Condoléances

Un homme se recueille devant ce qu’on comprendra être une tombe.

Un deuxième arrive.

Deux – Excusez-moi, je cherche la tombe de Polnareff…

Un – Il est mort ?

Deux – Autant pour moi… Je voulais dire Gainsbourg, bien sûr…

Un – Au fond de l’allée, à gauche… Vous ne pouvez pas vous tromper… Il y a plein de mégots autour…

Le deuxième s’apprête à y aller, puis se ravise et regarde à son tour la tombe devant laquelle est planté le premier.

Deux – C’est quand même un drôle de truc, les cimetières, quand on y pense.

Un (ailleurs) – Oui…

Deux – Est-ce que les morts sont radioactifs, pour qu’on les enterre dans des enceintes confinées pendant des siècles, comme des déchets nucléaires ?(Absence de réaction de l’autre) Moi, je suis pour l’incinération, pas vous ?

Un – Pardon ?

Deux – Vous la connaissiez ?

Un – C’était ma maîtresse…

Deux – Ah, je suis désolé.

Un – Oh, c’est vraiment pas la peine… C’était une salope…

Deux – Allez, dites pas ça…

Un temps. Ils restent recueillis sur la tombe. Le deuxième voulant visiblement ne pas laisser le premier dans un aussi mauvais état d’esprit.

Deux – Alors c’est pour ça que vous venez seulement maintenant, après la cérémonie… Pour ne pas croiser le mari…

Un – Oui…

Deux (pris d’un doute) – Ce n’est pas vous qui l’avez tuée, au moins ?

L’autre semble surpris.

Un – Ah, non…! Elle est morte écrasée par un tramway… Elle sortait de chez moi pour aller me chercher mon briquet que j’avais oublié dans mon quatre-quatre… C’est en retraversant la rue que… Ils avaient inauguré la ligne la veille. Elle ne s’est plus souvenue…

Deux – C’est ça le problème, avec les tramways. C’est peut-être écologique, mais comme c’est électrique, on ne les entend pas arriver…

Le premier sort une cigarette et la met à sa bouche.

Un – Vous avez du feu…? Du coup, je n’ai plus de briquet…

Deux – Bien sûr.

Un (pris d’un doute) – Ce n’est pas interdit, au moins ?

Deux (lui donnant du feu) – Les cimetières, c’est le dernier endroit où on a encore le droit de fumer. Et puis si c’était un cimetière non fumeur, ils n’y auraient pas enterré Gainsbourg…

Le premier tire sur sa cigarette avec un évident soulagement.

Un – C’est comme ça que son mari a appris notre liaison… Elle lui racontait qu’elle allait voir sa grand-mère à la maison de retraite. La grand-mère ne se souvient jamais de rien, c’était pratique. Mais comme le tramway lui est passé dessus en face de chez moi… Son mari a dû se douter de quelque chose…

Deux – Évidemment… Apprendre en même temps qu’on est veuf et qu’on est cocu…

Un – Depuis, je suis à pied…

Deux – Pardon…?

Un – Il a fait enterrer sa femme avec mes clefs ! Pour se venger, sûrement…

Deux – Vos clefs ?

Un – Les clefs de mon quatre-quatre ! Je les lui avais données… Pour qu’elle aille me chercher le briquet…

Deux – Ah, oui, bien sûr…

Un – Je suis allé à la présentation du corps, je les ai vues qui dépassaient de sa poche… Mais il y avait plein de monde… J’ai rien pu faire… Maintenant, je ne sais plus comment les récupérer…

Deux – Mais vous n’avez pas un double…?

Un – Si… C’est ma femme qui l’a…

Deux – Vous n’avez qu’à lui dire que vous avez perdu les vôtres…

Un – On est séparés… (Désignant la tombe) Cette salope venait de lui apprendre que je la trompais avec elle… Alors il y a peu de chance que mon ex-femme me rende le double des clefs…

Deux – Je vois…

Un – Il va bientôt faire nuit… (Un temps) Vous n’auriez pas une pelle ?

Deux – Vous plaisantez ?

Un – Vous n’avez pas de pelle… Vous êtes en voiture ?

Deux – Je vous ramène ?

Un – Volontiers. Vous allez de quel côté ?

Deux – La Butte aux Cailles.

Un – Tiens, c’est marrant, c’est là qu’habitait ma maîtresse.

Deux – Je sais… Je suis son mari…

Un – Ah, d’accord… J’ai eu un doute, aussi, quand j’ai vu le briquet…

Le premier ressort le briquet de sa poche.

Deux – Ah, oui, excusez-moi… Je vous le rends, bien sûr… Je ne savais pas qu’il était à vous… J’étais étonné, aussi, de trouver ça dans sa main, quand ils me l’ont ramenée. Comme ma femme ne fume pas… Enfin, ne fumait pas…

L’autre prend le briquet.

Un – Merci. (Jetant un regard au briquet) Pas une égratignure… C’est un miracle…

Deux – Ma femme, en revanche…

Un (rangeant le briquet dans sa poche) – J’y tiens beaucoup… C’est elle qui me l’avait offert…

Deux – Mais pour vos clefs… Je suis vraiment désolé… Je vous jure que je n’étais pas au courant… Je n’ai pas eu l’idée de lui faire les poches…

Un – Je vous crois… Vous avez l’air d’un brave type…

Ils s’apprêtent à partir.

Un – Mais je croyais que vous cherchiez la tombe de Gainsbourg ? C’est pour ça que je ne me suis pas méfié… C’était pour me piéger…?

Deux – Pas du tout… Pendant la cérémonie, évidemment, je n’ai pas eu trop le temps de flâner… Je me suis dit que je reviendrai plus tard pour faire un peu de tourisme… Ça fait rien, ce sera pour une autre fois… (Un temps) Je me suis toujours demandé ce qu’on faisait des morts quand les cimetières étaient pleins…?

Un – On les oublie… À part quelques célébrités… Ça doit être ça l’immortalité. Une concession perpétuelle…

Ils s’éloignent.

Un – C’est vrai que c’est un bel endroit…

Deux – C’est elle qui a tenu à être enterrée ici…

Un – Ça doit coûter bonbon, non ? C’est très people…

Deux – Ça vous pouvez le dire… C’était son côté show-biz…

Ils s’en vont.

Deux – Vous avez raison, c’était vraiment une salope…

Un – Allez, dites pas ça…

Noir.

Morts de rire