Farniente

Alban et Ève.

Alban – Ça fait du bien d’être en vacances…

Ève – Enfin !

Alban – Ne penser à rien.

Ève – Ne rien faire.

Alban – Ne voir personne.

Ève – Le pied intégral.

Un temps.

Alban – C’est le bout du monde, ici.

Ève – C’est ce qu’on voulait, non ? Être tranquille.

Alban – Ça pour être tranquille, on est tranquille.

Alban – Pas d’ordinateur…

Ève – Pas de téléphone.

Alban – De toute façon, il n’y a pas de réseau.

Un temps.

Ève – Tu crois qu’on va tenir trois semaines ?

Alban – Les trois premiers jours seront peut-être un peu difficiles. Comme quand on arrête de fumer. Après, ça ira.

Ève – Il faut avouer que c’est magnifique.

Alban – Oui. C’est vraiment le paradis.

Ève – L’endroit idéal pour se reposer et tout oublier.

Alban – On se demande comment on fait pour vivre en ville toute l’année.

Ève – C’est vrai qu’un peu de verdure…

Alban – Au moins, on respire.

Ève – Et puis ce silence…

Silence.

Alban – Limite, ça ferait mal aux oreilles.

Ève – Quand on n’est plus habitués…

Alban – Et quel dépaysement.

Ève – C’est sûr.

Un temps.

Alban – On n’est pas déjà venus, ici ?

Ève – Ici ? On s’en souviendrait…

Alban – En même temps, la campagne… C’est partout pareil, non ?

Ève – Oui.

Un temps.

Alban – C’est vraiment isolé, quand même.

Ève – Ça, on ne va pas être dérangés par les voisins.

Alban – C’est limite inquiétant. Si on avait un problème.

Ève – Quel problème on pourrait bien avoir ? On est en vacances.

Alban – Je ne sais pas, moi… Un accident domestique…

Ève – Tu feras attention en lavant la salade.

Alban – Une hémorragie cérébrale… Un infarctus… Le temps que le SAMU arrive…

Ève – Tu as raison, on aurait dû apporter un défibrillateur.

Alban – Tu crois ?

Ève – On mène une vie de dingue toute l’année. Ce serait un comble qu’on ait un infarctus maintenant. On ne peut pas être plus au calme qu’ici !

Alban – Justement, le c?ur n’est plus habitué. Tout cet oxygène, d’un seul coup. J’ai l’impression d’avoir fumé un pétard.

Ève – Tout de même, ça fait du bien d’avoir un peu d’espace pour respirer. De ne plus être entassés au bureau comme des poulets dans un élevage en batterie.

Alban – Ou serrés comme des sardines dans le métro.

Ève – Même pas une vache à l’horizon.

Alban regarde par terre.

Alban – Nos seuls voisins immédiats, c’est les fourmis.

Ève jette un regard aussi vers le sol.

Ève – Et elles, elles ont l’air de bosser.

Alban – Oui, elles en mettent un coup.

Ève – Regarde, celle-là transporte le cadavre d’une libellule trois plus grosse qu’elle.

Alban – Peut-être une libellule en vacances ici qui est morte d’ennui.

Ève – Ou qui a succombé à un AVC avant que les secours ne puissent intervenir.

Alban – En tout cas, elles n’arrêtent pas.

Ève – C’est à se demander si elles n’en font pas un peu trop.

Alban – Les fourmis, ça ne prend jamais de vacances.

Ève – C’est clair. Les congés payés, c’est le propre de l’homme.

Alban – Remarque, ça dépend, il y a aussi des animaux très branleurs.

Ève – Ah oui ?

Alban – Je dirais que le mammifère en général est très branleur.

Ève – Le paresseux, c’est un mammifère ?

Alban – En tout cas, l’homme est un mammifère.

Ève – Ah oui…?

Alban – Tu ne ponds pas des ?ufs, si ?

Ève – Ce sont les insectes, surtout, qui ne pensent qu’à bosser.

Alban – Les insectes sociaux, comme on dit… Les fourmis, les abeilles, les termites…

Ève – Ouais… Elles bossent du soir au matin, 365 jours par an. Elles n’en ont rien à foutre qu’on soit en vacances ou pas.

Alban – En fait, elles n’en ont rien à foutre qu’on existe en général.

Ève – Elles vivent à côté de nous. Elles nous ignorent.

Alban – Je dirais même qu’elles nous méprisent. On ne les dérange pas quoi.

Ève – L’homme a réussi à exterminer presque tous les mammifères sauvages. Les autres, il en a fait des esclaves domestiques ou de la viande rouge. Mais les insectes, eux, ils sont toujours là, ils continuent leurs petites affaires. Ils font comme si on n’était pas là, en fait.

Alban – Sans parler des oiseaux.

Ève – Quoi, les oiseaux ?

Alban – Tu les entends chanter ? On dirait qu’ils nous narguent.

Ève – Si seulement on arrivait à comprendre ce qu’ils disent…

Alban – Je crois que j’ai une petite idée.

Ève – Quoi ?

Alban – Ils doivent dire quelque chose comme : On est des dinosaures, et on est toujours là.

Ève – C’est vous qui êtes en voie d’extinction, et nous on vous emmerde…

Alban – Tu crois que les dinosaures reprendront leur taille normale quand les hommes auront disparu.

Ève – Peut-être. Ils se font discrets, parce qu’on est là.

Alban – Ils attendent que le vent tourne, pour redevenir des monstres.

Ève – Heureusement, on ne sera plus là pour voir ça…

Un temps.

Alban – Je suis à peu près sûr qu’on est déjà venus là en vacances.

Ève – Quand ça ?

Alban – Ce n’était pas l’année dernière ?

Ève – Ah, oui, peut-être… Mais il y avait plus de monde, non ?

Alban – Et il y avait moins de fourmis…

Noir.

Alban et Ève