Deux personnages arrivent et se mettent à fumer.
Fred – Ça va ?
Al – Ouais… Enfin non.
Fred – Qu’est-ce qui se passe ? Des problèmes personnels ?
Al – Eh bien non, justement. Je n’ai aucun problème personnel. D’ailleurs, je n’ai aucune vie personnelle.
Fred – Alors qu’est-ce qui ne va pas ?
Al – Je ne sais pas… Une sensation de vide… Le sentiment de ne pas être à ma place… J’ai l’impression que pendant que je suis ici, ma vie se déroule ailleurs. Sans moi. Tu as déjà ressenti ça ?
Fred – C’est un petit coup de déprime. Tu devrais peut-être voir un médecin. Il te donnera quelque chose. Faut pas rester comme ça, tu sais. Faut pas rigoler avec ça.
Al – Pour ça, je peux te rassurer tout de suite. Je ne rigole plus depuis très longtemps. C’est simple, je ne me souviens même pas quand j’ai rigolé pour la dernière fois.
Fred – Alors qu’est-ce que tu compte faire ? Tu ne vas pas faire une bêtise au moins. Je veux dire, comme de démissionner ?
Al – Je ne sais pas… C’est curieux, la vie. Au début, on se dit qu’on a des problèmes, mais qu’on va tous les régler un par un, et qu’après on sera tranquille. Et puis après, on se rend compte que quand on a réglé ces problèmes, il y en a d’autres qui se présentent. Et qu’il y aura toujours d’autres problèmes à régler. Le temps passe et à partir d’un certain âge, on commence à se dire que tous ces problèmes, un jour, ce ne sera plus les nôtres. Parce qu’on ne sera plus là, tout simplement. Je crois que j’ai atteint cet âge-là. Ça n’apporte pas la sérénité, mais ça permet une certaine distance. Tu savais que Chéreau est mort ?
Fred – Ne me dis pas que c’est ça qui te met dans cet état-là… Tu le connaissais personnellement ?
Al – Non…
Fred – Je ne savais pas que tu t’intéressais au théâtre.
Al – Je n’y vais jamais.
Ils s’en vont. Deux autres arrivent.
Mok – Tu as entendu ça ? Patrick Chéreau est mort.
Zac – Patrice.
Mok – Quoi ?
Zac – Patrice Chéreau.
Mok – Cancer du poumon. Le tabac, c’est vraiment une saloperie. Gainsbourg, c’est pareil. S’il n’avait pas fumé autant, et qu’il avait fait un peu plus de sport, il serait peut-être encore vivant.
Zac – Et si Hendrix avait plutôt joué du violon dans un orchestre philarmonique, il serait sûrement toujours parmi nous aujourd’hui.
Moc – Je me demande bien ce qu’il ferait, tiens.
Zac – Il jouerait au scrabble dans sa maison de retraite médicalisée avec Jim Morrison, James Dean et Janis Joplin.
Mok – Tu as raison, ce serait bizarre… Tu crois que ça ne vaut pas le coup d’arrêter de fumer ?
Zac – Mais tous ces gens dont on parle, ils avaient déjà atteint le sommet de leur art. Nous on cherche encore dans quoi on pourrait bien être bon à quelque chose.
Mok – Je crois que si on était des génies, ça se saurait déjà.
Zac – Cervantès a écrit Don Quichotte à plus de cinquante ans. On a encore de l’espoir.
Mok – Alors il faut être un génie pour avoir le droit de se ruiner la santé, c’est ça ?
Zac – Qu’est-ce que tu veux ? On est de la race des baisés. C’est comme ça.
Ils sortent.