Deux personnages sont là, de part et d’autre d’une valise. Ils semblent attendre.
Un – Vous croyez qu’ils vont venir ?
Deux – Qui ça ?
Un – Les gens !
Deux – Les gens ? Vous voulez dire le public…
Un – Les spectateurs, quoi !
Deux – Ah, oui, les spectateurs…
Un – On ne peut pas jouer s’il n’y a pas de spectateurs.
Deux – Ben non… C’est pour ça qu’on ne joue pas, d’ailleurs.
Un – Donc, on est bien d’accord, on ne joue pas ?
Deux – Vous jouez, vous ?
Un – Non…
Deux – Voilà. C’est ce que je disais. On ne va pas jouer alors qu’il n’y a personne.
Un – Bon… Mais qu’est-ce qu’on fait là, alors ?
Deux – Et qui on est ?
Un – Personne…
Deux – On est deux personnages en quête de spectateurs.
Un temps.
Un – Pourquoi ils ne viendraient pas ?
Deux – Oh, vous savez, les spectateurs… Ils ont toujours une bonne excuse pour ne pas venir au théâtre.
Un – Vous avez raison. Pour ça, ils ne manquent jamais d’imagination.
Deux – C’est la grève des transports…
Un – C’est au beau milieu d’un pont…
Deux – Il y a un match à la télé…
Un – Il vient d’y avoir un attentat…
Deux – Il pourrait y avoir un attentat…
Un – Il fait trop beau, on préfère aller se balader…
Deux – Il fait trop moche, on préfère rester à la maison…
Un – Ce n’est pas recommandé par Télérama, je n’y vais pas.
Deux – C’est recommandé par Télérama, ça doit être chiant.
Un – C’est trop cher, je préfère aller au ciné.
Deux – C’est presque gratuit, ça doit être nul.
Un – J’aurais bien aimé venir, mais j’ai un mariage.
Deux – Un enterrement.
Un – Un baptême.
Deux – Une communion.
Un – La religion a toujours fait beaucoup de tort au théâtre.
Deux – Ça pour trouver un bon alibi, ils ne manquent jamais d’idées.
Un – Parce que pour le reste…
Un temps.
Deux – On ne demande pourtant pas grand chose.
Un – On n’espère pas remplir le Palais des Sports.
Deux – Mais une petite salle comme ça.
Un – Même une demi-salle.
Le deuxième semble remarquer la présence du public.
Deux – Et ceux-là, qui c’est ?
Un – Où ça ?
Deux – Là, dans le noir.
Un – Je ne vois rien.
Deux – Là-bas, tout au fond.
Un – Ah, vous avez raison… Je ne les avais pas vu rentrer, ceux-là…
Deux – Oui, moi non plus…
Un – On a tellement perdu l’habitude.
Deux – Vous vous rendez compte ? Ils sont venus quand même !
Un – Ils ne sont pas très nombreux, mais ils sont venus.
Deux – Ils ont bravé les grèves, les intempéries, les critiques…
Un – On devrait leur donner une médaille.
Deux – C’est vrai. Ce sont des héros.
Un – Oui… Si on avait su…
Un temps.
Deux – Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?
Un – Comment ça, qu’est-ce qu’on fait ?
Deux – Maintenant que les spectateurs sont là ! Il faut bien faire quelque chose.
Un – C’est que moi je n’ai rien préparé. Et vous ?
Deux – Moi non plus.
Un – On ne s’y attendait pas.
Deux – C’est tellement soudain…
Un – On n’y croyait plus…
Deux – Depuis le temps.
Un – C’est de leur faute aussi…
Deux – Ils auraient pu nous prévenir.
Un – On ne va pas comme ça au théâtre à l’improviste.
Deux – Ça ne se fait pas.
Un temps.
Un – Il y en a peut-être qui ont réservé.
Deux – Vous croyez ?
Un – C’est possible.
Deux – Ben oui, mais on ne nous dit rien, aussi !
Un – Si on a rien à leur montrer, ils vont être déçus.
Deux – Ça leur fera encore une bonne excuse pour ne pas revenir la prochaine fois.
Un – On pourrait, je ne sais pas moi…
Deux – On pourrait leur chanter quelque chose.
Un – Vous savez chanter, vous ?
Deux – Oui… Mais je ne connais aucune chanson. Et vous ?
Un – Oui, j’en connais.
Deux – Alors allez-y.
Un – Je connais des chansons… mais je ne sais pas chanter.
Un temps.
Deux – Je commence à me demander si on a bien fait de venir…
Un – Vous avez raison… on aurait dû trouver une excuse pour ne pas venir, nous aussi.
Deux – En attendant, il vaudrait mieux se faire la malle.
L’autre regarde autour de lui et aperçoit la valise.
Un – À défaut de malle, on va se faire la valise.
Ils commencent à partir, en catimini.
Noir