Huis clos

Un couple. Quatre chaises. Ils sont assis.

Elle – Ça va ?

Lui – Ça va… Et toi ?

Elle – Ça va… (Un temps) Tu veux boire quelque chose ?

Lui – Quoi ?

Elle – Un apéro ? Des cacahuètes ?

Lui – Merci, ça ira.

Un temps.

Elle – On est bien, ici, non ?

Lui – Ici ?

Elle – Dans cette maison.

Lui – Oui… (Un temps) Mais on n’est pas chez nous.

Elle – Ah, non ?

Lui – Non.

Elle – C’est vrai.

Lui – C’est une maison, ou un appartement ?

Elle – Un appartement, je crois. Je ne sais pas.

Un temps.

Lui – Tu te souviens où c’est, notre maison ?

Elle – Notre maison ?

Lui – Notre vraie maison. Chez nous !

Elle – Non… Et toi ?

Lui – Moi non plus. Je ne sais même plus à quoi ça ressemblait.

Elle – On a tellement déménagé.

Lui – C’est vrai. On déménage beaucoup.

Elle – Oui. De plus en plus.

Lui – Il faudrait qu’on arrive à se souvenir.

Elle – De quoi ?

Lui – Où on habite.

Elle – Toutes les maisons se ressemblent un peu.

Lui – Même quand c’est un appartement.

Elle – Il y a des chambres. Une salle à manger. Une cuisine.

Lui – Dans la cuisine, il y a un frigo, une cuisinière, une table, des tiroirs…

Elle – Dans les tiroirs, il y a des fourchettes, des couteaux, des petites cuillères.

Lui – Dans les chambres, il y a des enfants. Parfois…

Elle – Quand il n’y en a pas, c’est qu’ils sont déjà partis. Dans une autre maison.

Un temps.

Lui – Tu crois qu’ils reviendront un jour ?

Elle – Les enfants ?

Lui – Les propriétaires !

Elle – Va savoir… Ça fait combien de temps qu’on est là ?

Lui – Je ne sais pas… Pas mal de temps, non ?

Elle – Oui.

Lui – J’ai toujours peur qu’on sonne à la porte, et que ce soit eux.

Elle – Les enfants ?

Lui – Ceux qui habitent ici ! Les vrais propriétaires…

Elle – Ah oui…

Lui – Pas toi ?

Elle – Si. D’ailleurs, je me demande si elle marche.

Lui – Quoi ?

Elle – La sonnette ! On ne l’a jamais entendue.

Lui – De toute façon, quand les gens qui habitent ici reviendront, ils ne sonneront pas.

Elle – Pourquoi ça ?

Lui – C’est chez eux ! Ils auront la clef.

Elle – Bien sûr.

Lui – Quand les gens rentrent chez eux, ils ne sonnent pas. Ils n’ont aucune raison de penser qu’il y a quelqu’un à l’intérieur quand ils ne sont pas là.

Elle – C’est vrai… On a la clef, nous ?

Lui – Je ne sais pas. Tu as la clef, toi ?

Elle – Non.

Lui – Moi non plus.

Elle – Alors comment on est rentrés ici ?

Lui – Je ne me souviens plus.

Elle – On nous a peut-être ouvert.

Lui – Qui est-ce qui aurait bien pu nous ouvrir ?

Elle – Les propriétaires ?

Lui – Mais puisqu’on est seuls dans cet appartement.

Elle – Depuis combien de temps ?

Lui – Je ne sais pas…

Un temps.

Elle – C’est sûrement pour ça qu’on ne sort jamais. On ne pourrait plus rentrer.

Lui – Non. Puisqu’on n’a pas la clef.

On sonne. Ils échangent un regard inquiet.

Elle – Tu crois que c’est eux ?

Lui – On a dit que si c’était eux, ils ne sonneraient pas.

Elle – Alors qui ça peut bien être ?

Lui – Va savoir…

Elle – Qu’est-ce qu’on fait ?

Lui – Il faut aller ouvrir, non ?

Elle – Tu crois ?

Lui – Ils ont vu la lumière. Ils savent qu’on est là.

Elle – Cette fois, ça y est… On est foutus…

Lui – On va encore devoir déménager.

Elle – Mais où est-ce qu’on va aller ?

Lui – Je vais faire notre valise.

Elle – On a une valise ?

Lui – Tout le monde a une valise chez lui, non ?

Elle – Je vais leur ouvrir…

Lui – Qu’est-ce que tu vas leur dire ?

Elle – Je ne sais pas…

Lui – Il va bien falloir leur dire quelque chose, pour expliquer le fait qu’on est là. Chez eux.

Elle – Ils rentrent peut-être de vacances.

Lui – Je vais voir si on a une valise.

Elle sort. Il sort aussi. Elle revient avec un autre couple. Jean-Marc a une bouteille à la main, et Christelle un bouquet de fleurs. Il revient avec une valise.

Elle – C’est Jean-Marc et Christelle.

Lui – Ah, bonjour…

Jean-Marc – Salut. Ça va ?

Lui – Ça va, et vous ?

Christelle – Super. Vous partez en vacances ?

Lui – Non, pourquoi ?

Jean-Marc – Comme tu as une valise à la main…

Lui – Ah, oui, non, c’est… Je m’apprêtais à la ranger. Vous savez ce que c’est, les valises, on ne sait jamais où les mettre.

Elle – Et une valise vide, ça prend autant de place qu’une valise pleine.

Christelle – Oui. Mais c’est moins lourd.

Jean-Marc – C’est vrai. On devrait partir en vacances avec des valises vides. On voyagerait plus léger.

Ils rient tous les quatre d’un rire un peu forcé.

Christelle – Alors comment ça va ?

Lui – Ça va.

Jean-Marc – Tenez, j’ai apporté du champagne, pour fêter ça.

Lui – Fêter quoi ?

Jean-Marc éclate de rire.

Jean-Marc – Fêter quoi ? Toujours le mot pour rire, hein ?

Christelle – Il est drôle ! Tenez, moi j’ai apporté des fleurs.

Elle – Ah oui, c’est bien aussi.

Lui – Je vais aller chercher des flûtes.

Elle – Tu veux qu’on leur joue de la flûte ?

Jean-Marc – Des flûtes ! Pour le champagne !

Elle – Ah oui !

Ils rient à nouveau.

Christelle – Elle est drôle !

Elle – Et moi je vais chercher un vase. Pour les fleurs.

Christelle – Vous ne voulez pas qu’on vous aide ?

Lui – Pensez-vous !

Elle – Mais asseyez-vous donc !

Lui – Faites comme chez vous.

Elle – Vous connaissez la maison.

Ils sortent tous les deux.

Jean-Marc (souriant) – Qu’est-ce qu’ils sont drôles…

Christelle – Oui…

Jean-Marc – Ils n’ont pas changé. Toujours aussi…

Christelle – Tu trouves ?

Jean-Marc – Quoi ?

Christelle – Qu’ils n’ont pas changé.

Jean-Marc – Maintenant que tu le dis, c’est vrai que…

Christelle – Non, mais ils ne ressemblent pas du tout à…

Jean-Marc – Si, un peu quand même…

Christelle – Mouais…

Jean-Marc – Et puis tu sais, les gens… Ils changent…

Christelle – Pas à ce point là… Pas en une semaine…

Jean-Marc – C’était il y a une semaine ?

Christelle – C’était la semaine dernière. La dernière fois qu’on les a vus.

Jean-Marc – C’est vrai qu’ils ont beaucoup changé.

Un temps.

Christelle – Ou alors, ce n’est pas eux.

Jean-Marc – Pas eux ? Mais qu’est-ce qu’ils feraient ici ? Si ce n’est pas chez eux…

Un temps.

Christelle – Tu crois qu’on aurait pu se tromper de porte ?

Jean-Marc – Je ne pense pas… Et puis eux, ils ont l’air de nous connaître, non ? Si ils nous connaissent, c’est qu’on les connaît aussi.

Christelle – Oui, évidemment…

L’homme revient.

Lui – Je suis vraiment désolé, je n’ai pas trouvé les flûtes.

Christelle – Ah, les hommes…

Jean-Marc – Tu n’as qu’à demander à ta femme.

La femme revient aussi.

Lui – Tu sais où sont les flûtes, chérie ?

Elle – Non… Il n’y en a peut-être pas…

Christelle – Comment ça ? Vous n’avez pas de flûtes ? Tout le monde a des flûtes à champagne, non ?

Jean-Marc – Ce n’est pas grave. On va le boire dans des verres, ce champagne.

Christelle – Vous avez bien des verres à pied ? (Ils n’ont pas l’air sûrs) Des verres à moutarde ?

Lui – Je n’ai rien vu…

Elle – Je n’ai pas trouvé de vase non plus.

Christelle – Des verres, tout de même. Dans une cuisine…

Elle – Je n’ai pas trouvé la cuisine.

Moment d’embarras.

Jean-Marc – Bon… Vous savez quoi ? On le boira à la bouteille, ce champagne. Comme les Russes !

Christelle – Les Russes boivent le champagne à la bouteille ?

Jean-Marc – Les Cosaques, sûrement. Sans même descendre de leur cheval. En sabrant la bouteille avec…

Christelle – Avec leur sabre.

Elle – En attendant, asseyez-vous, je vous en prie.

Ils s’asseyent tous les quatre. Sourires. Silence embarrassé.

Lui – Et les enfants, ça va ? (Jean-Marc et Christelle, qui n’ont visiblement pas d’enfants, échangent un regard perplexe) Non, je voulais dire, les enfants en général. Pas spécialement les vôtres. Si vous n’en avez pas…

Elle – Ou plus… Je veux dire… Vous pourriez en avoir, et qu’ils soient morts.

Lui – On n’a pas dit que c’était le cas.

Malaise.

Elle – Je vais voir si je trouve des cacahuètes…

Elle sort.

Lui – En tout cas, c’est sympa d’être passés nous voir.

Christelle – On est amis, non ?

Lui – Bien sûr.

Jean-Marc et Christelle échangent un regard embarrassé. Christelle fait signe à Jean-Marc de se lancer.

Jean-Marc – Ma question va te paraître idiote, mais… vous habitez vraiment ici ?

Lui – Pourquoi vous me demandez ça ?

Christelle – Ben… Nos amis qui habitent ici ne vous ressemblent pas du tout.

Jean-Marc – En tout cas, la dernière fois qu’on est venus, ils ne ressemblaient pas du tout à ça…

Elle revient.

Elle – Ça y est, j’ai trouvé les cacahuètes !

Christelle – Vous avez trouvé la cuisine…?

Elle – J’ai même trouvé des verres.

Jean-Marc – Alors on peut boire l’apéro !

Christelle – Allez…

Jean-Marc débouche la bouteille, et remplit les verres. Ils trinquent.

Jean-Marc – À votre santé !

Lui – À l’amitié !

Ils boivent.

Elle – Prenez des cacahuètes.

Ils mangent des cacahuètes.

Christelle – Je n’ai jamais osé vous poser la question, mais…

Lui – Oui…?

Christelle – Vous vous êtes rencontrés où, tous les deux ? (Silence embarrassé) Excusez-moi d’avoir été aussi indiscrète. Je ne sais pas ce qui m’a pris…

Elle – Non, non, pas du tout, c’est juste que…

Lui – On ne sait plus très bien.

Christelle – Vous ne savez plus ?

Jean-Marc – Vous ne savez plus où vous vous êtes rencontrés ?

Un temps.

Elle – Je dirais ici, non ?

Christelle – Ici ?

Elle – Un jour, on s’est rendu compte qu’on habitait le même appartement.

Lui – Oui, c’est curieux… Je crois que ça s’est passé comme ça.

Elle – C’était il y a un certain temps, évidemment.

Lui – Oui… Une semaine, peut-être.

Elle – Oui, c’est ça, une bonne semaine.

Christelle – Ah oui, quand même…

Lui – Et vous ?

Jean-Marc – Nous ?

Elle – Vous vous connaissez depuis longtemps ?

Christelle – Non, pas très…

Jean-Marc – Je dirais… Oui, pas très longtemps.

Christelle – On s’est rencontrés dans le hall de l’immeuble, en bas.

Jean-Marc – J’avais une bouteille de champagne à la main.

Christelle – Et moi un bouquet de fleurs.

Jean-Marc – On s’est dit qu’on allait sûrement au même endroit.

Christelle – Comme je n’avais pas le code…

Jean-Marc – Moi non plus. J’ai sonné sur plusieurs boutons, au hasard. Vous êtes les premiers à nous avoir ouvert la porte.

Christelle – Comme il avait l’air de savoir où il allait, je l’ai suivi.

Lui – Ah, oui…

Elle – Oui, c’est… une belle histoire.

Lui – Très romantique.

Elle – Vous verrez que ça finira par un mariage.

Jean-Marc et Christelle échangent un regard gêné.

Jean-Marc – Donc, si je comprends bien, personne ici ne se connaît vraiment.

Elle – Apparemment non…

Christelle – Et personne n’a rien à faire dans cette maison.

Lui – Visiblement pas…

Jean-Marc – Mais alors on est chez qui ?

Silence.

Christelle – Vous reprendrez bien un peu de champagne ?

Elle – Merci, mais il est tard. On va peut-être vous laisser.

Lui – En tout cas, merci de votre hospitalité.

Jean-Marc – Mais de rien, je vous en prie.

Il prend la valise, et se dirige avec elle vers la sortie.

Christelle – Je vous raccompagne ?

Elle – Ne vous dérangez pas, on connaît le chemin.

Jean-Marc – Vous voulez que je vous aide avec la valise.

Lui – Non… Ça ne pèse rien… Elle est vide.

Christelle – Eh bien… À une autre fois, alors !

Jean-Marc – Et merci de votre visite !

Ils sortent. Jean-Marc et Christelle se rasseyent. Silence.

Christelle – Ça va ?

Jean-Marc – Ça va… Et toi ?

Christelle – Ça va… (Un temps) Tu veux reboire quelque chose ?

Jean-Marc – Merci, ça ira.

Christelle – Des cacahuètes ?

Il prend une poignée de cacahuète et commence à les mastiquer.

Christelle – On est bien, ici, non ?

Lui – Oui… (Un temps) Mais on n’est pas chez nous.

Elle – C’est vrai.

Lui – C’est une maison, ou un appartement ?

Elle – Un appartement, je crois.

Noir.

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