La Dispute de Marivaux par la Compagnie Du Jour au Lendemain

Spectacle vu au Théâtre des Halles à Avignon le 9 novembre 2021

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La « Compagnie du Jour au Lendemain » nous propose de découvrir ou de redécouvrir une courte pièce de Marivaux, très particulière par son propos théorique et sa facture abstraite. En effet, si les « disputes » philosophiques sont monnaie courante au siècle des Lumières, elles sont rarement portées à la scène, devant un public amateur de situations plus réalistes. Ici, afin de décider si l’inconstance en amour doit être premièrement imputée à la femme ou à l’homme, les initiateurs de cette dispute entreprennent de trancher la question par une expérience. Deux garçons et deux filles sont élevés en marge de la société avec chacun pour seule compagnie un couple de tuteurs. À l’âge de l’adolescence, ils sont enfin mis en présence des autres, le but étant de savoir qui de l’homme ou de la femme se montrera le premier inconstant dans ses choix amoureux. Cette expérimentation conclura finalement à une « double inconstance » à la fois masculine et féminine.

Au-delà de cette conclusion qui n’étonnera personne, Marivaux nous livre avec cette pièce très atypique une réflexion plus profonde qu’il n’y paraît d’abord sur la nature humaine, sur l’identité et sur la socialité. De la découverte et de l’amour de soi-même à la découverte et à l’amour de l’autre, ces quatre jeunes gens vierges de toute relation sociale (à l’exception de celle qu’ils entretiennent avec le couple qui les a élevés) franchissent successivement en une heure toutes les étapes de la construction de soi. Une construction, donc, qui exclut toute prédisposition d’un sexe ou de l’autre au « péché » originel d’inconstance. Plus encore, Marivaux présente cette inconstance non pas comme un péché, mais comme le mouvement de la vie elle-même, à travers le désir de la rencontre avec tous les autres plutôt qu’avec un seul.

Pour la conception de ce spectacle, la « Compagnie du Jour au Lendemain » a pris le parti de privilégier le théâtre dans le théâtre, en ajoutant au début une scène de L’Ours de Tchekhov, située ici sur la scène d’un théâtre en faillite, et en terminant sur une adresse au public. Après s’être découvert soi-même et avoir découvert l’autre puis le rival de l’autre, c’est le monde entier que ces jeunes gens sont invités à découvrir. Voir et être vu, n’est-ce pas cela aussi l’essence même du théâtre, sur scène, dans la salle, et dans le rapport entre la scène et la salle ? Lors de la représentation à laquelle nous avons assisté au Théâtre des Halles, la jeunesse était aussi dans la salle avec la présence de nombreux lycéens, qui ont ovationné ce spectacle, à la thématique très proche des préoccupations d’un public adolescent en pleine construction de son identité, notamment sexuelle. Soulignons aussi pour terminer que si cette pièce de Marivaux aborde des questions existentielles, elle le fait avec une extrême drôlerie, liée à la naïveté des personnages qui avec beaucoup de candeur expriment des vanités qu’on s’applique habituellement à cacher. Enfin, la bande son et les nombreuses chorégraphies qui agrémentent cette « dispute » en font un spectacle total. Pour les adolescents et pour tous ceux qui se souviennent encore avoir été adolescents. À ne manquer sous aucun prétexte.
Critique de Jean-Pierre Martinez

Photo : Fred Saurel

D’après Marivaux, textes additionnels Anton Tchekhov
Mise en scène Agnès Régolo
Avec Salim-Eric Abdeljalil, Rosalie Comby, Antoine Laudet, Kristof Lorion, Edith Mailaender, Catherine Monin
Scénographie, décors, création et régie lumière Erick Priano
Complicité chorégraphique Georges Appaix
Création et régie son Guillaume Saurel
Costumes Christian Burle

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