Euro Star

Euro Star (english) – Euro Star (español) – Euro Star (portugués)  

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

1 homme / 1 femme

Un célèbre réalisateur de cinéma et une comédienne ambitieuse se retrouvent « par hasard » assis l’un en face de l’autre dans l’Eurostar qui les conduit à Londres pour un casting. Elle se dit prête à tout pour obtenir le rôle qui fera d’elle une star. Il n’est pas insensible à son charme, mais hésite à conclure… C’est alors que le train s’immobilise au beau milieu du tunnel sous La Manche. Le coup de la panne ? Mais dans ce jeu de dupes, s’il n’est pas celui qu’elle croit, elle n’est peut-être pas non plus celle qu’il croyait…

 


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TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE À LIRE OU IMPRIMER

EUROSTAR

Personnages : Arthur et Marilyn

Acte 1

Quatre fauteuils de l’Eurostar en vis-à-vis. Sur l’un d’eux est posée une valise. Au fond une toile peinte figurant de l’autre côté du couloir central, quatre autres sièges inoccupés, et une fenêtre du train avec le rideau baissé. Le « quatrième mur » côté public tiendra donc lieu également de fenêtre, par laquelle les deux personnages regarderont parfois vers l’extérieur du train. Arthur arrive en portant un sac de voyage. Il peut avoir la trentaine ou la quarantaine. Il est plutôt bel homme, et il est habillé avec une élégance décontractée. En passant devant les sièges, il semble reconnaître la valise et va pour s’installer, quand son portable sonne. Il répond, un peu speed.

Arthur – Ouais, Fred… Non, je suis dans le train là… J’avais promis à ma femme de l’emmener à Londres pour notre anniversaire de mariage… Je ne suis pas très porté sur les commémorations, et je déteste l’Angleterre, mais bon, tu sais ce que c’est… Quand on est marié, il faut savoir faire des compromis ! C’est à Londres qu’on s’est connu, avec Christelle… J’ai réservé une chambre dans le Bed and Breakfast où on avait passé notre première nuit ensemble… Ce n’est pas romantique, ça ? Une veine que je ne l’ai pas rencontrée au Hilton à Bora Bora… Deux billets de train pour Londres, même en première, c’est quand même moins cher que la Polynésie… En tout cas, heureusement qu’on avait pris de la marge, dis donc… Tu sais que je suis claustrophobe, alors ça m’angoisse un peu de prendre le tunnel sous la Manche… Mais comme je flippe encore plus en avion… Et puis je me disais que ça irait plus vite que le ferry… Mais tu n’imagines pas les procédures d’embarquement, c’est hallucinant ! On a mis trois-quarts d’heure pour passer la sécurité ! J’aurais mieux fait d’y aller à la nage. Moi qui pensais que Londres, c’était encore en Europe. J’ai l’impression de partir pour Bagdad ! Je suis tombé sur un petit teigneux qui ressemblait vaguement à Georges Bush. J’ai cru qu’il allait me mettre un doigt dans le cul pour voir si je n’y planquais pas des armes de destruction massive, avant de m’envoyer direct à Guantanamo… Ils m’ont tellement stressé, pour un peu, j’oubliais de remettre mon pantalon et mes chaussures avant de monter dans le train… Tu me vois arriver à Waterloo pieds nus et en calbute…? À Londres, oui ! Waterloo Station, c’est là où on arrive… Heureusement qu’on ne part pas d’Austerlitz, sinon tu vois le symbole… Pour un anniversaire de mariage, partir tout habillé d’Austerlitz et arriver à poil à Waterloo… Enfin, ça y est, je suis dans l’Eurostar. Je vais pouvoir décompresser un peu… Non, non, je ne sais pas ce qu’elle fout… Je suis passé au bureau de change pour acheter des livres sterling. Je devais la rejoindre dans le train, mais là je ne la vois pas… Pourtant, sa valise est là, je ne comprends pas… Ah excuse-moi, c’est elle justement… Ok, je te rappelle… Salut Fred…

Il appuie sur une touche de son portable.

Arthur – Christelle ? Mais qu’est-ce que tu fais ? Au kiosque ? Mais le train va partir là ! Ouais, ben écoute, si ils n’ont pas Marie Claire, tu prends Marie France ou Madame Figaro. C’est pareil, non… (Plus bas) Oui, oui, j’ai les livres sterling. Mille, ça devrait suffire pour passer quelques jours à Londres. Ça m’angoisse un peu de me trimballer avec une somme pareille en liquide, mais bon… Il paraît que c’est plus cher de changer sur place… Euh, tu pourrais me prendre L’Équipe, tant que tu y es ? Non, pas France Football, L’Équipe ! Non, ce n’est pas pareil, figure-toi… Bon, ben tu vas bien finir par trouver… Sinon, tu vas voir au kiosque à côté… Mais dépêche-toi, bon sang ! Ok, à tout de suite. (Plus tendrement) Moi aussi, je t’embrasse…

Il range son portable, et conclut.

Arthur – Oh, putain, ça commence bien ce voyage… (Il pose son sac sur le siège à côté, s’installe, et regarde un instant fixement devant lui) Quarante bornes sous la mer. Moi qui flippe déjà en prenant le tunnel sous Fourvière… Quelle angoisse ! (Il sort un flacon d’alcool de sa poche et en prend une rasade). J’ai bien fait d’emmener un petit remontant, ça va me détendre…

Marilyn arrive en tirant une petite valise à roulettes comme celle qui, dans les avions, permettent de prendre son bagage en cabine sans avoir à enregistrer. Elle peut avoir vingt ou trente ans. Elle n’est pas forcément canon, mais est habillée de façon plutôt provocante. Elle passe devant lui, le remarque, et semble le reconnaître. Arthur ne prête pas attention à elle, et reprend une rasade de son flacon d’alcool… au moment où Marilyn revient sur ses pas.

Marilyn – Pardon, mais je crois que votre valise est assise à ma place…

Arthur, surpris, range précipitamment son flacon d’alcool dans sa poche, sans le reboucher.

Arthur – Ah… Excusez-moi… Je pensais que… Il n’y a pas de problème…

Il se lève et déplace la valise pour libérer le siège. Lui tournant un instant le dos pour poser sa valise, elle lui offre une vue avantageuse sur son anatomie. Il fait mine de regarder par la fenêtre pour chasser les mauvaises pensées. Elle s’assied en face de lui et se met à le dévisager avec un sourire idiot. Embarrassé, il tente de faire bonne figure. Silence, rompu par une annonce de service.

Voix off – L’Eurostar numéro 3212 à destination de Londres Waterloo va partir. Attention à la fermeture automatique des portes…

Arthur (pour lui-même) – Oh, non… Ce n’est pas vrai…

Il jette un regard inquiet par la fenêtre côté public.

Marilyn jette également un coup d’œil par la fenêtre pour voir le quai commencer à défiler.

Marilyn (souriante) – Il était temps que j’arrive…

Il lui sourit poliment, avant de composer nerveusement un numéro sur son portable. Mais visiblement, ça ne répond pas.

Arthur – C’est un cauchemar…

Marilyn, pour sa part, continue à le dévisager, et il semble le sentir, tout en feignant de ne pas le remarquer. Embarrassé, et vaguement émoustillé, il finit cependant par lever les yeux vers elle, intrigué.

Marilyn – Excusez-moi de vous dévisager comme ça, mais… Je vous ai tout de suite reconnu…

Totalement pris au dépourvu, il reste sans voix, les yeux ronds.

Marilyn – Je suis vraiment désolée… Je vous jure que je n’ai rien fait pour euh… C’est complètement par hasard… (Plaisantant) Ou alors c’est le destin…

Arthur – Le destin…?

Elle lui tend la main et se présente.

Marilyn – Marilyn Mileur… Je suis comédienne…

Pris au dépourvu, il lui sert la main.

Marilyn – Je vais à Londres pour le casting de votre nouveau film. Mais je ne pensais pas être assise en face de vous dans le train…

Arthur – Moi non plus…

Marilyn – En tout cas, j’adore le scénario… Je ne dis pas ça pour vous flatter, hein ? Même si je serais prête à tuer toutes mes concurrentes pour avoir ce rôle…

Arthur – Vraiment…?

Le portable d’Arthur se met à sonner mais, largué, il tarde à répondre.

Marilyn – Je ne voudrais surtout pas vous importuner… Je crois que je ferais mieux d’aller faire un tour au bar pour me calmer un peu. De toute façon, on fait le voyage ensemble… Je vous ramène un café…?

Arthur – Pourquoi pas…

Marilyn – Je suis tellement émue… Je ne suis pas sûre qu’un café, ce soit vraiment ce qu’il me faut pour me calmer, mais bon… Sans sucre ?

Arthur – Pardon…?

Marilyn – Votre café… Avec ou sans sucre…

Arthur – Euh… Sans, merci…

Marilyn – Je l’aurais juré… Sans sucre ajouté… Cash ! Comme vos films…

Il sourit sans répondre. Elle commence à s’éloigne. Il la hèle une dernière fois.

Arthur (s’enhardissant) – Euh… Je peux avoir un verre d’eau avec mon café…?

Elle lui répond par un sourire avant de poursuivre son chemin. Il la regarde partir, encore sous le choc. Son portable sonne toujours. Revenant à la réalité, il finit par répondre.

Arthur – Christelle ? Mais tu es où, bordel ? Oh, non, ce n’est pas vrai…! Mais je t’avais dit de te magner, bon sang ! C’est toujours la même chose… Mais je m’en foutais, moi, L’Équipe ou France Football ! C’était juste pour avoir quelque chose à lire dans le train… Et comment on fait, maintenant…? Tu prends le suivant, et je t’attends à Waterloo…? Bon… Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Est-ce qu’on a vraiment le choix…? Ouais… Ok, rappelle-moi…

Il range son portable.

Arthur – Je ne le sentais pas, ce pèlerinage à Londres…

Son portable sonne à nouveau.

Arthur (pour lui-même) – Déjà… (Il prend la communication) Ah, c’est toi, Fred… Non, non, ça va, c’est… C’est Christelle. Tu ne vas pas le croire, mais elle vient de rater son train ! Enfin, le nôtre, quoi ! Non, je ne plaisante pas, malheureusement… Ouais, enfin… Si elle arrive à avoir un billet. On avait réservé les nôtres trois mois à l’avance… Non, mais tu imagines ? Me voilà parti tout seul pour Londres fêter notre anniversaire de mariage… Enfin quand je dis tout seul… (Changeant de ton, plus badin) Tu ne vas pas le croire non plus, mais il m’arrive un truc absolument hallucinant… Une folle s’est assise juste en face de moi dans l’Eurostar, à la place de Christelle, justement… et figure-toi qu’elle me prend pour Éric Besson… Non, un réalisateur de cinéma ! Luc ? Non, ce n’est pas ce nom-là non plus… Enfin bref, un mec super connu, apparemment… Ben je n’ai même pas eu le temps de lui dire que ce n’était pas moi, figure-toi. Elle ne m’a pas laissé en placer une ! Et là elle est partie me chercher un café avec des croissants… Je te jure ! Elle est complètement en extase devant moi, je te dis ! J’en ai presque déjà fait mon esclave… Du coup, je me demande si je ne vais pas profiter de la situation… Trois heures tout seul dans l’Eurostar, c’est long… Sans parler de ma phobie des tunnels… Au moins, je penserai à autre chose… Comédienne, ouais… Écoute, pas terrible, mais bon… Très motivée, en tout cas ! J’ai vaguement l’impression d’avoir déjà vu sa tête quelque part… Dans une pub, peut-être… Arrête, je te rappelle que je suis marié… Ouais, bon, ok, mais là je suis à jeun… Et puis je ne sais pas pendant combien de temps je vais pouvoir faire illusion, parce que moi, le cinéma, tu sais… J’y vais deux fois par an, et encore… Bon, je te laisse, la voilà qui revient… Ok, je te raconterai… By…

Il range rapidement son portable. Marilyn revient avec un café à la main.

Marilyn (avec un grand sourire) – Et voilà… J’étais tellement excitée… Je suis toute mouillée…

Il la regarde avec des yeux ronds.

Marilyn (pour lever le malentendu) – Avec les secousses du train… Je me suis renversée votre verre d’eau dessus en venant jusqu’ici. Désolée… Vous voulez que j’y retourne ?

Il lui fait signe que non avec un sourire magnanime.

Marilyn (elle lui tend le café) – Heureusement, j’ai pu sauver le café… J’en ai laissé la moitié sur le costume du monsieur, là-bas, mais bon… Je crois qu’il en reste un peu au fond du gobelet…

Arthur – Merci…

Il prend une gorgée du café, et ils échangent quelques sourires embarrassés.

Arthur – Alors comme ça, vous êtes comédienne…?

Marilyn – Oui, je sais… Vous préféreriez sans doute un visage plus connu pour le premier rôle de votre film… Mais vous verrez, je vais vous étonner à Londres…

Il semble ne pas bien comprendre.

Marilyn – Au casting !

Arthur – Ah, oui, bien sûr…

Marilyn (comme une certitude) – Vous êtes bien Arthur Monerot, le réalisateur de cinéma ?

Arthur – Si vous le dites…

Marilyn (aux anges) – J’y crois pas !

Il se contente d’un sourire mystérieux.

Marilyn – Et vous l’imaginez comment, cette salope ?

Il ouvre des yeux ronds.

Marilyn – Votre héroïne ! Dans le scénario ! C’est quand même une belle salope, non ? Faire ça à ce pauvre type qui ne lui a rien fait… Mais excusez-moi, je n’aurais pas dû vous poser cette question… J’avais promis de ne pas être indiscrète… Et puis ce ne serait pas honnête par rapport aux autres candidates… (Ayant du mal à tenir en place) Mais je suis tellement excitée… Arthur Monerot ! Assis juste en face de moi, pendant trois heures ! Il faut bien que je profite un peu de la situation…

Il sourit.

Marilyn – Vous permettez que je vous pose une question…?

Arthur – Allez-y…

Marilyn – Vous couchez vraiment avec Laetitia Casta ?

Arthur – Heureusement que vous avez promis de ne pas être indiscrète…

Marilyn – Ah, non, mais là, ça ne concerne pas le casting, ça ne compte pas.

Arthur (se prenant au jeu) – Qu’est-ce que vous voulez savoir sur Laetitia ? Si c’est un bon coup ?

Marilyn – Évidemment, c’est difficile de rivaliser…

Arthur (amusé) – Euh… On parle toujours du casting, là ?

Marilyn – Les hommes sont des hypocrites. Toutes les célébrités sortent avec des top models, mais quand on leur demande pourquoi, ils répondent que c’est pour leur beauté intérieure… C’est à se demander comment Sœur Emmanuelle a pu rester célibataire toute sa vie… Vous descendez à quel hôtel ?

Arthur – Euh… Au Hilton, je crois… C’est mon assistante qui s’est occupée de ça… Cette idiote devait me rejoindre dans le train, mais elle a trouvé le moyen de le rater…

Marilyn – Ça nous permet de faire le voyage en tête à tête…

Arthur – Oui… Et vous ?

Marilyn – Moi…?

Arthur – Vous êtes à quel hôtel ?

Marilyn – Je n’ai pas les moyens de descendre au Hilton… Mais j’ai un ami à Londres… Enfin… C’est juste un ami… Il est mannequin…

Arthur – Ah, oui…

Marilyn – Je veux dire, euh… Je ne sors pas avec lui…

Arthur – Si il est homo…

Marilyn – J’ai dit qu’il était homo ?

Arthur – Ah, non, je…

Marilyn – Et vous restez plusieurs jours à Londres…? Je veux dire, après le casting…

Arthur – Euh… Non…

Marilyn – Non, je dis ça à cause de la taille de votre valise…

Arthur – Ah, oui… Non, mais… Il y a tous les dossiers des candidates, là dedans… Pour le casting… Ça pèse une tonne…

Marilyn – Vous avez bien reçu le mien, alors ?

Arthur – Ah, oui… Sûrement… Mais il y en a tellement, vous savez… Beaucoup d’appelées, et une seule élue…

Silence embarrassé. Il la déshabille du regard.

Arthur – Vous aussi, ils vous ont demandé de vous déshabiller…?

Marilyn – Pardon ?

Arthur – Non, je veux dire… À la douane… Avant d’embarquer…

Marilyn – Euh… Non…

Arthur – Bon…

Nouveau blanc.

Marilyn – Et pour le casting, il faudra se déshabiller…

Il est au bord de l’apoplexie.

Arthur – Mon Dieu… Je ne sais pas encore… Pourquoi pas…? (Plaisantant lourdement) Ça dépendra des candidates, j’imagine…

Marilyn – Comme le scénario est quand même assez… Je sais qu’il y a des comédiennes qui refusent les scènes de nu… Je voulais juste que vous sachiez que… Pour moi, ce n’est pas un problème…

Arthur – Ok…

Marilyn – Vous voulez voir mon book ?

Arthur (largué) – Vous avez un bouc ?

Marilyn – Mon book photo…

Arthur – Bien sûr… J’ai tout de suite vu que vous n’étiez pas la femme à barbe…

Elle sort son book de sa valise, et lui montre. Il regarde, visiblement impressionné.

Arthur – Ah, oui, c’est… Je suis sûr que vous avez beaucoup de talent…

Marilyn – Je sens que vous allez me parler de ma beauté intérieure…

Ils sont interrompus par la sonnerie du portable d’Arthur, qui répond machinalement, tout en continuant à regarder les photos de Marilyn, probablement assez déshabillées.

Arthur (ailleurs) – Allo… Qui…? Ah, Christelle… Si, si, excuse-moi mais… avec le bruit du train, je n’avais pas reconnu ta voix… (Visiblement embarrassé, il pose une main sur le combiné pour masquer sa voix et s’adresse à Marilyn) Excusez-moi, c’est mon assistante… (Il se lève précipitamment et commence à s’éloigner pour poursuivre sa conversation téléphonique). Oui Christelle, il y a un problème…? Non, je ne prends pas ça à la légère, mais bon… On ne va pas en faire un drame non plus… Non…! Ce n’est pas vrai ? Aucun billet avant un mois…?

Restée seule, Marilyn en profite pour rectifier son maquillage en se servant de la vitre côté salle comme miroir. Voyant revenir Arthur, elle remet son attirail dans son sac et, pour se donner une contenance, fait mine de s’intéresser au paysage par la fenêtre.

Arthur – Ok, je te rappelle en arrivant… Mais je ne te promets rien, hein ? Ce n’est pas sûr non plus que je puisse trouver tout de suite un billet pour revenir à Paris… Non, ça ne m’amuse pas… Tu imagines ? Si je dois passer le week-end tout seul à Londres ! Une grande nouvelle à m’annoncer ? Tu me fais peur là… (Apercevant Marilyn) Bon, écoute, je vais devoir te laisser, parce qu’on va rentrer dans le tunnel… Pourquoi je dis « on » et que je parle à voix basse ? Mais parce que je ne suis pas tout seul dans ce wagon, figure-toi ? On a beau être en première, ce n’est pas des compartiments privés comme dans l’Orient Express, non plus… Malheureusement… Et ça va être de ma faute, encore… C’est quand même bien toi qui as réussi à le rater, ce train, non…?

Il range son portable avec un mouvement d’humeur et s’adresse à nouveau en souriant à Marilyn.

Arthur – Pardon, j’avais juste un petit problème à régler… Maintenant, je suis tout à vous…

Elle lui répond avec un sourire plein de promesse.

Marilyn – Moi aussi…

Noir.

Acte 2

Arthur et Marilyn sont toujours assis face à face. Elle regarde par la fenêtre.

Marilyn (avec excitation) – Ça y est ! On est dans le tunnel !

Arthur – Ah, oui…?

Marilyn – C’est la première fois, alors j’ai quand même une petite appréhension… Pas vous ?

Arthur (blasé) – Oh… Je prends l’Eurostar au moins une fois par mois, alors vous savez…

Elle continue à regarder par la fenêtre, très excitée.

Marilyn – Vous vous rendez compte, on est au fond de La Manche !

Arthur (prenant sur lui) – Oui…

Marilyn (déçue) – Mais on ne voit rien, finalement…

Arthur – Qu’est-ce que vous vous attendiez à voir ? Des poissons ?

Elle sourit. Le téléphone d’Arthur sonne à nouveau, mais il ne réagit pas.

Marilyn – Vous ne répondez pas ?

Arthur – Oh, vous savez, si je répondais à chaque fois… Je n’en finirais pas…

Elle se rassied en face de lui.

Marilyn – Il faut que je vous avoue quelque chose, Arthur. Vous permettez que je vous appelle Arthur…?

Arthur – Oui…

Marilyn – Ce n’est pas tout à fait par hasard si je suis assise là, en face de vous…

Arthur – Vraiment…?

Marilyn – Je suis passée devant vous tout à l’heure. Je vous ai reconnu et… comme la place était libre… En fait, la mienne est dans le wagon suivant. En deuxième classe…

Arthur – Je m’en doutais un peu… C’est Christelle qui devait être assise là… Je veux dire ma… Mon assistante… Celle qui a raté le train…

Marilyn – Je peux retourner m’asseoir à ma place, si vous voulez…

Arthur (magnanime) – Il faut du culot pour réussir dans ce métier… Vous pouvez rester là…

Marilyn – Merci ! Je sais que j’ai encore tout à apprendre, mais je suis sûre qu’un jour, moi aussi, je descendrai à l’Hôtel Martinez à Cannes, et que je monterai les marches du Festival avec une robe à 200.000 euros…

Il sourit avec indulgence.

Marilyn – Racontez-moi. C’est comment, Cannes ?

Arthur – Oh, vous savez, quand on est obligé d’y aller tous les ans… Ça devient vite une corvée…

Marilyn – Tout de même…

Arthur – Finalement, qu’est-ce que c’est, Cannes ? Une grande foire… Vous êtes déjà allée au Salon de l’Agriculture ?

Marilyn (surprise) – Une fois, avec mon père… Il y a très longtemps…

Arthur – Eh bien Cannes, c’est pareil. Sauf qu’à la place des vaches, ce sont des célébrités qui concourent pour avoir la palme…

Marilyn – Vous dites ça parce que vous êtes blasé.

Arthur – Quand je n’ai pas de film en compétition, et que je peux rester à Paris pendant le festival, j’adore. Tout le monde est là bas. Le téléphone arrête de sonner pendant une semaine. On peut travailler tranquillement sans être dérangé…

Justement, le téléphone d’Arthur sonne à nouveau.

Marilyn – Encore une starlette qui vous harcèle pour avoir ce rôle…?

Arthur – Je pensais que dans le tunnel, ça ne passait pas, mais vous voyez… Même sous La Manche, pas moyen d’avoir la paix…

Marilyn – Je vous laisse tranquille cinq minutes. Je ne voudrais pas être indiscrète. Si c’est Laetitia…

Il s’apprête à répondre. Avant de disparaître, elle se retourne vers lui.

Marilyn (avec un sous entendu appuyé) – Je suis prête à aller très loin pour avoir ce rôle, vous savez ?

Visiblement troublé, il reste sidéré. La sonnerie insistante de son portable le rappelle à la réalité. Il répond enfin.

Arthur – Oui, Christelle… Non, c’est juste que… Je ne trouvais plus mon portable… Alors…? Ah, tu vas peut-être pouvoir trouver un billet…? Mais évidemment que ça me fait plaisir, qu’est-ce que tu racontes…? C’est notre anniversaire de mariage, quand même ! Ok… D’accord… Et c’est quoi cette nouvelle que tu avais à m’annoncer ? Écoute, je t’entends très mal, là… On est entré dans le tunnel… C’est même un miracle que la communication ait pu passer aussi bien entre nous jusque là… (Un bruit de freinage se fait entendre) Allo…? Allo…?

Marilyn revient.

Arthur – On a été coupé… (Inquiet) Mais qu’est-ce qui se passe ?

Marilyn – Je ne sais pas… On dirait que le train s’est arrêté.

Une voix se fait entendre dans les hauts parleurs.

Voix off – Mesdames et Messieurs, l’Eurostar est momentanément à l’arrêt après l’actionnement du signal d’alarme par un voyageur. Nous nous efforçons d’identifier au plus vite la cause de cet incident. Merci pour votre compréhension.

Arthur – Je n’aurais jamais dû le prendre, ce tunnel, je le savais…

Marilyn – C’est juste un petit arrêt… On va sûrement redémarrer tout de suite…

Arthur – J’aurais mieux fait d’y aller en bateau.

Marilyn – Même un bateau, ça peut couler, vous savez… Regardez le Titanic… 1500 morts. Mais 20 millions d’entrées. Ça fait rêver, non ?

Arthur – J’ai déjà englouti la moitié de mes économies en actions Eurotunnel, et maintenant c’est moi qui vais être englouti au fond de La Manche… Et vous croyez qu’ils nous diraient quelque chose…?

Marilyn (se levant) – Je vais allez voir ce qui se passe.

Arthur (pathétique) – Je vous en prie, ne me laissez pas tout seul !

Marilyn – J’en ai pour une minute ! Je reviens tout de suite… Ça va aller…

Elle se lève et s’éloigne. Il reste là, complètement angoissé.

Arthur – Je sens déjà l’eau qui suinte contre ma jambe… Je ne me suis quand même pas pissé dessus…? (Il met sa main dans la poche de sa veste et en sort le flacon d’alcool) Merde, je ne l’avais pas rebouché. (Il essaie de boire au goulot mais rien ne vient) Plus rien à boire… (Il sort son portable et compose un numéro) Et plus de réseau… C’est le début de la fin… Je ne pourrai même pas laisser un message d’adieu à ma femme pour lui dire que je l’aime avant que l’eau ne commence à envahir le wagon… Comme ces pauvres gens à New York avant que les tours ne s’écroulent sur eux… (Un temps) Et cette garce qui a réussi à rater ce putain de train. C’est peut-être ça qui va lui sauver la vie. Ça doit être ça, l’intuition féminine. On dirait qu’elle le sentait, la salope…

Marilyn revient.

Arthur (angoissé) – Alors ?

Marilyn – Ils m’ont parlé d’un incident voyageur, mais vous savez ce que c’est… Dans le RER, ça veut dire un suicide, alors dans l’Eurostar, allez savoir ce que ça peut être… On a quand même plusieurs kilomètres d’eau au-dessus de nos têtes… C’est pour ne pas affoler les voyageurs…

Arthur – Comme dans les avions juste avant le crash… Oh, mon Dieu ! Et si c’était une attaque terroriste ?

Marilyn – Malheureusement, ce n’est pas à exclure… J’aurais quand même eu la chance de vous rencontrer avant de mourir carbonisée et noyée…

Arthur – C’est une punition divine, je vous dis. Souvenez-vous de cette tour dont on parle dans la Bible…

Marilyn – On parle des Twin Towers, dans la bible ?

Arthur – La Tour de Babel ! Jamais on aurait dû creuser ce tunnel ! C’est contre nature. L’Angleterre devait rester une île… C’est évident que ces roast-beefs ne font partie de l’Europe… Pas plus que les Turcs ou les Grecs…

Marilyn – Ça sent le Ouzo, non ? Ou le kérosène…

Arthur – Ça marche au kérosène, l’Eurostar ?

Marilyn – Ou l’alcool à brûler…

Arthur – Ah, euh… Non, ça, c’est juste un peu de whisky qui a dû couler dans ma poche…

Il resort la bouteille vide de sa poche.

Arthur – Je ne pourrais même pas lui dire une dernière fois que je l’aime…

Marilyn – À Laetitia ?

Arthur – À Christelle !

Marylin – Vous êtes aussi amoureux de votre assistante ?

Arthur (regardant la bouteille vide) – Et si je lui glissais un message d’adieu dans cette bouteille… Elle, au moins, elle aurait peut-être une chance de remonter à la surface… Vous avez un crayon et du papier ?

Marylin – C’est vous l’auteur…

Voix off – Mesdames et Messieurs les voyageurs, la présence d’un bagage suspect nous oblige à stationner quelques instants dans le tunnel, en attendant que nos services de sécurité s’assurent qu’il ne s’agit pas d’un engin explosif. Je n’ai pas besoin de vous préciser les conséquences catastrophiques que pourrait avoir l’explosion d’une bombe à l’endroit où nous nous trouvons… Merci de rester assis à vos places et de ne pas paniquer. Nous vous tiendrons bien sûr informés de l’évolution de la situation…

Arthur – Oh, non, ce n’est pas vrai… Mais alors pourquoi ils ne se dépêchent pas de nous en faire sortir, de ce tunnel, cette bande de tarés ! Au lieu de nous laisser plantés là en attendant que ça pète…

Marilyn – Ils craignent peut-être que le mouvement du train ne fasse exploser l’engin… Comme dans le Salaire de la Peur, vous savez… La nitroglycérine… Quel chef d’œuvre, encore ! Un grand classique, non ?

Arthur – On va mourir, je vous dis…

Marilyn – Et on ne sera pas allé jusqu’au bout de nos rêves… Vous ne tournerez pas ce film qui aurait été le couronnement de votre carrière… Et moi je ne monterai jamais les marches du Festival de Cannes à votre bras en tant que vedette de votre film…

Arthur (ailleurs) – Oh, putain… Mais fermez-la… Vous allez nous porter la poisse…

Marilyn – Qu’est-ce que vous feriez, Arthur, si vous étiez sûr qu’il ne vous restait plus que dix minutes avant le grand départ ?

Arthur (anéanti) – Ma valise…?

Marilyn – Imaginez ! Plus que dix minutes à vivre avant une mort certaine. Et plus d’après pour subir les conséquences de vos actes. Vous faites quoi ?

Arthur – Je ne sais pas… Je dévaliserais une banque…?

Marilyn – En dix minutes, vous n’auriez pas beaucoup de temps pour dépenser votre butin…

Arthur – D’un autre côté, si je me fais prendre, je suis sûr de ne pas faire plus de dix minutes de prison…

Marilyn – Moi, la perspective de mourir, ça m’excite… Vous savez… Eros et Thanatos…

Arthur – Qui…?

Marilyn – Dix minutes, Arthur. Moins peut-être. Pour réaliser un dernier fantasme. Satisfaire un dernier désir. (Provocante) Vous avez déjà fait l’amour dans les toilettes de l’Eurostar ?

Il la regarde comme un lapin pris dans les phares d’une voiture.

Arthur – Dix minutes…?

Marilyn (le prenant par la main) – Croyez-moi, Arthur… Ce n’est pas par hasard si nous nous sommes rencontrés aujourd’hui dans ce tunnel… C’était notre destin…

Elle l’entraîne vers le bout du wagon…

Noir.

Acte 3

Arthur et Marilyn sont à nouveau assis l’un en face de l’autre dans l’Eurostar toujours à l’arrêt. Silence gêné. Arthur, dans un état second, se penche vers la fenêtre.

Arthur – Il me semble apercevoir une lumière au bout du tunnel… Vous croyez qu’on est déjà mort ?

Marilyn (soupirant) – Dix minutes, et le grand embrasement n’a pas eu lieu…

Arthur – Désolé… Moi, la perspective de mourir successivement carbonisé et noyé au fond de La Manche, ça ne m’excite pas du tout…

Marilyn – Je parlais du colis piégé… Les dix minutes sont passées, et notre Eurostar n’a pas encore explosé. C’était peut-être une fausse alerte… (Avec un sous-entendu un peu inquiétant) Et finalement, chacun va quand même devoir faire face aux conséquences de ses actes…

Arthur (poursuivant sa pensée) – Et puis cette idée de filmer nos derniers ébats avec mon téléphone portable, ça ne m’a pas beaucoup aidé non plus…

Marilyn – Vous n’aimez pas qu’on vous filme, Arthur…? C’est vrai que pour un cinéaste… C’est un peu l’arroseur arrosé…

Arthur (embarrassé) – Au fait, j’aimerais bien le récupérer, maintenant… Mon téléphone…

Ils sont interrompus par une annonce dans les hauts parleurs.

Voix off – Mesdames et Messieurs les voyageurs, nous venons d’identifier le propriétaire du bagage abandonné dans la voiture numéro 8. D’après l’étiquette, il appartiendrait à Madame Fernandez, 19 rue Jules Ferry à Fontenay-aux-Roses. Si cette personne se trouve à bord du train, nous la prions de se manifester immédiatement auprès du personnel de bord pour récupérer sa valise. Faute de quoi les démineurs de la Police des Frontières seront contraints de débarquer ce bagage pour le détruire afin que nous puissions poursuivre notre voyage…

Arthur – La valise de Christelle…!

Marilyn – Pardon ?

Arthur – C’est ma valise ! Enfin celle de mon assistante… Elle a dû la déposer dans le mauvais wagon avant de redescendre acheter Marie-Claire…

Marilyn – Et de rater son train… Décidément… Je me demande si vous ne feriez pas mieux de changer d’assistante…

Arthur – Il faut absolument que je récupère la valise de Christelle… Je l’ai déjà plantée toute seule sur le quai de la Gare du Nord… Si je laisse les robocops de l’Eurostar désintégrer sa garde robe, elle va me tuer…

Il se lève d’un bond pour partir quand le regard de Marilyn se pose sur la valise posée sur le siège d’à côté.

Marilyn – Mais alors cette valise-là, elle est à qui ?

Arthur se fige.

Arthur – Merde, c’est vrai…

Marilyn – C’est peut-être dans celle-là qu’est la bombe… Elle a l’air abandonnée, puisqu’on n’a pas vu son propriétaire depuis notre départ de la Gare du Nord… (Dramatique) Je vous conseille de vous rasseoir doucement et d’éviter d’éternuer…

Il obtempère, tétanisé.

Arthur – Il faut prévenir la sécurité…

Marilyn – En même temps… On en aurait encore pour une heure à rester plantés là dans ce tunnel ! Je vous rappelle qu’on a un casting sur le feu… (Se levant) Tant pis, il faut vivre dangereusement !

Marilyn s’empare fermement de la valise.

Arthur – Mais vous êtes folle ! Qu’est-ce que vous faites ?

Marilyn – Vous m’avez bien dit que pour réussir dans ce métier, il fallait un peu de couilles ?

Arthur – J’ai dit ça ?

Elle ouvre brusquement la valise, sous le regard terrifié d’Arthur.

Arthur – Non !

Mais aucune explosion ne se produit.

Marilyn – Vous voyez, il n’y a rien à craindre…

Arthur – Non, mais je n’étais pas si inquiet que ça non plus… (Intrigué) Qu’est-ce qu’il y a là dedans…?

Marilyn examine le contenu de la valise. Elle sort un séchoir à cheveux qu’elle braque comme un pistolet en direction d’Arthur, à nouveau apeuré.

Marilyn – En tout cas, ça ne ressemble pas tellement à une bombe…

Arthur n’est toujours pas très rassuré. Continuant à fouiller, Marilyn sort de la valise un document broché.

Marilyn – Tiens, qu’est-ce que c’est que ça…? (Elle feuillette le document) Non, le scénario du film !

Arthur – Quel film ?

Marilyn – Votre film ! Vous voyez bien que c’est votre valise… Enfin celle de votre assistante…

Arthur (largué) – Ah, ouais…?

Continuant son exploration, Marilyn sort de la valise des dessous féminins affriolants.

Marilyn – Eh ben… Vous n’avez pas l’air de vous ennuyer avec votre assistante pendant vos séjours professionnels à Londres… Laetitia est au courant ?

Arthur ouvre des yeux ronds, mais il n’a pas le temps de répondre. On entend une explosion sourde.

Arthur (paniqué) – Ça y est, c’est la fin… Vous avez entendu cette explosion…?

Marilyn – Ce n’est rien… C’est sûrement la valise de Madame Fernandez que les démineurs viennent de faire sauter…

Arthur se lève d’un bond, catastrophé.

Arthur – Non…?

Marilyn – On s’en fout, puisque ce n’est pas la vôtre ! Enfin celle de votre assistante… (L’invitant à se rasseoir) Tout va bien, ne vous inquiétez pas ! (Désignant la valise sur le siège) Votre valise est là… (Regardant par la fenêtre) D’ailleurs, vous voyez, on repart déjà !

Anéanti, il tente de se faire une raison. Elle le regarde en souriant.

Marilyn – Dans une heure à peine, on sera à Londres. Détendez-vous…

Il se relâche un peu.

Arthur – Vous avez raison… Ce n’est qu’une valise après tout… Sur Air France aussi ça arrive qu’ils perdent des valises…

Marilyn – Bien sûr…

Arthur (à mi-voix pour lui-même) – Je n’aurais qu’à lui dire ça à Christelle…

Marilyn – Vous voulez voir le film ?

Arthur (s’égayant un peu) – Il y a un film dans l’Eurostar ? Comme dans les avions ? Allez savoir, des sirènes vont peut-être aussi nous apporter un plateau repas…

Marilyn sort de sa poche le portable d’Arthur et le brandit sous son nez.

Marilyn (sur un ton coquin) – Je parle du film que j’ai tourné tout à l’heure avec votre portable… (Minaudant) Vous n’avez pas déjà oublié, quand même…

Arthur (se souvenant) – Je ne sais pas ce qui s’est passé, je suis vraiment désolé… C’est la première fois que ça m’arrive, je vous assure…

Marilyn – Tous les hommes disent ça… Mais ce n’est pas grave, rassurez-vous… Une petite panne, ça arrive…

Arthur – Ah, non, je veux dire, euh… De sauter dans le train sur les inconnues, comme ça… Ce n’est vraiment pas dans mes habitudes…

Marilyn (amusée) – Les inconnues…?

Arthur – Vous aviez réussi à me persuader que j’allais mourir dans les dix minutes, sinon, vous pensez bien… Je n’aurais jamais eu l’idée de vous sauter dessus…

Marilyn (ironique) – Je ne sais comment je dois le prendre…

Arthur – Excusez-moi, ce n’est pas du tout ce que je voulais dire…

Marilyn – En tout cas, on aura déjà fait un bout d’essai ensemble. (Elle regarde le film sur l’écran du téléphone). C’est un film amateur, bien sûr, mais bon… L’image est quand assez nette… Vous, en tout cas, on vous reconnaît très bien…

Le visage d’Arthur se décompose.

Marilyn – Ça nous fera un petit souvenir de notre voyage ensemble en Eurostar…

Arthur fait un geste pour reprendre son portable.

Arthur – Je ne sais pas si…

Elle esquive pour garder le téléphone hors d’atteinte d’Arthur.

Marilyn – Vous croyez que ça plairait à votre assistante ? Ou à Laetitia…? Je n’ai qu’à appuyer sur la touche rappel, et je lui envoie mon premier court métrage… Je sens que c’est le début d’une grande carrière…

Il la regarde de plus en plus inquiet, puis il se lève et fait un geste pour lui arracher le portable.

Arthur – Donnez-moi ça !

Marilyn – Si vous ne vous rasseyez pas tout de suite, je hurle, je déchire mes vêtements, et je vous accuse d’avoir essayé de me violer dans les toilettes tout à l’heure.

Arthur – Mais…

Marilyn – Certains cinéastes ont été extradés vers les États Unis pour moins que ça.

Arthur – Vous n’êtes pas américaine… et vous faites quand même plus de treize ans ?

Marilyn – C’était juste une image. Mais je vous jure que vous allez regretter que ce train n’ait pas explosé au fond de La Manche, finalement…

Arthur est sous le choc.

Arthur – Vous êtes qui au juste ?

Soudain transfigurée en killeuse, elle lui lance un regard foudroyant.

Marilyn – Ton pire cauchemar…

Totalement déstabilisé, il reste un instant sans voix.

Arthur – Ok, je ne suis pas Arthur Monerot…

Marilyn (ironique) – Et moi je ne suis pas Marilyn Mileur…

Arthur – Ah bon ?

Marilyn – C’est ça, foutez-vous de moi, en plus…

Arthur – Mais, je ne fous pas de vous, je vous jure. Bon, d’accord, j’ai un peu déconné… Je ne suis pas…

Marilyn (le coupant) – Je sais très bien qui vous êtes : un salaud !

Arthur – Mais qu’est-ce que vous voulez, enfin ?

Marilyn – Je veux ce rôle !

Arthur – Quel rôle ?

Marilyn – Le premier rôle dans votre nouveau film ! Le casting, à Londres ! Ce sera moi, et personne d’autre !

Arthur – Ça, je crois que ça ne va pas être possible…

Marilyn – Ok… (Elle s’apprête à pianoter sur le téléphone) J’envoie la vidéo à Laetitia…

Arthur – Non, je vous en supplie, ne faites pas ça…

Marilyn – Alors vous voyez que vous êtes bien Arthur Monerot !

Arthur – C’est à dire que…

Elle lui lance un regard méprisant.

Marilyn – Vous ne vous souvenez vraiment pas de moi ?

Arthur – Je devrais…?

Marilyn – C’était à Cannes, justement. Vous savez ? (Le singeant) C’est comme le Salon de l’Agriculture… Il faut croire que vous m’avez prise pour une dinde !

Arthur – Vous devez confondre, je vous assure…

Marilyn – J’étais venue dans l’espoir de rencontrer un réalisateur, comme beaucoup de jeunes comédiennes un peu naïves comme moi. Je vous ai aperçu après une projection dans un club très privé où j’avais réussi à entrer parce que je connaissais le videur.

Arthur – Franchement, une fille comme vous… Je m’en souviendrais…

Marilyn – J’ai vite compris que si je voulais obtenir un rôle, il fallait d’abord passer par la case Martinez.

Arthur – Martinez ? Je n’étais pas supposé m’appeler Monerot ?

Marilyn – L’Hôtel Martinez, à Cannes ! Je parle de la suite que vous occupiez là-bas cette année-là.

Arthur – Ah, oui, évidemment…

Marilyn – Et dire qu’en fait de palace, vous m’avez traînée à cinq heures du matin dans un Hôtel Ibis… Vous aviez honte de moi, c’est ça ?

Arthur – Mais pas du tout, enfin… D’ailleurs, ce n’est pas si mal que ça les Hôtels Ibis… J’y emmène très souvent ma femme… Je veux dire mon assistante…

Marilyn – Oh, je n’étais pas naïve à ce point. Je savais que dans ce métier, comme vous dites, il faut avoir beaucoup de culot. Et qu’il faut surtout être prête à certains compromis.

Arthur – Certains hommes aussi doivent coucher pour y arriver, vous savez…

Marilyn – Ce que je ne vous pardonne pas, c’est de ne pas m’avoir rappelée après le festival comme vous me l’aviez promis. Et de ne m’avoir jamais proposé le moindre rôle en compensation de mon sacrifice.

Arthur – Sacrifice… Ce n’est pas moi qui vous ai sauté dessus, tout à l’heure…

Marilyn – Mais qu’est-ce que vous imaginez… Ça c’était juste la deuxième manche.

Arthur – La Manche ?

Marilyn (brandissant le portable d’Arthur) – Un piège ! Pour avoir une monnaie d’échange, cette fois. D’ailleurs, tu ne m’as pas fait grand chose, hein, mon pauvre biquet… La première fois, tu étais quand même plus vaillant…

Arthur – Mais je vous jure que…

Marilyn – On peut se tutoyer, non ? On est assez intime, maintenant… Je n’en revenais pas que tu ne me reconnaisses même pas tout à l’heure quand je t’ai abordé en partant de la Gare du Nord !

Arthur – Mais puisque je vous dis… (Elle lui lance un regard réprobateur) Puisque je te dis que je ne suis pas Arthur Monerot. Je ne suis pas réalisateur. Je ne vais jamais au cinéma. C’est à peine si je regarde la télé en dehors du foot… Je n’ai même pas encore vu Camping 3 !

Marilyn – Franchement, tu me déçois… Je m’attendais à mieux, comme défense… C’est avec ça que tu espères t’en tirer ?

Arthur – Mais je…

Marilyn – C’est le moment de l’addition, Arthur… Je vais me venger. Et je vengerai en même temps toutes les victimes de tes mensonges… Ce sera le rôle de ma vie !

Arthur – Ok, j’ai menti, je le reconnais. Et je suis prêt à payer…

Marilyn – Ah, on progresse.

Arthur – Mais la seule fois où j’ai mis les pieds à Cannes, c’était pour un stage de remotivation commerciale. Je suis VRP chez Pernod Ricard !

Marilyn – Ça y est, tu recommences ! (Elle saisit à nouveau le portable). Cette fois, j’envoie la vidéo…

Arthur – Non, attendez…!

Elle appuie sur une touche.

Marilyn – Tu as de la chance, on est encore dans le tunnel. Il n’y a pas de réseau. Mais c’est seulement un sursis…

Arthur – Je vous jure que je peux tout expliquer…

Marilyn – Sans blague !

Arthur – C’est vrai, tout à l’heure, je me suis fait passer pour Luc Besson. Histoire de me marrer un peu…

Marilyn – Tu t’enfonces, là…

Arthur – Je veux dire… dans l’espoir de briller à vos yeux et de vous séduire… Ok, éventuellement de tirer un coup aussi…

Marilyn – Et je peux te dire que tu n’es pas un bon fusil.

Arthur – Et je vous en demande pardon… Je veux dire de vous avoir menti… Mais je ne suis pas Arthur Monerot, je vous assure… (Avec un grand sourire) Et je peux le prouver très simplement…

Marilyn – Ah oui…?

Arthur (plongeant la main dans sa poche) – Il suffit que je vous montre mes papiers d’identité… (Tandis qu’il explore les profondeurs de ses poches, son sourire disparaît) Merde… Ils sont restés dans la valise !

Marilyn – Quelle valise ?

Arthur – Celle qui a explosé !

Marilyn (montrant la valise posée sur le siège) – Elle est là ta valise.

Arthur – Ça c’est celle d’Eric Besson !

Marilyn – Tu es vraiment pathétique…

Arthur – Mais je vous jure que… D’ailleurs, il est où, ce réalisateur ? Il est dans le train, puisque sa valise est là ! (Il se lève) Je vais le trouver, et vous verrez bien que ce n’est pas moi.

Elle lui lance un regard méfiant.

Marilyn – Très bien. Tu as dix minutes pour ça. De toute façon, tu ne risques pas de descendre du train en marche, on roule à 300 kilomètres heure. (Brandissant le téléphone) Mais dans dix minutes, on sera sorti du tunnel…

Arthur – Sorti du tunnel… Dieu vous entende…

Les haut-parleurs se font à nouveau entendre.

Voix off – Mesdames et Messieurs les voyageurs, nous vous rappelons que le bar est ouvert dans la voiture 9. Notre maître d’hôtel tient à votre disposition toute une gamme de boissons froides, chaudes ou tièdes à des prix dérisoires, un assortiment varié et avarié de délicieux club sandwichs, sans oublier notre fameux chariot de desserts faits maison…

Marilyn regarde Arthur s’éloigner en parlant tout seul, visiblement très perturbé, pour ne pas dire qu’il commence vraiment à ressembler à un fou.

Arthur – Ça doit être un sosie… Je le reconnaîtrai facilement… (Se tournant une dernière fois vers Marilyn) Il est peut-être au wagon-bar…?

Restée seule, Marilyn esquisse un sourire. Le téléphone d’Arthur qu’elle tient dans la main se met à sonner. Elle prend la communication.

Marilyn – Allo ? Non, c’est sa nouvelle assistante à l’appareil. Il n’est pas disponible pour le moment. Je peux lui laisser un message ? Vous attendez un enfant de lui ? Très bien, je lui transmettrai. Et je peux me permettre de vous demandez votre nom au cas où il souhaiterait vous rappeler ? Christelle, parfait, je vous remercie…

Elle coupe la communication et sourit à nouveau.

Marilyn – Qui a dit que les communications ne passaient pas, dans ce tunnel… (Elle reprend le téléphone) Voyons voir… Christelle… Touche rappel… (Elle appuie sur une touche). C’est parti… Cette petite vidéo devrait lui plaire… comme cadeau d’anniversaire de mariage.

Noir.

Acte 4

Marilyn est plongée dans la lecture du scénario. Arthur revient, l’air dépité.

Arthur – Qu’est-ce que vous faites ?

Marilyn – Je commence à apprendre mon texte ! Puisque je vais avoir le rôle. N’est-ce pas ? À moins que vous n’ayez trouvé votre sosie…?

Arthur – J’ai parcouru tout le train dans les deux sens en dévisageant chaque voyageur. Ils ont dû me prendre pour un fou. Mais personne qui me ressemble un tant soit peu.

Marilyn – Une chance pour eux…

Arthur (commençant à perdre la raison) – Je ne comprends pas… Il a peut-être raté son train, lui aussi… Je devrais peut-être appeler Christelle pour savoir s’il n’est pas avec elle…

Marilyn – Bon, maintenant, assez plaisanté. Il y a des mois que je prépare ma revanche. Quand j’ai su pour ce casting à Londres, je me suis doutée que vous seriez dans ce train. J’ai tout prévu. (Elle sort un contrat qu’elle lui place sous le nez) Même mon contrat d’engagement comme comédienne pour le premier rôle dans votre film.

Arthur – Ah, oui…?

Marilyn – Vous verrez que le montant du cachet est tout à fait raisonnable…

Arthur jette distraitement un coup d’œil sur le contrat.

Arthur – Deux cents mille euros, quand même… Ça fait combien en livres sterling ?

Marilyn – Vous n’avez plus qu’à signer là en bas de la page.

Arthur (revenant un peu à la réalité) – Ça ne servirait à rien, je vous assure…

Marilyn regarde par la fenêtre.

Marilyn – Ah, on est sorti du tunnel ! Je vais pouvoir envoyer cette vidéo à Laetitia…

Au moment où elle sort le téléphone d’Arthur, celui-ci se met à sonner. Flottement. Ils échangent un regard. Puis Arthur se décide.

Arthur – Eh bien vous n’avez qu’à répondre ! Vous verrez bien que ce n’est pas Laetitia Casta qui m’appelle. Et qu’elle ne demande pas à parler à un célèbre réalisateur de cinéma…

Marilyn – Très bien… (Elle prend la communication) Allo ? Qui ? De la part de qui ? Désolée, ça doit être une erreur…

Elle coupe la communication.

Arthur – Alors ?

Marilyn – C’était une certaine Madame Fernandez qui voulait parler à son mari…

Arthur (triomphant) – Ah ! Vous voyez bien !

Marilyn – C’est qui, cette Madame Fernandez ? Votre femme de ménage…?

Arthur – C’est ma femme… On partait fêter notre anniversaire de mariage à Londres… C’est là bas qu’on s’est rencontré…

Marilyn – Alors vous n’êtes pas Arthur Monerot !

Arthur (soulagé) – C’est ce que je me tue à vous expliquer. Vous me croyez, maintenant ?

Elle le regarde froidement dans les yeux.

Marilyn (féroce) – Mais vous êtes un monstre !

Arthur – Pardon ?

Marilyn – Alors quand je vous ai rencontré dans cette boîte à Cannes, et que je vous ai pris pour un réalisateur de cinéma… vous m’avez sciemment laissé croire ça dans l’intention d’abuser de moi…

Arthur – Mais je vous jure que je n’ai jamais mis les pieds dans cette boîte ! Je m’en souviendrais ! Enfin, je crois…

Marilyn – Vous êtes un imposteur, un maniaque, un minable ! Alors vous n’aviez même pas de rôle à me proposer… Au moins, je comprends maintenant que vous ne m’ayez jamais rappelée…

Arthur – Me faire passer pour un autre pour abuser d’une femme ? Jamais je n’aurais fait une chose pareille, je vous assure…

Marilyn – Et tout à l’heure, dans ce train, vous ne vous êtes pas fait passer pour Arthur Monerot, peut-être…

Arthur – C’est à dire que… Vous m’avez quand même un peu tendu la perche…

Marilyn – C’est ça, ça va être de ma faute, maintenant ! Vous vous êtes bien foutu de moi, hein ? (Elle le considère avec un souverain mépris) Vous êtes encore pire que je ne pensais !

Arthur (pour lui-même) – Je ne vais jamais m’en sortir, moi…

Marilyn – Si vous arrêtiez de mentir…

Arthur – Écoutez, je ne sais plus… Je suis peut-être allé dans cette boîte… Je ne m’en souviens pas… J’étais peut-être saoul… Vous savez, les soirées entre VRP de chez Pernod Ricard, évidemment, c’est souvent très arrosé… Qu’est-ce qui s’est passé, exactement, entre nous, dans cet Hôtel Formule 1 ?

Marilyn (agressive) – Ibis ! Vous voulez des détails…?

Arthur – Non, non, je vous crois… Mais alors comment je peux me faire pardonner ? Je suis vraiment désolé, mais une chose est sûre, c’est que je ne suis pas réalisateur de cinéma… Même si je le voulais, et je le voudrais sûrement, je ne pourrais pas vous donner ce rôle.

Marilyn – Et vous dites que vous partiez fêter votre anniversaire de mariage avec votre femme à Londres.

Arthur – Oui…

Marilyn – Très bien… Alors c’est à elle que je vais envoyer ce film…. Elle verra quel porc vous êtes… Tenter d’abuser d’une inconnue dans les toilettes de l’Eurostar après avoir abandonné sa femme sur le quai de la Gare du Nord. Le jour de son anniversaire de mariage… Mais quel genre de type vous êtes ?

Arthur – J’ai vraiment honte de moi, je vous assure, mais… Je suis un homme…

Marilyn – Quoi de plus naturel en somme… Et bien Madame Fernandez va voir quel genre d’homme est son mari…

Elle brandit le portable.

Arthur (terrorisé) – Non, pas ça. Par pitié. Pas le jour de notre anniversaire de mariage… (Il fouille dans ses poches et en sort sa liasse de livres sterling). Tenez, j’ai là mille livres sterling en liquide. Je vous les donne…

Marilyn (offusquée) – Vous me prenez pour qui ? Une femme de footballeur ?

Arthur – Désolé, j’ai été maladroit. Mais, ce sera juste pour payer vos frais de séjour à Londres, pour ce casting. Je suis sûr que vous avez beaucoup de talent. Vous aurez ce rôle ! C’est la chance de votre vie ! Avec ça, vous pourrez descendre au Hilton et rencontrer votre fameux réalisateur !

Elle semble vaciller.

Marilyn – Vous croyez que j’ai encore une chance…?

Arthur – Mais bien sûr… Je suis certain que vous êtes une excellente comédienne. Vous venez de le prouvez… Et avec votre physique… et votre tempérament.

Elle hésite, puis finit par prendre l’argent qu’il lui tend.

Marilyn – Ok… mais vous vous en sortez bien…

Arthur – Je sais…

Voix off – L’Eurostar numéro 3212 arrivera à Londres dans quelques instants… Waterloo, terminus… Tous les voyageurs descendent de voiture… Correspondance pour Paris, même quai en face…

Arthur – Je crois que je vais prendre la correspondance… Euh… Je peux récupérer mon téléphone, maintenant…?

Marilyn – Ok… Mais je veux encore une dernière chose, pour que ma vengeance soit totale… Et puis ce sera ma garantie pour que vous ne vous précipitiez pas sur votre téléphone dès que j’aurais tourné les talons pour me dénoncer à la police et récupérer vos livres sterling…

Arthur (inquiet) – Je vous jure que…

Marilyn – Avouez que maintenant, je vais avoir du mal à vous croire sur parole…

Arthur – Bon… Mais qu’est-ce que vous voulez ?

Marilyn – Suivez-moi jusqu’aux toilettes.

Arthur – Encore !

Marilyn – Ah, et puisque cette valise n’est pas à vous, je la prends. J’irais la rapporter à Arthur Monerot. Ce sera l’occasion de faire vraiment sa connaissance… En espérant que ce ne soit pas un sale type dans votre genre…

Noir.

 

 

Acte 5

Le même décor, vide. Après quelques instants, on voit revenir Arthur seul, hagard… et en caleçon.

Voix off – Mesdames et Messieurs, merci d’avoir choisi Eurostar. Nous espérons que vous avez passé un agréable voyage. Avant de quitter le train, veuillez vérifier que vous n’avez rien oublié à bord. Nous vous souhaitons un excellent séjour à Londres, et nous espérons avoir le plaisir de vous accueillir bientôt à nouveau sur nos lignes…

Arthur a l’air anéanti. Son téléphone sonne, et il prend l’appel machinalement.

Arthur (sur un ton monocorde) – Ah, Christelle… Alors finalement, tu as pu avoir un billet… Dans une demi-heure à Waterloo, ok… Non, non, tout va bien, je t’assure… Qui était cette femme qui t’a répondu tout à l’heure au téléphone ? Aucune idée… Si, si, c’était bien mon numéro… Si tu le dis… Écoute, je t’expliquerai, d’accord…? Le film ? Quel film ? Ah, la vidéo… La salope… Écoute, je peux tout t’expliquer, je t’assure… Enfin, je peux essayer… Et c’était quoi, cette grande nouvelle que tu avais à m’annoncer ? Tu demandes le divorce ? On en parle tout à l’heure, d’accord ? (Il écarte le combiné de son oreille pour la protéger des hurlements de Christelle) Écoute, il faut que je te laisse, là, on va être coupés… Je n’ai plus de pièces…

Tel un zombie, il range son téléphone, et s’écroule sur son siège. Le scénario du film traîne sur le siège d’à côté. Il le prend et s’apprête à l’ouvrir quand son téléphone sonne à nouveau.

Arthur – Fred…? Je suis vraiment dans la merde… Écoute, c’est un peu compliqué à résumer… Dis-moi, tu te souviens être allé avec moi à Cannes dans une boîte très sélecte, après notre séminaire de remotivation commerciale ? Mmmm… Et j’étais vraiment très bourré…? Mmmm… Et tu ne te souviens pas m’avoir vu avec une certaine Marilyn…? Mmmm…

Machinalement, il reprend le scénario et regarde le titre.

Arthur (lisant) – Eurostar, un film d’Arthur Monerot… avec Marilyn Mileur… Non, non, je lisais le titre du scénario… Arthur Monerot, oui, c’est le nom du réalisateur. Et Marilyn Mileur… Ça te dit quelque chose…? Non, moi, ça ne me dit rien… Arthur Miller et Marilyn Monroe…? Oui, ça, ça me dit vaguement quelque chose… Alors tu crois que…? Non, non, ce n’est pas la peine, merci Fred…

Il pose son téléphone, et se plonge et ouvre le scénario à la première page.

Arthur (lisant la première réplique) – Marilyn : Pardon, mais je crois que votre valise est assise à ma place…

Arthur, totalement anéanti, lâche le scénario.

Arthur – Ah, oui… Je crois qu’elle fera une grande carrière…

Noir.

 

 

 

Épilogue

Le même décor. Un homme est assis à l’une des places. Son visage est caché aux spectateurs par L’Équipe, qu’il est en train de lire. La même présumée valise d’Arthur Monerot est posée sur le siège en face de lui.

Voix off – Mesdames et Messieurs les voyageurs, l’Eurostar numéro 3233 à destination de Paris Gare du Nord va partir. Attention à la fermeture automatique des portes.

Marilyn arrive, exactement de la même façon qu’elle était arrivée au début de la pièce, en tirant sa petite valise à roulettes. Elle fait un premier passage, jette un regard intrigué vers l’homme, continue, puis revient sur ses pas quelques instants plus tard.

Marilyn – Excusez-moi de vous importuner, mais je vous ai reconnu tout de suite…

L’homme s’apprête à baisser son journal pour lui répondre.

Noir.

Scénariste pour la télévision et auteur de théâtre, Jean-Pierre Martinez a écrit une vingtaine de comédies régulièrement montées en France et à l’étranger :

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables sur

www.comediatheque.com

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Novembre 2011

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-01-7

Ouvrage téléchargeable gratuitement

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