Elle est là. Il arrive, l’air préoccupé.
Elle – Ça va ? Tu as l’air soucieux…
Lui – Rien de grave, je t’assure… J’attendais d’être sûr pour t’en parler mais…
Elle – Tu me fais peur, qu’est-ce qu’il y a ?
Lui – Est-ce que tu as déjà remarqué que notre salon est beaucoup moins profond que notre cuisine ?
Elle – Pardon ?
Lui – La cuisine, elle est juste de l’autre côté, non ? Séparée de notre salon par une cloison.
Elle – Oui, peut-être. Et alors ?
Lui – Logiquement, notre salon devrait avoir la même longueur que la cuisine.
Elle – Et ?
Lui – Il manque trois mètres cinquante.
Elle – Trois mètres cinquante ?
Lui – Trois mètres cinquante-huit, exactement.
Elle – Tu es sûr ?
Lui – Absolument. J’ai vérifié trois fois les mesures.
Elle – C’est une vieille maison. À cette époque-là, les murs n’étaient peut-être pas très droits.
Lui – Trois mètres cinquante-huit ! On ne parle pas d’un mur un peu en biais ou un peu plus épais que les autres. Comme le salon fait six mètres de large, ça correspondrait à une pièce de plus de 21 mètres carrés.
Elle – Une pièce ?
Lui – Une pièce.
Elle – Tu me fais peur. Une pièce murée, tu veux dire ?
Lui – Oui. On peut dire ça comme ça.
Elle – Mais enfin, ça fait vingt ans qu’on a acheté cette maison. On ne se serait pas rendu compte qu’il manquait une pièce ?
Lui – Les chiffres sont là. J’ai vérifié trois fois.
Elle – C’est dingue.
Lui – Et dire que pendant toutes ces années, j’avais mon bureau au fond du garage, entre la chaudière et le congélateur. Vingt-et-un mètres carrés, tu te rends compte ? On aurait pu en faire un bureau !
Elle – Ou une chambre d’enfant…
Lui – Oui…
Elle – Mais comment c’est possible…? Comment est-ce qu’on peut en arriver à murer une pièce ? Pourquoi ?
Lui – Je ne sais pas…
Elle – Ça fout un peu les jetons, non ?
Lui – Quoi ?
Elle – De savoir que pendant vingt ans, on a passé toutes nos soirées dans ce salon, sans savoir que juste à côté, il y en avait un autre de la même taille, complètement vide…
Lui – Oui, enfin, vide… on ne sait pas.
Elle – Quoi ?
Lui – Il n’est peut-être pas vide.
Elle – Pas vide ? Tu veux dire… que les anciens propriétaires auraient pu y cacher quelque chose ?
Lui – Pourquoi pas ? Sinon, pourquoi avoir muré cette pièce ?
Elle – Qu’est-ce qu’on peut bien vouloir cacher, au point de murer complètement une pièce de sa maison.
Lui – Un trésor ?
Elle – Ce serait trop beau…
Lui – Un cadavre…
Elle – Un cadavre ?
Lui – Pourquoi pas…
Elle – Vingt mètres carrés pour planquer un cadavre ?
Lui – Il y en avait peut-être plusieurs…
Elle – Ou alors, il n’était peut-être pas mort quand on l’a emmuré…?
Lui – Il ou elle…
Elle – Ou les deux.
Lui – Et si les anciens propriétaires étaient toujours là…?
Silence de mort.
Elle – Je ne suis pas sûre de pouvoir continuer à vivre dans cette maison, en sachant que juste derrière cette cloison, il y a peut-être un ou plusieurs cadavres…
Lui – C’est juste une hypothèse.
Elle – Oui, mais moi j’ai besoin d’en avoir le cœur net.
Lui – Tu as raison, il faut savoir.
Elle – Et tout de suite. Je ne passerai pas une nuit de plus dans cette maison sans savoir ce qu’il y a dans cette pièce.
Lui – Moi non plus…
Elle – Alors qu’est-ce qu’on fait ?
Lui – Je m’en occupe…
Il sort. Elle jette un regard angoissé vers la cloison, correspondant au quatrième mur. Il revient avec une masse.
Elle – Tu es sûr ?
Lui – Il faut en avoir le cœur net.
Noir. On entend des coups de masse. La lumière revient. Ils regardent vers la salle comme à travers un trou béant.
Elle – Qu’est-ce que c’est que ça ?
Lui – Un salon en parfait état, presque comme le nôtre.
Elle – Pas une trace de poussière.
Lui – C’est dingue…
Elle – Tu crois que quelqu’un habite encore ici ?
Lui – Je ne sais pas… En même temps… Ça ressemble beaucoup au salon des voisins.
Elle regarde plus attentivement.
Elle – C’est le salon des voisins !
Lui – Je ne comprends pas… J’ai dû faire une erreur dans mes calculs.
Elle – Ah oui…? Eh ben il va falloir que tu leur expliques ça quand ils vont revenir…
Noir.