Deux personnages assis sur un banc.
Un – Vous avez lu le journal, ce matin ?
Deux – Non, qu’est-ce qui se passe ?
Un – Je ne sais pas. J’ai résilié mon abonnement.
Deux – D’habitude, il y en a toujours un qui traîne sur un banc.
Un – Ou dans une poubelle.
Deux – Même le journal de la veille.
Un – On n’est pas pressé.
Deux – On n’a pas besoin de nouvelles fraîches.
Un – On est à la retraite.
Deux – On veut juste savoir ce qui se passe.
Un – Il se passerait quelque chose, on ne serait pas au courant.
Deux – Heureusement qu’il y a la télé.
Un temps.
Un – Vous avez regardé la télé, hier soir ?
Deux – Mon antenne est tombée du toit avec la dernière tempête.
Un – Moi j’ai encore mon antenne. C’est ma télé qui est en panne.
Deux – Ils sont peut-être en grève.
Un – La télé ? Comment savoir, on ne peut plus la regarder.
Deux – Le journal ! Ils sont peut-être en grève.
Un – D’habitude, il y en avait toujours un qui traînait sur un banc.
Deux – C’est pour ça que j’ai résilié mon abonnement.
Un – Vous aussi ?
Deux – Mais si tout le monde a fait comme nous.
Un – C’est la mort de la presse.
Deux – Plus de journaux abandonnés sur les bancs.
Un – On ne va plus du tout savoir ce qui se passe.
Deux – Au Moyen Age, il n’y avait pas de journaux.
Un – Et les gens ne s’en portaient pas plus mal.
Deux – Ils ne savaient pas lire.
Un – Et puis allez savoir si c’est vrai, tout ce qu’on raconte dans les journaux.
Deux – Des fois ils exagèrent un peu, c’est sûr.
Un – Quand ils parlent de l’Amérique, par exemple.
Deux – L’Amérique ?
Un – Vous y êtes déjà allé, vous, en Amérique ?
Deux – Non.
Un – Alors comment on peut être sûr que ça existe vraiment, l’Amérique ?
Ils méditent un instant cette pensée.
Deux – Et si Christophe Colomb n’avait rien trouvé du tout ?
Un – Et si Christophe Colomb n’avait jamais existé ?
Deux – Et si il n’y avait rien du tout de l’autre côté de la mer ?
Un – Et s’il n’y avait pas de mer ? (L’autre le regarde un peu étonné quand même)Vous avez déjà vu la mer, vous ?
Deux – Ah, oui, quand même. Enfin à la télé. Quand j’avais encore l’antenne.
Un – Admettons. Mais comment savoir ce qu’il y a de l’autre côté des mers ?
Deux – Et si la terre était vraiment plate ?
Un – Comment savoir ce qui se passe vraiment dans le monde ?
Deux – Ou même en France.
Un – Ou même au-delà du périphérique.
Deux – Ou même dans ce parc.
Un – Ou même ici.
L’autre le regarde, un peu interloqué.
Deux – Ici, on le saurait, non ?
Un – Justement. On n’a pas besoin de lire le journal pour ça.
Deux – Et ce qui se passe ailleurs, entre nous…
Un – Comment le savoir vraiment ?
Deux – Comment en être sûr ?
Un – Pas en lisant le journal, en tout cas.
Un temps. Le regard du deuxième est attiré par quelque chose à ses pieds. Il ramasse une feuille de journal chiffonnée en boule, et la déplie.
Un – Qu’est-ce que c’est ?
Deux – Une page de journal.
Un – Quelle rubrique ?
Deux – Les faits divers.
Un – Et alors ?
L’autre lui lance un regard stupéfait.
Deux – On parle de nous.
Un – Ça ne veut pas dire qu’on existe vraiment.
L’autre revient à sa page de journal.
Deux – Ils disent qu’on est mort.
Un – Morts ?
Deux – Moi en tombant du toit en essayant de réparer mon antenne, vous électrocuté en bricolant votre télé.
Un – Mort…
Deux – C’est dans le journal.
Un – En même temps…
Deux – Comment savoir si c’est vrai ?
Noir.