Code confidentiel

Ils sont debout face au public.

Lui – Alors ?

Elle – Non, ça ne me revient vraiment pas…

Lui – Tu es sûre que tu ne l’as pas noté quelque part ?

Elle – Si ! Si, évidemment, que je l’ai noté quelque part.

Lui – Eh ben alors ?

Elle – Le problème, c’est que je ne sais plus où je l’ai noté.

Lui – D’accord…

Elle – Le principe des codes secrets, ce n’est pas de les marquer en gros sur la porte du frigo… ou sur sa valise quand on part en voyage.

Lui – Le principe, c’est surtout de se souvenir où on les a planqués.

Elle – Eh ben voilà, il faut croire que je l’ai bien planqué, parce que même moi, je n’arrive pas à le retrouver.

Lui – Et ton mot de passe, tu ne sais plus du tout ce que c’était ?

Elle – Je ne suis plus très sûre. Je n’ai droit qu’à trois essais, et j’en ai déjà fait deux.

Lui – J’ai l’impression qu’on parle d’un génie sorti d’une bouteille et à qui on ne peut demander que trois choses.

Elle – J’essaie de me souvenir… Des mots de passe, on en a tellement.

Lui – Moi je prends le même pour tout, comme ça je suis sûr de m’en souvenir.

Elle – Et surtout, comme ça si on te le pirate, on peut tout te pirater.

Lui – Mais au moins, je peux accéder à mon compte !

Elle – Eh ben vas-y, accède à ton compte !

Lui – J’ai perdu ma carte bleue, tu le sais bien.

Elle – Tu te souviens de ton mot de passe, mais tu as perdu ta carte, moi je n’ai pas perdu ma carte mais je ne me souviens plus de mon mot de passe.

Lui – Ce n’était pas ta date de naissance ?

Elle – Je ne révèle jamais ma date de naissance à personne. Même pas à ma banque.

Lui – Ton numéro de sécurité sociale ?

Elle – Figure-toi que je choisis des mots de passe un peu plus difficiles à pirater.

Lui – Même par toi…

Elle – Il me semble quand même que cette fois, ce n’était pas juste une série de chiffres au hasard, comme je le fais pour ma grille de loto.

Lui – Bon, mais tu ne te souviens pas du numéro gagnant ?

Elle – On n’a plus droit qu’à un essai. Si ce n’est pas le bon code, la carte sera avalée, et on va mourir de faim.

Lui – Comme tous les habitants de ce pays de merde, d’ailleurs. Qu’est-ce qui nous a pris de venir passer nos vacances ici…

Elle – Ça en revanche, c’est une idée de toi, je te rappelle. Moi je voulais aller en Bretagne. En Bretagne, on ne risquait pas de mourir de faim.

Lui – Bon. Ne dramatisons pas. On peut toujours aller au consulat…

Elle – Le premier consulat est à deux cents kilomètres d’ici. On ne sait même pas où dormir ce soir…

Lui – Alors qu’est-ce que tu proposes ?

Elle – On n’a pas le choix, il faut essayer.

Lui – Comment ça, essayer ?

Elle – Je vais faire un code au hasard, en me fiant à ma mémoire gestuelle. Je l’ai fait des milliers de fois, ce code, mes doigts s’en souviennent sûrement.

Lui – Tu crois ?

Elle – Plus j’y pense, moins je m’en souviens, alors je ne vais penser à rien, et je vais faire le code.

Lui – Je ne sais pas si c’est une bonne idée…

Elle – Tu as une autre solution ?

Lui – Non…

Elle – Alors j’y vais.

Lui – OK… Mais concentre-toi bien.

Elle – Surtout pas ! Je te dis, il faut que je ne pense à rien.

Lui – OK, alors ne pense à rien.

Elle – J’essaie…

Lui – Je suis sûr que tu vas y arriver…

Elle – J’ai l’impression de sauter à l’élastique… Allez je me lance…

Elle ferme les yeux et compose un code. Ils retiennent leur respiration.

Lui – Alors ?

Elle – Ça a marché !

Lui – Alléluia !

Elle – Du coup, on a un peu d’argent, mais à l’étranger c’est limité à cent euros à chaque retrait.

Lui – On ne va pas aller loin avec ça. Enfin, on pourra toujours en reprendre, maintenant que tu as retrouvé ton code…

Elle – C’est-à-dire que…

Elle semble perturbée.

LuiQuoi ?

Elle – Ben j’ai tapé mon code sans réfléchir…

Lui – Et alors ?

Elle – Je ne sais pas du tout ce que j’ai tapé…

Lui – Tu n’as pas vu ?

Elle – J’ai fermé les yeux fermés, pour être sûre de ne penser à rien…

Un temps.

Lui – Je sens que ces vacances, ça va être une expérience inoubliable…

Noir.