Antoine revient. Clara arrive peu après.
Clara – Vous êtes encore là ?
Antoine – Personne ne m’attend à la maison. Vous non plus, apparemment.
Clara – Non.
Antoine – Mais c’est la dernière fois que je fais des heures sups. Quelques dossiers à boucler avant de partir.
Clara – Partir ?
Antoine – J’ai donné ma démission aujourd’hui.
Clara – Pas à cause de moi, j’espère.
Antoine – Pourquoi pas ?
Clara – Pour éviter qu’on travaille dans la même boîte au cas improbable où nous viendrions à avoir des relations sexuelles ensemble ? Dans ce cas, c’est dommage. Ce n’était vraiment pas la peine.
Antoine – Vous êtes tellement sûre qu’on ne couchera jamais ensemble ?
Clara – Surtout parce que je travaille en intérim. Ma mission ici s’achève ce soir de toute façon…
Antoine – Alors comme ça on est chômeurs tous les deux.
Clara (ironique) – Plus rien ne s’oppose à notre amour…
Il l’embrasse et elle se laisse faire.
Antoine – J’ai actualisé un peu mes méthodes de drague. Et j’ai arrêté les blagues.
Clara – Je vois ça… Ça ne rigole plus.
Antoine – Disons que c’est un peu plus direct.
Clara – Ça ne me déplaît pas.
Antoine – Il commence à faire nuit. On va bientôt voir les étoiles.
Clara aperçoit quelque chose contre une des parois de la terrasse, qui peut rester invisible.
Clara – C’est quoi ces plaques avec ces inscriptions ?
Antoine – Ah vous n’êtes pas au courant ? C’est vrai que vous êtes en intérim. Ce sont des épitaphes.
Clara – Des épitaphes ?
Antoine – Il y a des sociétés qui mettent des crèches à la disposition de leurs salariés. Eh bien les propriétaires de cette tour fournissent aux employés un jardin du souvenir, pour les cendres des défunts.
Clara – Un jardin du souvenir…
Antoine – Enfin, une terrasse du souvenir, si vous préférez. Les proches du disparu peuvent disperser ses cendres du haut de la tour. Ou à défaut, c’est le patron qui s’en charge.
Clara – Et cette terrasse du souvenir fait aussi office d’espace fumeurs…
Antoine – Au prix où est l’immobilier en ville… Et puis comme ça, nos chers défunts fumeurs ont un peu l’impression d’être en pause.
Clara – Une pause définitive.
Antoine – Le tabac a largement contribué au règlement définitif du problème des retraites…
Clara – Et le cimetière est devenu une dépendance du bureau. Qu’est-ce qu’il y a d’écrit sur ces épitaphes ?
Antoine s’approche pour en lire quelques unes.
Antoine – Voyons voir… (Lisant) « En ce moment, je suis surbooké, mais on se rappelle très vite »… « Je ne suis pas là, mais vous pouvez me laisser un message »… « Le changement, c’est maintenant »… « Demain j’arrête de fumer »…
Clara – Édifiant…
Antoine – Écoutez ça, on dirait un aphorisme : « Contrairement aux particules, les testicules ne peuvent pas se trouver à deux endroits différents en même temps »…
Ils échangent un regard.
Clara – C’est vrai que c’est très romantique, cet endroit, mais on ne va peut-être pas s’éterniser.
Antoine – Je peux fumer une dernière cigarette ?
Clara (ferme) – Si vous voulez me suivre, c’est maintenant.
Antoine – Ok.
Ils se dirigent vers la sortie.
Antoine – Vous habitez où ?
Clara – Juste à côté. Vous voulez boire un verre à la maison ?
Antoine – D’accord. Mais je vous préviens, je ne couche jamais le premier soir.
Clara – Ça y est, vous recommencez avec vos blagues.
Ils partent ensemble.
Un personnage (homme ou une femme) arrive. Il fume une cigarette ou vapote un instant en silence, avant de s’adresser au public.
Personnage – C’est ma dernière cigarette. C’est fini. Je décroche. Je ne sais pas pourquoi je vous dis ça. En tout cas demain, ce sera sans moi. J’ai longtemps hésité, et puis j’ai fini par me décider. Ce n’est jamais le bon moment, non ? Ce n’est pas tous les jours facile de trouver une bonne raison de continuer. Mais croyez-moi, c’est encore plus difficile de s’arrêter là, sans raison. Je ne sais pas comment ils font, tous ces gens qui laissent un petit mot derrière eux. Une lettre de démission. Qu’est-ce qu’ils espèrent encore ? Un peu de compréhension ? Je pars en silence. Sans lettre T pour la réponse. Qu’est-ce que je pourrais leur dire ? Qu’est-ce qu’ils pourraient comprendre ? Même moi je ne me comprends pas. La vie ne me comprend plus. Et s’ils me répondaient ? Qu’est-ce qu’on peut bien répondre aux abonnés absents ? Je pars sans un mot. Sans préavis. Je libère la place. Parce que je serai remplacé, bien sûr. Vous aussi. Faut pas rêver. Dans la foule, personne n’est irremplaçable. Quand tu n’es plus là, ce sera un autre. Ici ou ailleurs. Un peu plus tard ou juste après. C’est ta vie qui veut ça. La vie des autres… (Il écrase sa cigarette ou range son vapoteur)Non, si je pouvais leur dire quelque chose avant de partir, je leur dirais seulement : ne vous inquiétez pas, je vais me fondre dans la foule. Je ne suis plus là. Je serai la multitude (Un temps) Ce n’est pas la mort. C’est juste une nouvelle vie qui commence…
Le personnage s’en va.