Le facteur (homme ou femme) glisse des livres dans chaque boîte aux lettres. Un locataire (homme ou femme) arrive.
Locataire – Vous ne savez pas lire ?
Facteur – Si justement ! Et vous ?
Locataire – Stop Pub, c’est marqué là sur ma boîte !
Facteur – Ah mais ce n’est pas de la pub ! Je suis votre nouveau facteur.
Locataire – Ah oui ? (Désignant ce que le facteur a dans la main) Et ça qu’est-ce que c’est ? Du courrier, peut-être ?
Facteur – C’est une opération que nous venons de mettre en place à La Poste. Vous savez maintenant, avec le développement d’internet, on est obligé de diversifier nos missions…
Locataire – Et alors ?
Facteur – Pour ceux qui ne reçoivent plus de courriers, nous avons décidé de distribuer des lettres libres de droit.
Locataire – Libres de droit ?
L’autre montre ce qu’il a dans sa sacoche.
Facteur – Les Lettres de Mon Moulin, Les Lettres Persanes, Les Lettres de Madame de Sévigné…
Locataire – Pourquoi faire ?
Facteur – Mais pour réenchanter le monde ! Et réenchanter La Poste ! Le courrier traditionnel a disparu, très bien. Cela économise du papier. Et donc ça évite de couper des arbres. Mais les gens ne lisent plus ! Et ça, c’est terrible, n’est-ce pas ?
Locataire – Oui, bien sûr.
Facteur – La littérature, c’est la mémoire du monde ! Vouloir sauver les forêts, c’est parfait. Mais il faut aussi préserver ce qui fait notre vraie richesse ! Notre patrimoine culturel : les livres ! Vous savez combien de lettres il y a dans notre alphabet ?
Locataire – À peu près 26, non ?
Facteur – Vous vous rendez compte ?
Locataire – Quoi ?
Facteur – Avec 26 lettres seulement, en les combinant, l’homme peut tout exprimer.
Locataire – Oui…
Facteur – Et encore, quand je dis 26… Vous savez quelle est la langue au monde qui comprend le moins de lettres ?
Locataire – Ma foi non…
Facteur – Le Rotokas. Une langue parlée dans les îles Salomon. Son alphabet ne compte que 12 caractères.
Locataire – Vraiment ?
Facteur – Une douzaine de lettres pour exprimer toutes les pensées des hommes.
Locataire – Oui, c’est… Vous avez du courrier pour moi ?
Facteur – Une dizaine de chiffres pour comprendre la mécanique de l’univers.
Locataire – Je peux avoir mon courrier ?
Facteur – Et sept notes pour composer toute la musique du monde.
Locataire – Donc pas de courrier…
Facteur – Et qu’est-ce qui restera de tout ça, dans quelques milliards d’années ? Quand le soleil dans son grand bouquet final nous aura tous réduit en cendres ?
Locataire – Je ne sais pas…
Facteur – Quelques hiéroglyphes gravés sur les pierres qui n’auront pas encore fondu. Quelques propos lapidaires comme aux premiers temps de l’écriture. En vérité, je vous le dis : les premiers balbutiements de l’humanité seront aussi ses derniers soupirs.
Locataire – Oui…
Facteur – Quand La Poste aura disparu, les épitaphes de nos ancêtres nous survivront un instant. Comme un avis de passage. Mais souvenez-vous d’une chose.(Avec emphase) Seul le souvenir de la musique des sphères nous survivra pour toujours.
Le facteur lui tend un CD.
Facteur – Tenez… Voici La Lettre à Élise…
L’autre prend le CD.
Locataire – Merci.
Le facteur s’éloigne et l’autre le regarde partir, interloqué.
Locataire – Je n’ai rien compris…
On entend la Lettre à Élise.
Noir.