Elle et lui sont assis confortablement. Il lit et elle tricote. Ou l’inverse…
Elle – Ça fait du bien d’être un peu tranquille.
Lui – Oui.
Elle – Avec toute cette agitation qu’il y a dehors.
Lui – Oui.
Elle – On est bien mieux chez soi.
Lui – Oui.
Elle – Je ne me souviens même plus quand c’était…
Lui – Quoi ?
Elle – La dernière fois que je suis allée dehors !
Lui – Ah, oui. Dehors…
Elle – Et toi ?
Lui – Moi ?
Elle – C’était quand ?
Lui – La dernière fois que tu es allée dehors ?
Elle – La dernière fois que tu es allé dehors !
Lui – Ah, moi ! Dehors… Je ne sais pas… Ça devait être… Pour sortir le chien…
Elle – Le chien ? Il est mort.
Lui – Non ?
Elle – Il y a des années de ça.
Lui – Ah, oui… Je me disais, aussi… Ce chien ne pisse pas souvent…
Elle – Alors ?
Lui – Alors quoi ?
Elle – Quand es-tu sorti dehors pour la dernière fois ? Tu te souviens ?
Lui – Ah, moi ! Dehors… Je ne sais pas… Ça devait être… Pour sortir la poubelle…
Elle – La poubelle ?
Lui – Pourquoi pas la poubelle ?
Elle – On a un vide-ordures.
Lui – Ah, oui… Je me disais aussi… Cette poubelle ne se remplit pas très vite. Et le chien, il est enterré où ?
Elle – Dans le jardin.
Lui – Il a bien fallu que je sorte pour enterrer le chien. Le jardin, c’est dehors ?
Elle – Bah, non…
Lui – Ah…
Elle – Tu sais quoi ?
Lui – Quoi ?
Elle – Ça va te paraître étrange, mais… Je ne suis pas sûre d’être jamais vraiment sortie dehors… Le chien, il pissait sur la pelouse. Avant qu’on l’enterre en dessous…
Lui – Mmmm… Moi non plus… En tout cas, je ne m’en souviens pas. Je m’en souviendrais, non ?
Elle – Probablement.
Lui – En même temps, qu’est-ce qu’on pourrait bien aller faire dehors.
Elle – On est tellement tranquille ici.
Bruit de sonnette. Ils paraissent tous les deux très surpris.
Elle – Qu’est-ce que c’est ?
Lui – La sonnette…
Elle – Qu’est-ce que ça peut bien être…
Lui – Je vais voir…
Il s’absente et revient un instant après.
Elle – Alors.
Lui – C’était le facteur.
Elle – Ah… Qu’est-ce qu’il a dit ?
Lui – Rien. Il avait déjà disparu. Mais il a laissé une lettre.
Elle – Les facteurs font souvent ça. Je n’aime pas les lettres. J’ai toujours peur que ce soit une mauvaise nouvelle. C’est une mauvaise nouvelle ?
Il regarde la lettre.
Lui – C’est un faire-part.
Elle – De…?
Lui – De décès.
Elle – Ah… Qui ?
Il ouvre la lettre.
Lui – Monsieur et Madame Dumortier.
Elle – Tous les deux ?
Lui – Apparemment.
Elle – On les connaissait ?
Lui – Ça me dit quelque chose.
Il réfléchit un instant puis sort son portefeuille de sa veste et en extrait une carte d’identité.
Lui – Tu vas rire, mais Monsieur Dumortier, c’est moi.
Elle – Alors je suis Madame Dumortier ?
Lui – Probablement.
Elle – On est mariés ?
Lui – En tout cas, on est morts.
Elle – Il faudrait peut-être leur écrire pour leur signaler que c’est une erreur.
Lui – Oui.
Elle – Mais pour ça, il faudrait sortir dehors.
Lui – Je ne sais pas si j’aurais le courage.
Elle – On est tellement bien chez soi.
Lui – Tu crois que c’est une erreur…?
Elle fait une mimique pour dire qu’elle ne sait pas.
Ils se remettent qui à lire et qui à tricoter.
Noir.
Sketch extrait du recueil « Morts de rire ».