourrais regretter.
Silence pesant.
Yvonne – Ôtez-moi d’un doute, le « requin »… Il parlait de vos mauvais conseils, qui l’ont ruiné… J’espère que vous m’en avez donné de meilleurs. J’ai confié la gestion de tous mes placements à Continental Finances, moi aussi.
Diane – Ne vous inquiétez pas… Si nous sommes numéro un mondial en matière de gestion de patrimoine, ce n’est pas pour rien.
Sergio – À moins que votre banque n’ait construit sa fortune en ruinant ses clients les plus crédules.
Yvonne semble de plus en plus inquiète. Charles revient.
Max – Vous avez déjà fini d’écoper ? Il n’y a plus d’eau dans la cale ?
Charles – Ça ne sert plus à rien d’écoper. La voie d’eau est trop importante…
Marie – Alors c’est la fin. Il ne nous reste plus qu’à prier…
Charles – Enfin Yvonne, fais quelque chose !
Yvonne – Que veux-tu que je fasse, imbécile ! Les seuls problèmes que je sais régler, ce sont ceux qu’on peut résoudre en sortant son carnet de chèques.
Sergio – Malheureusement, cette fois, je doute qu’on puisse s’en sortir comme ça.
Moment de déprime générale.
Yvonne (à Charles) – Et arrête de te ronger les ongles, ça m’énerve.
Charles – Fous-moi la paix ! Je me rongerai les ongles si je veux…
Amanda – Eh ben… Vous ne lui parliez pas comme ça, avant ?
Charles – Avant, je rêvais d’épouser une milliardaire. Mais à quoi ça me sert d’épouser une milliardaire qui va mourir. Surtout si je dois mourir en même temps qu’elle.
Marie se tortille un peu.
Marie – C’est un calvaire…
Sergio – Vous n’allez pas accoucher maintenant, au moins ? Il ne manquerait plus que ça…
Marie – Non, rassurez-vous. Aucun risque…
Max revient.
Max – Je n’ai pas pu me connecter au réseau, mais j’ai pu écouter la météo marine, avec un vieux transistor que j’ai trouvé dans la cale.
Diane – Et alors. On annonce encore du brouillard ?
Max – Non, mais on dit qu’un tsunami vient de ravager le paradis fiscal que nous venons de quitter.
Marie – Un tsunami ?
Max – D’amplitude suffisante pour submerger totalement l’île, vu sa faible altitude.
Marie – Oh mon Dieu ! C’est l’énorme vague qui a failli nous engloutir tout à l’heure.
Max – Personne n’a pu être prévenu à temps. Il n’y a aucun survivant…
Amanda – Mais c’est affreux !
Marie – C’est sans doute un châtiment divin. Jésus a bien chassé les marchands du temple. Et Dieu a détruit Sodome et Gomorrhe…
Max – En tout cas, pour nous c’est un miracle… Si nous n’avions pas quitté cette île précipitamment, nous serions tous morts noyés.
Sergio – Oui, quel heureux hasard…
Yvonne (à Max) – Alors en somme, en nous embarquant sur cette épave, vous nous avez sauvé la vie…
Max – C’est un fait.
Diane – On va vous appeler Noé.
Amanda – Oui… Vous avez pris sur votre arche un exemplaire de tout ce qu’il y a de pire dans l’humanité, pour être sûr que l’espèce survivrait à ce déluge.
Charles – On a échappé au déluge, mais malheureusement, notre arche prend l’eau par l’arrière.
Sergio – Et si nous n’atteignons pas rapidement une côte, nous allons couler.
Marie – Espérons que les secours qui afflueront vers le lieu de cette catastrophe pourront nous voir, et nous venir en aide.
Yvonne – Avec un peu de chance, vu les circonstances, ils ne penseront pas à fouiller nos valises…
Charles – Comme quoi… À toute chose, malheur est bon.
Yvonne – Tu en as d’autres, des expressions à la con comme ça ?
Charles – Le malheur des uns fait le bonheur des autres, si tu préfères.
Yvonne – Je préférerais que tu la fermes.
Amanda – Vous n’allez pas recommencer ?
Yvonne – Et vous, qu’est-ce que vous fichez là, d’ailleurs ? Vous n’avez pas le profil à venir planquer vos économies dans un paradis fiscal. Quant au métier que vous exercez, très ancien à ce qu’on dit, les hôtels cinq étoiles ne doivent pas être habituellement votre terrain de chasse privilégié ?
Amanda – Ne vous fiez pas trop aux apparences. Regardez, vous par exemple. Vous êtes la preuve vivante que la fortune et la classe ne vont pas toujours ensemble…
Yvonne – On ne m’enlèvera pas de l’idée que votre place n’est pas ici. Qui êtes-vous vraiment, et qu’est-ce que vous cachez dans cette valise ridicule ?
Amanda – Ne vous avisez pas d’y toucher.
Yvonne – Nous n’avons plus rien à nous cacher les uns aux autres. Pourquoi ne pas nous montrer ce qu’il y a dans cette valise ?
Sergio – Allez-y, ouvrez-la. Au point où on en est…
Amanda – Pas question.
Yvonne – Vas-y, Charles, ouvre la valise.
Charles – Je ne sais pas si…
Yvonne – Ouvre-la, je te dis !
Charles – Et si c’était une valise piégée ?
Yvonne – Pourquoi tu crois que je te demande de l’ouvrir, imbécile ?
Charles – OK…
Il avance sans conviction vers Amanda.
Amanda – Laissez tomber… Je vais l’ouvrir moi-même.
Amanda ouvre sa valise, et elle en sort un pistolet qu’elle braque sur Charles.
Amanda – Je ne vous conseille pas d’avancer !
Sergio – C’est pour défendre votre vertu que vous vous promenez avec une telle artillerie ?
Amanda – J’avoue… Je ne suis pas celle que vous croyez…
Charles – Alors vous êtes qui ? Et vous faites quoi ?
Yvonne – Trafic d’armes ? Terrorisme ?
Amanda – Je suis flic. De la Brigade Financière. J’étais ici en infiltration, pour surveiller vos petits trafics en tous genres et vous prendre tous en flagrant délit.
Max – Et qu’est-ce que vous comptez faire, maintenant ? Nous mettre tous aux arrêts dans la cale ?
Amanda baisse son arme.
Amanda – Vous avez raison. Maintenant, c’est inutile. Nous allons tous mourir, alors à quoi bon jouer encore aux gendarmes et aux voleurs…
Noir
Tableau 5
Ils sont tous là. Leur tenue est en désordre. Ils ont le teint hâlé, voire des coups de soleil.
Yvonne – Je commence vraiment à avoir faim.
Marie – On pourrait pêcher… On est sur un bateau de pêche, après tout.
Sergio – Je ne vois pas de filet.
Charles – Quelqu’un sait pêcher ?
Max – Oui, la pêche au gros. Sur mon yacht. Et avec du personnel. Mais là…
Yvonne – Vous croyez qu’on en arrivera au cannibalisme ?
Charles – En cas d’extrême nécessité, ce n’est pas un crime.
Sergio – C’en est un si on est obligé de tuer la personne avant de la bouffer…
Yvonne – Bon, alors on attendra que le premier d’entre nous meurt de mort naturelle.
Charles – Si on ne vient pas nous secourir rapidement, ça risque d’arriver bientôt.
Diane arrive, très excitée.
Diane – J’ai pêché un poisson !
Max – Comment est-ce que vous avez fait ?
Diane – Avec une épuisette.
Max – Où est-ce que vous avez trouvé une épuisette ?
Diane – J’en ai bricolé une avec un manche à balai et… ma culotte.
Sergio – Et vous avez réussi à attraper un poisson comme ça ?
Diane – Ben oui… Il ne bougeait pas. Il était sur le dos. Il devait dormir.
Amanda – Ça dort, un poisson ?
Diane – Une petite sieste, peut-être.
Sergio – Ou alors il était mort.
Diane – C’est vrai que quand je l’ai sorti de l’eau… il avait une drôle d’odeur.
Charles – Vous êtes sûre que c’était le poisson ?
Yvonne – Enfin, Charles…
Charles – Désolé, ça doit être le soleil. Je suis au bord de l’insolation.
Sergio – Et qu’est-ce que vous en avez fait ?
Diane – Ben je l’ai mangé !
Silence consterné.
Marie – Je crois que cette fois, on a touché le fond.
Charles – C’est une phrase qui prend un sens particulier quand on la dit sur un bateau sur le point de sombrer.
Yvonne – Voilà qu’il se met à faire des phrases, maintenant… Tu as raison, ça doit être le soleil…
Un temps.
Sergio (à Yvonne et Charles) – Et vous, qu’est-ce que vous étiez venus faire sur cette île ?
Charles – Nous étions en reconnaissance. Pour notre voyage de noces. On avait d’abord pensé à Saint Barth, mais c’est tellement surfait maintenant. Surtout depuis que…
Yvonne – Laisse tomber, mon pauvre ami. Au point où on en est, je peux lui dire la vérité.
Charles – Je pensais que c’était la vérité…
Yvonne – Je fais le voyage dans ce paradis fiscal deux fois par an pour y mettre mes économies en lieu sûr.
Sergio – Ne me dites pas que vos valises sont vides…
Yvonne – J’amène du cash et je repars avec des bons au porteur…
Sergio – Et cette année, vous avez fait bonne pêche ? Qu’est-ce que vous ramenez dans vos filets ? Je veux dire dans votre valise. Elle est énorme…
Yvonne – Des bons du trésor, émis par le micro-état qui gère cette île.
Diane – Non…? Et qui vous a conseillé d’acheter ça ?
Charles – Continental Finances, pourquoi ?
Diane – Disons que… maintenant que cette république bananière a été réduite à néant par ce tsunami, vos bons du trésor ne valent plus rien.
Yvonne – Vous êtes sûre ?
Diane – Vous n’avez pas entendu ? À l’heure qu’il est, cette île n’existe plus. Elle a été rayée de la carte.
Charles – Quoi ? Mais alors Yvonne, tu es ruinée…
Diane – La compagnie de ferry que nous venons de racheter ne vaut plus grand chose non plus… mais au moins ça résout le problème de la grève. Et puis on ne sait jamais, il faut garder espoir. Même si tous les marins sont morts noyés, les bateaux, eux, sont peut-être encore à flot.
Marie – C’est vrai, c’est un terrible drame… Au moins, nous, nous sommes encore en vie… Pour l’instant.
Max – Bon, cette fois, Yvonne, c’est à votre tour.
Yvonne – Mon tour ?
Max – D’écoper !
Yvonne – Charles, c’est à toi.
Charles – Pas question, j’en ai marre. Je ne suis pas ton larbin.
Yvonne – Tu ne penses pas sérieusement ce que tu dis ?
Charles – Il y a des années que je te sers de souffre-douleur dans l’espoir d’un mariage qui ferait de moi ton héritier. Mais tu es ruinée, et on va tous mourir, alors qu’est-ce que ça change, maintenant ?
Max (à Yvonne) – Bon alors vous y allez ?
Yvonne – Ça sert à quoi ? Il a raison, on va tous mourir. Alors un peu plus tôt ou un peu plus tard. Pas la peine de se fatiguer.
Marie – Dans ce cas… On n’a plus qu’à s’en remettre à Dieu…
Silence.
Amanda – Et vous, la vierge Marie ? Qu’est-ce qui vous a vraiment amenée ici ?
Marie – Disons que… je suis dans les affaires, moi aussi.
Yvonne – Quelle genre d’affaires ?
Amanda – Ce n’est plus la peine de faire semblant, vous savez… Je vous rappelle que je suis flic. Je suis au courant de tout.
Marie – Oh et puis merde, c’est vrai… Je n’en peux plus de ce truc…
Elle enlève son faux ventre.
Sergio – Qu’est-ce que c’est ?
Marie – De la coke.
Yvonne – Et dire qu’elle a profité de sa prétendue grossesse pour ne pas écoper l’eau de mer dans la cale et pour s’enfiler avant tout le monde le peu d’eau douce qui nous reste….
Charles – Alors c’est elle que vous étiez venue arrêter ?
Amanda – Entre autres, oui… Parce que sur ce bateau, entre nous, je n’ai que l’embarras du choix, non ?
Ils la regardent tous.
Marie – Vous prenez un risque, ma chère…
Amanda – Ah oui ?
Yvonne – Vous êtes seule, nous sommes six.
Diane – On pourrait avoir envie de se débarrasser de vous.
Sergio – Dans la situation où nous sommes, il ne serait pas étonnant qu’on n’en revienne pas tous…
Yvonne – J’ai une de ces faims, moi… Et si c’était elle qu’on bouffait ?
Ils font un pas vers Amanda. Elle sort à nouveau son pistolet.
Amanda – Vous oubliez que je suis armée…
Charles – D’accord.
Ils se figent tous, avant de faire prudemment un pas en arrière.
Marie – Et vous Sergio ? Qu’est-ce que vous transportez dans votre mallette ? Une bombe atomique miniaturisée ?
Sergio – Non, mais c’est tout aussi explosif…
Charles – Vous en avez trop dit ou pas assez… Qu’est-ce que c’est ?
Sergio – Des fonds de campagne secrets. Provenant de donateurs totalement désintéressés, (désignant Yvonne) comme Madame…
Charles – Je ne vous savais pas si généreuse, ma chère…
Yvonne – On a beau être désintéressée, on peut toujours espérer quelques passe-droits en retour, si notre cher Président est réélu. Et puis quoi ? Tu préférerais que la gauche revienne au pouvoir ?
Max (à Sergio) – D’accord… Alors c’est pour ça que vous non plus, vous ne teniez pas à passer par la douane…
Charles – C’est fou ce que les riches peuvent être solidaires entre eux quand il s’agit de préserver leurs privilèges…
Sergio – J’obéis aux ordres. Le Président m’a demandé de récupérer de toute urgence les fonds détenus par son comité de campagne dans ce paradis fiscal.
Marie – De toute urgence… Alors vous étiez au courant, pour le tsunami, n’est-ce pas ?
Sergio – En tant que chef des armées, le Président a un accès privilégié à la météo marine.
Marie – Il craignait pour son trésor de guerre. Mais il n’a averti personne d’autre du raz de marée qui a emporté cette île et tous ses habitants…
Sergio – Il n’y avait pas de place pour tout le monde sur les bateaux, de toute façon. Seuls quelques privilégiés ont été mis au courant.
Marie – Ses généreux donateurs, par exemple. Ceux qui financent sa campagne.
Max – Oui… Comme vous, Yvonne.
Charles – Alors toi aussi, tu savais ?
Yvonne – Tu devrais me remercier, imbécile ! Après tout, je t’ai sauvé la vie…
Charles – Tu n’avais pris qu’une seule réservation, pour toi ! Si je ne t’avais pas rattrapée dans le hall de l’hôtel alors que tu partais précipitamment…
Amanda – Si ça peut vous consoler, moi non plus je ne savais pas. Et pourtant je suis de la police. Si je n’avais pas décidé de prendre tout ce petit monde en filature, j’aurais été emportée par ce tsunami…
Charles – C’était sans doute ce que voulait le Président. Enterrer l’enquête avec l’enquêtrice… (À Diane) Vous aussi, vous étiez au courant ?
Diane – Non… Mais visiblement, mon patron était dans la confidence… Je comprends mieux pourquoi il était si pressé de solder son compte dans ce paradis fiscal, et pourquoi il m’a envoyée là-bas pour ramener son argent en liquide.
Max – En omettant de vous prévenir que vous risquiez d’être emportée par un tsunami.
Diane – Et moi qui lui faisais entièrement confiance… Je suis déçue…
Sergio – Faire confiance au patron de la plus grande banque française ? Votre naïveté me surprend, ma chère.
Charles – Et dire qu’on vous surnomme le « requin »…
Diane – Je pensais que même les requins avaient une famille, que j’en faisais partie, et que les requins ne se bouffaient pas entre eux…
Sergio – Eh bien maintenant, vous êtes fixée sur les limites de la solidarité entre les vrais milliardaires, et ceux qui leur servent de valets en espérant qu’on leur laisse quelques miettes du festin.
Max – Comme disait un de nos grands philosophes : « Quand les mouettes suivent un chalutier, c’est qu’elles pensent qu’on va leur jeter des sardines ».
Sergio – Tiens, je ne connaissais pas cette citation… Quel est le nom de ce philosophe ?
Max – Éric Cantona.
Marie (à Sergio) – Vous auriez quand même pu prévenir les marins grévistes. Vu les circonstances, ils auraient repris le travail sans se faire prier…
Sergio – On aurait pu, oui…
Marie – Mais…?
Sergio – Le chef d’état de cette république bananière était autrefois un ami de la France. Et surtout un ami personnel de notre Président. Un ami très généreux par ailleurs. Malheureusement…
Max – Cet ami est devenu trop encombrant, j’imagine…
Sergio – Je ne peux pas vous en dire plus. Ce dossier relève de la raison d’état.
Max – En tout cas, à présent, le problème est réglé…
Sergio – Grâce à Dieu.
Max – Et à la météo marine…
Noir
Tableau 6
Tous sont là, sauf Marie. Ils ressemblent de plus en plus à des naufragés. Marie arrive, très excitée, une bouteille d’eau dans chaque main.
Marie – C’est un prodige ! Hier il y avait deux bouteilles d’eau, et ce matin il y en a quatre.
Amanda – La multiplication des bouteilles… Une intervention divine, sans doute ?
Max – Non, mais c’est quand même un petit miracle. Il a plu cette nuit, et j’ai pu remplir quelques bouteilles vides.
Charles – Je ne savais pas qu’il pleuvait en pleine mer.
Max – Ça vous étonne ?
Charles – Oui. Je ne sais pas pourquoi…
Max – Ça nous permettra de ne pas mourir de soif tout de suite.
Charles – Vous savez pourquoi l’eau de la mer est salée, Capitaine ?
Max – Non… Et vous ?
Charles – Moi non plus…
Yvonne – Tu es sûr que tu n’as pas attrapé une insolation, mon pauvre Charles ? Tu devrais mettre un chapeau.
Charles – Vous vous rendez compte, si l’eau de mer n’était pas salée ? Ça résoudrait pas mal de problèmes dans le monde.
Amanda – Il va nous faire chier encore longtemps, lui ?
Diane – Pour ce qui est de mourir de faim heureusement, avec tous ces poissons crevés qui remontent à la surface…
Sergio – La pollution des océans a du bon, finalement.
Marie – À moins qu’on ne meurt tous empoisonnés. Comme ces poissons malades qu’on est obligés de bouffer, à moitié pourris.
Diane sort un de ces poissons et en prend une bouchée.
Diane – Ce n’est pas si mauvais.
Amanda – Oui… On s’y habitue.
Yvonne – Je crois que j’ai déjà perdu une dizaine de kilos.
Charles – Eh bien tu vois ? Finalement, la liposuccion pourra attendre encore un peu…
Amanda – Je vais voir si je peux en repêcher quelques-uns…
Amanda s’éloigne. Les autres continuent à mastiquer leurs poissons. Amanda revient précipitamment.
Amanda – Ça y est, on voit la côte !
Diane – Non ?
Amanda – Mais si, regardez !
Ils regardent tous.
Yvonne – Ce n’est pas un mirage, au moins ?
Max – Bon sang, mais oui, c’est vrai !
Charles – Terre ! Terre ! C’est dingue, j’ai l’impression d’être Christophe Colomb au moment où il découvre l’Amérique !
Marie – J’espère qu’on n’a pas dérivé aussi loin, mais bon… Dieu soit loué, nous sommes sauvés !
Max – Il était temps. Même en écopant jour et nuit, le bateau s’enfonçait de plus ou plus.
L’ambiance se détend aussitôt et ils retrouvent le sourire.
Diane – Ouf… On va enfin retrouver la civilisation.
Max – À part qu’on a perdu beaucoup d’argent.
Yvonne – Et quelques kilos.
Max – On finira par se refaire. Riche un jour, riche toujours…
Sergio – Oui… À moins qu’on ne finisse en prison.
Tous les regards se tournent vers Amanda.
Amanda – Je vous promets que je ne dirai rien. Après tout ce que nous avons vécu ensemble…
Yvonne – Merci.
Amanda – Mais le Président, lui, il s’en sort plutôt bien, non ?
Sergio – Je perçois comme un sous-entendu dans cette dernière remarque… voire une tentative de chantage avec extorsion de fonds.
Amanda – Tout de suite les grands mots… Mais je ne serais pas contre une petite gratification, pour service rendu à la patrie… et en récompense de ma discrétion.
Max – Et nous, on ne serait pas contre un petit dédommagement non plus. Parce qu’avec tout le fric qu’on a perdu dans ce désastre écologique…
Yvonne – Vous qui parlez à l’oreille du Président, vous ne pourriez pas nous faire classer en catastrophes naturelles ?
Marie – Parce qu’entre nous, si on racontait ce qu’on sait… La réélection de votre Président serait sérieusement compromise.
Sergio – Entre gens bien élevés, on peut toujours s’arranger…
Max – Et pourquoi pas une petite médaille ? Grâce à mon action héroïque, j’ai réussi à sauver quelques vies.
Sergio – J’en parlerai au Président.
Ils se remettent tous à regarder en direction de la côte.
Max – Les vents sont favorables, on se rapproche de la côte. Il n’y a qu’à attendre…
Yvonne – C’est bizarre. Ça ne ressemble pas trop à la côte française.
Charles – C’est vrai… Avec tous ces palmiers…
Amanda – Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas la Bretagne.
Sergio – Et ce n’est pas le drapeau français qui flotte au-dessus du port.
Charles – Qu’est-ce que ça peut bien être ? La Corse ?
Sergio – Il y a un bateau qui vient, on va leur demander.
Marie – C’est juste une grande barque, et ils sont une centaine là-dessus.
Yvonne – On dirait des migrants.
Charles – Mais pourquoi ils quitteraient la France pour se diriger vers le large ?
Diane – Ça y est, je vois mieux le drapeau.
Marie – On dirait un peu le Maroc…
Max – Qu’est-ce que c’est comme drapeau ?
Amanda, à Sergio – Vous vous y connaissez, en drapeau, vous ?
Charles – Ce n’est pas le drapeau palestinien, au moins ?
Sergio – Pire…
Yvonne – Qu’est-ce qui peut être pire que de débarquer sur la bande de Gaza ?
Sergio – C’est le drapeau de la Libye…
Ils se figent tous, sidérés.
Noir
Tableau 7
Ils sont tous là, hagards, le regard tourné vers le fond de la salle, qui figure cette côte inhospitalière.
Amanda – Cette fois, on voit très bien la plage.
Yvonne – Oui, mais je me demande s’il y a de quoi s’en réjouir.
Marie – On commence même à voir leurs visages.
Max – Et leurs kalachnikovs…
Charles – On dirait que certains sont en train de se marrer.
Diane – Ils vont être surpris de nous voir, c’est sûr.
Sergio – Forcément. D’habitude, le trafic se fait plutôt dans l’autre sens.
Marie – Une bande de Français qui débarque sur les côtes libyennes avec des valises pleines de billets de banque, de bons du Trésor et de sachets de coke…
Max – On ferait peut-être mieux de se débarrasser de tout ça, non ?
Yvonne – Jeter notre argent par-dessus bord ?
Sergio – On pourrait toujours leur donner vos bons au porteur, ils ne valent plus rien.
Diane – S’ils nous trouvent avec tout cet argent, ils vont nous tuer pour nous dépouiller.
Sergio – Mais si on arrive les mains vides, en loques et à moitié morts de faim, ils ne vont pas comprendre… et ça risque de les énerver aussi.
Marie – Difficile de se faire passer pour des migrants français essayant d’accoster en Libye pour y demander l’asile politique.
Max – On peut toujours leur dire la vérité.
Amanda – Ils ne nous croiront jamais.
Marie – Il faut dire que cette histoire est assez difficile à croire.
Max – Oui…
Un portable sonne. C’est celui de Sergio, qui répond.
Sergio – Oui…? Oui Monsieur le Président. Très bien, Monsieur le Président. Merci Monsieur le Président.
Il range son portable.
Yvonne – Alors ?
Sergio – C’était le Président.
Marie – Et alors ?
Sergio – Les forces aériennes françaises présentes dans la région viennent de nous repérer. Ils nous envoient un hélicoptère.
On entend le bruit de l’hélicoptère de reconnaissance, qui se rapproche puis s’éloigne.
Marie – Dieu existe !
Yvonne – Nous sommes sauvés ! Enfin, j’espère que cette fois c’est la bonne…
Charles – Oui, parce qu’il y en a marre de tous ces rebondissements. Cette comédie a assez duré.
Sergio – Rassurez-vous, cette fois, c’est bien la fin de tous nos ennuis.
Amanda – Ça fait un peu western, cette fin, non ? Avec l’arrivée de la cavalerie…
Marie – Tout est bien qui finit bien, c’est le principal.
Diane – Oui… Un vrai conte de fées.
Max – Ça pourrait même se terminer par un mariage… En tant que capitaine de ce bateau, je serais habilité à le célébrer.
Charles – Allez, je me lance… (Il met un genou en terre devant Yvonne) Yvonne, veux-tu être ma femme.
Yvonne – Va te faire foutre !
Amanda – Ce ne sera pas pour cette fois, malheureusement.
Diane – Mais la bonne nouvelle, c’est que dans quelques heures, nous serons en France !
Soulagement général et congratulations réciproques.
Diane – Heureusement que le Président tient à vous. Vous devez être un collaborateur très précieux.
Sergio – Il tient surtout à récupérer sa mallette et les millions qu’elle contient, pour financer sa campagne.
Marie – Vous êtes sûr qu’on ne finira pas tous en prison ? J’ai au moins cinq kilos de cocaïne en bagage accompagné.
Yvonne – Après tout ce que nous venons de traverser, la prison, ce serait presque un soulagement.
Sergio – Rassurez-vous. Je vous l’ai promis. Le Président aura à cœur de ne pas trop ébruiter cette affaire.
Amanda – C’est l’armée qui va nous rapatrier, pas la police. Cela facilitera beaucoup les choses.
Sergio – Les Forces Spéciales ont l’habitude des coups tordus, et elles sont aux ordres du Président.
Diane – Tant mieux, tant mieux… Alors somme toute… tout est bien qui finit bien !
Charles – Sauf pour les quelques citoyens de cet état minuscule, qui vient d’être rayé de la carte.
Yvonne – Enfin, c’était presque tous des employés de banque. Puisqu’on parle d’un paradis fiscal, on peut considérer qu’ils sont morts pour la patrie.
Max – Et puis il faut bien le dire, la disparition de Sodome et Gomorrhe arrange bien les affaires de tout le monde, pas vrai Sergio ?
Sergio – Je peux vous le dire, maintenant, l’état français, en la personne de son Président, avait une ardoise colossale auprès de la Banque Centrale de ce petit paradis.
Amanda – Plus de paradis, plus d’ardoise.
Sergio – Et quand les dettes de la France sont effacées, ce sont tous les Français qui sont un peu plus riches. Enfin, certains Français en tout cas…
Diane – C’est ce qu’on appelle une ardoise magique, alors : on efface tout, et on recommence. Le spectacle est fini, mais les affaires continuent.
Sergio – Le Président avait promis de supprimer les paradis fiscaux. Pour une fois qu’un candidat tient ses promesses.
Max – Un paradis perdu, dix de retrouvés.
Amanda – Mais pour l’instant, grâce à notre Président bien-aimé, nous allons retrouver notre beau pays !
Charles – Vive le Président !
Sergio – Vive la République !
Charles – Vive la France !
Tous ensemble – Et vive la Finance !
Ils se figent tous au garde-à-vous. Une Marseillaise retentit, puis va s’estompant, tandis qu’ils sortent tous en rang serré et au pas cadencé. Diane est en bout de file et sort donc la dernière.
Diane (en sortant) – Je viens d’avoir un nouvel orgasme…
Noir
Fin.
L’auteur
Né en 1955 à Auvers-sur-Oise, Jean-Pierre Martinez monte d’abord sur les planches comme batteur dans divers groupes de rock, avant de devenir sémiologue publicitaire. Il est ensuite scénariste pour la télévision et revient à la scène en tant que dramaturge. Il a écrit une centaine de scénarios pour le petit écran et plus de soixante-dix comédies pour le théâtre dont certaines sont déjà des classiques (Vendredi 13 ou Strip Poker). Il est aujourd’hui l’un des auteurs contemporains les plus joués en France et dans les pays francophones. Par ailleurs, plusieurs de ses pièces, traduites en espagnol et en anglais, sont régulièrement à l’affiche aux États-Unis et en Amérique Latine.
Pour les amateurs ou les professionnels à la recherche d’un texte à monter, Jean-Pierre Martinez a fait le choix d’offrir ses pièces en téléchargement gratuit sur son site La Comédiathèque (comediatheque.net). Toute représentation publique reste cependant soumise à autorisation auprès de la SACD.
Pour ceux qui souhaitent seulement lire ces œuvres ou qui préfèrent travailler le texte à partir d’un format livre traditionnel, une édition papier payante peut être commandée sur le site The Book Edition à un prix équivalent au coût de photocopie de ce fichier.
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Un boulevard sans issue, Un bref instant d’éternité,
Un cercueil pour deux, Un mariage sur deux, Un os dans les dahlias,
Un petit meurtre sans conséquence, Une soirée d’enfer, Vendredi 13,
Y a-t-il un pilote dans la salle ?
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Toute contrefaçon est passible d’une condamnation
allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.
Paris – Juin 2018
© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-230-1
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