Le premier s’approche du second, avec un balai dans une main et une radiographie dans l’autre.
Un – Professeur, préparez-vous pour le Prix Nobel de physique. Notre laboratoire vient enfin d’identifier la fameuse matière noire, dont serait composée une bonne partie de notre univers.
Deux – Sans blague…
Un – Cette matière noire serait en réalité de la matière grise.
Deux – De la matière grise ?
Un – Le cerveau de Dieu, en quelque sorte. Dont nous ne serions nous-mêmes que quelques neurones. Depuis des milliers d’années, l’homme essaie de penser l’univers. Nous découvrons aujourd’hui que c’est l’univers qui nous pense.
Deux – Parfois, je me demande s’il ne nous a pas un peu oublié… Et cette matière grise, vous avez réussi à la visualiser ? Parce que vous savez, moi, je suis comme Saint Thomas, je ne crois que ce que je vois.
Un – Mais parfaitement, professeur. Tenez, regardez.
Il lui tend une radio ressemblant à celle d’un cerveau.
Deux – En effet, c’est stupéfiant. On distingue nettement les deux hémisphères…
Un – C’est le plus étonnant dans cette découverte, professeur. La photographie que vient de nous fournir notre appareil d’imagerie synthétique est sur ce point d’une aveuglante clarté : l’univers a la forme d’un crâne.
Deux – Oui… C’est tout à fait curieux… Un crâne, en effet. Je crois même reconnaître le mien…
Un – Ça veut dire que… Professeur, je vous ai toujours considéré comme un Dieu… Depuis que vous m’avez invité à venir travailler ici dans votre laboratoire…
Deux – Hélas, cher ami, je crains que votre Prix Nobel ne soit remis à l’année prochaine. Ceci est la radio de mon cerveau. J’ai rendez-vous dans deux heures à l’hôpital, et je la cherche partout depuis ce matin.
Un – Professeur, n’oublions pas que les grandes découvertes sont parfois le fruit de ce genre d’accidents domestiques.
Deux – Je vous rejoins sur ce point : pensez à Newton et à sa fameuse pomme.
Un – Cette légère déconvenue ne doit pas donc pas nous détourner d’une théorie qui j’en suis sûr va révolutionner l’histoire de l’astrophysique : non seulement l’univers nous comprend, mais nous comprenons l’univers. Il nous contient, mais nous le contenons aussi. J’y retourne…
Deux – Pensez quand même à vous reposer un peu, cher ami. Après tout, ce n’est qu’un stage au service entretien.
Un (s’apprêtant à sortir) – Bien sûr, professeur. Mais vous savez, quand on est motivé…
Deux – Et merci de me laisser mes radios, je vais sans doute en avoir encore besoin…
Un – J’y retourne.
Il sort. L’autre regarde à nouveau la radio.
Deux – Après tout, ce n’est pas si con que ça…
Noir