Tout le portrait de son fils

Un personnage est là. Un autre arrive. Le premier ne lui prête pas attention, jusqu’à ce que l’autre se mette à le dévisager, d’abord à la dérobée, puis ostensiblement.

Un – On se connaît ?

Deux (lui tendant la main) – Antoine !

Un – Antoine ? Mais je ne m’appelle pas Antoine…

Deux – Antoine ! C’est moi, Antoine ! On a fait du théâtre ensemble.

Un – Du théâtre ?

Deux – Tu ne fais pas de théâtre ?

Un – Si… Enfin, j’en ai fait… Mais c’était il y a très longtemps. Et pas pendant très longtemps.

Deux – À Clichy-sous-Bois.

Un – Oui…

Deux – À la Maison des Associations.

Un – Oui, c’est ça…

Deux – On a travaillé une scène de Molière ensemble. « Le petit chat est mort. »

Un – Le petit chat est mort  ?

Deux – Je faisais le chat.

Un – Non ?

Deux – Mais non, je déconne. Je faisais Agnès.

Un – Agnès ?

Deux – Le prof était un peu spécial…

Un – C’est sûrement pour ça que je ne suis pas resté plus longtemps. Je ne me souviens pas avoir joué cette scène.

Deux – Mais si  ! L’École des femmes !

Un – En tout cas, toi, ça t’a marqué.

Deux – Mais tu te souviens de moi, quand même  ?

Un – Si, si, bien sûr… Mais… Eh ben…

Deux – Ça ne nous rajeunit pas…

Un – Tu n’as pas changé.

Deux – Moi ? Non, ça va… (Changeant de visage) Mais alors toi…

Un – Moi ?

Deux – J’ai failli ne pas te reconnaître.

Un – C’était il y a quelques années.

Deux – Quand même. C’est dingue.

Un – Quoi  ?

Deux – Ce que tu as vieilli.

Un – Merci…

Deux – Non, mais on change un peu, évidemment, avec le temps. Même moi, j’ai un peu mûri. Mais alors toi…

Un – Moi  ?

Deux – Oh putain… Tu as pris un sacré coup de vieux.

Un – Bon… Mais tu vas t’en remettre, quand même.

Deux – Oui, oui, pardon… C’est juste que… ça me fait bizarre de te voir comme ça.

Un – Je vois.

Deux – Et alors moi, tu trouves que je n’ai pas changé.

Un – Excuse-moi, mais… tu es vraiment sûr qu’on a fait du théâtre ensemble ?

Deux – Certain. Je suis très physionomiste. Sinon, tu penses bien… Je ne t’aurais jamais reconnu. Tu as tellement vieilli…

Un – À Clichy-sous-Bois, donc  ?

Deux – Ben oui… Le petit chat est mort…

Un – D’accord… Ça me revient, maintenant.

Deux – Quoi  ?

Un – J’étais allé à ce cours juste pour voir, parce que mon fils y était inscrit.

Deux – Ton fils ?

Un – Frédéric. C’est sûrement avec lui que tu as joué cette scène.

Deux – Frédéric, ce n’est pas toi  ?

Un – C’est mon fils. Il a le même âge que toi. Moi je suis resté au cours pendant deux semaines. Le temps de me rendre compte que le théâtre, ce n’était pas fait pour moi. Et puis faire du théâtre avec son fils… Après je suis parti…

Deux – C’est sûrement à ce moment que je suis arrivé. J’étais sur liste d’attente… Comme une place se libérait…

Un – Oui… Et tu as joué cette scène avec Frédéric, mon fils. C’est vrai qu’on se ressemble pas mal. Enfin, c’est ce que tout le monde dit…

Deux – Je me disais bien aussi. Comment il a pu vieillir à ce point en cinq ans. Mais alors tu as quel âge, en fait  ?

Un – Disons que… je pourrais être ton père.

Deux – Eh ben… Franchement, tu ne les fais pas…

Noir