L’écriture est une Odyssée
Un parcours théâtral
L’Odyssée raconte le périple d’Ulysse, de retour d’exil, vers son port d’attache. Une aventure aussi aléatoire de par les possibles sortilèges pendant la traversée, que par l’inévitable désenchantement à l’arrivée : celui de ne plus retrouver la mère patrie telle qu’on l’avait rêvée. Reste la noblesse de l’entreprise et le charme du voyage. Il en est de l’écriture comme de cette impossible reconquête d’une origine fantasmée, de cette folle tentative pour recouvrer le temps passé à naviguer loin de chez soi, poussé par des vents plus ou moins favorables. L’écriture est donc aussi une cure. Tel le Petit Poucet, redessiner son parcours de mémoire, dans l’espoir vain de retrouver le chemin du retour. Jusqu’à l’origine. Pour finalement s’apercevoir que le voyage est dans les cartes, que l’origine n’est pas le point de départ, et que le jeu de la vérité est une partie de poker menteur avec soi-même.
Mon paradis perdu, c’est l’Espagne. Enfant de l’exil, j’ai longtemps voulu voir en mon père un héros. Un résistant glorieusement défait. Mais en 39, mon père n’était qu’un adolescent. Une victime déplacée. Je n’ai d’ailleurs jamais entendu mon père dire du mal de Franco ou de l’église. Cela aurait dû m’alerter. Mais je me rêvais tellement en fils de l’utopie. Quand j’y repense, pour mon père, le Général Franco, c’était plutôt une sorte de Général De Gaulle. L’ordre social. Le miracle économique. L’apparentement des patronymes, peut-être. Franco. La France. De Gaulle. La Gaule. Oui, plus tard, parmi les réfugiés aussi, de retour au pays en touristes, il y en avait pour dire qu’avec Franco, on vivait mieux… J’ai longtemps tiré gloire du fait que mon père ne m’avait pas fait baptiser. J’aimais voir là un acte de résistance symbolique. Ce n’était probablement qu’une négligence. Pourquoi mon père, qui n’était pas allé à la mairie pour me donner un prénom, m’aurait-il conduit à l’église pour me faire baptiser ? Non, ne pas croire en Dieu ne fait pas d’un réfugié un résistant. Et j’aurais dû avoir quelques doutes sur l’anti-cléricalisme de mon père lorsqu’à onze ans, il m’inscrivit dans le collège catholique où je suis resté jusqu’au bac….
C’est mon oncle qui a choisi mon prénom, à la mairie d’Auvers-sur-Oise, au mois d’août 1955. J’entends encore le rire malicieux de ce brave ouvrier de chez Simca en racontant cette anecdote : Jean-Pierre Belmondo ! J’aurais donc dû m’appeler Jean-Paul. Mon nom de famille est le dégât collatéral d’une guerre civile et d’une défaite. Mon prénom le produit d’une indifférence et d’un lapsus. Drôle de baptême républicain. Malentendus. Erreurs. Contradictions. Tous ces hasards font-ils un destin ? Je ne pense pas non plus que mon père était franquiste. C’était seulement un rebelle, pas un héros. Pas un maquisard, seulement un débrouillard. Beaucoup d’ambition, et un peu de marché noir. Trois ans de guerre civile, et un exode. Six ans de guerre mondiale, et un exil. Ça forme une jeunesse. Pas un combat, mais de nombreuses déroutes. Pas une blessure, mais beaucoup de cicatrices. Ça vous rend résistant. Ça ne fait pas de vous un résistant. Et moi, qui suis-je ? Plutôt Gaulliste aussi. Enfin, gaulliste de gauche. Gaulois, en tout cas. Disons franco-gaulois d’origine espagnol. Fils d’un républicain fantasmé et de la République Française.
Je me suis vécu écrivain avant de commencer à écrire. Avant de savoir si j’étais capable d’écrire quoi que ce soit. L’écriture fut d’abord pour moi une posture. Et une pose. Les deux pieds sur la table, au bec une cigarette que je n’avais pas encore le droit de fumer. Une vieille machine à écrire au ruban trop pâle. Comme dans les films noirs. Mes premiers souvenirs d’auteur sont quelques lignes d’une histoire vite interrompue, dont j’ai mis quarante à reprendre le fil. Mes premiers souvenirs de metteur en scène, un théâtre de marionnettes fait d’une boîte en carton et de quelques chiffons. J’étais déjà auteur. Il m’a fallu près d’un demi-siècle pour apprendre à écrire. Deviens ce que tu es…
J’ai mis des années à m’autoriser une écriture non strictement commerciale. Je suis donc arrivé au théâtre via la télévision, et à la télévision via la littérature de gare. Pour être plus précis encore, je suis venu à l’écriture par la traduction de romans roses, de l’anglais au français. Ma descente dans les profondeurs de l’écrit, qui n’est sans doute pas terminée, s’est donc faite par paliers. Pour des raisons économiques, d’abord : il faut bien gagner sa vie. Mais aussi pour des raisons morales. Sans doute à cause du poids de mon éducation de catholique non baptisé. Je ne m’autorisais à écrire que si, ce faisant, je parvenais à gagner mon pain à la sueur de mon front. La peur de manquer des enfants d’après guerre, probablement. Gagner ma vie en écrivant, cependant, m’a familiarisé, chemin faisant, avec les techniques de base qui m’ont permis plus tard d’écrire des oeuvres plus personnelles.
Ce cheminement vers le théâtre correspond également pour moi à une émancipation. D’une écriture de commande à une écriture de proposition. J’ai délaissé la télévision afin de ne plus avoir à composer avec les trop nombreux généraux de cette armée mexicaine : pour un scénariste qui écrit, quatre ou cinq « directeurs d’écriture » ne sachant pas écrire pour lui expliquer comment le faire. J’ai vite découvert cependant qu’il y avait aussi, au théâtre, pléthore de conseillers pour indiquer aux auteurs quoi écrire, et comment. Nombre de comités pour leur signifier ce que doit être le théâtre d’aujourd’hui. Et ce qui ne peut en aucun cas en être : la comédie, surtout. L’humour, dit-on, est la politesse du désespoir. Il faut croire que les éditeurs de théâtre ne sont pas encore assez désespérés pour être vraiment accessibles à la comédie.
Le théâtre est d’abord fait pour être joué. L’édition théâtrale ne devrait être qu’un chemin facilité vers la scène, pas une fin en soi. Or le théâtre qui s’édite aujourd’hui n’est souvent jamais joué. Quand le théâtre qui se joue n’est souvent pas édité. Ou l’est après coup, lorsque les éditeurs se décident à voler au secours du succès public d’un spectacle. Les comités de lecture des maisons d’éditions, ou autres bourses et concours d’écriture entre amis, verrouillent l’accès à la scène en n’accordant droit de cité qu’à un théâtre « littéraire », qui n’a parfois plus rien à voir avec le spectacle vivant. Un théâtre à lire plus qu’à jouer qui de fait, s’il sert de prétexte à d’innombrables lectures à huis clos, ne débouche que très rarement sur des représentations à guichets fermés.
On ne peut que constater et déplorer ce divorce entre l’édition et la scène. Entre cette écriture institutionnelle et le public de théâtre. Et cet ostracisme qui, quatre siècles après Molière, relègue la comédie au boulevard. Par le petit jeu des dotations, subventions et autres aides à l’écriture accordées de façon discrétionnaire par des organismes archaïques et monopolistiques, quand ce n’est pas népotiques, on en arrive à un paradoxe : ce sont les droits des auteurs joués sans l’aide de l’institution théâtrale qui financent l’édition subventionnée d’un théâtre injouable et inregardable, prétendant éduquer les masses par sa vocation édifiante, mais que personne ne va voir hormis les membres invités de l’institution théâtrale elle-même.
Heureusement, l’apparition d’internet a ouvert un formidable espace de liberté aux auteurs, en leur permettant de s’adresser directement aux compagnies, et au-delà au public, par dessus la cécité ou la censure de l’institution. Cette brèche m’a permis de proposer mes textes en téléchargement libre et gratuit sur mon propre site. Charge à tous ceux qui voudraient les monter de s’acquitter des droits de représentation. Dix éditeurs ont refusé mes comédies. Mille compagnies les ont déjà jouées plus de dix mille fois. Voilà ma légitimité. Merci à toutes ces troupes de me permettre d’exister aujourd’hui en tant qu’auteur de théâtre. Et bénie soit la toile qui m’a permis de parcourir, à travers mes textes, quatre continents déjà.
J’ai depuis peu entrepris de traduire mes pièces en espagnol, et l’une d’entre elles a déjà été montée en Espagne. Mon retour à Ithaque, en quelque sorte, avec le théâtre pour vaisseau. L’écriture est une Odyssée, un long parcours de retour vers soi-même. Heureux qui comme l’auteur fait ce beau voyage, contre vents et marées. Il joue sa vie pour gagner sa liberté.
Article paru dans la revue Anagnoris
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