Il était une fois dans le web

Comédie de Jean-Pierre Martinez

2 hommes – 3 femmes

La PDG d’une start up au bord de la faillite vient de licencier un cadre jugé peu performant, quand elle apprend que c’est le projet de ce looser qui vient d’être choisi par un client providentiel. Comment rattraper le coup… et à quel prix ?


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TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

 Il était une fois dans le web

Personnages :

Jane

Mick

Marianne

Bérangère

Charlie

Vendredi

La salle de réunion d’une start up : l’agence de pub internet « Il était une fois dans l’web ». Un canapé, une table basse. Le lieu ressemble à un hall d’entrée encombré de cartons, faisant aussi office de coin café et de salle de photocopieuse. Ambiance branchée faussement décontractée mais vraiment cheap. Jane, la PDG, élégante et sexy, arrive d’un pas pressé. Marianne, la Directrice Financière, même âge mais d’allure plus stricte et beaucoup moins féminine, la suit comme son ombre, une pile de dossiers à la main.

Jane – Où est-ce qu’ils sont tous ? On n’avait pas dit neuf heures ?

Marianne – Il est huit heures cinquante neuf…

Jane – Cinquante neuf… Vous n’êtes pas comptable pour rien, vous.

Marianne – Directrice Financière, Jane…

Les deux femmes commencent à s’installer pour la réunion.

Jane – Oui, ben en tout cas, vous retardez d’une minute.

Marianne – Ça m’étonnerait. C’est une montre suisse. Comme moi.

Jane – Vous êtes Suisse, Marianne ?

Marianne – Par ma mère, oui.

Jane – Et vous ne pouvez pas nous avoir un compte là-bas ? Je ne sais pas si une comptable suisse peut résoudre nos problèmes de comptabilité, mais un compte en Suisse, ce serait sûrement un début…

Marianne – Je n’ai pas la nationalité, hélas. Ma mère a émigré en France juste après ma naissance.

Jane – Émigrer en France ? Alors que tout le monde rêve de s’exiler en Suisse ! Il y a avait une famine là-bas à cette époque-là, c’est ça ? Une pénurie de fondue ou de chocolat Milka ?

Marianne – Non…

Jane – Une guérilla marxiste, alors ? Entre les gardes suisses et les trafiquants de bonbons Ricola ?

Marianne – Ma mère a épousé un Français, et elle l’a suivi à Paris. Mais je suis restée Suisse de cœur.

Jane – Comme Charles Aznavour…

Marianne – Aznavour ? Je pensais qu’il était Arménien…

Jane – Il a chanté que la misère était moins pénible au soleil, mais il a l’air de penser que l’argent est fait pour dormir à l’ombre… (Soupir) Comptable et suisse… Ma pauvre Marianne… Et moi qui me demandais pourquoi vous n’aviez aucun humour.

Marianne (pincée) – Je peux être très drôle, parfois, vous savez…

Jane consulte ses messages sur son portable.

Jane – Sans blague…

Marianne – Pas forcément pendant mes heures de travail, mais… Le week-end, il m’arrive de plaisanter…

Jane – Bon, je ne rêve pas, il est bien neuf heures ?

Marianne – Euh, oui, Jane…

Jane – Vous dites que j’avance !

Marianne – J’ai dit ça il y a une minute exactement…

Jane – Je plaisante, Marianne ! Vous voyez bien que vous n’avez aucun humour ! C’est important, l’humour, vous savez… Surtout quand on travaille dans la publicité…

Marianne – Si, si, c’est… C’est très drôle.

Jane (résignée) – Bon, après tout, l’humour n’est pas la première qualité qu’on attend d’une comptable. Encore que… Vu notre situation financière, une petite dose d’humour… Alors, vous avez tous les dossiers en cours ?

Marianne – Tout est là… C’est rangé par couleurs… Le rouge pour les dossiers les plus urgents, le orange pour les dossiers qui…

Mick, le directeur commercial, arrive, affichant quel que soit son âge une élégance jeune, branchée et cool.

Mick – Bonjour Jane ! Marianne…

Marianne – Et le vert, pour…

Jane – Ah, Mick… Vous saviez que notre comptable était suisse ?

Mick – Non, mais maintenant que vous me le dites, c’est vrai que ça ne m’étonne pas…

Marianne – Et pourquoi ça ?

Mick – Je ne sais pas… Votre côté déconneur et bordélique, sans doute…

Marianne – On peut avoir de l’humour, et être un partisan de l’ordre, vous savez.

Mick – C’est sûrement pour ça que le Maréchal Pétain faisait autant rire son entourage.

Marianne – Je vous rappelle, Mick, que le Maréchal Pétain n’était pas Suisse. Au fait, Mick, c’est pour Michael (prononcé à l’anglo-saxonne), comme Jackson, ou pour Mickael (prononcé à la française) comme… Gorbatchev.

Mick – C’est pour Mick, comme Jagger. Mon côté rock and roll…

Jane et Mick échangent un regard amusé. Arrivent Bérangère et Charlie, sensiblement plus jeunes. Elle est belle et élégante version BCBG. Il est mal rasé et négligé, façon adolescent attardé.

Mick – Ah, la Belle et la Bête ! La dream team de la création publicitaire d’aujourd’hui. Neuilly sur Seine et Aulnay sous Bois réunis dans une même équipe. Le futur nous dira s’ils peuvent faire de beaux enfants.

Jane – Ou même si leurs enfants peuvent être viables…

Mick – Nous parlons de vos créations pour l’agence, bien sûr. Jeunes gens, l’avenir de cette entreprise repose sur vos frêles épaules !

Jane – Et sur le cerveau que ces frêles épaules sont supposées porter.

Bérangère (récitant) – Madame La Présidente, vous pouvez compter sur un engagement total de ma part au service de la société. J’adhère complètement à son business plan. J’ai intégré cette équipe pour être confrontée à de nouveaux challenges, et relever de nouveaux défis.

Mick – Amen.

Jane – Bon, on va pouvoir commencer, alors. Puisque tout le monde est là…

Bérangère – Je ne suis pas en retard ? C’était bien neuf heures ?

Marianne – Il est neuf heures une.

Mick – Ça va Charlie ? On a l’impression que vous avez dormi dans une poubelle…

Charlie – Je n’aurai les clefs de mon nouvel appart que ce soir. L’agence veut d’abord voir mes feuilles de salaires. Mais sinon ouais, ouais, ça baigne…

Mick fait mine de sentir une odeur nauséabonde.

Mick – Ça baigne, ça baigne… Je crois que c’est vous qui avez oublié de prendre un bain, non ? Ça sent un peu le fauve, ici, depuis que vous êtes arrivé…

Mick guette les réactions à ses plaisanteries un peu lourdes, mais Jane n’a pas l’air d’humeur.

Jane – Marianne ?

Marianne – Je propose que nous fassions le tour des budgets en cours. C’est le dossier orange…

Le dossier orange n’est pas très épais.

Jane – Bien. Par quoi on commence ?

Marianne – Le déodorant pour ados Brise du Soir ?

Mick – Un très bon produit ! Je l’avais d’ailleurs testé sur Charlie. Mais apparemment les effets de cette potion magique finissent par se dissiper au bout de quelques mois…

Jane – Ah, oui… Et Bérangère avait trouvé un très bon slogan… C’était quoi, déjà ?

Bérangère – Brise du Soir, mes amis ne peuvent plus me sentir.

Mick – La campagne de publicité sur Spacebook a très bien marché. Malheureusement, le client a fait faillite avant de pouvoir en toucher les premiers dividendes.

Marianne – Et c’est ce qui risque de nous arriver aussi, malheureusement. Parce qu’il n’a pas eu le temps de nous payer non plus…

Jane – Je vois… Budget suivant…

Marianne – C’est à dire que… c’est tout pour l’instant en ce qui concerne les budgets en cours.

Mick – D’où la couleur orange du dossier, j’imagine.

Jane – D’accord… Alors passons aux budgets en prospection…

Marianne – Eh, bien… Il y a le projet de campagne pour Bloody Sushis sur lequel Bérangère et Charlie travaillent en tandem…

Jane – Bloody Sushis ?

Mick – C’est comme des sushis mais… au lieu de poisson cru, c’est de la viande crue.

Jane – Ah, oui, il suffisait d’y penser…

Bérangère – L’originalité du concept tient aussi au fait que ces produits, proposés sur internet, sont livrés à domicile en scooter électrique.

Mick – La touche écolo.

Jane – Je vois… Vous avez déjà une proposition ?

Mick – Je crois qu’on tient quelque chose, là. Un clip internet très tendance. Bérangère ?

Bérangère – C’est un couple qui se fait livrer les fameux sushis à la viande crue, mais le livreur s’est trompé dans la commande et il n’a apporté qu’un menu au lieu de deux.

Mick – Le type et sa nana se déchirent au sens propre à coup de mixer et de taille-haie pour savoir qui va bouffer ces Bloody Sushis…

Jane – Le slogan ?

Charlie – Bloody Sushis, ça va saigner !

Jane – Bon. Si c’est notre campagne qui est retenue, cette fois, on essayera de se faire payer avant le client ne fasse faillite. Autre chose ?

Marianne – Il y a cet appel d’offre d’Apple pour la campagne de lancement de son nouvel Iphone en France. C’est un budget énorme.

Mick – On a envoyé notre proposition, mais bon… Il ne faut pas trop rêver. C’est quand même peu probable qu’ils choisissent une petite agence comme nous.

Jane – Qui a travaillé là dessus ?

Mick (à Charlie) – Charlie ?

Charlie, légèrement assoupi, revient un peu à la réalité quand tous les regards se tournent vers lui.

Charlie – Hein ?

Jane – Qu’est-ce qu’il nous a trouvé, ce petit génie ?

Charlie – C’est… C’est un type qui a son nouveau IPhone à la main, et une pomme dans l’autre.

Jane – Oui…

Charlie – Il est en train de téléphoner à sa petite amie en kit main libre et… au lieu de croquer dans sa pomme, il croque dans son Iphone.

Jane – Hun, hun… Et le slogan ?

Charlie – Nouvel IPhone, ne le prenez pas pour une pomme.

Mick – C’est très décalé… Très quatrième degré… Ça pourrait marcher…

Jane – Vous croyez ?

Mick – Oui, je sais, c’est complètement nul… Malheureusement, le projet est déjà chez le client. Les délais étaient super courts…

Jane – Ok… Bon, la dream team, vous allez vous remettre au boulot. Nous on va faire le point sur le reste, d’accord ?

Bérangère et Charlie sortent.

Mick (ironique) – On respire mieux, tout à coup, non ? Lui, c’est Brise du Matin qui lui faudrait aussi.

Mais Jane n’a pas l’air d’avoir le cœur à rire.

Jane – Vu la situation financière catastrophique dans laquelle se trouve la boîte, moi je ne respire pas bien du tout, figurez-vous.

Marianne – J’ai préparé un point sur notre situation comptable. C’est le dossier rouge… Il apparaît clairement que nous avons un petit problème de trésorerie au moins passager. Je vais vous détailler tout cela au centime près, bien sûr.

Jane – Je crois que ça ne sera pas nécessaire, Marianne. En clair, Mick, ça veut dire que notre chiffre d’affaires est en chute libre. Pas besoin d’un expert comptable pour comprendre que si on ne rentre pas de nouveaux clients dans les jours qui viennent, on n’aura pas de quoi payer les salaires à la fin du mois…

Mick – C’est vrai qu’on a un petit passage à vide, en ce moment, mais c’est sûrement provisoire. On est sur un créneau très porteur. La publicité sur internet, c’est l’avenir ! C’est un marché qui est en train d’exploser.

Jane – Pour l’instant, c’est nous qui sommes en train d’exploser en vol. J’ai mis pas mal d’argent dans cette boîte, moi. Sans parler des quelques investisseurs qui nous ont fait confiance.

Mick – Je vous assure, Jane, que la prospection est ma priorité absolue. Mais je vais mettre les bouchées doubles sur le commercial, et je vous promets qu’on va trouver de nouveaux clients. Je sens que le vent est en train de tourner…

Marianne – En attendant, il faut absolument trouver un moyen d’alléger les frais fixes. La banque appelle tous les jours au sujet de notre découvert.

Mick – Pour ce qui est des locaux, on peut difficilement faire encore des économies. À moins de transférer notre siège social dans une cabine téléphonique…

Jane – On pourrait virer quelqu’un.

Mick la regarde avec un air un peu inquiet.

Mick – Vous pensiez à quelqu’un en particulier ?

Jane – Vous avez un nom à me proposer ?

Mick – Vous le disiez vous-même, a-t-on vraiment besoin d’un comptable pour nous dire que nos comptes sont dans le rouge. On le sait déjà, non ?

Marianne lui lance un regard assassin.

Jane – Je ne pense pas que de jeter le thermomètre nous préserve de la fièvre. Et je vous rappelle que contrairement à vous, Marianne croit suffisamment dans l’avenir de cette entreprise pour y avoir investi une partie de ses économies. Elle possède trente pour cent des parts, ce qui la met à l’abri d’un licenciement…

Mick – Vous pensez bien que si j’avais de l’argent à placer…

Jane – Je pensais plutôt à nous séparer de l’un de nos deux créatifs… Vu l’importance du carnet de commandes en ce moment, un seul y suffirait largement, non ?

Mick – En même temps, le capital d’une agence de pub, c’est surtout le capital humain. Les talents qui travaillent pour elle et qui constituent sa force de proposition créative.

Jane – Vous avez bien dit talent ? Je crois que là, on est au cœur du problème, non ? Parce qu’entre cette Bérangère qui a l’air de sortir du Couvent des Oiseaux…

Marianne – En fait, elle sort de Sciences Po…

Jane – Et ce… Charlie qui a l’air de sortir d’une cure de désinto…

Marianne – Il était supposé sortir d’une grande école commerciale, mais il semblerait qu’il ait un peu bidonné son CV.

Jane – Bref, je propose qu’on vire l’un de ces deux petits génies en attendant que les affaires reprennent. Et qu’on soit un peu plus vigilant à l’avenir sur le recrutement.

Mick – Ce serait dommage de nous séparer de Bérangère. Pour moi, elle a un gros potentiel…

Jane – Pour vous, je n’en doute pas. Alors quoi ? On se sépare de celui qui sent le plus mauvais ?

Mick – Je trouvais qu’il avait un style créatif bien en phase avec l’air du temps, mais bon… S’il faut faire un choix…

Jane – Marianne ?

Marianne – C’est vrai que ce Charlie était peut-être une erreur de casting… D’ailleurs, j’avais déjà préparé sa lettre de licenciement, au cas où. C’est le dossier vert…

Jane – Ok, c’est vendu… Marianne, vous me faites partir cette lettre recommandée dès ce soir.

Marianne – Nous sommes vendredi, il la recevra demain matin. Est-ce que vous voulez que je le prévienne personnellement ?

Jane – Autant éviter de lui donner une journée supplémentaire pour préparer son dossier contre nous aux prud’hommes. Parce que vous me le licenciez pour faute professionnelle, hein ? Qu’on n’ait pas de problème à réembaucher si les affaires reprennent…

Marianne – Je vois… Quelle genre de fautes ?

Jane – Écoutez, je ne sais pas, moi… Il est nul, il arrive en retard un matin sur deux, il a bidonné son CV, il a un regard lubrique et une haleine de chameau, il ne ferme pas la porte quand il va aux toilettes parce qu’il dit qu’il est claustrophobe… Vous n’avez que l’embarras du choix, non ?

Marianne s’efforce de tout noter dans son dossier vert.

Marianne – Très bien, je… Je ferai une synthèse de tout ça.

Jane – Autre chose ?

Marianne – J’aurais souhaité aussi que nous abordions le problème des notes de frais… Leur montant me semble un peu excessif compte tenu de notre volume d’activité actuel, et certaines de ces notes de frais ne me paraissent pas complètement justifiées…

Jane – Par exemple ?

Marianne – C’est quoi, Mick, ces frais de coiffeur pour un total de 440 euros le mois dernier ?

Mick – C’était pour quatre rendez-vous différents ! Ce sont des frais de représentation…

Se désintéressant de la conversation, Jane consulte ses messages sur son portable.

Marianne – Vous allez chez le coiffeur une fois par semaine ? Moi j’y vais à peine une fois tous les deux mois !

Mick – Oui, ben ça se voit…

Marianne – Pardon ?

Mick – Vous êtes comptable, vous ! Tout le monde s’en fout si vous êtes mal coiffée ! Moi je suis commercial. Il est important que je fasse bonne impression auprès de mes clients.

Marianne – Et de vos clientes… Et vos trois séances d’UV la semaine dernière, ce sont aussi des frais de représentation ?

Mick – Je n’ai pas le temps de partir en vacances, comment voulez-vous que j’arrive à être bronzé autrement ?

Marianne – Qui a dit qu’un publicitaire devait forcément avoir l’air de quelqu’un qui revient de vacances ?

Jane – Bon, cette conversation est absolument passionnante, mais je propose que nous la remettions à une autre fois. Je crois que nous avons d’autres priorités, non ?

Ils se lèvent pour partir.

Mick – C’était plutôt une bonne réunion, finalement, non ?

Jane – Ok, alors on se remet au travail.

Mick (en aparté avec Jane) – Donc, au sujet de mon augmentation, j’imagine que… (Jane le fusille du regard) D’accord, on en reparlera un peu plus tard…

Ils quittent tous les trois la salle. Marianne emmène sa pile de dossiers mais oublie la chemise verte. Retour de Charlie, l’air toujours aussi peu réveillé, et qui vient se servir un café, qu’il pose sur le dossier vert. Comme il regarde ses messages sur son portable, il fait un faux mouvement et renverse son gobelet sur le dossier ouvert.

Charlie – Et merde…

Il essaie de réparer les dégâts avec un Sopalin. Tandis qu’il éponge les feuilles, son attention est attirée par ce qui est écrit dessus, sans qu’on sache vraiment si le texte est encore lisible. Marianne arrive alors en trombe.

Marianne – J’ai oublié mon chemisier… Je veux dire ma chemise…

Elle constate les dégâts.

Charlie – Désolé…

Marianne a l’air furieuse mais ne dit rien et part en emportant son dossier. Le portable de Charlie sonne et il répond.

Charlie – Ouais… Ouais, ouais, ça baigne… J’essayais de lire mon avenir dans le marc de café…

Bérangère arrive, et Charlie la déshabille du regard.

Charlie – Écoute, je suis en réunion, là… Je peux te rappeler ?… Ok, salut ma poule…

Bérangère – Il n’y a plus de café ?

Charlie – J’ai renversé ce qui restait sur la compta de la boîte… Mais si t’en refais, j’en prendrais bien une tasse avec toi… C’est vrai, on bosse ensemble, mais on n’a jamais le temps de se parler…

Bérangère (froidement) – Plutôt crever que de te faire du café. Je préfère encore me passer d’en boire…

Elle repart d’où elle vient.

Charlie – Une telle violence verbale… Ça cache forcément des sentiments ambigus… Je suis sûr que ça finira par coller entre nous

Comme Jane arrive, il lui lance un sourire. Son portable sonne, et il prend la communication tout en s’éloignant.

Charlie – Ouais…? Oui, oui, c’est moi… Demain, seize heures trente ? Ok. Oui, c’est ça, à Paris. Dans le 21ème arrondissement. Ah, il n’y a que vingt arrondissements à Paris ? Ben ça doit être dans le 20ème, alors. Rue des Deux Boules, c’est ça. Ok, ça roule. Alors à demain…

Jane constate qu’il n’y a plus de café.

Jane – Et merde…

Mick revient.

Mick – Qu’est-ce qui se passe ?

Jane – Il n’y a plus de café. Je suis sûre que c’est ce petit con qui s’est enfilé la dernière tasse, et qu’il n’a pas pris la peine d’en refaire.

Mick – Rien que pour ça, il mérite son licenciement pour faute. Ne vous inquiétez pas, je m’en occupe…

Il entreprend de refaire du café, en commençant par remettre de l’eau dans le réservoir. Tandis qu’il jette un regard langoureux en direction de sa patronne.

Mick – Vous faites quelque chose ce week end ?

Jane – Je pars dans ma maison de campagne.

Mick – Seule…?

Jane – Avec Flora.

Mick – Flora ?

Jane – Oui, moi aussi, je me demande si c’est bien raisonnable… L’accouchement n’est prévu que pour dans deux semaines, mais elle est tellement grosse ! J’ai l’impression qu’il y en a au moins une demi-douzaine…

Mick – Ah, oui, quand même… Et qui est l’heureux père de ces sextuplés ?

Jane – Un berger allemand.

Mick – C’est toujours mieux qu’un comptable suisse. Mais un berger allemand… Vous voulez dire qui garde les moutons ?

Jane – Un berger allemand !

Mick – Elle a fait ça avec un berger allemand ?

Jane – Qui ?

Mick – Cette… Flora.

Jane – C’est une chienne !

Mick – Gardons-nous de jugement trop hâtifs. Que celui qui n’a jamais péché… (Pris d’un doute) Mais c’est qui, cette Flora ?

Jane – C’est mon berger allemand, je vous dis ! Enfin ma berangère… Je veux dire ma bergère.

Mick – Ah oui… Dans ce cas, évidemment…

Le portable de Jane sonne. Elle prend l’appel.

Jane – Il était une fois dans l’web, j’écoute…

Mick met en route un moulin à café électrique qui fait un bruit d’enfer.

Jane – Pardon ? Je ne vous entends pas très bien. (Elle fait signe à Mick et celui-ci s’éloigne un instant pour faire ses préparatifs à côté). Vous m’appelez de New York ? Ah, oui c’est sûrement pour ça que la ligne n’est pas très bonne… Notre projet pour la campagne Apple ? Oui, je sais, ce n’est peut-être pas la meilleure option qu’on pouvait vous proposer, mais… Vous trouvez ça formidable ? Oui, c’est vrai que c’est très décalé… Très dans l’air du temps… Oui, très en phase avec l’humour idiot de la jeunesse d’aujourd’hui… C’est un peu la marque de fabrique de notre agence, en fait. Nous misons tout sur les nouveaux talents… Alors ça vous plaît, vraiment ? Ah, vous souhaiteriez rencontrer le créatif en personne… Oui, oui, c’est vrai qu’il a un style… très particulier. Charlie, oui… Mais vous savez, c’est un travail d’équipe… Bien sûr, lui et personne d’autre. Et donc votre choix est définitif, c’est notre agence qui est retenue pour la campagne ? Mais c’est merveilleux. Vous avez un numéro de téléphone où… C’est vous qui me rappelez mardi, très bien… Alors bon week end à la Grosse Pomme… Non, la Grosse Pomme, New York ! Vous pensez bien que je ne me permettrais pas de vous traiter de grosse pomme. Comme dans notre projet de campagne, oui, c’est très drôle en effet : IPhone, ne le prenez pas pour une pomme ! Très bien, j’attends votre appel mardi.

Elle range son portable. Mick revient avec le café moulu.

Jane – Vous feriez mieux de vous asseoir, Mick.

Mick – Qu’est-ce qui se passe ? Vous acceptez de partir en week-end avec moi plutôt qu’avec votre chienne, finalement ? Mais vous savez, vous pouvez l’emmener aussi.

Jane – Mieux que ça : c’est notre projet qui a été retenu pour la campagne Apple !

Mick – La proposition de Charlie ?

Jane – Le responsable d’Apple pour l’Europe vient de m’appeler. Leur décision est prise. Là il passe un week end à New York, mais il nous rappelle mardi pour nous donner la confirmation officielle.

Mick – Mais c’est dingue ! C’est un budget absolument énorme !

Jane – Non seulement ça règle nos problèmes de trésorerie pour les cinquante ans à venir, mais on va être obligés d’embaucher du personnel.

Mick – Et de changer de locaux. Fini cette salle de réunion qui ressemble à une salle d’attente d’acuponcteur.

Jane – Évidemment, plus question de licencier Charlie.

Mick – Il faudra aussi qu’on reparle de mon augmentation… Après tout, c’est quand même moi qui ait insisté pour qu’on l’embauche, et je n’étais pas très emballé qu’on le vire. Comme quoi, j’ai eu du flair…

Jane – Marianne est dans son bureau ?

Mick – Elle m’a dit qu’elle partait à la poste pour un recommandé…

Jane – Oh non…

Elle dégaine son portable et fait un numéro à la hâte.

Jane – Marianne ? Dites-moi que vous n’avez pas encore posté la lettre de licenciement de Charlie ? (Son visage se décompose). Et merde… (Elle range son portable) Elle vient de la poster…

Mick – Ah… Là on a un problème…

Charlie revient, le portable vissé à l’oreille.

Charlie – Un joint ? Ah, oui… Et ça coûterait dans les combien ? Cent euros ! Pour un joint, ça fait quand même un peu cher. Ah, si c’est un forfait alors… Comment je m’en suis rendu compte ? Ben quand je pisse dans le lavabo, ça me tombe sur les chaussures… Oui, ça doit être un problème d’écoulement… Bon ben ok pour demain matin, je vous attends vers onze heures… (Il range son portable et s’adresse à Jane et Mick) Ah, vous avez refait du café, c’est cool…

Il se sert une tasse sous le regard attentif des deux autres et repart avec.

Mick – On avait le seul créatif en France capable de vendre une campagne de pub à Apple, et notre comptable vient de lui envoyer sa lettre de licenciement pour faute professionnelle…

Jane – Mais quelle conne !

Marianne arrive alors et entend cette dernière réplique.

Mick – Ah, on parlait de vous justement…

Marianne – Pardon ?

Jane – Excusez-moi, ce n’est pas de votre faute. Mais si pour une fois vous aviez pu ne pas faire les choses aussitôt qu’on vous les demande…

Marianne – Vous pensez qu’on aurait dû opter plutôt pour une rupture conventionnelle ?

Mick – Quand il va lire qu’il est licencié parce qu’on ne peut plus le sentir…

Marianne – J’ai pris sur moi d’ajouter qu’il m’avait mis une main aux fesses.

Mick – Et c’est vrai ? (Marianne le fusille du regard) Je ne le croyais pas détraqué à ce point-là.

Marianne – Mais qu’est-ce qui se passe ?

Jane – C’est la proposition de Charlie qui a été retenue par Apple…

Marianne – La… Non ?

Jane – Et ils tiennent absolument à ce que ce soit cet abruti qui réalise la campagne.

Mick – Bon… Alors qu’est-ce qu’on fait ? Marianne, une idée ? Après tout, c’est vous qui nous avez mis dans cette merde…

Elle lui lance un regard assassin.

Marianne – Vous voulez qu’on parle aussi de vos notes de frais d’acuponcteur ?

Jane – Pour commencer, Charlie ne doit apprendre sous aucun prétexte que c’est son projet qui a été sélectionné par Apple, d’accord ?

Marianne – Il finira bien par le savoir…

Jane – Le plus tard sera le mieux. Ça nous laisse un peu de temps pour trouver un moyen de rattraper le coup…

Marianne – On ne peut pas lui piquer son idée et la faire développer par Bérangère ? Il sera toujours temps d’expliquer au client que Charlie a quitté la boîte.

Mick – Ou qu’il est mort d’une overdose.

Jane – Je le sens mal…

Mick – Vous avez raison, moi aussi. Bérangère a beaucoup de qualité, mais je la vois mieux pondre des publi-rédactionnels pour Vuitton.

Jane – Le client a insisté pour rencontrer Charlie dès que possible… On ne peut pas se permettre de le décevoir. C’est déjà un miracle que notre agence ait été retenue…

Marianne – Et leur décision est vraiment prise ?

Jane – Oui. Il demande juste une confidentialité totale jusqu’à mardi…

Mick – Ça nous donne le week-end.

Marianne – Et si on lui disait tout simplement la vérité ?

Jane – À qui ?

Marianne – À Charlie !

Jane – La vérité ? On voulait te virer sans indemnité parce qu’on te considérait comme un looser, mais comme c’est ta proposition qui a été retenue par Apple, on compte sur toi pour ne pas trahir la relation de confiance qui a toujours existé entre nous ?

Marianne – Vu comme ça, évidemment.

Jane – Il va arriver lundi furieux avec sa lettre de licenciement, qu’on n’a même pas pris la peine de lui remettre en mains propres. Alors quand il va savoir que c’est lui que le client veut et personne d’autre…

Mick – Ça, il ne fera pas de pot de départ, c’est sûr… Il prendra le dossier Apple sous le bras et il filera direct se faire embaucher par le publicitaire le plus bronzé de Paris.

Marianne – Tant qu’il était sous contrat chez nous, il était lié à la boîte par une clause de non concurrence. Mais avec cette lettre de licenciement, évidemment, on lui rend sa liberté…

Jane – N’importe quelle agence de pub lui fera un pont d’or s’il arrive avec Apple comme client.

Mick – Ben oui, mais qu’est-ce qu’on peut y faire, maintenant ?

Marianne – On n’a pas le choix. Ce qu’il faut, c’est qu’il ne reçoive jamais cette lettre de licenciement.

Jane – En tout cas pas avant qu’on lui ait fait signer un nouveau contrat d’embauche qui le lie de façon encore plus étroite à l’agence.

Marianne – Et tout ça de préférence avant qu’il n’apprenne que l’avenir de la boîte repose sur lui. Parce que ça pourrait augmenter considérablement le niveau de ses exigences salariales…

Mick – Et comment on fait ça ? Puisque sa lettre recommandée est déjà partie…

Marianne – On pourrait guetter le facteur, l’assommer et lui braquer sa hotte…

Mick et Jane la regardent, se demandant si elle plaisante ou pas.

Jane – Ici on appelle ça une sacoche, je crois.

Mick – C’est de l’humour suisse ?

Marianne – J’avais fait ça avec le Père Noël quand j’étais petite… C’est comme ça que je me suis rendue compte que le Père Noël, c’était l’amant de ma mère…

Jane – Il suffirait de l’empêcher de rentrer chez lui avant mardi…

Marianne – Pas évident…

Mick – Vous pourriez l’inviter à passer le week end chez vous à la campagne… pour le remercier de ses performances et parler de son avenir.

Marianne – Et là bas, vous lui faites signer le nouveau contrat…

Charlie revient. Silence embarrassé des autres.

Charlie – Je vais reprendre un autre café. J’ai la gueule dans le cul, ce matin, je ne sais pas ce que j’ai.

Jane – Allez-y, il est tout frais.

Mick – C’est moi qui l’ai fait.

Marianne – Mick sait faire un bon café.

Charlie s’apprête à remplir sa tasse, Jane s’interpose avec empressement.

Jane – Ne bougez pas, je vous sers.

Mick – Bon, et bien on vous laisse alors.

Il fait un signe à Marianne pour la pousser à parler à Charlie.

Mick – Vous venez Marianne ?

Mais Marianne ne semble pas comprendre le message.

Marianne – Où ça ?

Mick – Vous vouliez que je vous parle de mes notes de frais, non ?

Il s’en va en entraînant Marianne avec elle. Jane verse un tasse à Charlie.

Jane – Du sucre ?

Charlie – Trois morceaux, merci.

Jane – Voilà, un bon café, le matin, pour bien commencer la journée. C’est plein de vitamines. Je veux dire de caféine.

Charlie – Mmm…

Mick commence à boire son café.

Jane – C’est vrai, on ne fait que se croiser, on n’a jamais le temps de se parler.

Charlie – Mmm…

Jane – C’est comme avec Marianne… C’est incroyable, je ne savais même pas qu’elle était…

Charlie – Gay ?

Jane – Suisse. Vous le saviez ?

Charlie – Non.

Jane – On croit connaître les gens avec qui on travaille, et puis… Tenez, je ne sais même pas combien vous prenez de morceaux de sucre dans votre café.

Charlie – Eh ben… Trois.

Jane – Dites-moi, Charlie… Vous faites quelque chose ce week-end ?

Charlie – Des heures sups ? Je croyais qu’il n’y avait pas trop de boulot en ce moment ? Je me demandais même s’il ne fallait pas que je commence à chercher autre part…

Jane – Ah, non, ce n’est pas du tout ça ! Et puis vous savez, la situation de l’agence n’est pas si catastrophique… On est en plein développement, on va avoir besoin de tous les talents de la boîte. Non, justement, c’est de votre avenir dont je voulais vous parler.

Charlie – Mon avenir ? Je ne savais même pas que j’en avais un…

Jane – Nous sommes très contents du travail que vous faites ici, Charlie. C’est vrai qu’au début, vous étiez un peu en période d’observation, c’est normal. Mais je crois que le moment est venu de vous donner votre chance en vous accordant la confiance que vous méritez.

Charlie – Ah, oui…

Jane – Je voulais vous proposer de signer un nouveau contrat, plus à la mesure de vos capacités. Vous seriez libre pour qu’on puisse en discuter tranquillement ce week-end ?

Charlie – Ce week-end ? Où ça ?

Jane – J’ai une maison de campagne du côté de Chantilly. Il y a une piscine et un tennis. Ça vous tente de m’accompagner ? Avec un peu de chance, vous pourriez même assister à l’accouchement de Flora.

Charlie – C’est à dire que… J’attends le plombier demain matin, et une livraison Ikéa l’après midi. Maintenant que j’ai de vraies feuilles de salaire, j’ai pu quitter mon squat et emménager dans un véritable appart dans le 21ème.

Jane – Le 21ème ? Vous voulez dire le 21ème siècle…

Charlie – Le week-end prochain, si vous voulez ?

Jane – On en reparle, d’accord ?

Charlie – Ça roule.

Charlie repart. Mick et Marianne reviennent.

Mick – Alors ?

Jane – Il est coincé chez lui samedi à attendre le plombier…

Marianne – Une fuite de gaz… Ça pourrait expliquer une explosion accidentelle.

Jane – Une fuite d’eau !

Mick – Et puis je vous rappelle qu’on veut juste l’empêcher de recevoir cette lettre. Lui on en a besoin pour la campagne Apple.

Jane – Il faudrait que quelqu’un aille chez lui et ne le lâche pas d’une semelle pour pouvoir récupérer la lettre avant lui.

Mick – Ça suppose de passer le week end avec lui…

Marianne – Chez lui…

Mick – Pour ce genre de mission… Il faudrait une femme, évidemment…

Les regards de Mick et Jane se tournent vers Marianne.

Marianne – Vous ne pouvez pas me demander ça !

Mick – Après tout, cette idée de licencier Charlie, c’était la vôtre, non ? Et c’est vous qui vous êtes précipitée à poster cette lettre.

Mick – Et puis vous disiez qu’il vous avait déjà mis une main aux fesses. Ça prouve que vous lui plaisez. Ou qu’il n’a vraiment pas beaucoup le choix…

Marianne – Quoi ?

Jane – C’est l’avenir de notre société qui est en jeu, Marianne. Je me permets de vous demander personnellement ce sacrifice.

Marianne – Vous me demandez de faire don de ma personne à l’agence ?

Mick – Comme le Maréchal Pétain a fait don de sa personne à la France.

Jane – Si vous ne nous aidez pas, c’est la faillite assurée, Marianne. Notre entreprise, c’est notre patrie. Et la patrie est en danger !

Marianne – Mais… ce n’est pas possible, Jane.

Jane – Et pourquoi ça ?

Marianne – Mais… parce que je ne suis pas attirée par les hommes, déjà.

Jane – Oui ben… Je ne sais pas moi… Faites un effort.

Charlie revient.

Charlie – Il faut que je fasse une photocopie de mon bulletin de salaire. Pour l’agence immobilière…

Jane et Mick lancent un regard plein de sous-entendus à Marianne pour qu’elle mette en œuvre le plan suggéré.

Jane – Bon allez, on retourne au boulot, hein Mick ?

Charlie se ressert un café. Marianne le regarde sans savoir quoi faire.

Charlie s’apprête à faire sa photocopie.

Marianne – Vous voulez que je vous fasse votre photocopie ? J’ai l’habitude, vous savez…

Charlie – Merci, ça ira…

Marianne le regarde faire avec un air bizarre, ce qui met Charlie mal à l’aise. Il semble avoir des difficultés avec la photocopieuse.

Marianne – Il n’y a plus de papier.

Charlie – Ah…

Marianne – Vous savez comment on remet du papier ?

Charlie – Euh… Non…

Marianne – Je m’en doutais… C’est comme pour le café… Vous ne savez pas non plus comment refaire du café… Ah, les hommes… Ne bougez pas, je m’en occupe… Les photocopieuses, c’est très capricieux, vous savez… C’est comme les femmes… (Elle s’occupe de la photocopieuse) Ah, il y a un bourrage papier… Je vais arranger ça… On peut bavarder un peu en attendant… C’est vrai, on n’a jamais le temps de se parler. C’est tellement la folie, en ce moment.

Charlie – C’est plutôt calme, non ?

Marianne – Heureusement, c’est vendredi.

Charlie – Oui.

Marianne – Vous avez des projets ?

Charlie – Pour ?

Marianne – Pour le week-end.

Charlie – J’ai une fuite d’eau à réparer et une armoire Ikéa à monter.

Marianne – Je peux vous aider, si vous voulez… (Avec un sous entendu maladroit) Je suis très bricoleuse, vous savez…

Charlie a l’air plutôt inquiet que séduit. Marianne se jette sur lui, l’étreint et tente de l’embrasser.

Marianne – Ton odeur me rend folle, Charlie…

Heureusement, Charlie est sauvé par la sonnerie de son portable.

Charlie – Excusez-moi, ça doit être mon plombier… Il faut absolument que je réponde… (Il parvient à se dégager) Oui… Oui, c’est moi… Vous ne quittez pas une seconde…

Charlie s’en va précipitamment. Jane et Mick reviennent.

Mick – Qu’est-ce que vous lui avez fait pour le faire fuir comme ça ?

Marianne – Je vous l’avais dit que ça ne marcherait pas…

Jane – Vous n’avez pas dû faire beaucoup d’efforts… Vous me décevez, Marianne. Vous me décevez beaucoup. Pourquoi avoir investi toutes vos économies dans cette boîte au lieu de les mettre sur un compte en Suisse si vous n’êtes pas prête à vous battre pour la sauver de la faillite ?

Marianne – Si j’ai investi dans cette société, c’est pour vous, Jane…

Elle s’en va, au bord des larmes.

Mick – Vous saviez que notre comptable était lesbienne ? En plus d’être suisse…

Jane – Marianne est lesbienne ?

Mick – Elle a dit qu’elle n’aimait pas les hommes.

Jane – Ça ne veut pas dire qu’elle aime les femmes.

Mick – Vous, elle a l’air de bien vous aimer… Bon, quoi qu’il en soit, je ne pense pas que ce soit la femme de la situation pour séduire Charlie.

Jane – Et s’il était gay, lui aussi ?

Mick – Pour un homme, ne pas être sensible aux charmes d’une comptable suisse et lesbienne, ce n’est pas la preuve qu’on est gay, croyez-moi.

Jane – Je lui ai fait des avances, moi aussi, et il préfère monter une armoire Ikéa !

Mick – C’est vrai…

Jane – Il faudrait vérifier.

Mick – Quoi ?

Jane – S’il est gay !

Mick – Et comment on fait ça ?

Jane – Vous n’avez qu’à lui faire des avances, vous aussi. Vous verrez bien s’il est réceptif.

Mick – Réceptif… Vous plaisantez ?

Jane – Je vous rappelle que c’est la survie de la boîte qui est en jeu, donc celle de votre poste.

Charlie arrive pour prendre une fourniture dans une armoire.

Jane – Je suis sûre que vous ferez ça avec délicatesse…

Mick se plante devant Charlie.

Mick – Charlie, ça vous dirait qu’on parte en week-end tous les deux au Tréport ? Je connais un Formule 1 pas trop cher juste à la sortie de l’autoroute…

Charlie le regarde avec étonnement, retire un instant le casque qu’il a sur les oreilles puis le remet avant de fouiller dans l’armoire pour y prendre ce qu’il veut. Jane est sidérée.

Mick – Vous voyez, il n’est pas gay.

Jane – Ou alors, c’est que vous ne lui plaisez pas…

Mick – Pourquoi je ne lui plairais pas ? Je vais chez le coiffeur toutes les semaines, et je fais des UV deux fois par mois…

Jane – Ce n’est pas la peine de vous vexer…

Mick – Vous ne lui avez pas fait beaucoup d’effet non plus…

Jane – Il faut croire qu’on n’a pas encore trouvé ce qui lui fait de l’effet.

Bérangère arrive. En repartant, Charlie se retourne pour jeter un regard appuyé sur elle, ce qui n’échappe pas à Jane et Mick.

Bérangère – Je venais juste chercher une recharge pour mon imprimante ?

Les regards de Mick et Jane se fixent sur elle tandis qu’elle fouille elle aussi dans l’armoire de fournitures. Bérangère sent ces regards sur elle et s’inquiète.

Mick – Je vous avais dit qu’elle avait un gros potentiel…

Bérangère – Il y a un problème ?

Jane – Ça fait combien de temps que vous travaillez avec nous, Bérangère ?

Bérangère – Ça va faire six mois…

Jane – Et vous vous plaisez ici ?

Bérangère (récitant) – Madame La Présidente, vous pouvez compter sur un engagement total de ma part au service de la société. J’adhère complètement à son business plan. J’ai intégré cette équipe pour être confrontée à de nouveaux challenges, et relever de nouveaux défis.

Jane (la coupant) – Très bien… Alors Mick va vous expliquer le business plan qu’on a prévu pour vous ce week end, n’est-ce pas Mick ?

Mick – Vous vouliez être confrontée à de nouveaux challenges ? Vous allez voir, vous n’allez pas être déçue…

Mick entraîne Bérangère avec lui. Marianne revient.

Marianne – Excusez-moi, je me suis un peu emportée tout à l’heure…

Jane – Ce n’est pas grave. Et puis je crois qu’on a trouvé une autre solution.

Marianne – Tant mieux. Je pensais à une chose…

Jane – Oui ?

Marianne – Si voulez, je peux vous accompagner à la campagne pour préparer le contrat de Charlie.

Surprise et méfiance de Jane.

Jane – Je crois que ça peut attendre lundi… Je ne voudrais pas abuser de vous… Je veux dire de votre temps…

Marianne – Je n’ai rien de particulier à faire ce week end…

Jane – C’est très aimable à vous, mais je ne pense pas que ce sera nécessaire… D’ailleurs, je me demande pourquoi tout le monde rêve d’avoir une maison de campagne. Pourquoi les campagnes seraient en voie de désertification si on s’y amusait tellement ? La campagne, vous savez, c’est quand même assez déprimant. Surtout en cette saison…

Marianne – Nous sommes au mois de mai.

Jane – Justement. En hiver, encore, on peut espérer aller ramasser du bois mort et faire un feu de cheminée pour griller quelques châtaignes. Mais au printemps…

Marianne – Il n’y a pas de saison pour les feux de cheminée, vous savez…

Bérangère revient, furieuse, suivie de Mick.

Bérangère – Non mais vous vous rendez compte de ce que vous me demandez ?

Marianne juge préférable de partir.

Mick – Il ne s’agit que de passer la nuit avec Charlie. On ne vous demande pas de vous marier avec lui !

Bérangère – Oui et bien justement. Je me marie dans trois mois, figurez-vous. Et j’avais prévu de partir en week end au Touquet avec Hubert.

Mick – Hubert ? C’est un berger allemand ?

Bérangère – C’est mon fiancé !

Mick – Il en va de la survie de cette société, Bérangère.

Jane – C’est à dire de la pérennité de votre poste ici…

Bérangère – C‘est un chantage ? Et si je vous traînais aux prud’hommes ?

Jane – Tout de suite, les grands mots…

Bérangère – C’est vrai, après tout, on ne parle que de proxénétisme aggravé.

Mick – Aggravé par quoi ?

Bérangère – Par le fait que ce type est un porc, déjà !

Jane – Nous sommes sur le point de signer le contrat du siècle, Bérangère. Je saurai me souvenir de votre sacrifice et vous montrer ma reconnaissance.

Bérangère – Combien ?

Jane – Pardon ?

Bérangère – À combien évaluez-vous mon sacrifice ?

Jane – Je vois que vous apprenez vite, c’est bien… Laissez-moi le temps de voir ça avec la comptabilité. Mais est-ce qu’un poste de directrice vous irait ?

Mick – Directrice ?

Jane – Rassurez vous, si on a ce budget, on n’aura pas trop de deux directeurs.

Bérangère – Ok, je peux essayer…

Charlie repasse par là. Mick et Jane s’éclipsent.

Bérangère – J’ai refait du café, si tu veux.

Charlie – Merci, mais j’en ai déjà pris trois. Je commencerais presque à être énervé.

Charlie commence à s’éloigner.

Bérangère – Non, mais attend… Je crois qu’on est parti sur de mauvaises bases, tous les deux.

Charlie – Ah oui…?

Bérangère – Tu sais que je te considère comme un créatif exceptionnel.

Charlie – Ah, bon ?

Bérangère – C’est sûrement pour ça que j’ai été un peu… agressive avec toi. J’avais peur que tu ne me fasses de l’ombre, tu comprends.

Charlie – Je comprends…

Bérangère – Mais il faut que je surmonte ce manque de confiance en moi, Charlie. Et il faut que tu m’y aides.

Charlie – C’est à dire que là… J’allais déjeuner.

Bérangère – Eh ben tu sais quoi ? Je t’invite. Comme ça, on pourra bavarder un peu.

Charlie – Je déjeune avec ma mère…

Bérangère – Ce sera l’occasion de me la présenter !

Charlie – C’est peut-être un peu prématuré, non ? Et puis tu sais, ma mère… Même moi, si je pouvais me dispenser de déjeuner avec elle.

Bérangère – Et pourquoi on ne se verrait pas ce week-end.

Charlie – J’ai une armoire Ikéa à monter…

Bérangère – Alors là… Tu as trouvé mon point faible ! J’adore monter des meubles Ikéa !

Charlie – Tu plaisantes…?

Bérangère – Je sais, ça paraît un peu fou, parce que tout le monde déteste, en général. Mais moi, je ne sais pas pourquoi… Ça me détend. Il y en a qui font des puzzles, moi c’est les meubles Ikéa. C’est bien simple, j’ai une commode, chez moi, un modèle assez complexe. Et bien le week end, il m’arrive de la démonter et de la remonter deux ou trois fois. Et sans le plan, hein ? Comme ça, juste pour me détendre…

Charlie – Ah oui, ça a l’air de te réussir. Tu as l’air très détendue, mais… on en reparle tout à l’heure, peut-être ? Il faut vraiment que j’y aille là… En fait, j’ai… J’ai très envie de…

Bérangère – Oui…?

Charlie – D’aller aux toilettes.

Bérangère – Ah…

Charlie s’en va. Bérangère reste seule, un peu déboussolée. Jane et Mick reviennent.

Jane – Alors ?

Bérangère – Je crois que ce n’est pas très bien parti…

Jane – Il faut mettre les bouchées doubles, mon petit ! Sinon vous êtes virée !

Mick – Allez-y, courez-lui après !

Bérangère – Il est parti aux toilettes…

Jane – Et bien vous lui tenez la porte !

Bérangère, furieuse, s’exécute, tandis que son portable sonne.

Bérangère – Ah, Hubert, ça tombe bien… Enfin non, ça tombe mal, j’allais t’appeler justement… Malheureusement, pour ce week end, ça ne va pas être possible… On a une brouette… Je veux dire une charrette… Ce n’est pas la peine d’aboyer comme ça, écoute…

Elle sort.

Mick – Puisque les couples semblent se faire et se défaire… Allez, je vous invite à dîner ce soir…

Jane – Désolée, mais je n’ai vraiment pas la tête à ça. Quand on aura signé ce budget et que Flora aura accouché, peut-être… On fêtera ça, d’accord ?

Mick – Promis ?

Jane – Promis.

Ils sortent. Charlie revient avec Bérangère à ses basques.

Bérangère – Donne tes photocopies, je vais les faire.

Charlie – Ne me dis pas que tu aimes aussi faire des photocopies ?

Bérangère – Je sais, c’est un peu spécial. Mais tu verras, je suis une fille très spéciale…

Charlie – Écoute, je suis vraiment désolé pour ce week-end, mais ça ne va pas être possible…

Bérangère – Attends, j’ai un SMS… Oh, mon Dieu ! C’est ma concierge. Mon immeuble vient de brûler. Un incendie criminel apparemment…

Charlie – Non ?

Bérangère – Je ne sais pas du tout où je vais dormir ce soir… Je n’ai pas d’amis… Sauf sur Spacebook… Tu ne pourrais pas me dépanner quelques jours…

Charlie – C’est à dire que… je n’ai qu’un lit.

Bérangère – Je dormirai sur le tapis, roulée en boule à tes pieds, Charlie… Laisse-moi devenir l’ombre de ton ombre… L’ombre de ton chien…

Charlie – Mais… je n’ai pas de chien.

Charlie s’éloigne, poursuivi par les ardeurs de Bérangère.

Bérangère – Ne me quitte pas…

Mick et Jane, qui ont visiblement observé discrètement la scène, reviennent.

Jane – Il n’y a plus qu’à attendre…

Mick – Le week-end va être long.

Jane – Je renonce à partir à la campagne… Je vais rester ici au bureau, au cas où il se passerait quelque chose… Je dormirai sur le canapé…

Marianne arrive.

Marianne – Je vais vous tenir compagnie, je ne fais rien ce week-end. Nous pourrons rédiger le nouveau contrat de Charlie…

Jane – Merci Marianne. Ça me fait du bien de savoir que je peux compter sur vous dans les moments difficiles…

Les deux femmes s’étreignent… sous le regard inquiet de Mick.

Mick – Je vais rester, moi aussi…

Marianne lance à Mick un regard noir.

Jane – Vous êtes sûr ?

Mick – Il est important que nous restions soudés tous les trois dans cette épreuve. Je travaillerai à la campagne…

Marianne – À la campagne ? Je croyais vous vouliez rester ici avec nous…

Mick – La campagne bordel ! La campagne Apple !

Jane – Très bien, Mick… Mais ce n’est pas la peine de vous énerver comme ça…

Noir.

Nuit de samedi

Lumière tamisée. Jane, Mick et Marianne dorment tous les trois affalés sur le canapé.

Mick a la tête sur l’épaule de Jane et l’enlace de son bras.

Noir.

Marianne a la tête sur l’épaule de Jane et l’enlace de son bras.

Elles se réveillent toutes les deux et Jane a un mouvement de recul.

Noir.

Mick a la tête sur l’épaule de Marianne et l’enlace de son bras.

Ils se réveillent tous les deux et ont un réflexe de recul.

Noir.

Lundi matin

Marianne arrive et prépare du café. Jane arrive à son tour.

Marianne – Des nouvelles de Charlie ?

Jane – Aucune…

Mick arrive aussi.

Mick – Alors ?

Marianne – On ne sait pas.

Mick – Si Bérangère n’a pas réussi à intercepter le recommandé, il ne prendra peut-être même pas la peine de repasser par le bureau…

Jane – Même s’il sait qu’il est viré, il n’est pas au courant qu’Apple a retenu son projet. Il viendra quand même chercher son solde de tout compte.

Mick – Et si Bérangère lui avait dit ?

Marianne – Quoi ?

Mick – Pour Apple !

Marianne – Quel intérêt elle aurait à faire ça ?

Charlie arrive. Tous les regards se posent sur lui pour guetter sa réaction.

Jane – Bonjour Charlie !

Charlie – Salut…

Mick – Bon week-end ?

Charlie – Mmm…

Mais Charlie continue son chemin jusqu’à son bureau.

Mick – Je pense que si il avait reçu sa lettre de licenciement, il nous en aurait parlé.

Marianne – Elle n’est peut-être pas encore arrivée. Des fois il y a des problèmes avec le courrier.

Jane – Il n’y a que Bérangère qui pourra nous dire ça…

Bérangère arrive, l’air renfrogné.

Jane – Alors ?

Mick – Pas trop dur à monter, cette armoire Ikéa ?

Bérangère sort une lettre de sa poche et l’exhibe.

Bérangère – J’ai pu récupérer le recommandé auprès du facteur.

Mick – Bravo !

Marianne – Comment vous avez fait ça ?

Bérangère – Charlie dormait encore.

Mick – Le repos du guerrier…

Elle lui lance un regard noir.

Bérangère – Je me suis fait passer pour sa femme et j’ai signé à sa place.

Jane – Ouf…

Mick – Ça va ? Ça s’est bien passé ?

Bérangère – Vous voulez des détails ?

Marianne – C’est le résultat qui compte.

Jane – Maintenant, vous allez pouvoir retrouver votre fiancé. Tenez, je vous donne votre journée, si vous voulez…

Le portable de Bérangère sonne, et elle répond.

Bérangère – Allo ? Ah, c’est toi mon chéri… Quoi ? Mais non, pas du tout, je vais t’expliquer… Mais écoute-moi, je t’en prie… Il a raccroché…

Elle range son téléphone.

Jane – Qu’est-ce qui se passe encore ?

Bérangère – C’était Hubert, mon fiancé… Il a appris que j’avais passé le week end chez Charlie, et il vient de me plaquer. Je me demande bien comment il a pu savoir ça…

Jane – Bon, ben ce n’est plus la peine que je vous donne un jour de congé, alors… Allez, donnez-moi cette lettre.

Bérangère – Pas si vite. Pour l’instant je la garde. En attendant qu’on parle de ma promotion et de mon augmentation…

Jane – Je vous l’ai dit, nous saurons vous remercier de votre dévouement lorsque nous aurons le budget Apple. Maintenant, au boulot comme si de rien n’était. Je vais m’occuper de faire signer à Charlie le nouveau contrat que Marianne lui a préparé.

Charlie revient pour prendre un café. Mick, Marianne et Bérangère sortent.

Jane – Ah, Charlie, justement, je voulais vous voir…

Charlie – Vous n’allez pas me virer, au moins ? Je viens juste d’emménager dans mon nouvel appart.

Jane – Mais non, voyons, qu’est-ce qui peut bien vous faire penser ça ? C’est même tout le contraire ! Je voulais vous proposer que nous nous unissions par des liens plus étroits.

Charlie – C’est une demande en mariage ?

Jane – Presque… Regardez.

Elle lui montre le contrat sur la table. Il se penche pour le lire mais renverse malencontreusement son café dessus.

Jane – Quel abruti ! Je veux dire, ne vous inquiétez pas, ce n’est pas grave, je vais aller en chercher un autre exemplaire.

Jane sort. Marianne revient.

Charlie – Vous savez quoi ? La patronne vient de me proposer une promotion !

Marianne – Sans blague… Et vous avez dit oui ?

Charlie – Bien sûr.

Marianne – Très bien. Alors maintenant, il va falloir être à la hauteur.

Charlie – Pour ?

Marianne – Ce budget Apple que vous venez de remporter ! Ce n’est pas parce que le client tient absolument à travailler avec vous…

Charlie – C’est ma proposition qui a été retenue par Apple ?

Jane revient avec un nouvel exemplaire du contrat et jette à Marianne un regard assassin.

Charlie – Ah, d’accord… Je comprends maintenant pourquoi tout le monde est aussi gentil avec moi.

Jane – Je ne vous l’avais pas dit ? C’est parce que je pensais que Marianne l’avait déjà fait…

Elle fusille des yeux Marianne qui se rend compte de sa bourde.

Marianne – Ah, il n’avait pas encore signé son contrat…

Charlie – Ne vous inquiétez pas. Vous m’avez fait confiance, à un moment où la boîte n’allait pas très fort. Alors que vous auriez pu me licencier. Je saurai mériter cette confiance.

Jane – Oui, n’est-ce pas ? C’est vrai que nous n’avons jamais douté de vous…

Charlie – Vous comprendrez quand même que j’ai besoin d’examiner ça attentivement. Maintenant que je suis un créatif très demandé…

Jane – Mais bien sûr…

Charlie – Passez-moi ça, je vais le lire tranquillement.

Il prend le contrat et sort. Jane se tourne vers Marianne.

Jane – Bravo ! Maintenant, il va nous saigner à blanc…

Marianne – Si je n’avais pas mis le feu à l’immeuble de Bérangère, elle n’aurait peut-être jamais accepté de passer tout le week-end avec lui.

Jane – Vous avez mis le feu à son immeuble ?

Marianne – Elle aurait pu changer d’avis, et rentrer chez elle…

Bérangère arrive.

Bérangère – Mon immeuble a vraiment brûlé ?

Jane – Je vous expliquerai…

Marianne – Vous êtes assuré, non ?

Bérangère – Mais vous êtes une bande de dingues !

Jane – On reparle de tout ça quand Charlie aura signé son contrat, n’est-ce pas ?

Bérangère – Moi aussi, je vais vous saigner à blanc !

Jane – Ne nous énervons pas je vous en prie…

Bérangère – Et s’il apprenait quand même que vous aviez l’intention de le licencier pour faute…

Marianne – Je suis sûre que nous allons trouver un arrangement…

Bérangère tend un document à Jane.

Bérangère – Le voilà, mon arrangement. J’ai préparé mon nouveau contrat moi aussi. Vous avez juste à signer…

Jane jette un regard au contrat, soupire et signe.

Jane – Ils auront ma peau…

Charlie revient beaucoup plus sûr de lui aussi.

Charlie – Bon écoutez, globalement, ça me convient. Je vous fais confiance.

Jane – Génial.

Charlie – Juste un détail. Pour le salaire annuel, j’ai rajouté un zéro. Vu l’importance du budget Apple, ça devait être une erreur de la comptabilité, j’imagine. N’est-ce pas Marianne ?

Marianne – Bien sûr…

Charlie – Une petite signature et on n’en parle plus ?

Jane signe.

Jane – Et voilà.

Charlie prend le contrat. Mick arrive.

Mick – Tout se passe bien ?

Le portable de Jane sonne.

Jane – Oui… Non ? Oui, oui, bien sûr… Oh, mon Dieu… Ok, j’arrive tout de suite…

Elle range son portable.

Mick – Apple ?

Jane – Flora vient d’accoucher… Je passe chercher mon sac dans mon bureau et je file tout de suite à la clinique. Vous vous rendez compte, Mick ? Des sextuplés !

Elle s’en va précipitamment.

Marianne – Flora ? C’est qui, cette Flora.

Mick – Ah, je ne vous ai pas dit ? Comme Jane et moi, on ne pouvait pas avoir d’enfants ensemble, on a eu recours à une mère porteuse… Et puis entre nous, c’est beaucoup plus pratique. Et beaucoup moins cher qu’on ne l’imagine, finalement…

Il sort, suivi par Marianne dans un état second. Charlie reste en tête à tête avec Bérangère.

Bérangère – Tu t’en sors bien… Ils voulaient te virer…

Charlie – Je sais…

Bérangère – Mais alors pourquoi tu n’as rien dit ?

Charlie – Tu aurais passé le week end avec moi, sinon ?

Bérangère – Salaud ! Et tu savais aussi que tu avais remporté le budget Apple ?

Charlie – Je n’ai pas remporté le budget Apple.

Bérangère – Je ne comprends pas…

Charlie – C’est moi qui ai appelé Jane vendredi en me faisant passer pour le directeur de Apple en France.

Bérangère – Tu t’es bien foutu de ma gueule…

Charlie – Maintenant que j’ai un salaire annuel à six chiffres, je ne désespère pas de te garder. Et puis tu es célibataire, non…?

Bérangère – Ce n’est pas toi qui a prévenu Hubert au moins ?

Charlie (pas convainquant) – Moi ? Mais comment tu peux même penser une chose pareille ?

Bérangère – Tu t’es bien fait passer pour le successeur de Steve Jobs…

Charlie – Et puis songe que grâce à moi, tu as eu une augmentation, toi aussi.

Bérangère – Mais dès demain, ils vont s’apercevoir que tu les as baladés !

Charlie – Ils ont signé nos contrats, non ? Qui vivra verra…

Bérangère – La boîte était déjà en faillite, alors avec le montant astronomique de nos nouveaux salaires…

Charlie – La Grèce aussi est en faillite… Et le Parthénon est toujours là…

Bérangère – C’est l’Acropole, à Athènes.

Charlie la prend par les épaules.

Charlie – Je crois en nous Bérangère. La vie est un pari audacieux sur l’avenir. L’état aussi emprunte pour payer les intérêts de sa dette !

Bérangère – Mmm.

Charlie – D’ailleurs je pourrais aussi décider d’aller me faire embaucher dans une autre agence avant qu’on me vire. Maintenant que je suis le créatif le mieux payé de Paris, on va s’arracher mes services…

Charlie et Bérangère sortent. Jane et Mick reviennent, suivis de près par Marianne

Mick – On dîne ensemble ce soir pour fêter ça ? Vous m’avez promis…

Jane – D’accord… Bon, il faut que je file… (À Marianne) Si vous en voulez un, n’hésitez pas. On ne va quand même pas pouvoir les garder tous les six.

Marianne est anéantie.

Mick – Je crois qu’une introduction en bourse s’impose, maintenant, non ? Et il faudra aussi qu’on parle de mes stock options…

Le téléphone de Jane sonne.

Jane – Il était une fois dans l’web, j’écoute…

Marianne – Vous ne serez jamais le père de ces sextuplés, Mick…

Jane leur tourne le dos pour répondre à son appel.

Jane – Oui, c’est elle même.

Calmement, Marianne déplie un couteau.

Mick (sans se méfier) – Qu’est-ce que c’est ? Un couteau suisse ?

Marianne – Exactement. J’en ai toujours un sur moi.

Mick – Qu’est-ce que vous comptez faire avec ça ? Déboucher une bonne bouteille pour fêter ces heureux événements ?

Marianne – Vous allez voir…

Elle poignarde Mick, qui s’écroule.

Jane – La Société Générale, oui… Écoutez, soyez complètement rassurés au sujet de notre découvert bancaire. J’attendais d’être tout à fait sûre pour vous appeler, mais maintenant je peux vous le dire avec certitude : tous nos petits problèmes sont définitivement réglés…

Noir. Lumière. Tous les comédiens reviennent sur scène pour une petite chorégraphie sur

la musique de la chanson Start Me Up des Rolling Stone.

  

Scénariste pour la télévision et auteur de théâtre, Jean-Pierre Martinez a écrit une vingtaine de comédies régulièrement montées en France et à l’étranger :

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables sur

www.comediatheque.com

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Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Mai 2012

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-36-9

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