Un personnage prend un verre à une table. Un autre arrive.
Un – Salut. Tu es tout seul ?
Deux – Apparemment, on est les premiers.
Un – Je ne sais pas si on sera très nombreux. Je t’avoue que moi-même, j’ai un peu hésité à venir.
Deux – C’est la première réunion. Peut-être qu’ils n’ont pas réussi à prévenir tout le monde à temps.
Un – J’espère que la police, elle, elle n’a pas été prévenue.
Deux – Remarque tu n’as pas tort… Un Syndicat des Tueurs à Gages… Je ne sais pas si c’est une bonne idée.
Un – C’est vrai qu’ensemble, on serait plus forts pour défendre nos intérêts, mais bon…
Deux – Quels intérêts ?
Un – Harmoniser nos tarifs, par exemple. Pour éviter qu’entre nous, on se livre à une concurrence déloyale en cassant les prix.
Deux – Ouais… Mais il ne faudrait pas non plus qu’on puisse nous accuser d’entente illégale.
Un – Illégale ?
Deux – Tu as raison. De ce côté-là… On travaille déjà dans l’illégalité.
Un – Comme les prostituées.
Deux – Elles, je crois qu’elles ont réussi à obtenir d’être affiliées à la sécu, et de cotiser pour la retraite.
Un – Tu crois qu’un jour, notre métier pourrait être reconnu par l’État ?
Deux – Et pourquoi pas d’utilité publique aussi ? Enfin… Le crime a toujours existé. Il existera toujours.
Un – C’est même le plus vieux métier du monde. Plus vieux que la prostitution.
Deux – C’est vrai. Est-ce que quelqu’un faisait déjà le trottoir quand Caïn a tué Abel ?
Un – Il aurait dû faire appel à un professionnel, ça lui aurait évité pas mal de problème.
Deux – L’assassinat, c’est un métier, alors pourquoi ne pas encadrer notre activité par des lois.
Un – Ouais.. Mais on nous dira que ce n’est pas démocratique. Que seuls les riches ont les moyens de faire tuer ceux qui les emmerdent.
Deux – Sauf si c’est remboursé.
Un – Par la Sécu, tu veux dire ?
Deux – Je ne sais pas…
Un temps.
Un – Et sinon, les affaires, comment ça va ?
Deux – C’est un peu mort, en ce moment.
Un – C’était quoi, ton dernier contrat.
Deux – Une bonne femme qui n’avait pas le courage de se suicider. Elle voulait que je m’en charge.
Un – Du velours. Au moins, personne ne viendra se plaindre.
Deux – Tu parles. Au dernier moment, elle a changé d’avis. Comme elle avait un avoir, elle m’a demandé de tuer son mari à sa place. Maintenant, ça a l’air d’aller mieux… (Un temps) Et toi ?
Un – Je devais supprimer une petite vieille. Le type avait acheté sa maison en viager, et elle était déjà centenaire.
Deux – Pas de bol… Mais c’est dans des cas comme ça où notre profession a vraiment une utilité sociale.
Un – Juste après avoir signé le contrat pour que je l’aide à mourir dans la dignité, elle meurt en sautant à l’élastique.
Deux – Un saut à l’élastique ?
Un – Ses petits-enfants lui avaient offert ça comme cadeau pour ses cent ans.
Deux – Et l’élastique a lâché…
Un – Non. C’est le cœur qui a lâché.
Deux – Ah merde.
Un – Du coup, le client a voulu se faire rembourser.
Deux – Et alors ?
Un – Un contrat, c’est un contrat.
Deux – Après tout elle est morte.
Un – Il n’a rien voulu entendre. Au lieu de tuer la vieille, j’ai dû me débarrasser du client.
Deux – Tuer ses clients, ce n’est jamais bon pour les affaires.
Un – C’est pour ça que dans ces cas-là, un syndicat, pour régler les différends commerciaux…
Un temps. On entend une sirène de police.
Deux – Ah, je crois qu’on ne sera pas tout seuls, finalement…
Noir