Deux collégiennes (pouvant être jouées par des adultes habillés comme des ados) arrivent l’une après l’autre, sortant visiblement du collège.
Un – Vous avez eu les bulletins ?
Deux – Oui.
Un – T’as combien de moyenne ?
Deux – Dix-sept.
Un – Ah, ouais…
Deux – Et toi ?
Un – Huit et demi.
Deux – Ah ouais… C’est exactement la moitié.
Un – La moitié de quoi ?
Deux – Huit et demi. La moitié de dix-sept.
Un – Tu crois ?
L’autre la regarde étonnée et renonce à répondre. Silence.
Un – Qu’est-ce que tu veux faire, toi, quand tu seras grande ?
Deux – Je ne sais pas… (Un temps) J’hésite entre kinésithérapeute et péripatéticienne.
Un – Ah, ouais, c’est cool… (Silence) C’est quoi, exactement, kinésithérapeute ?
Deux – Ben… Un type qui a une crampe, par exemple. Il appelle la kinésithérapeute, elle lui fait un massage…
Un – Pour retirer sa crampe…?
Deux – Ouais…
Un – Ah, ok… (Un temps) C’est une masseuse, quoi…
Deux – Ouais… Mais maintenant, ça s’appelle une kinésithérapeute.
Un – C’est cool…
Deux – Ça vient du grec : « kinésie », le mouvement, et « thérapeute », qui soigne. Parce qu’il faut faire des études, quand même, pour être kinésithérapeute.
Un – Des études de grec ?
Deux – De latin, plutôt. Pour savoir ce que c’est que le radius, le cubitus, le strato-nimbus, le romulus et rémus…
Un – Ah ouais, c’est cool… (Un temps) Et ça gagne bien kinésithérapeute ?
Deux – Nan… C’est ça le problème… C’est pour ça que j’hésite avec péripatéticienne…
Un – Mmm… (Un temps) Péripatéticienne, c’est un peu comme esthéticienne, non ?
Deux – C’est ça… C’est une esthéticienne, mais qui pratique sous le périphérique. C’est pour ça qu’on appelle ça une péripatéticienne.
Un – Ah, ok… (Un temps) Et ça gagne bien ?
Deux – Ma grande sœur, elle est péripatéticienne, et ma mère dit qu’elle gagne dix fois plus qu’elle.
Un – Qu’est-ce qu’elle fait, ta mère ?
Deux – Rien.
Un – Rien ?
Deux – ANPE.
Un – Ah, ouais… Ça craint…
Deux – ASSEDIC.
Un – Et ta sœur, ça lui plaît, comme métier, péripatéticienne ?
Deux – Je ne sais pas. Mon beau-père l’a foutue dehors juste après le brevet.
Un – Ah, ouais… C’est pas cool…
Deux – Non, ça craint.
Un – Et ton beau-père, qu’est-ce qu’il fait ?
Deux – Rien…
Un – ASSEDIC ?
Deux – Décédé.
Un – Ah, ouais, quand même… Mais décédé, euh ? (Devant le silence de son interlocutrice) Ouah…
Deux – Et toi, qu’est-ce que tu veux faire quand t’auras ton bac ? Si tu l’as un jour…
Un – J’hésite…
Deux – Entre quoi et quoi ?
Un – Je ne sais pas.
Deux – Qu’est-ce qu’ils font tes vieux ?
Un – Mon père est prof de grec.
Deux – Et ta mère ?
Un – Prof de grec.
Deux – Génial…
Un – Ils veulent que je sois prof de latin.
Deux – De latin ?
Un – Ils disent que prof de grec, j’aurai jamais le niveau.
Deux – Cool…
Un – Il n’y a pas de chômage. C’est la fonction publique.
Deux – Et ça gagne bien, prof de grec ?
Un – Je ne sais pas…
Deux – Plus que péripatéticienne ?
Un – Peut-être un peu moins, quand même.
Deux – Et il faut faire des études…
Un – Il y a un concours… Il n’y a pas de concours pour être péripatéticien ?
Deux – Ma sœur, elle a commencé avec le brevet.
Un – Ah, ouais… C’est cool ça…
Elles restent un moment silencieuses.
Un – Oh, putain…
Deux – Quoi ?
Un – Huit et demi… Mes parents vont me tuer, c’est clair…
Deux – T’as qu’à leur dire ça.
Un – Quoi ?
Deux – À tes vieux. En rentrant, tu leur dis que tu veux être péripatéticienne. Comme ça ils te foutront la paix.
Un – Tu crois ?
Deux – Ben ouais…
Un – Ah, ouais…
Deux – Il faut juste le brevet.
Un – Ouais, c’est pas con… (Elle regarde sa montre) Bon, il faut que j’y aille, sinon ils vont vraiment me tuer…
Deux – Ok. Tu me raconteras.
Un – Quoi ?
Deux – Tes vieux. Pour ton projet professionnel. Qu’est-ce qu’ils en pensent…
Un – Ah, ok… C’est cool… Merci du tuyau, en tout cas…
Elle s’éloigne. L’autre soupire.
Deux – Alors elle, elle est vraiment trop con.
Noir