Elle est à jardin, prenant congé de sa fille qu’on ne voit pas. Il est un peu en retrait, observant la scène d’adieu avec un sourire sur les lèvres.
Elle – Allez, amusez-vous bien. Mais ne faites pas de bêtises. Et vous ne me la ramenez pas trop tard, hein, je vous fais confiance ?
La fille s’en va, et le couple revient au centre de la scène, en échangeant un sourire plein de sous-entendus, à la fois amusé et ému.
Elle – Sa première sortie avec un garçon…
Lui – Ça nous rajeunit pas.
Elle – Ouais… Ça me file un coup au moral.
Un temps.
Lui – Comment il s’appelle, déjà ?
Elle – Jean-Marie.
Un temps.
Elle – C’est bizarre, non ?
Lui – Quoi ?
Elle – Qu’il s’appelle Jean-Marie !
Lui – Je m’appelle bien Jean-Sébastien.
Elle – Justement ! C’est un nom de vieux…
Lui – C’est peut-être un vieux pervers déguisé en ado boutonneux. Comme on voit à la télé dans les pubs contre les dangers d’internet. À l’heure qu’il est, il doit être en train d’enlever son masque.
Elle (retournée) – Plaisante pas avec ça…
Lui – Ou alors ses parents sont au Front National. C’est pour ça qu’ils l’ont appelé Jean-Marie.
Elle – Tes parents t’ont appelé Jean-Sébastien, et ils ne jouaient pas de piano.
Il fait un geste pour la réconforter.
Lui – Allez, il va bien falloir que tu t’y fasses. Ce n’est que le début. Dans un an ou deux, on va se retrouver seuls à la maison, comme un couple de vieux cons.
Elle – Merci. C’est tout à fait ce que j’avais envie d’entendre pour me remonter le moral…
Lui (espiègle) – Je t’ai préparé une surprise pour t’aider à passer ce cap difficile.
Elle – Tu m’invites au restaurant ?
Lui – Mieux que ça.
Il sort un joint de sa poche et lui montre.
Elle (amusée, tentée, mais partagée) – Non… Tu crois…? Ça fait au moins quinze que j’ai pas fumé, même une cigarette. Tiens, la dernière fois que j’ai essayé de tirer sur une Malboro light, j’ai cru que j’allais mourir d’une overdose…
Lui – Ça nous rappellera notre jeunesse. Et puis je te rappelle que notre premier joint, on l’a fumé ensemble. Est-ce qu’on serait mariés aujourd’hui si on n’avait pas été complètement défoncés quand on s’est rencontrés ?
Elle – Sûrement pas…
Il allume le joint, tire dessus avec avidité, et lui passe.
Lui – Wouha… Ça fait du bien…
Elle tire sur le joint à son tour, et semble également aux anges. Avant que son sourire béat ne se fige soudainement.
Elle – Et si il lui proposait de la drogue…?
Lui – Si il s’appelait Djamel encore… Mais pas Jean-Marie…
Elle – Tu t’appelais Jean-Sébastien, et c’est toi qui m’a fait fumer mon premier joint.
Lui – Ça se terminera peut-être par un mariage… Allez, détends-toi un peu…
Elle – Tu as raison… On n’y peut rien, de toute façon… Il va bien falloir vivre avec…
Lui – Tu veux dire sans…
Le téléphone sonne. Elle tire une autre bouffée du joint, le passe à son mari, et répond avec nonchalance. Pendant qu’il tire à nouveau sur le joint.
Elle (barré) – Ouais… (Se reprenant soudain) Oui, ma chérie, qu’est-ce qui se passe ? Oh, tu m’as fait peur. J’ai cru que vous aviez eu un accident… Mais si, je me rends compte. Mais bon, c’est quand même moins grave qu’un accident de voiture. Tu ne veux pas aller voir le film quand même ? Ça te changera les idées… Je ne sais pas, moi, tu ne veux pas proposer à une copine de t’accompagner…? Mais si, bien sûr, viens. On va en parler. Ok, on t’attend…
Elle raccroche.
Lui – Qu’est-ce qui se passe ?
Elle – Elle s’est fait larguée par Jean-Marie…
Lui – Je ne le sentais pas, ce mec… C’est toi qui avais raison. Jean-Marie, c’est vraiment un prénom à la con…
Elle – Évidemment, elle est bouleversée… Son premier chagrin d’amour…
Lui – Bon, c’est pas si grave… Ce sera pas le dernier… (Lui tendant le joint) Tiens, tire plutôt là-dessus. C’est de la bonne, moi je te le dis…
Elle (ignorant le joint) – Elle arrive… Je suis sa mère… Il faut bien que je la console… Oh, putain, j’ai la tête qui tourne… J’ai envie de vomir… Pourquoi tu m’as fait fumer cette merde…
Il semble complètement barré et sourit comme un idiot.
Lui – Moi ça me fait un bien fou. Tu peux pas savoir…
Elle – Oh, la, la… Et puis ça sent l’herbe dans toute la maison…
Elle essaie de dissiper la fumée avec un magazine. On sonne.
Elle – Oh, non… C’est déjà elle !
Lui – Putain… Il ne pouvait pas attendre après le ciné pour la larguer, le Jean-Marie. Moi qui pensais passer enfin une soirée tranquille, pour une fois…
Elle – Ouais, ben tu vois, c’est pas encore pour tout de suite…
On sonne à nouveau.
Elle – Ouvre les fenêtres pour aérer un peu. Je vais essayer de la retenir un moment sur le palier… (On sonne encore) Oui, oui, j’arrive tout de suite, ma chérie… (Elle se retourne une dernière fois vers lui, qui a encore son joint au coin de la bouche) Et éteins-moi cette saloperie, bon sang !