Bonjour ! Je suis le remplaçant. Alors je me présente, parce que je ne suis pas sûr que tout le monde me connaisse. (Il inscrit son nom sur un tableau noir). Je suis Dieu. Non, mais restez assis, hein. Ne vous dérangez pas. Je sais, au début, c’est un peu impressionnant, mais vous verrez, on se fait très vite à ma présence. Bientôt vous ne me verrez même plus et vous ferez comme si je n’existais pas. Comme avec mon prédécesseur. Alors évidemment, vous vous demandez comment on devient Dieu, c’est normal. Vous vous dites, ok, il s’est échappé de l’asile, avec son copain qui se prend pour Napoléon. Non, mais moi, je ne me prends pas pour Jésus-Christ, hein ? Tout le monde sait qu’il est mort il y a 2000 ans, Jésus-Christ. Et puis Jésus, je n’avais pas le physique. Ça n’aurait pas été crédible. Ça n’aurait pas été vrai, surtout ! Mais Dieu… Il ne ressemble à rien. Il est partout, mais on ne le voit nulle part. Quand on s’adresse à lui, il ne répond pas. Et entre nous, il y a bien longtemps qu’il ne fait plus grand chose de très significatif, hein ? Il n’y a qu’à voir comment l’Église galère pour faire homologuer un miracle ou deux à titre posthume… Et encore, rien qui casse la baraque. Genre, j’avais perdu les clefs de mon 4×4, et après avoir vu le pape à la télé, elles ont miraculeusement réapparu dans la doublure de ma veste… Ou alors, j’avais un cancer du colon, et après 23 chimios, une ablation totale de l’intestin, et un voyage à Lourdes, je m’en suis miraculeusement sorti avec une sonde dans l’estomac et un anus artificiel. On est loin de la Mer Rouge qui s’ouvre en deux ou du ski nautique sur le Lac de Tibériade, pieds nus et sans hors bord. Ça, entre nous, ça avait quand même de la gueule. On comprend qu’à l’époque, ça ait pu susciter des vocations. Ok, Dieu a créé le monde. Le Big Bang, Adam et Eve, les dinosaures, tout ça en une petite semaine. C’est vrai qu’au début, il a fait fort. Mais depuis…? Maintenant, Dieu, c’est plutôt un titre honorifique. Tout puissant, tu parles… Il a à peu près autant de pouvoir que la Reine d’Angleterre, oui. Alors je me suis dit, Bernard, il y a une place à prendre. Oui, je ne devrais pas vous le dire, mais avant d’être Dieu, je m’appelais Bernard… Ok, c’est un job bénévole, mais bon… Le pape non plus, il ne fait pas ça pour le pognon. Non, mais pour faire pape, il faut quand même faire des études. Il faut faire acte de candidature, il y a des élections… Pour être Dieu, tu ne t’emmerdes pas avec tout ça… Bon, commencer à être Dieu, c’est comme arrêter de fumer. Au début, ce n’est pas évident… Après il faut s’y tenir, c’est tout… C’est une question de volonté, quoi. Il suffit d’y croire. Si on ne croit pas en soi-même… Alors je sais bien pourquoi vous êtes venus, hein. Pas pour la petite quête à la fin. Ce que vous attendez en vous tournant vers moi, c’est que je vous apporte la bonne parole. Par exemple que je vous souffle dans le tuyau de l’oreille la combinaison gagnante du prochain loto sportif, si possible avec le numéro complémentaire. Non, mais ça ne marche pas comme ça. Ce n’est pas pour me faire prier, mais bon… Si il suffisait de demander, ça se saurait. Non, je ne ferai pas plus que celui que je remplace, mais je vous promets d’être sur le coup. Vous ne me verrez pas non plus, mais je serai toujours là à vos côtés, comme lui. Alors vous me faites signe un peu avant. Un enfant malade, un plan social en perspective, un décès dans la famille… Vous me passez un petit coup de fil, et j’arrive. De jour comme de nuit. Par tous les temps. Je vous laisserai mon numéro de portable à l’accueil. Il faut payer la communication, mais bon… Si vous avez un forfait. Si ça ne répond pas, vous laissez un message sur ma boîte vocale… (Regardant sa montre) Ouh, la… Ce n’est pas que je m’ennuie, mais on m’attend ailleurs. Je peux être partout, ok, mais pas en même temps, quand même. Allez, je vous assure. Au bout d’une semaine ou deux, vous ne verrez pas la différence avec l’autre.