Invitation

Une femme passe en tirant une poubelle à roulettes de laquelle dépassent des pieds masculins et/ou féminins. Une autre femme arrive pour relever son courrier et salue la première.

Un – Bonjour !

Deux – Ah, bonjour ! Comment allez-vous ?

L’autre remarque les pieds qui dépassent de la poubelle.

Un – C’est les encombrants, aujourd’hui ? Je pensais que c’était la semaine prochaine ?

Deux – C’était une urgence…

Un – Le grand nettoyage de printemps, alors ?

Deux – Oui, on peut dire ça comme ça…

Elle remet les pieds dans la poubelle afin qu’ils ne dépassent plus.

Un – Moi aussi, il faudrait que je m’y mette quand j’aurai le temps. On accumule tellement de bazar au fil des années.

Deux – Vous pouvez me tenir la porte ?

Un – Mais bien sûr, ne bougez pas…

Elle s’avance en coulisse pour tenir une porte qu’on ne verra pas forcément.

Deux – C’est gentil !

Un – Il n’y a pas de quoi, je vous en prie. Bonne journée, alors !

Deux – Merci ! Vous aussi.

L’autre sort avec sa poubelle.

Une autre femme arrive pour relever son courrier.

Un – Ah, bonjour ! Très heureuse de vous rencontrer. Je suis votre voisine de palier. Je vous ai aperçue de loin, pendant que vous emménagiez…

Trois – Vous avez raison, mieux vaut rester à distance, dans ces cas-là. Je plaisante…

Un – Je suis ravie que… Et bien je voulais juste vous dire… Bienvenue dans l’immeuble !

Trois – Merci, c’est très aimable à vous.

Un – Entre voisins…

Trois – Oui…

Un – Vous verrez, les gens de l’immeuble sont très sympas. Et surtout, si vous avez besoin de quelque chose…

Trois – Merci.

Un – Il va falloir que j’y aille… Je vais chercher ma fille à son cours de violon. Vous avez des enfants ?

Trois – Oui… Enfin, non. Je veux dire… Maintenant, j’en suis débarrassée, heureusement.

Un – Débarrassée…?

Trois – Oui… Je les ai mis dans le congélo, pour être tranquille.

Un – Ah, oui…

Trois – Je plaisante.

Une – Bien sûr.

Trois – Ils sont grands, maintenant. Ils n’habitent plus à la maison.

Un – C’est vrai que ça fait un vide, quand ils sont partis. Sur la fin, on n’a qu’une hâte, c’est qu’ils débarrassent le plancher. Et puis finalement… Ça fait un vide.

Trois – Mais votre fille habite toujours avec vous, non ? Je veux dire, si vous allez la chercher à son cours de violon…

Un – Oui… Mais j’imagine. Ça a dû vous faire un vide, non ?

Trois – Quand mon dernier est parti, j’ai d’abord hésité à prendre un chien à la SPA, et puis finalement, c’est ma belle-mère qui est venue s’installer à la maison.

Un – C’est vrai qu’un chien, il faut le sortir trois fois par jour pour qu’il fasse ses besoins. C’est quand même contraignant.

Trois – Vous avez raison. Une belle-mère, c’est beaucoup plus pratique.

Un – Oui…

Trois – Il y a les couches…

Un – Oui…

Trois – Je plaisante…

Un – Bien sûr… Bon, et bien je vais vous laisser… Sinon ma fille va m’attendre…

Trois – Excusez-moi de ne pas avoir été plus bavarde. Mais je suis un peu débordée en ce moment. Avec ce déménagement…

Un – Je comprends.

Trois – De toutes façons, on aura sûrement l’occasion de se revoir, puisque nous sommes voisins de palier.

Un – Mais j’y pense… Pourquoi ne viendriez-vous pas prendre l’apéritif ce soir ?

Trois – Euh… Oui, pourquoi pas ?

Un – Vers 19H30 ?

Trois – Très bien. (Elle regarde sa montre) Maintenant, c’est moi qui dois vous laisser. Sinon, c’est mon premier patient va m’attendre. Alors à ce soir !

Un – Parfait !

L’autre s’en va. Un autre personnage arrive.

Un – Tu sais quoi ? Je viens de croiser notre nouvelle voisine de palier. Je l’ai invitée à venir prendre l’apéritif ce soir.

Quatre – Tu l’as invitée ?

Un – Ben oui, pourquoi ?

Quatre – J’ai croisé son mari ce matin, moi aussi, et tu sais quoi ?

Un – Quoi ?

Quatre – Il est inspecteur des impôts.

Un – Inspecteur des… Tu veux dire contrôle fiscal, et tout ça…

Quatre – Oui.

Un – En même temps, on n’a rien à se reprocher, non ?

Quatre – Tu parles… Et les étagères de mon bureau que j’ai fait installer au noir par le type du cinquième ?

Un – Ils ne viennent pas pour inspecter la maison…

Quatre – C’est une deuxième nature, chez ces gens-là !

Un – Tu crois ?

Quatre – Et puis même. Tu imagines, il faudra faire attention à tout ce qu’on dit.

Un – Qu’est-ce qu’on pourrait dire ? À part au sujet de tes étagères ?

Quatre – Imagine qu’on se fâche avec eux.

Un – Pourquoi est-ce qu’on se fâcherait avec eux, on ne les connaît pas ?

Quatre – Justement ! On ne sait pas ce qui peut les heurter. On ne connaît pas leurs opinions religieuses ou politiques ?

Un – C’est un peu le principe quand on invite des gens pour faire connaissance.

Quatre – Oui, mais lui, si on dit quelque chose qui ne lui plaît pas, il a les moyens de nous coller un contrôle fiscal. Et crois-moi, ces gens-là, quand ils cherchent ils trouvent…

Un – Oh mon Dieu, tu as raison… Pourquoi est-ce que je l’ai invitée ? On pourrait peut-être décommander ?

Quatre – Ils vont trouver ça suspect ! Ce serait encore pire. Ou alors ils vont penser qu’on ne les aime pas…

Un – Tu as raison… Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Quatre – Dans quelle merde tu nous as fourrés, encore…

Un – Et elle, je ne sais même pas ce qu’elle fait. J’ai complètement oublié de lui demander… En tout cas, elle a l’air un peu perturbée…

Quatre – Elle est psychanalyste…

Un – Non ? Mais comment tu sais ça ? C’est son mari qui te l’a dit ?

Quatre – Je l’ai vue visser sa plaque devant l’immeuble ce matin.

Un – Psychanalyste ? Alors c’est pour ça qu’elle m’a posé des tas de questions…

Quatre – Quelle genre de questions ?

Un – Ben… Sur les cours de violon, par exemple.

Quatre – Les cours de violon ?

Un – Tu crois que ça a une signification particulière pour un psychanalyste, les cours de violon ?

Quatre – En tout, ça en a pour un inspecteur des impôts. Surtout si tu les paies au black…

Un – Mais c’est épouvantable…

Quatre – Non mais tu imagines le calvaire, cet apéritif ? Entre un inspecteur des impôts et une psychanalyste !

Un – Tu as raison, il va falloir faire attention à tout ce qu’on dit…

Quatre – On essaiera d’en dire le moins possible.

Un – Oui…

Quatre – Mais ça ne va pas être évident.

Un – Non, c’est sûr… Quand on invite des gens à prendre l’apéritif pour faire connaissance…

Moment de flottement.

Quatre – C’est aujourd’hui, les encombrants ?

Un – La semaine prochaine… Au fait, j’ai croisé aussi la voisine du cinquième qui descendait sa poubelle, et tu sais quoi ?

Quatre – Ne me dis pas que tu l’as invitée à prendre l’apéritif, elle aussi ?

Un – Non, mais j’ai cru voir des restes humains qui dépassaient de la poubelle.

Quatre – Non mais tu ne crois pas qu’on a plus urgent à traiter, comme problème, non ?

Un – Tu as raison… Et si on mettait un truc dans leur apéro ? Genre somnifères, tu vois. Histoire d’abréger la soirée…

Quatre – Tu crois ?

Ils sortent.

Noir.

Avis de Passage