Mauvais plan

Mauvais plan

Maurice n’avait jamais eu de chance. Il était né sous une mauvaise étoile et, depuis, tout allait toujours de travers. Le récit de son enfance malheureuse lui permettait d’ailleurs d’amadouer les juges lors de ses fréquents passages au tribunal, pour rendre compte des petites combines et menus trafics dont il vivait. Autant de délits mineurs qui le ramenaient immanquablement à la case prison. Les plans élaborés par Maurice, en effet, finissaient toujours par mal tourner. Sa déveine était devenue si légendaire que ses gardiens, à la maison d’arrêt, l’avaient surnommé Momo La Poisse…

Cette fois, pourtant, Momo avait tout prévu. Pour son prochain braquage, il avait jeté son dévolu sur le bureau de poste de la petite ville où il avait passé son enfance. Il ne risquait pas d’y être reconnu, car il n’avait plus remis les pieds dans cette bourgade depuis ses dix-huit ans. Depuis cette sale journée où sa mère, furieuse d’apprendre son premier larcin au supermarché du coin en découvrant son butin caché sous son lit, l’avait elle-même dénoncé à la police dans l’espoir de le ramener dans le droit chemin…

En vain. Peu de temps après, Maurice avait quitté le domicile familial afin de poursuivre ailleurs sa carrière chaotique de petit malfrat. Et il n’était plus jamais retourné dans sa ville natale.

Mais aujourd’hui, pour Maurice, revenir sur le lieu de son premier délit présentait un avantage capital. Il connaissait bien la configuration du bureau de poste où, adolescent, il avait effectué un stage d’été. Cette familiarité avec l’endroit lui faciliterait la tâche. La veille, discrètement, il avait effectué une petite reconnaissance en allant acheter un carnet de timbres. Rien n’avait changé. Les locaux étaient toujours aussi vétustes. Et les systèmes de sécurité aussi désuets. Pas même une caméra de surveillance en état de fonctionner.

Grâce aux dépôts des nombreux commerces du bourg, pourtant, le coffre-fort était probablement toujours aussi bien garni en fin de journée. Le camion chargé de récolter les fonds passait vers 18 heures. En braquant le bureau de poste juste avant la fermeture, Maurice pouvait espérer repartir avec un butin confortable.

Garé devant la poste en attendant de passer à l’action, Momo jubilait déjà à l’idée de lire le lendemain, dans le journal local, le récit de ses exploits. Anonymes, bien sûr. Si tout allait bien, en tout cas… Hormis les quelques dizaines de milliers d’euros qu’il empocherait, ce serait pour lui une sorte de revanche sur le destin.

Maurice regarda sa montre. 17 heures 30. C’était le moment d’y aller. Un quart d’heure lui suffirait pour ramasser l’argent et filer avant l’arrivée du fourgon. Il descendit de voiture et se dirigea sans hâte vers l’entrée de la poste. Juste avant de passer la porte, il rabattit sa cagoule sur son visage et sortit de la poche de son blouson le pistolet qui lui servirait d’argument décisif pour obtenir le contenu du coffre. L’arme n’était pas chargée, mais lui seul le savait. En cas de pépin, la facture serait moins lourde… Mais cette fois, il n’y aurait pas d’anicroche. Il avait tout prévu.

En entrant, Maurice vit que de nombreux clients se trouvaient encore à l’intérieur du bureau de poste. A tel point que, dans un premier temps, personne ne remarqua la présence de cet inquiétant individu cagoulé et armé. Pour signaler sa présence, et clarifier ses intentions, Momo cria : « C’est un hold-up ! Tout le monde à plat ventre ! ».

Frappé de stupeur, tous les clients s’exécutèrent dans un même mouvement tandis que, derrière leur guichet, les trois employés restaient figés sur leur siège. « Les mains en l’air ! » hurla Maurice pour éviter que l’un d’entre eux n’appuie sur le bouton d’alarme directement relié au commissariat.

Les employés obéirent docilement. Maurice baissa le rideau de la porte vitrée donnant sur l’extérieur, afin que les passants ne voient pas ce qui se déroulait dans le bureau de poste, et pour dissuader tout retardataire d’y pénétrer à quelques minutes de la fermeture.

Jusque là, tout va bien, pensa Maurice avec satisfaction. Il s’approcha du plus âgé des trois employés et pointa son arme sur lui. « Tu as une minute pour mettre le contenu du coffre dans un sac et me le donner ! ». L’homme était proche de la retraite. Maurice savait qu’il ne jouerait pas les héros. De fait, il fit ce que son agresseur lui demandait sans opposer la moindre résistance.

En moins d’une minute, Maurice avait à la main un sac plein de billets. Il ne prit pas le temps de les compter, mais à en juger par le poids, il devait y avoir une belle somme. Restait à quitter les lieux sans que le personnel de la poste ne déclenche aussitôt l’alarme. Mais Maurice avait aussi prévu cela…

Parmi tous les clients couchés face contre terre, il en choisit un au hasard afin de l’emmener en otage pour couvrir sa fuite. « Toi, tu viens avec moi » lança-t-il au malheureux otage. Maurice ajouta aussitôt à l’intention des employés. « Si vous ne voulez pas qu’il y ait du grabuge, attendez cinq minutes pour prévenir la police ! ». Pétrifiés, les employés opinèrent, et Maurice se dirigea vers la porte en entraînant son otage.

Avant de franchir la porte pour sortir, Maurice prit soin d’ôter sa cagoule, pour ne pas attirer l’attention des passants, et remit son pistolet dans la poche de son blouson. De toute façon, cette prise d’otage n’était destinée qu’à impressionner le personnel de la poste, et lui donner le temps de filer en voiture.

Dès qu’il fut dans la rue, Maurice comprit que les choses ne se passeraient pas exactement comme prévu. Une contractuelle zélée, carnet à souche à la main, tournait autour de la voiture de Momo, qu’elle s’apprêtait à verbaliser pour défaut de stationnement…

Rien n’était encore perdu. Maurice décida d’abandonner son véhicule. Il s’enfuirait à pied, et reviendrait quelques jours plus tard récupérer sa voiture. Avec le magot qu’il avait dans son sac, il pouvait bien payer une petite contravention. Il ne risquerait pas d’être reconnu. Personne n’avait vu son visage dans le bureau de poste. Et même à présent qu’il avait ôté sa cagoule, son otage, tremblant de terreur, gardait la tête baissée vers le sol, visiblement au bord de l’évanouissement. Ah non, pas question de flancher ! En s’écroulant ainsi en pleine rue, l’otage allait immédiatement attirer sur eux l’attention des passants. Et notamment celle de la contractuelle, qui ne se trouvait qu’à quelques mètres.

Maurice s’apprêtait à prendre le large en plantant là la personne qu’il tenait fermement par le bras, quand il entendit une voix forte l’interpeller. « Momo ? C’est toi ! ».

Sidéré, Maurice se tourna enfin vers l’otage. Dans le feu de l’action, il n’avait pas pris le temps de regarder le visage de cette femme. Et ce qu’il vit lui glaça le sang…

Là, en face de lui, le fusillant d’un regard réprobateur, c’était… sa mère !