Une chambre d’hôpital. Un graphique médical au pied du lit. Un homme se réveille. Il a une perfusion. Une femme arrive, en blouse blanche de médecin.
Femme – Alors cher Monsieur ? Comment ça va aujourd’hui ?
Homme – Ça va… Enfin… Mais qu’est-ce que vous faites dans ma chambre ?
Femme – Ah… Cette simple question semble indiquer que vous n’avez pas encore tout à fait recouvré votre mémoire immédiate.
Homme – Je ne me souviens de rien… sauf que vous m’avez déjà dit ça.
Femme – Ne vous inquiétez pas, c’est très fréquent après ce genre d’intervention. Dès qu’on touche au cerveau…
Homme – Le cerveau ? Je vois…
Femme – Si vous voyez encore, c’est déjà ça… Écoutez, on ne va pas se mentir, votre état… est très préoccupant.
Homme – Vous voulez dire préoccupant pour moi, j’imagine ?
Femme – J’aurais aimé pouvoir vous annoncer de bonnes nouvelles, mais que voulez-vous ? Je ne suis pas Dieu le Père.
Homme – Ce qui pour moi serait plutôt en soi une bonne nouvelle.
Femme – Vous trouvez ?
Homme – Se réveiller d’une opération au cerveau et voir Dieu le Père…
Femme – Bien sûr… Donc, les résultats de nos premières analyses ne sont pas très encourageants… pour vous.
Homme – J’entends bien.
Femme – Si vous entendez encore, c’est déjà ça…
Homme – Et donc vous dites que… c’est grave.
Femme – Mon Dieu… Pas forcément…
Homme – Comment ça ?
Femme – Ce qui est grave, c’est que… nous ne savons pas du tout ce que vous avez.
Homme – Ah… Et j’imagine que ça… c’est grave pour vous.
Femme – Si on ne sait pas ce que vous avez, on ne sait pas non plus comment vous soigner. Bref, on ne sait pas quoi faire… Et quand on ne sait pas quoi faire, on ne sait pas quoi dire. Franchement, cher Monsieur, je ne sais pas quoi vous dire…
Homme – Écoutez, Docteur… Je peux vous appeler Docteur ?
Femme – J’ai obtenu mon diplôme de médecine en Roumanie… (Aux anges) Mais oui, je vous en prie. Appelez-moi Docteur.
Homme – Je sais que vous vous faites beaucoup de souci pour moi, mais pour ma part… c’est plutôt l’état mental de ma femme qui m’inquiète.
Femme – Votre femme ? Allons bon…
Homme – C’est difficile à croire, mais… Figurez-vous que ma femme se prend pour une martienne.
Femme – Voyez-vous ça…
Homme – Ça n’a pas l’air de vous étonner.
Femme – Si bien sûr, mais… Pour tout vous dire… (Elle consulte un dossier.) J’ignorais que vous étiez marié… En tout cas, ce n’est pas indiqué dans votre dossier médical.
Homme – Ils ont peut-être considéré que ce n’était pas une maladie assez grave pour être signalé.
Elle rit d’une façon un peu forcée.
Femme – En tout cas, vous avez retrouvé votre sens de l’humour. Et ça c’est bon signe, n’est-ce pas ? Vous connaissez Ionesco ?
Homme – Pas personnellement.
Femme – Il était roumain, comme moi. Et j’ai l’honneur de porter le même patronyme que lui. D’après ma mère, nous sommes vaguement apparentés.
Homme – Vraiment ?
Femme (sur le ton de la confidence) – Entre nous, j’ai toujours pensé que les Roumains étaient davantage faits pour le théâtre de l’absurde que pour la chirurgie du cerveau.
Homme – Merci Docteur Ionesco. C’est tout à fait le genre de propos rassurants qu’un patient a envie d’entendre de la bouche de son chirurgien en salle de réveil…
Femme – Mais je vous en prie. Je suis là pour ça. Si vous avez d’autres questions à me poser, n’hésitez pas.
Homme – Et… pour ma femme, vous pouvez faire quelque chose ?
Femme – Votre femme ? Mon Dieu… Il faudrait d’abord être sûr que vous avez bien une femme…
Homme – Ah oui, évidemment.
Femme – Et ensuite que votre femme n’est pas vraiment une extraterrestre.
Homme – Comment ça ?
Femme – Vous conviendrez que si votre épouse présumée est vraiment martienne, on ne peut pas la tenir pour folle si elle affirme venir de la planète Mars.
Homme – C’est vrai que vu comme ça…
Femme – En tout cas, c’est ce qu’on nous apprend dans les facultés de médecine en Roumanie.
Il la regarde comme s’il la découvrait seulement.
Homme – C’est fou, Docteur Ionesco…
Femme – Quoi donc ?
Homme – Ce que vous ressemblez à ma femme. Enfin, ce que vous ressembleriez à ma femme si j’étais marié.
Femme – Et pourtant… je vous assure que moi, je ne viens pas de la planète Mars.
Homme – Non, vous venez de Roumanie. Et… c’est bien vous qui m’avez opéré, n’est-ce pas ?
Femme – Malheureusement pour vous… J’imagine qu’un médecin venu d’un autre endroit de la galaxie aurait pu vous sauver.
Homme – Vous croyez…?
Femme – À ce qu’on dit, ces gens là sont beaucoup plus évolués que nous. En tout cas, on peut raisonnablement supposer que leurs médecins sont mieux formés que de simples internes ayant fait leurs études à Bucarest…
Homme – Oui, enfin…
Femme – Vous avez raison… À ce niveau-là de supputation, je me demande si on peut encore parler de suppositions raisonnables, n’est-ce pas ? Je vais vous laisser vous reposer… Je repasserai un peu plus tard…
Homme – Je peux vous demander encore un service ?
Femme – Tant que ce n’est pas de vous sauver la vie…
Homme – Si vous croisez ma femme, dites-lui que je ne suis pas marié.
Femme – Je n’y manquerai pas.
Homme – Merci.
Elle s’apprête à partir mais se retourne une dernière fois vers lui.
Femme – Je peux vous demander quelque chose, moi aussi ?
Homme – Tant que ce n’est pas comment je m’appelle.
Femme – Vous pourriez m’appeler encore une fois Docteur ?
Homme – Merci Docteur Ionesco. Au revoir Docteur.