Vincent – Tu sais pourquoi Van Gogh s’est coupé l’oreille ?
Paul – Qui ?
Vincent – Van Gogh !
Paul – Le peintre ?
Vincent – Pourquoi ? Tu connais un Van Gogh qui serait coiffeur, charcutier ou coureur cycliste ?
Paul – Non…
Vincent – Bizarre, quand même…
Paul – Qu’il n’y ait aucun charcutier qui s’appelle Van Gogh ?
Vincent – De se couper l’oreille !
Paul – Pourquoi il a fait ça ?
Vincent – C’est ce que je viens de te demander…
Paul – Et comment je le saurais ?
Vincent – Il paraît qu’il l’a offerte à Gauguin, emballée dans du papier journal.
Paul – Il aurait mieux fait de l’offrir à Beethoven.
Vincent – Beethoven n’était pas peintre.
Paul – Non. Mais il était sourd. Tu n’as pas lu les pièces de Roland Dubillard ?
Vincent – Non…
Paul – Remarque, il n’a pas vendu une toile de son vivant.
Vincent – S’il écrivait des pièces de théâtre.
Paul – Van Gogh ! C’est peut-être pour ça qu’il s’est coupé l’oreille.
Vincent – Par dépit ?
Paul – C’est vrai que je ne connais personne qui ait tenté de se suicider en se tranchant l’oreille…
Vincent – Il a peut-être essayé de se trancher la gorge, il a raté son coup, et c’est l’oreille qui a tout pris. Il y a des gens maladroits.
Paul – Et il aurait inventé tout ça pour éviter de passer pour un manchot ? Un peu tiré par les cheveux, non ?
Vincent – D’ailleurs Van Gogh n’était pas encore né quand Beethoven est mort. Je ne vois pas comment il aurait pu lui donner son oreille…
Paul – Ou alors il s’est coupé en se rasant. Et après on en a fait tout un fromage, parce que c’était Van Gogh.
Vincent – Moi, quand je me coupe l’oreille, personne n’en parle…
Paul – C’est pas mal, ses tableaux, mais bon… Est-ce que ça vaut vraiment ce que ça coûte ?
Vincent – Si personne ne lui achetait de toiles de son vivant, ce n’est peut-être pas par hasard.
Paul – C’est sûrement eux qui avaient raison. Van Gogh, ça ne vaut pas un clou. Le clou pour accrocher le tableau…
Vincent – Ni la corde pour le pendre.
Paul – Il s’est pendu ?
Vincent – Qui ?
Paul – Van Gogh !
Vincent – Non, pourquoi ?
Paul – Laisse tomber…
Vincent – Et Beethoven ? Les gens lui achetaient sa musique, de son vivant ?
Paul – Ouais, mais bon, Beethoven… Il faisait plutôt de la musique classique…
Vincent – Ça se vend toujours, la musique classique.
Paul – C’est jamais très à la mode, mais du coup ça vieillit moins vite.
Vincent – C’est ce que je dis toujours à ma femme. Le classique, c’est indémodable.
Paul – Mais Van Gogh…
Vincent – Ça vieillit mal.
Paul – Comme Picasso.
Vincent – Qui adorait la corrida…
Paul – C’est normal, il était espagnol.
Vincent – On dit que finalement, c’est peut-être Gauguin qui lui aurait coupé l’oreille, à Van Gogh. D’un coup d’épée… C’est même pour ça qu’il se serait taillé, à Tahiti.
Paul – Gauguin aussi aimait la corrida ?
Vincent – Pourquoi ? Il y a des corridas, à Tahiti ?
Paul – À cause de l’oreille ! Et de l’épée…
Vincent – Tu crois que dans un moment de folie, Gauguin, se prenant pour Picasso, aurait pu confondre Van Gogh avec un taureau…?
Paul – Gauguin n’était pas fou. C’est Van Gogh, qui l’était.
Vincent – La preuve, il s’est suicidé…
Paul – On peut se suicider sans être fou…
Vincent – Il s’est tiré une balle dans les champs.
Paul – Il ne s’est pas tiré une balle dans le cœur ?
Vincent – Si, dans les champs. Avec les corbeaux. C’est même le dernier tableau qu’il a peint.
Paul – Et sur le tableau, on voit Van Gogh se suicider ?
Vincent – On voit juste les corbeaux qui lui tournent autour.
Paul – Comme des vautours…
Vincent – Ils sentent ces choses là… C’est l’instinct… Tu sais que ça vit très longtemps…
Paul – Les vautours ?
Vincent – Les corbeaux !
Paul – Plus longtemps qu’un artiste peintre, en tout cas…
Vincent – Ça dépend. Regarde Picasso. Il a vécu jusqu’à près de cent ans.
Paul – Bon, c’est pas le tout, mais j’ai du boulot. Qu’est-ce que je te fais, aujourd’hui, Vincent…?
Vincent – Comme d’habitude, Paul.
Paul – Bien dégagé derrière les oreilles ?
Vincent – Pas trop quand même…
Paul – Disons que je te laisse les oreilles.
Vincent – Voilà.
Paul – Mais si je dois en couper une, tu préfères que je te laisse laquelle ?
Vincent – Quelle oreille il s’était coupée, Van Gogh ?
Paul – La gauche.
Vincent – Bon ben laisse-moi la droite, alors… Si je veux avoir une chance de passer à la postérité. Tu as le journal ?
Paul – Pour emballer ton oreille ?
Vincent – Pour le lire…
Paul – Si je te coupe une oreille, tu crois que ce sera dans le journal ?
Vincent – Non…
Paul – Et si je te coupe les deux.
Vincent – Pas forcément…
Paul – Et si je te coupe les deux oreilles et la queue ?
Vincent – En Espagne, peut-être…
Noir.