Humeur et humour

DROITS D’AUTEUR ET BOUCHERIE CHEVALINE ou trop longue réponse à une question un peu courte.

QUESTION : Sur Le Proscenium nous avons trouvé une de vos oeuvres et nous voudrions la représenter. J’imagine qu’il n’y a aucun problème, mais, au cas où, nous vous demandons votre permission. PUIS ALORS QUE JE PRÉCISAIS QUE DES DROITS ÉTAIENT À PRÉVOIR ET QUE PAR AILLEURS JE PROPOSE MES TEXTES EN TÉLÉCHARGEMENT GRATUIT : Nous sommes une association sans but lucratif et nous ne faisons pas payer d’entrée. Nous représentons seulement 2 fois l’oeuvre dans le cadre de la semaine culturelle française de Cuenca. En d’autres occasions, nous nous sommes entendus avec les auteurs pour les payer directement ou bien en achetant une de leurs oeuvres publiée pour les membres de l’association. Nous n’aimons pas payer à la SGAE (représentant la SACD en Espagne) qui ne sont que des intermédiaires. Quelle est votre opinion ?

RÉPONSE : Monsieur, je ne sais pas quel métier vous faites, mais je vous suggère à mon tour, afin de vous épargner toute tracasserie administrative liée au paiement de votre travail, de vous passer de tous ces intermédiaires inutiles que sont l’assurance maladie, le système de retraite et les congés payés. Renoncez aussi au salaire minimum. Travaillez au noir comme votre femme de ménage. Faites vous payer en nature comme votre jardinier. Quelques pièces de monnaie, un ticket restaurant, un sourire, comme disent les SDF dans le métro. Ou plus simple encore, travaillez gratuitement. Si vous êtes enseignant, puisque vous ne faites pas payer l’entrée de vos classes à vos élèves, pourquoi vous paierait-on un salaire ? Si vous êtes médecin, et que vous voyez rarement plus de deux fois par an chacun de vos patients, pourquoi devraient-ils vous payer ? Si vous êtes prostitué(e) ne faites payer que vos clients réguliers et pour les occasionnels, contentez-vous du plaisir qu’ils vous ont donné. Si vous êtes à la retraite et que vous profitez indûment de toutes ces tracasseries administratives qu’on vous a imposées votre vie durant, renoncez donc à votre pension. Si vous êtes de gauche, réservez vos belles idées pour vos dîners mondains, et continuez de payer au noir la bonne qui fait le service pendant le repas et la vaisselle après. Mon opinion, Monsieur ? Choisissez un autre auteur. Un amateur qui sera suffisamment payé de l’honneur que vous lui faites de jouer ses pièces. Un jeune qui sera assez affamé pour accepter le sandwich que vous lui tendez. Un sans papier trop désespéré pour pouvoir prétendre à la couverture sociale dont vous bénéficiez pour votre part. Ou mieux encore, Monsieur, écrivez votre pièce vous-même. Vous vous rendrez peut-être compte alors que l’écriture est aussi un métier, comme celui que vous faites. Un métier qui s’apprend une vie durant à force de travail (et parfois même de formation, car il y a aussi des auteurs qui ont fait des études, c’est rare, mais ça existe). Bref un métier comme un autre qui mérite peut-être une vraie rémunération au delà d’un pourboire et d’une bonne poignée de main. Mon opinion, Monsieur ? Ne jouez pas ma pièce. Et lors du buffet qui suivra la représentation de celle que vous aurez choisie à la place (éventuellement encore plus mauvaise que la mienne mais gratuite), demandez à Coca Cola et au charcutier du coin de ne pas vous faire payer leurs produits puisque vous ne faites pas payer vos convives (mais je suis bête, si rien n’est prévu pour l’auteur, il y aura sans doute une petite participation pour le bar). Je vous déconseille en revanche de faire jouer l’une quelconque de mes pièces sans autorisation, car là il pourrait vous en coûter beaucoup plus cher qu’un sandwich ou une bonne bouteille de vin du pays (comme on me l’a une fois proposé du côté de Bordeaux). Vous n’avez pas aimé ma réponse, Monsieur ? Interrogez-vous pour savoir si votre question n’était pas un peu insultante. Jusqu’ici, je répondais poliment à ce genre de demandes, heureusement pas si fréquentes (même si les postures de gauche pour soi-même et l’apologie du travail au noir pour les autres font partout très bon ménage). Je faisais de la pédagogie, comme on dit. Mais je me suis lassé de faire de la pédagogie (surtout avec des profs), et de leur expliquer encore et encore qu’avant d’être des auteurs morts, ces écrivains dont les œuvres sont enseignées dans les écoles publiques par de méritants fonctionnaires (payés aussi avec les impôts des auteurs vivants) ou dont les pièces sont représentées par des associations à but non lucratif (mais parfois subventionnées et qui réclament très légitimement une cotisation annuelle à leurs membres), que ces écrivains, donc, ont dû vivre de leur travail avant d’être morts et libres de droits. Je suis auteur, et fier de l’être. Je ne suis pas fonctionnaire de l’État et n’aspire pas à le devenir (comme c’était le cas pour les écrivains dans la Russie Soviétique). Je ne suis même pas salarié, et ne veux pas l’être (homme libre, jamais tu ne chériras les patrons, comme aurait pu le dire Beaudelaire). Je n’ai jamais reçu une seule de ces « aides à l’écriture » si généreusement distribuées (sur mes propres droits) à nombre de mes confrères pour les motiver à prendre la plume. Je n’ai ni congés payés, ni assurance chomage, ni indemnités en cas de maladie. Alors oui, je trouve insultant qu’on me demande de renoncer purement et simplement à tout droit d’auteur. Quand bien même ce serait pour vos bonnes œuvres. Laissez-moi la liberté de choisir les miennes. Que je ne financerai pas en tout cas comme une évidence avec votre propre salaire. Peut-être préférez-vous imaginer que tous les auteurs sont à l’affiche dans les grands théâtres parisiens, et qu’ils peuvent donc faire cadeau de leurs droits à toutes les autres compagnies. Il existe quelques uns de ces auteurs vedettes. Très peu. Autant que de bouchers qui ne vendent leurs steaks qu’à des célébrités. Et ces stars refusent le plus souvent aux amateurs le simple droit de jouer leurs œuvres, même en payant. Ce que nous faisons nous, auteurs de théâtre, relève le plus souvent de la boucherie chevaline. Un métier peu glorieux et en perte de vitesse, avec une clientèle interlope et désargentée. Dans leur immense majorité des gens merveilleux, pour qui la bouteille de vin du pays, c’est un cadeau de bon cœur qu’il nous font en plus de nos droits, qui par définition sont un dû. Nous écrivons pour vous. Aussi des pièces à grosses distributions, qui de ce fait ne seront jamais montées en professionnel. J’écris également de la poésie… sans but lucratif. Si je voulais faire fortune, je ferais un autre métier. J’en ai fait d’autres, plus rémunérateurs et plus stables. Celui-ci, je l’ai choisi. Et je fais juste en sorte de pouvoir en vivre. Je vous fais cadeau, Monsieur, de cette longue réponse que j’ai pris quelque soin à rédiger, quand votre question ne faisait que quelques lignes. Théâtralement, Jean-Pierre Martinez – Auteur de Théâtre

Aux quelques rares compagnies amateurs qui s’étonnent de devoir payer des droits d’auteurs au prétexte qu’elles ne jouent que pour le plaisir et qu’elles ne font pas payer les spectateurs, je répondrai : essayez donc de sortir sans payer d’une boucherie avec une tête de veau en expliquant au boucher que vous n’êtes pas restaurateur et que vous ne ferez pas payer vos invités.

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