Ève est là, désoeuvrée. Alban arrive, pas très à l’aise.
Alban – Salut… Tu habites dans le coin ?
Ève – On peut dire ça… Et toi ?
Alban – Je passais par là.
Silence.
Ève – Et… tu comptes prendre racine… dans le coin ?
Alban – Ça dépend.
Ève – Ça dépend de quoi ?
Alban – Je ne sais pas… Ici ou ailleurs.
Ève – Tu fais ce que tu veux. On est en république.
Alban – Qu’est-ce qui pourrait me donner envie de rester ? Dans le coin…
Ève (montrant son front) – Il n’y a pas marqué office de tourisme, là, si ?
Alban – Non.
Ève – Bon. Alors ?
Alban – Alors quoi ?
Ève – Tu pars, tu restes, mais il va falloir décider. Parce que là, tu commences à être un peu…
Alban – Ok, je reste… Pour l’instant…
Ève – Bien, alors qu’est-ce qu’on fait ?
Alban – Qu’est-ce qu’on fait ?
Ève – Tu ne vas pas rester planté là à me regarder, si ?
Alban – Ok, ok… Alors… Je ne sais pas, moi… On pourrait discuter…
Ève – Je t’écoute.
Alban – Tu fumes ?
Ève – Pourquoi ? Tu as une préférence pour les non-fumeuses ? C’est un entretien d’embauche ?
Alban – Pas du tout ! Au contraire. Je voulais seulement… savoir si tu avais une cigarette.
Ève – On vient à peine de se rencontrer, et tu veux déjà me taxer une cigarette.
Alban – Absolument pas ! D’ailleurs, je ne fume pas.
Ève – Moi non plus. Ça nous fait déjà ça en commun.
Silence.
Alban – Tu… Tu as un numéro ?
Ève – Un numéro ? Pourquoi ? Tu diriges un cirque ? Tu veux me faire passer une audition ?
Alban – Un cirque ? Ah oui, un… Un numéro de cirque.
Ève – Je me disais bien aussi que tu avais un petit côté nomade.
Alban – Nomade ?
Ève – Les gens du voyage, tu vois.
Alban – Non, mais je ne pensais pas à un numéro de cirque. Je pensais plutôt… à un numéro de téléphone.
Ève – D’accord…
Alban – Alors ?
Ève – J’ai un numéro, mais je n’ai pas de téléphone.
Alban – À quoi ça sert d’avoir un numéro, si tu n’as pas de téléphone.
Ève – Tu es un petit malin, toi… Ou alors tu es vraiment con, j’hésite encore. Je l’ai perdu, mon téléphone. Voilà pourquoi j’ai un numéro, et pas de téléphone. Mais toi, tu n’as qu’à me le laisser, ton numéro…
Alban – Mon numéro ? C’est-à-dire que…
Ève – Ne me dis pas que toi, tu as un téléphone, mais pas de numéro.
Alban – Non, mais…
Ève – D’accord… Tu n’as pas de téléphone, mais tu me demandes quand même mon numéro. Et tu comptais m’appeler comment ? D’une cabine téléphonique ?
Alban – Je ne sais pas… Je… Si, j’ai un téléphone, mais…
Ève – Tu veux un conseil ?
Alban – Non… Enfin si, oui…
Ève – Tu devrais te méfier. L’impro, ce n’est pas ton truc…
Alban – D’accord. Je…
Ève – Prépare un peu ton texte, la prochaine fois.
Alban – C’est ça…
Ève – Un canevas, au moins… Et puis tu brodes autour. Mais là, franchement. Tu ne peux pas te lancer comme ça, sans filet. Tu n’as pas le niveau…
Alban – D’accord… Un… Un canevas… Je vais y penser…
Ève – Et pourquoi tu voulais me téléphoner, au fait ?
Alban – Te téléphoner…? Je ne sais pas… Je…
Ève – Non, parce que comme on est tous les deux là, si tu as quelque chose à me dire… ce n’est pas être pas la peine de me téléphoner.
Alban – Non, bien sûr, mais…
Ève – Tu veux un autre conseil ?
Alban – Je ne sais pas… Oui…
Ève – Avec ou sans téléphone, essaie de conclure avant d’avoir bouffé tout ton crédit.
Alban – Mon crédit…?
Ève – Ça fait cinq minutes qu’on discute, et tu n’as encore rien dit. Non mais franchement, tu fais pitié, là !
Alban – D’accord…
Ève – Tu sais quoi ? (Elle sort un crayon et griffonne quelque chose sur un papier qu’elle lui tend) Le voilà mon numéro. Quand j’aurai retrouvé mon téléphone, et que tu auras trouvé une cabine, tu m’appelles, et on en parle, ok ?
Elle s’en va. Il la regarde partir, puis jette un coup d’?il au papier. Il semble hésiter, puis s’adresse à quelqu’un dans la salle.
Alban – Vous habitez dans le coin ? Vous ne savez pas où il y a une cabine téléphonique ? Je peux vous emprunter votre téléphone, deux minutes ? (Il prend le téléphone qu’on voudra bien lui donner et fait mine de composer le numéro qui est inscrit sur le papier.) Merci… (Ça sonne dans sa propre poche, et après un instant de surprise, il sort un autre téléphone et répond.) Allô ? Allô ? (Il reste un instant ahuri.) Je crois que je suis en train de me parler à moi-même… (Il rend son téléphone à la spectatrice, et s’adresse à elle.) C’est bien son numéro… Mais c’est moi qui ai son téléphone… (Un temps.) Je n’ai pas pensé à lui dire que je venais d’en trouver un, de téléphone… et que c’était peut-être celui qu’elle avait perdu… Et elle est déjà repartie… (Il reste un instant perplexe.) Je crois qu’elle a raison, je manque un peu de repartie… Repartie… ou répartie…?
Noir.