Un terrasse. Deux personnages, hommes ou femmes, arrivent. Ils allument une cigarette, éventuellement électronique. Silence un peu embarrassé.
Claude – Tu le connaissais ?
Dominique – Oui, enfin… Comme ça… Je l’apercevais de temps en temps ici pendant sa pause cigarette… Et toi ?
Claude – Il travaillait dans le bureau juste à côté du mien.
Dominique – Hun, hun…
Claude – Si on avait pu se douter…
Dominique – Se douter de quoi ?
Claude – Ben de ce qui allait lui arriver !
Dominique – Mmm… Et qu’est-ce qu’on aurait fait ?
Claude – Je ne sais pas moi… On aurait pu essayer de faire quelque chose…
Dominique – Ah oui… Et quoi, par exemple ?
Claude – Tu as raison, on n’aurait rien pu faire.
Dominique – Voilà.
Claude – C’est le destin.
Dominique – Comme ça on n’a rien à se reprocher.
Un temps. Ils fument.
Claude – Sa femme a décidé de le faire incinérer. C’est ce qu’il voulait, il paraît.
Dominique – Oui, c’est sûr…
Claude – Pourquoi ? Il t’en avait parlé ?
Dominique – Il s’est immolé par le feu… On peut en déduire qu’il avait une certaine préférence pour la crémation.
Claude – Mmm…
Dominique – Et puis comme ça, pour l’incinération, le plus gros est déjà fait.
Claude – Ouais, enfin… Il ne s’est pas vraiment immolé par feu. C’était un accident.
Dominique – Un accident… Tu avoueras qu’à ce niveau de maladresse, on peut quand même parler d’un acte manqué, non ?
Claude – C’est vrai que d’allumer une cigarette alors qu’on est en train de remplir le réservoir de sa voiture avec un jerricane d’essence… C’est suicidaire.
Dominique – Surtout quand ça se passe sur la bande d’arrêt d’urgence d’une autoroute. (Un temps). C’est avant ou après que ce camion l’a percuté ?
Claude – Avant quoi ?
Dominique – Avant qu’il s’embrase comme une torche !
Claude – Après, je crois. Il s’est mis à courir comme s’il voulait traverser l’autoroute. Le type du camion a essayé de l’éviter, mais il n’a pas pu.
Dominique – Encore heureux que le camion n’ait pas pris feu lui aussi.
Claude – C’était un camion de pompiers. On peut dire qu’il a eu de la chance dans son malheur. Il a pu recevoir tout de suite les premiers secours.
Dominique – Malheureusement, il était déjà trop tard.
Claude – Quelle idée de traverser comme ça, sans regarder. Comme un fou.
Dominique – En même temps, il était déjà en flammes.
Claude – Va savoir ce qu’il allait chercher de l’autre côté de l’autoroute.
Dominique – Ça… On ne le saura jamais…
Claude – Mmm… Il emportera son secret dans sa tombe… Ou plutôt dans son urne…
Dominique – C’est sûrement pour ça qu’on parle du secret des urnes.
Claude – Tu crois ?
Dominique – Non, je blague…
Claude – C’est bien ce qu’il me semblait…
Dominique – Mais tu avais raison tout à l’heure. Si on avait pu se douter, on aurait quand même pu faire quelque chose.
Claude – Quoi ?
Dominique – On aurait pu essayer de le convaincre d’arrêter de fumer.
Claude – La cigarette… Ça devrait être interdit ! Tu sais combien de gens meurent chaque année à cause du tabac ?
Dominique – Bon, il n’est pas directement mort à cause des effets délétères du tabac sur la santé…
Claude – S’il n’avait pas craqué une allumette sur son jerricane après être tombé en panne sèche sur l’autoroute en allant chercher sa belle-mère, aujourd’hui, il serait en train de fumer une cigarette avec nous.
Dominique – C’est le destin, je te dis. Bon allez, on y retourne ?
Ils s’apprêtent à partir.
Claude – Il paraît qu’on a trouvé un chat noir sur le terre-plein central de l’autoroute. Je me demande si ce n’est pas ça qui lui a porté la poisse.
Dominique – Et le chat, il s’en est sorti ?
Claude – Le chat ? Ça on ne sait pas s’il est mort ou vivant.
Dominique – C’était peut-être pour sauver le chat qu’il a essayé de traverser les voies…
Ils sortent.