Une terrasse. Deux chaises longues. Marie arrive, en peignoir blanc, des lunettes noires sur le nez. Elle va jusqu’au bord de la scène, respire à pleins poumons et contemple l’horizon. Pierre arrive à son tour, en s’appuyant sur des béquilles.
Marie (sans se retourner) – On respire, non ? Vous sentez cet air iodé ?
Pierre – Ma foi non… Mais j’ai le nez un peu bouché, ce matin…
Il s’assied avec difficulté sur une chaise longue, et pose ses béquilles à côté de lui.
Marie – Et ces mouettes… Vous entendez ça ? Quel dépaysement !
Pierre sort une boîte métallique de sa poche, l’ouvre et la tend vers Marie.
Pierre – Vous voulez une pastille ? Ça dégage les bronches…
Mais Marie ne prête pas attention à cette proposition.
Marie – C’est vraiment le paradis… Je me sens revivre ! Pas vous ?
Il prend une pastille dans la boîte et la met dans sa bouche.
Pierre – Moi, ça me donnerait plutôt envie de vomir…
Il range la boîte.
Marie (exaltée) – Une nouvelle journée qui commence… Et elle s’annonce glorieuse…
Pierre – Vous êtes sûre que ça va ?
La mine de Marie change du tout au tout.
Marie – Je suis complètement déprimée…
Pierre – J’ai d’autres sortes de pastilles, si vous voulez.
Marie – Mon mari devait partir avec moi, mais finalement il est resté sur le quai.
Pierre – Je suis vraiment désolé. Alors vous êtes provisoirement célibataire…
Marie – Plutôt définitivement veuve.
Pierre – Je vois…
Marie – Sauf que lui, il est toujours vivant… (Un temps). Et vous, qu’est-ce qui vous est arrivé ?
Pierre – Je suis en vacances, comme vous.
Marie – Je parlais de vos béquilles…
Pierre – Ah ça… Je sais que j’en ai besoin pour marcher, mais je ne sais plus pourquoi…
Marie se tourne à nouveau vers la mer.
Marie – La mer est tellement bleue… Une vraie carte postale… Je me demande si je ne vais pas aller piquer une tête…
Elle retire son peignoir, dévoilant son maillot de bain.
Pierre – N’allez pas vous noyer… Ce serait dommage… Et puis elle ne doit pas être bien chaude.
Marie – Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
Pierre – On est hors saison.
Marie – Ah oui…
Elle remet son peignoir.
Pierre – Vous voulez faire un scrabble ?
Marie – Merci… Je ne suis pas encore désespérée à ce point…
Pierre – Vous l’aimiez tant que ça ?
Marie – C’était mon mari…
Pierre – Vous l’oublierez…
Marie – Je ne me souviens déjà plus très bien comment nous nous sommes quittés…
Pierre – Les adieux, c’est ce qui s’efface en premier quand on rembobine.
Marie – Vous faites du cinéma ?
Pierre – Si j’en ai fait, je ne m’en souviens plus… Et vous ?
Marie – Je suis un peu comédienne.
Pierre – Vous verrez, ce petit hors jeu vous fera le plus grand bien.
Marie – Je me sens déjà rajeunir… Allez, c’est décidé, je vais piquer une tête !
Pierre – Dans l’océan ?
Marie – Dans la piscine !
Marie s’en va, découvrant l’inscription au dos de son peignoir : Titanic. Pierre se lève sans ses béquilles, s’approche du bord de scène et écarte les bras en regardant au loin.
Pierre – Je suis le roi du monde !
Noir.