Un homme est couché dans le lit, en pyjama rayé. Il dort. Entre une femme qui pourrait être sa mère (vêtements vieillots, absence de maquillage, démarche peu dynamique). Elle s’approche du lit.
Femme – C’est l’heure… (Comme il ne répond pas, elle hausse le ton en le secouant énergiquement.) C’est l’heure !
L’homme se réveille en sursaut et la regarde, un peu perdu.
Homme – Maman ? Mais qu’est-ce que tu fais là ?
Femme – C’est l’heure, mon grand.
Homme – L’heure ? Quelle heure ?
Femme – Je ne sais pas. Mais c’est l’heure.
Homme – Mais enfin… L’heure de quoi ?
Il fait un effort pour se relever, avant de s’interrompre pour reprendre des forces.
Femme – Allez, fainéant ! Fais un effort, bon sang ! Lève-toi et marche !
Il reprend un peu ses esprits.
Homme – J’ai l’impression d’avoir déjà entendu ça quelque part.
Femme – Malheureusement, il faut que je te le répète tous les matins. (L’homme regarde sa mère avec un air étonné.) Ça va ? Tu as l’air bizarre…
Homme – C’est toi qui me dis ça ? Écoute maman, ne le prends pas mal, mais…
Femme – Quoi ?
Homme – Je te croyais morte…
Femme – Mais… je le suis.
Un temps.
Homme – Je me disais bien aussi que tu avais quelque chose de changé.
Femme (avec un air pincé) – Ah oui ?
Homme – Non mais… en mieux, je t’assure ! Et papa ?
Femme – Il est mort aussi. Et toi, tu es sûr que tu n’es pas mort ?
Homme – Je ne crois pas…
Femme – Donc tu n’es pas sûr.
Homme – J’imagine que quand on est mort, on le sait, non ?
Femme – Oh, ça… Tu manges bien, au moins ?
Homme – Je ne sais pas… Pourquoi ?
Femme – Si tu manges, c’est que tu n’es pas mort.
Elle fouille dans la poche de son manteau, et en sort une pomme, qu’elle lui tend.
Femme – Tiens, je t’ai apporté ça.
Il prend la pomme avec une certaine méfiance.
Homme – Une pomme… Comme la sorcière dans Blanche-Neige…
Femme – Tu te prends pour Blanche-Neige ?
Homme – Je me méfie, c’est tout.
Femme – Tu te méfies de ta propre mère ?
Homme – Je te rappelle que tu es censée être morte.
Femme – Tu me prends pour une sorcière, c’est ça ?
Homme – Je me méfie de l’eau qui dort. Alors de la mère morte…
La femme regarde autour d’elle.
Femme – Ce n’est pas très gai, cet endroit…
Il semble découvrir à son tour les lieux.
Homme – Non… Où est-ce qu’on est ?
Femme – Ça ressemble à un asile d’aliénés.
Homme – J’imagine que si j’étais fou, on m’aurait mis une camisole.
Femme – Et ta femme ? Elle vient te voir, de temps en temps ?
Homme – Non… Enfin, je ne me souviens pas bien… Je suis marié ?
Femme – Et tes amis ? Tu as des amis, au moins ?
Homme – Je ne sais pas. Je n’ai vu personne.
Femme – Qu’est-ce que tu veux, c’est comme ça… Depuis que tu es tout petit… Tu n’as jamais été très populaire…
Homme – Merci… Ça me remonte le moral…
Femme – Même moi, je me demande pourquoi je suis venue. Tu n’es même pas mort !
Homme – Désolé de te décevoir encore une fois.
Femme – Décidément, tu auras tout raté, dans ta vie. (Elle se lève, commence à partir mais se retourne une dernière fois.) Même ton décès.
Elle sort. Il regarde la pomme. Il croque dedans et repose le reste sur la table de nuit. Il mastique un moment avant d’avaler le morceau.
Homme – Donc, je ne suis pas mort…