Alban et Ève sont toujours là.
Alban – C’est dingue. Tout pousse dans ce jardin.
Ève – On n’a même pas besoin de semer des graines.
Alban – Ni d’arroser.
Ève – Et la récolte est miraculeuse.
Ève – On n’a qu’à tendre le bras pour cueillir les fruits.
Alban – Et se baisser pour ramasser les légumes.
Ève – Et tout est absolument bio.
Alban – Oui… Ça veut dire quoi, au fait ?
Ève – Quoi ?
Alban – Bio.
Ève – Aucune idée.
Alban – Qu’est-ce que ça pourrait être, des fruits et des légumes qui ne soient pas bio ?
Ève – Je ne sais pas.
Alban – En tout, c’est bio, et c’est bion.
Ève – Tu veux dire c’est beau et c’est bon…
Alban – Ce n’est pas ce que j’ai dit ?
Un temps.
Ève – Parfois, j’en ai un peu marre de bouffer des légumes, pas toi ?
Alban – Si. Mais qu’est-ce qu’on pourrait bouffer d’autre ?
Ève – Qu’est-ce qui se mange, ici, à part les primeurs ?
Alban – On ne va pas bouffer de la terre…
Ève – On ne va pas bouffer de l’air.
Alban – On ne va pas boire l’eau de mer.
Ève – Et on ne va pas se bouffer entre nous.
Alban – Ben non…
Un temps.
Ève – On pourrait bouffer les animaux.
Alban – Les animaux ?
Ève – Non, mais je déconne.
Silence.
Alban – Remarque, c’est peut-être bon.
Ève – Tu crois ?
Alban – Ce n’est pas très appétissant
Ève – Mais c’est vrai que ça changerait un peu.
Alban – Comment on peut savoir que ce n’est pas bon…
Ève – On n’a jamais essayé.
Alban – Et… on les mangerait vivants ?
Ève – Qu’est-ce que ça veut dire, vivants ?
Alban – Comme les fruits.
Ève – Tu veux dire crus.
Alban – C’est ça. Nature, quoi. En salade.
Ève – Tu crois qu’ils se laisseraient bouffer tout cru ?
Alban – Tu as raison, il vaudrait peut-être mieux les tuer avant.
Ève – Les tuer ?
Silence embarrassé.
Alban – Tu as déjà tué quelqu’un, toi ?
Ève – Tu veux dire, un animal ?
Alban – Ben oui. Pas un homme. Comme on n’est que deux, si tu avais déjà tué quelqu’un, je ne serais plus là pour poser la question.
Ève – Non… Enfin, pas intentionnellement…
Alban – Si on ne le fait pas exprès, c’est moins grave, non ?
Ève – Oui, c’est… un homicide involontaire.
Alban – Si on tuait un animal. Sans le faire exprès. On pourrait le bouffer après. Pour voir quel goût ça a.
Ève – Oui… Si on ne le fait pas exprès…
Un temps.
Alban – Ça commence à me faire peur, cette conversation…
Ève – Moi aussi…
Alban – Et puis les animaux, c’est comme nous, il n’y en a qu’un couple de chaque espèce.
Ève – On en bouffe un chacun et aussitôt, c’est l’extinction de la race.
Alban – Je vais reprendre un peu de salade, plutôt.
Ils mâchouillent chacun une feuille de salade sans appétit.
Ève – Tu veux une pomme, pour ton dessert ?
Alban – Allez…
Ils mangent une pomme.
Ève – Je commence à en avoir un peu marre, des pommes.
Alban – Oui… Moi aussi…
Ève – Tiens, il y avait un asticot dans cette pomme.
Alban – Non ?
Ève – Ben j’en ai bouffé la moitié. Sans le faire exprès…
Alban – Et alors ?
Ève – Ce n’est pas mauvais…
Noir