L’écriture est une Odyssée. Redessiner son parcours de mémoire dans l’espoir vain de retrouver le chemin du retour. Jusqu’à l’origine. Pour s’apercevoir enfin que le voyage est dans les cartes, que l’origine n’est pas le point de départ, et que le jeu de la vérité est une partie de poker menteur avec soi-même. Mon paradis perdu, c’est la Méditerranée. Enfant de l’exil, j’ai longtemps voulu voir en mon père un héros. Un résistant glorieusement défait. Pourtant, en 1939, mon père n’était qu’un adolescent. Une victime déplacée. Je n’ai d’ailleurs jamais entendu mon père dire du mal de Franco. Mais je me rêvais tellement en fils de l’utopie. Pour mon père, à vrai dire, le Général Franco, c’était plutôt une sorte de Général De Gaulle. L’ordre moral, la paix sociale, et le miracle économique. L’apparentement des patronymes, sans doute. Franco. La France. De Gaulle. La Gaule. Oui, plus tard, parmi les réfugiés aussi, de retour au pays en touristes, il y en avait pour dire qu’avec Franco, on vivait mieux… J’ai longtemps tiré gloire du fait que mon père ne m’avait pas fait baptiser. J’aimais voir là un acte de résistance symbolique. Ce n’était hélas qu’une négligence. Mon père, qui n’était pas allé à la mairie pour me donner un nom, pourquoi m’aurait-il conduit à l’église pour recevoir le baptême ? Non, ne pas croire en Dieu ne fait pas d’un réfugié un résistant. Et j’aurais dû douter de l’anticléricalisme de ce père qui m’interna pendant sept ans dans un pensionnat catholique…. C’est mon oncle qui, à la mairie, improvisa mon prénom. J’entends encore le rire malicieux de ce brave ouvrier de chez Simca en racontant cette anecdote : Jean-Pierre Belmondo ! J’aurais donc dû m’appeler Jean-Paul. Mon nom de famille est le dégât collatéral d’une guerre civile et d’une défaite. Mon prénom le produit d’une indifférence et d’un lapsus. Drôle de baptême républicain. Malentendus. Erreurs. Contradictions. Tous ces hasards font-ils un destin ? Certes, mon père n’était pas franquiste non plus. C’était seulement un survivant, pas un héros. Pas un maquisard, seulement un débrouillard. Beaucoup d’ambition, et un peu de marché noir. Trois ans de guerre civile, et un exode. Six ans de guerre mondiale, et un exil. Ça forme une jeunesse. Pas un combat, mais de nombreuses déroutes. Pas une blessure, mais beaucoup de cicatrices. Ça vous rend résistant. Ça ne fait pas de vous un résistant. Et moi ? Plutôt Gaulliste aussi, enfin, gaulliste de gauche. Franco-gaulois de Barcelone et pas même catalan. Fils d’un républicain fantasmé et de la République Française. Avant même de savoir écrire, j’ai su qu’écrire serait ma seule patrie. Je suis l’auteur de mes jours. L’écriture est une Odyssée, un long parcours de retour vers soi-même. J’aurais fait ce voyage contre vents et marées, y jouant ma vie pour y gagner ma liberté.