Deux personnages, un riche et un pauvre.
Un – Bonjour.
Deux – Euh… Bonjour.
Un – Vous avez l’air surpris.
Deux – Non, c’est-à-dire que…
Un – C’est la première fois qu’un clochard vous dit bonjour ?
Deux – En tout cas, c’est la première fois que je réponds. Ce n’est pas vraiment l’habitude, ici, de dire bonjour aux gens dans la rue. Surtout aux clochards…
Un – Pourquoi ça ?
Deux – Je ne sais pas… Les gens se méfient.
Un – Pourtant, il n’y a que des milliardaires, ici, non ?
Deux – Il ne faut pas exagérer… Il y a quelques multimillionnaires, aussi.
Un – Les pauvres…
Deux – On est toujours le pauvre de quelqu’un.
Un – Moi je suis le pauvre de tout le monde.
Deux – Justement, à ce propos…
Un – Qu’est-ce que je suis venu faire ici, à Monaco ?
Deux – Parce que je vous préviens, ce n’est pas parce qu’on est riche qu’on est plus généreux avec les pauvres.
Un – Oui, j’ai remarqué. Le café est à cinq euros au Yacht Club. Je pensais que les aumônes seraient à proportion. Mais pas du tout.
Deux – Plus les gens sont riches, plus la pauvreté leur fait peur. Ils vous considèrent comme une sorte de pestiféré. Ils ont peur que ce soit contagieux.
Un – Et pourtant, vous êtes riche, vous ?
Deux – Immensément riche.
Un – Et vous m’avez dit bonjour.
Deux – Mais je ne vous ai encore rien donné.
Un – On a échangé, c’est déjà un début.
Deux – Échangé ?
Un – On a échangé quelques mots.
Deux – Un petit commerce, en somme.
Un – Il y a quelque chose qui ne va pas ?
Deux – On peut dire ça…
Un – Je peux vous aider ?
Deux – Malheureusement, non.
Un – Si c’est une question d’argent, en effet.
Deux – J’ai un cancer. En phase terminale. Je n’en ai plus pour très longtemps. Je peux mourir demain. Ou après demain.
Un – Je suis vraiment désolé.
Deux – Vous avez l’air sincère.
Un – Et vous n’avez pas de famille ?
Deux – J’étais fils unique. Mes parents sont morts. Quelques cousins très éloignés se sont manifestés, de temps en temps, mais j’ai vite compris que leur préoccupation n’était pas principalement généalogique.
Un – Pas d’amis ?
Deux – Les amis, vous savez, dans ma position… Quand on est milliardaire, le genre humain se divisent en trois catégories : les concurrents, les employés et les clients.
Un – Alors vous êtes un homme seul, comme moi. Parce que vous savez, la pauvreté, ce n’est pas terrible non plus pour se faire des relations.
Deux – Les extrêmes se rejoignent… Nous étions faits pour nous rencontrer.
Un – Qu’allez-vous faire de votre immense fortune ? Si vous n’avez ni famille, ni ami…
Deux – Je pourrais tout vous léguer ?
Un – Votre solitude, aussi ?
Deux – Vous resterez seul, mais vous aurez beaucoup de compagnie…
Un – Hélas, je ne pourrais pas en profiter très longtemps.
Deux – Pourquoi ça ?
Un – J’ai un cancer, moi aussi.
Deux – Je suis vraiment désolé.
Un – Vous avez l’air sincère.
Deux – Je le suis.
Un – Alors qu’est-ce qu’on fait ?
Deux – On n’est que des papillons, tous les deux, on n’a que quelques jours à vivre.
Un – Et on ne peut même pas se reproduire.
Deux – Laissez-moi au moins vous offrir un café.
Un – Ce sera le café le plus cher de ma vie.
Ils sortent.
Noir