Le jardin peut avoir rapetissé. Ève est assise. Alban tourne un peu en rond.
Alban – Il n’est pas très grand, ce jardin, non ?
Ève – Il est bien assez grand pour nous deux.
Alban – Il n’était pas un peu plus grand, avant ?
Ève – Avant ?
Alban – Ou alors, c’est nous qui avons grandi.
Ève – Je ne sais pas.
Alban – Parfois, j’aimerais bien avoir un peu plus de place.
Ève – Pour quoi faire ?
Alban – Pour pouvoir étendre les jambes, déjà.
Ève – D’accord…
Alban – Et puis je ne sais pas moi… Qu’il reste quelque chose à explorer. Qu’il y ait encore des choses à découvrir…
Ève – Tu peux toujours découvrir… les détails.
Alban – Les détails ?
Ève – Les petites choses.
Alban – Mouais.
Ève – Ce qu’on ne voit pas tout de suite à l’?il nu.
Alban – Qu’est-ce qu’on ne voit pas à l’?il nu ?
Ève – Tiens, un trèfle à quatre feuilles, par exemple.
Alban – Ça existe, un trèfle à quatre feuilles ?
Ève – Je ne sais pas. Sûrement.
Alban – Parfois je me demande si la vie vaut la peine d’être vécue.
Ève – Tu pourrais chercher un trèfle à quatre feuilles.
Alban – Mais pour quoi faire, bordel ?
Ève – Pour me l’offrir, par exemple.
Alban – Mouais.
Ève – Ça nous porterait chance.
Alban – Tu crois ?
Ève – En tout cas, ça t’occuperait.
Alban – Je ne sais pas.
Silence.
Ève – En même temps, je me demande si ce n’est pas toi qui as raison…
Alban – Sur quoi ?
Ève – Ben… On s’emmerde, non ?
Alban – Oui, c’est bien ce que je disais.
Ève – C’est vrai que ce jardin, on le connaît par c?ur…
Alban – C’est sûrement pour ça qu’il nous paraît de plus en plus petit.
Ève – Si encore on pouvait partir en vacances, de temps en temps.
Alban – En vacances ? Où ça ?
Ève – Ailleurs…
Alban – Mais ailleurs, c’est…
Ève – Oui… On est entourés d’eau et on ne sait pas nager.
Un temps.
Alban – On n’était pas plus nombreux que ça, avant ?
Ève – Avant quoi ?
Alban – Je ne sais pas.
Ève – Plus nombreux ? Tu veux dire trois ?
Alban – Trois, quatre… Plusieurs, quoi.
Ève – Plusieurs toi, et plusieurs moi ? Je ne sais pas.
Alban – J’ai l’impression qu’il y avait plus de monde.
Ève – Où ça ?
Alban – Autour de nous !
Ève – Oui, peut-être.
Alban – Mais alors où ils sont passés ?
Ève – Plus de monde, tu es sûr ?
Alban – Je me demandais juste si…
Ève – Quoi ?
Alban – Est-ce qu’on est les premiers… ou les derniers ?
Ève – En tout cas, pour l’instant, on n’est que deux…
Un temps.
Alban – J’ai même l’impression qu’au début, j’étais tout seul.
Ève – Au début…
Alban – Je crois que toi, tu n’es arrivée qu’après.
Ève – Ah ouais ?
Alban – Ouais.
Ève – Donc, le premier, c’était toi.
Alban – Ouais.
Ève – Alors tu seras peut-être aussi le premier à partir.
Alban – Où ?
Ève – Je ne sais pas. Où j’étais avant d’arriver ici ?
Alban – Ça…
Ève – De l’autre côté de la mer, peut-être.
Alban – Ou au fond.
Ève – Je ne sais pas si c’est profond.
Alban – Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut pas marcher sur l’eau.
Ève – Quand on a essayé, on a failli se noyer.
Un temps.
Alban – C’est curieux, tout de même.
Ève – Quoi ?
Alban – Je n’ai jamais connu quelqu’un d’autre que toi ?
Ève – Connu, tu veux dire…
Alban – Connu, quoi !
Ève – Tu voudrais connaître quelqu’un d’autre que moi ?
Alban – Non, pas spécialement, mais… Savoir que c’est possible. Toi, tu n’aimerais pas connaître quelqu’un d’autre ?
Ève – Je n’y ai jamais réfléchi. Oui, peut-être.
Alban – Savoir qu’on a le choix.
Ève – Ne pas se limiter au premier choix… Préférer le deuxième choix, alors ?
Alban – Là, on ne s’est pas choisis. Puisqu’on n’est que deux.
Ève – Oui, évidemment.
Alban – Comment savoir si on est vraiment faits l’un pour l’autre…
Ève – On n’est que deux, on est forcément faits l’un pour l’autre.
Alban – Oui, c’est sûr…
Un temps.
Ève – À plusieurs, dans ce petit jardin…?
Alban – C’est vrai qu’on aurait du mal à tenir à trois.
Ève – On est déjà tellement à l’étroit.
Alban – À trois… Je crois que je commence à délirer.
Ève – Allez, va me chercher un trèfle à quatre feuilles, plutôt…
Noir