Sur l’herbe

Un personnage est là. Un autre arrive avec une valise.

Un – Où est-ce que tu vas avec cette valise ?

Deux – Nulle part… Je viens de l’acheter. Elle était en solde.

Un – D’accord… Tu pars en voyage ?

Deux – Non.

Un – Alors pourquoi tu as acheté une valise ?

Deux – Je te le dis, elle était en solde.

Un – OK… (Un temps) Ça s’arrange pas, toi.

Deux – Une valise, ça peut toujours servir, non ?

Un – À quoi ? Si ce n’est pas pour partir quelque part.

Deux – Où veux-tu que j’aille ?

Un – Je ne sais pas, moi… C’est toi qui as acheté une valise. Tu es con, ou quoi ?

Deux – On peut parler, non ?

Un – De quoi ?

Deux – Où tu irais, toi, si tu avais une valise ?

Un – Si j’avais une valise ?

Deux – Tu as une valise ?

Un – Qu’est-ce que tu veux que je foute avec une valise ?

Deux – Tu pourrais partir quelque part…

Un – Où ça ?

Deux – Je ne sais pas moi…

Un – De toute façon, je n’ai pas de valise.

Deux – Tu veux que je te prête la mienne ?

Un – Pour quoi faire  ?

Deux – Au cas où tu voudrais aller quelque part.

L’autre le regarde avec stupéfaction.

Un – Non mais où on va, là  ?

Deux – Je ne sais pas. En tout cas, on a déjà la valise.

Un – On n’est pas bien ici ?

Deux – Si, ouais… Enfin… On ne sait pas comment c’est ailleurs, non plus.

Un – Ailleurs ?

Deux – C’est peut-être mieux.

Un – Ailleurs, c’est peut-être mieux ?

Deux – Ben ouais ! Non ? Puisqu’on n’y est jamais allé. On n’a jamais bougé d’ici.

Un – Ouais, enfin… Tu sais ce qu’on dit…

Deux – Quoi  ?

Un – Ailleurs, l’herbe est plus verte.

Deux – On ne peut pas dire qu’ici, il y ait beaucoup d’herbe.

L’autre regarde autour de lui.

Un – Oui, remarque, ce n’est pas faux.

Deux – On pourrait aller là où il y a de l’herbe.

Un – À la campagne, tu veux dire  ?

Deux – Là où il y a de l’herbe.

Un – Pour quoi faire.

Deux – Pour s’allonger dedans. Je ne me souviens plus depuis combien de temps je ne me suis pas allongé dans l’herbe.

Un – De l’herbe, on en vend ici, mais ce n’est pas pour s’allonger dedans.

Deux – Ça reviendrait trop cher.

Un – Il y a un carré de pelouse sur l’esplanade de la mairie.

Deux – Oui… Mais il y a plein de crottes de chiens.

Un – Ouais… Et on n’a même pas le droit de se rouler dedans.

Deux – Se rouler dans quoi ?

Un – Dans la pelouse !

Deux – Se rouler dans la pelouse ?

Un – Ça se dit, ça ? Se rouler dans la pelouse ?

Deux – Tu vois bien ! Non seulement on n’a pas le droit de le faire, mais on n’a même pas le droit de le dire. Alors on y va ?

Un – Où ça ?

Deux – À la campagne !

Un – La campagne, c’est vague… Ça commence où la campagne ?

Deux – Je ne sais pas… Là où s’arrête le RER, j’imagine.

Un – Bon… Pourquoi pas ? On ira jusqu’au terminus alors. On verra bien si on arrive à la campagne.

Deux – Et qu’est-ce qu’on met dans la valise ?

Un – Qu’est-ce que tu veux qu’on mette dans la valise ? Pour prendre le RER…

Deux – Tu as raison. Si on trouve quelque chose d’intéressant à ramener de là-bas, on pourra toujours le mettre dans la valise.

Un – Quelle ligne on prend ?

Deux – Je ne sais pas. Celle qui va dans le sud, tant qu’à faire…

Un – RER B.

Deux – Direction Saint-Rémy-lès-Chevreuse.

Un – Bon… Alors on se fait la valise.

Deux – Je dirais même plus, on se fait la malle.

Ils sortent.

Noir

Des valises sous les yeux