Il est là. Elle arrive.
Lui – Bonjour, ça va ?
Elle – Ça va. Et vous ?
Lui – Ça va, ça va.
Elle – Il ne fait pas chaud, hein ?
Lui – Non, ça on ne peut pas dire qu’il fait chaud. On peut même dire qu’il fait froid.
Elle – Oui, c’est ce que je disais. En employant une litote.
Lui – Pardon ?
Elle – Une litote ! Dire moins pour insinuer plus, si vous préférez. Par exemple… « Je ne te hais point » pour dire « je t’aime ».
Lui – Il ne fait pas chaud, c’est une litote ?
Elle – Ça peut.
Lui – Et ça peut vouloir dire je t’aime ?
L’autre semble un peu déstabilisée, et met un temps pour relancer la conversation comme elle peut.
Elle – Je me demande même s’il ne fait pas plus froid cette année que l’année dernière.
Lui – Ah oui, c’est bien possible.
Elle – Je me souviens, il y a un an, à la même époque, j’étais en maillot de bain sur ma terrasse.
Lui – En maillot de bain ? Vous êtes sûre ? En plein mois de janvier ?
Elle se rapproche de lui.
Elle – Excusez-moi, j’ai dit n’importe quoi, pour meubler. Je ne me souviens plus du tout de mon texte.
Lui – Votre texte ?
Elle – Le trou de mémoire, mais alors là… Je dirais même le trou noir.
Lui – Comment ça, le trou noir…?
Elle – Le blanc, si vous préférez. J’espérais que ça revienne, mais non. Alors j’ai improvisé. Je suis vraiment désolée.
Lui – Désolée ? Mais de quoi ?
Elle – D’avoir oublié mon texte !
Lui – Mais enfin… on n’a pas de texte !
Elle – On n’a pas de texte ?
Lui – Non. Enfin, moi, je n’ai pas de texte.
Elle – Vous êtes sûr ? Alors vous aussi, vous improvisez ?
Lui – Oui, enfin…
Elle – Ça alors… Ça m’étonnait aussi. Balancer de telles platitudes. Donc vous dites n’importe quoi… Ah oui, je comprends mieux.
Lui – Comment ça je dis n’importe quoi ?
Elle – Ce qui vous passe par la tête.
Lui – Ah non, pas tout ce qui me passe par la tête. Je trie un peu quand même.
Elle – Si ce que vous dites, c’est le plus intéressant parmi tout ce qui vous passe par la tête, je n’ose même pas imaginer le reste…
Lui – Et donc vous, vous auriez un texte.
Elle – Ben oui.
Lui – Un texte que vous auriez oublié, donc.
Elle – C’est ce que je pensais, en tout cas. Mais vous êtes sûr que vous ne seriez pas en train de dire un texte, vous aussi.
Lui – Je ne sais pas… Vous croyez ?
Elle – Il y a tout de même quelque chose qui ne colle pas.
Lui – Quoi donc ?
Elle – Si vous, vous êtes en train de dire un texte, ce n’est pas possible que moi je sois en train d’improviser.
Lui – Et pourquoi ça ?
Elle – Ça ne collerait pas.
Elle – Ah oui, c’est sûr.
Elle – Ou alors c’est qu’on est en train d’improviser tous les deux.
Lui – Ou bien qu’on est en train de dire un texte tous les deux.
Elle – Mais qui aurait bien pu écrire des inepties pareilles ?
Lui – Vous savez, le théâtre contemporain… Peut-être que l’auteur improvisait, lui aussi.
Elle – Je vois, l’écriture automatique, tout ça.
Lui – Je pensais que c’était démodé.
Elle – Ce qui est sûr, c’est que l’auteur, lui, il n’avait pas de texte. Au départ…
Lui – Donc, quelque part, il improvisait…
Elle – Oui, on peut dire ça comme ça…
Lui – Alors pourquoi on improviserait pas un peu, nous aussi.
Elle – En fait, je me demande si…
Lui – Quoi ?
Elle – On ne serait pas en train d’écrire le texte à la place de l’auteur.
Lui – Je vois… Les personnages improvisent, et lui il n’a plus qu’à recopier.
Elle – Et c’est lui qui empoche les droits d’auteur.
Lui – Auteur… C’est vraiment un métier de feignant.
Elle – Je dirais même plus : de plagiaire.
Lui – De plagiaire ?
Elle – Si l’auteur plagie ses propres personnages…
Lui – En même temps, vous l’avez dit vous-même. On ne peut pas dire que ce qu’on raconte soit d’une très haute tenue littéraire.
Elle – Non, il faut bien le reconnaître.
Lui – Bon on a peut-être assez improvisé comme ça, non ?
Elle – Oui, ça ira bien.
Lui – Alors ?
Elle – Quoi ?
Lui – Qu’est-ce qu’on disait avant de parler ?
Noir