Casket for two – Un Ataúd para Dos – Um caixão para dois |
Comédie de Jean-Pierre Martinez
2 hommes / 2 femmes
Quand deux candidats aux élections, le jour même du scrutin doivent aussi incinérer leurs conjoints respectifs, on risque le bourrage d’urnes. Surtout lorsque le directeur des pompes funèbres a recruté une intérimaire…
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Adaptation et mise en scène de ma pièce UN CERCUEIL POUR DEUX au Сатиричен театър « Алеко Константинов » de Sofia par le génial Teddy Moskov qui, pour le Festival d’Avignon IN en 1999 et en 2002, présenta deux spectacles à l’Opéra. Je devrai peut-être un jour à un Bulgare l’honneur d’un spectacle dans le IN à Avignon, ma ville d’adoption…
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TEXTE INTÉGRAL
Un Cercueil pour Deux
Personnages : Edmond – Samantha – Francis – Chantal
ACTE 1
Face au mur d’un cimetière, recouvert de panneaux électoraux, la réception déserte d’une entreprise de pompes funèbres, ressemblant à celle de n’importe quelle autre entreprise. Sur le bureau, un téléphone sonne avec insistance. Edmond, le patron, vêtu d’une façon très stricte, arrive en maugréant.
Edmond – Oui, oui, j’arrive… Qu’est-ce qu’ils ont tous aujourd’hui à être aussi pressés… Ce n’est pas encore les soldes… Ah, non, je vous jure, ils finiront par avoir ma peau… (Il décroche) Picard Pompes Funèbres à votre service…? (Avec une amabilité commerciale) Oui Monsieur Dumortier, nous allons le recevoir ce matin… Parfaitement, en chêne avec des poignées dorées et un capitonnage vert pomme… La collection automne-hiver, c’est cela… Mais vous savez, le modèle Elisabeth 2, c’est un classique. C’est indémodable. Ce n’est pas le moins cher, c’est vrai, mais je sais que Madame Dumortier était très coquette. Croyez-moi, avec ce modèle-là, on n’est jamais déçu. En tout cas, on n’a jamais eu de réclamation, n’est-ce pas… Mardi, c’est entendu… Au plaisir Monsieur Dumortier… Enfin, je veux dire, euh… À mardi, Monsieur Dumortier… Et encore une fois, toutes nos condoléances… (Il raccroche) Je commence vraiment à fatiguer, moi… (Mais le téléphone sonne à nouveau, ne lui laissant aucun répit) Et merde… (Il décroche) Picard Pompes Funèbres à votre service…? Ah, c’est toi, Yvonne… Alors le docteur est passé… ? La grippe évidemment…? Avec l’épidémie qui sévit cet hiver… C’est qu’elle est très virulente, cette année… Ici, le téléphone n’arrête pas de sonner… Heureusement qu’on me livre la nouvelle collection ce matin, parce que si j’avais un imprévu… Je ne dis pas ça pour toi, bien sûr… Mais c’est vrai que je suis complètement débordé. Non, ce n’était vraiment pas le moment que tu tombes malade toi aussi… Tout seul ici, je ne m’en sors pas, moi… Non, l’intérimaire n’est pas encore arrivée. Je ne sais pas ce qu’elle fait, d’ailleurs. Elle devait être là à neuf heures. Ça commence bien, je te jure… (Jetant un regard par la vitrine) Ah, je vois quelqu’un arriver, ça doit être elle. Bon il faut que je te laisse. Soigne-toi bien. Moi aussi, je t’embrasse…
Entre Samantha, une jeune femme au look à l’évidence peu approprié au poste qu’elle vient occuper (au choix : outrageusement sexy ou au contraire grunge ou gothique, par exemple).
Samantha – Bonjour ! Je suis un peu en retard, je sais…
Edmond – En effet… Une panne d’oreiller, dès le premier jour ?
Samantha – Même pas ! Non, le réveil a sonné à l’heure, je me suis bien levée, et tout. C’est dans l’autobus que je me suis rendormie. Le chauffeur m’a réveillée au terminus. Alors le temps de reprendre la ligne dans l’autre sens…
Edmond – Bon… Vous vous appelez comment ?
Samantha – Samantha.
Edmond – Samantha ?
Samantha – Ça pose un problème.
Edmond – Non, non… C’est à dire que… Samantha, ça fait un peu… Enfin vous voyez ce que je veux dire…
Samantha – Non…
Edmond – Disons que dans notre profession, on est habitué à des prénoms plus discrets.
Samantha – Genre ?
Edmond – Je ne sais pas, moi… Josiane, Martine… Christelle à la rigueur… Ou Yvonne. Ma femme s’appelle Yvonne… Vous croyez vraiment pouvoir la remplacer…?
Samantha – La remplacer…?
Edmond – Alors vous tenez vraiment à vous faire appeler Samantha ?
Samantha – C’est mon nom.
Edmond – Bon… Et votre tenue là… On vous a dit que vous aurez à faire à la clientèle ?
Samantha – Ben… Oui…
Edmond – Vous comprenez bien que pour travailler ici, une tenue plus… classique serait quand même plus appropriée.
Samantha – Ah bon…
Edmond – Vous avez une formation, au moins ? Une première expérience dans notre domaine d’activité ?
Samantha – J’ai un CAP d’esthéticienne. Et j’ai fait une mission comme vendeuse chez Leclerc il y a trois mois.
Edmond – Esthéticienne… Oui, ça pourrait à la rigueur nous dépanner un peu…
Samantha – Ah bon…?
Edmond – Mais, Leclerc… Vous voulez dire dans la branche funéraire.
Samantha (surprise) – Ben non… Au rayon charcuterie, pourquoi ?
Edmond – Non, parce qu’autant vous dire que chez Picard, on ne fait pas dans le discount. Et pourquoi pas la vente par correspondance ou la vente en ligne, aussi ?
Samantha – Ah, oui, pourquoi pas…
Edmond – Leclerc et nous, on ne fait pas le même métier, d’accord ?
Samantha – D’accord…
Le téléphone sonne.
Edmond – Bon, et bien c’est le moment de me montrer ce que vous savez faire… Autant vous jeter à l’eau tout de suite, parce que je vous préviens, on est à flux tendu en ce moment. Je n’aurais pas le temps de vous former.
Samantha – Pas de problème… (Elle s’empare du téléphone et décroche avec assurance) Picard Surgelé, j’écoute…? Ah, non, Madame, je suis désolée, mais apparemment, vous avez fait un faux numéro… Mais je vous en prie, Madame… Pas de problème Madame… Au revoir Madame…
Samantha, visiblement contente d’elle, se tourne en souriant vers Edmond, qui la regarde pétrifié.
Samantha – Qu’est-ce qu’il y a ?
Edmond – C’est une blague ? C’est pour la Caméra Cachée, c’est ça ?
Samantha – Quoi ? C’était une bonne femme en pleurs qui croyait téléphoner aux pompes funèbres…
Edmond – Nous SOMMES une entreprise de pompes funèbres !
Samantha (anéantie) – Non…?
Edmond – L’agence d’intérim ne vous a rien dit ?
Samantha – Ils m’ont juste parlé de viande froide… Et comme la boîte s’appelait Picard…
Edmond – C’est un cauchemar… (Prenant sur lui) Bon, malheureusement, je n’ai plus le choix.
Samantha – Et donc, ici, c’est une entreprise de…
Edmond – Écoutez, vous vous contentez de répondre au téléphone et de prendre les messages. Quand un visiteur se présente, vous m’appelez. Et surtout, vous ne prenez aucune initiative, d’accord ?
Samantha – D’accord.
Edmond – Maintenant, je dois retourner m’occuper de mon député…
Samantha – Le député ?
Edmond – Delamare. Les législatives anticipées… Vous n’avez pas vu les panneaux électoraux contre le mur du cimetière ? C’est le premier tour de scrutin aujourd’hui !
Samantha – Et le député sortant est ici ?
Edmond – Ah oui, cette fois, on peut même dire que c’est une sortie définitive. Je suis en train d’essayer de lui refaire une beauté, là-bas derrière. Et croyez-moi, il y a du boulot…
Samantha – Madame Delamare ? Pourtant, sur les affiches, elle a l’air pas trop mal conservée…
Edmond – Son mari ! C’est lui le député sortant. Sa femme se présente aux élections pour lui succéder à l’Assemblée Nationale.
Samantha – Ah, d’accord…
Edmond – Les obsèques de Monsieur Delamare ont lieu aujourd’hui. Mais j’ai bien du mal à lui redonner une allure présentable. C’est que le corps a séjourné longtemps dans l’eau, alors évidemment…
Samantha (horrifiée) – Dans l’eau.
Edmond – D’ailleurs, si vous voulez vous charger du dernier coup de polish. D’habitude, c’est ma femme qui s’occupe de ça, mais comme elle n’est pas là…
Samantha – C’est à dire que…
Edmond – Vous m’avez bien dit que vous aviez un CAP d’esthéticienne ?
Samantha – Oui, enfin…
Edmond – Je vois… Bon… Vous croyez pouvoir vous en sortir avec le standard ?
Samantha – Oui, oui, bien sûr…
Edmond – Dans ce cas, je vous laisse. (Se retournant une dernière fois) Ah, au fait, j’attends une livraison ce matin. Quand la marchandise arrive, vous me prévenez tout de suite, d’accord…
Samantha – Une livraison…
Edmond – La nouvelle collection ! Vous avez le catalogue sous les yeux !
Edmond sort. Samantha jette un regard sur le catalogue, et reste estomaquée. Le téléphone sonne.
Samantha – Picard Sur… Pompes Funèbres Picard, j’écoute… Oui… Oui… (Écrivant sur un bloc) La promotion du mois, parfaitement… Le modèle Sapin Basique… À 99 euros TTC… Très bien, je lui dirai, Madame Delamare… Vous pouvez compter sur moi… Au revoir Madame Delamare…
Elle raccroche et soupire de soulagement. Un soulagement très momentané, puisqu’un homme entre par la porte et s’approche du bureau.
Samantha – Vous venez pour la livraison…?
Francis – Euh… Non… Francis Martino. J’ai rendez-vous avec Monsieur Picard. Pour choisir un modèle…
Samantha (avec un sourire commercial) – Je vais l’appeler… Vous voulez jeter un coup d’oeil sur notre catalogue en attendant… (Elle lui tend le catalogue) C’est pour offrir ?
Francis – C’est pour ma femme…
Samantha – Pardonnez-moi, mais… il me semble vous avoir déjà vu quelque part…
Francis – Oui… Ma photo est placardée sur tous les murs de la ville…
Samantha – Vous êtes recherché par la police ?
Francis – Pas encore… Pour l’instant, je me présente seulement aux élections… (Avec un geste en direction des panneaux électoraux contre le mur du cimetière) Sur les affiches, là, c’est moi…
Samantha – Francis Martino ! L’adversaire de Madame Delamare, parfaitement !
Francis – Disons son challenger…
Samantha – La liste divers droite, c’est bien ça ?
Francis – Ah, non, ça c’est Madame Delamare… Moi je suis centriste. Mais vous savez ce qu’on dit : le centre est partout et sa circonscription nulle part…
Samantha – Mmm… Alors vous avez perdu votre conjoint, vous aussi ?
Francis – Oui…
Samantha – Ah… Bataille !
Francis – Pardon ?
Samantha – Avec un décès dans sa famille entre les deux tours, Madame Delamare partait avec un avantage. Là ça remet les compteurs à zéro…
Francis – Oui…
Samantha – Si la grand-mère d’Obama n’était pas morte juste avant le scrutin, est-ce qu’un noir serait Président des États Unis aujourd’hui ?
Francis – Bien sûr…
Samantha – Et si Ségolène avait perdu ne serait que son caniche avant les présidentielles, l’histoire de France en aurait peut-être été changée…
Francis – Peut-être…
Samantha – Malheureusement pour elle, non seulement son infidèle compagnon n’est pas mort entre les deux tours, mais il a été folâtrer ailleurs. Qu’est-ce que vous voulez ? Les Français n’aiment pas les cocus, c’est comme ça…
Francis – Je vois que vous êtes une fine observatrice de la vie politique française… Euh… Monsieur Picard est là ?
Samantha – Oui, bien sûr, je l’appelle tout de suite. (Elle jette un regard au clavier de son standard et lit les différentes indications) Alors… Chambre froide… Coin cuisine… Thanatopraxie… Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais je vais essayer ça… (Elle compose le numéro et attend un instant avant que Edmond finisse par répondre) Bingo ! Monsieur Picard ? Francis Martino vient d’arriver… (Elle raccroche) Il vient tout de suite…
Silence un peu embarrassé. Francis feuillette le catalogue pour se donner une contenance.
Francis – Et vous, vous avez déjà fait votre choix ?
Samantha – Pour…?
Francis – Le scrutin d’aujourd’hui ! Vous avez déjà voté ?
Samantha – Euh… Non, pas encore…
Francis – Ah, j’ai encore une chance, alors… Vous connaissez notre programme ?
Samantha – Vous avez un programme ? Je croyais que vous étiez centriste ?
Edmond arrive.
Edmond – Bonjour Monsieur Martino. Et toutes mes condoléances…
Francis affiche à nouveau une mine de circonstances.
Francis – Qu’est-ce qu’on y peut…? C’est le destin, n’est-ce pas…?
Edmond – Au moins, elle a eu une belle mort.
Francis – Vous trouvez…?
Edmond – Non ?
Francis – Elle a été broyée par un train corail…
Edmond – Excusez-moi, je dois confondre avec Madame Dumortier… Elle est morte dans son lit pendant son sommeil. Elle avait 91 ans…
Francis – Ah, oui… Ma femme était un peu plus jeune…
Edmond se rend compte que Samantha écoute leur conversation avec une curiosité peu discrète.
Edmond – Si vous alliez nous chercher deux cafés, Sandra…
Samantha – Samantha…
Edmond – Oui, bon… Vous savez faire du café…?
Samantha – Je peux essayer…
Francis – Serré, pour moi, s’il vous plaît.
Samantha – Serré… Comme le scrutin d’aujourd’hui, pas vrai Monsieur Martino…?
Vague sourire de Francis. Edmond est visiblement exaspéré.
Edmond – La machine à expresso, c’est par là…
Samantha disparaît.
Edmond – On a tellement de mal à trouver du personnel compétent aujourd’hui… Et ma femme est clouée au lit avec la grippe. Vous savez qu’elle est très virulente, cette année…
Francis – Oui… Ma femme en est morte…
Edmond – Je croyais qu’elle s’était fait renverser par un train.
Francis – En allant chercher son vaccin anti-grippe à la pharmacie…
Edmond – J’ai toujours pensé qu’il y avait un problème avec ce vaccin… Et croyez-moi, je suis bien placé pour le savoir… D’ailleurs j’ai interdit à ma femme de se faire vacciner…
Francis – Madame Picard va bien ?
Edmond – Un léger refroidissement, mais elle sera sur pied dans quelques jours. Mieux vaut laisser faire la nature, pas vrai ?
Francis – Bien sûr…
Edmond – Vous avez déjà fait votre choix, Monsieur Martino ? Comme vous pouvez le voir sur notre catalogue, la nouvelle collection est absolument superbe…
Francis (jetant un regard rapide sur le catalogue) – Mmm…
Edmond – Comme je dis toujours : c’est au prix du cercueil qu’on évalue combien nos défunts nous étaient chers…
Francis – Je pensais à quelque chose de très simple, en fait…
Edmond – Je vois… Quelque chose d’élégant, mais discret en même temps… Vous avez une idée du modèle ?
Francis (montrant sur le catalogue) – Pourquoi pas celui-ci…
Edmond (pas ravi) – Sapin Basique. Notre modèle d’entrée de gamme. En promotion en ce moment. À 99 euros TTC. Très bien Monsieur Martino…
Francis – Je me suis dit que pour une crémation…
Edmond – Le sapin, ce sera bien suffisant… Vous avez de la chance, il ne nous en reste plus qu’un en réserve. C’est un modèle qui part très vite en ce moment… En ce qui concerne les options, nous pouvons vous proposer…
Francis – Le modèle de base.
Edmond – Sapin Basique sans option. Parfaitement. Vous vouliez voir autre chose ?
Francis – Pour l’instant ça ira…
Edmond – Parfait, Monsieur Martino. Alors c’est noté.
Samantha arrive avec le café. Elle tend une tasse à Francis et l’autre à Edmond.
Francis – Merci Mademoiselle…
Samantha (minaudant) – Samantha…
Francis vide sa tasse d’un trait et fait la grimace. Edmond, intrigué, trempe les lèvres dans son café et lance un regard furieux en direction de Samantha.
Edmond (avec un regard d’excuse à Francis) – Un peu trop serré, peut-être…
Francis – Ah, oui, ça…
Edmond – Ça réveillerait un mort…
Le téléphone portable de Francis sonne avec un bruit de réveil.
Francis – Excusez-moi… (Prenant l’appel) Oui…? Alors, vous avez les premières estimations ? Oui… Oui… oui… Ah… Bon, très bien, j’arrive tout de suite… Non, la cérémonie a lieu à onze heures… C’est ça, dans une heure… Mais vous savez, ce sera dans la plus stricte intimité… Je ne voudrais pas exploiter le drame qui me frappe pour m’attirer la sympathie des électeurs… Vous avez tout de même pensé à prévenir la presse ? Très bien, merci… À tout de suite…
Edmond – Alors ? Et cette campagne électorale Monsieur Martino ? Comment ça se présente ?
Francis pose machinalement son portable sur le bureau de la réception et sort de sa poche deux tracts électoraux.
Francis – Comme vous le savez, normalement, c’était ma femme qui devait se présenter à cette élection. Mais en raison de cette tragédie…
Edmond – Bien sûr…
Samantha – Il arrive qu’on fasse voter les morts, mais même en Corse, on n’a encore jamais réussi à en faire élire un à l’assemblée…
Edmond – Remarquez, vu le taux d’absentéisme au parlement, je ne suis pas sûr qu’on s’en apercevrait tout de suite, pas vrai…?
Francis (tendant les tracts à Edmond et à Samantha) – Tenez, je vous laisse quand même quelques informations sur notre programme.
Edmond – Ah, vous avez un programme… Je pensais que vous étiez… Non, rien…
Francis – À vrai dire, je n’ai aucune expérience en politique. Mais le parti centriste a tellement de mal à trouver des candidats…
Samantha – Oui… C’est sûrement le seul parti en France qui a encore moins d’électeurs que de candidats…
Edmond la fusille du regard.
Francis – Bref, on m’a un peu forcé la main, et je me suis laissé faire… Bon, je vais devoir vous laisser… Un petit problème à régler…
Edmond – Rien de grave, j’espère ?
Francis – Comme je ne trouvais personne d’autre, j’ai dû prendre la fille de ma femme de ménage comme suppléante. Mais on me dit qu’elle vient de se faire arrêter pour racolage sur la voie publique…
Edmond – Si les candidats aux élections n’ont plus le droit de proposer leurs charmes aux électeurs sur les marchés, où va la démocratie ?
Francis – N’est-ce pas…?
Samantha – Si vous cherchez une nouvelle suppléante, je peux vous dépanner…
Francis – Pourquoi pas…? Je vais y réfléchir, c’est promis…
Edmond – Alors tout à l’heure pour la cérémonie…
Francis – Parfait.
Francis s’en va. Edmond tourne un regard de reproche vers Samantha.
Samantha – Ah, j’ai oublié de vous dire. Vous allez être fière de moi, je viens de faire ma première vente au téléphone.
Edmond (inquiet) – Je vous avais dit de ne prendre aucune initiative…
Samantha – Madame Delamare a appelé. La veuve du député. Elle a choisi le modèle Sapin Basique.
Edmond – Sapin Basique !
Samantha – Oui, je sais, c’est le moins cher, mais bon… C’est quand même une vente.
Edmond – Il ne nous en reste plus qu’un en stock, et je viens de le promettre à Monsieur Martino pour sa femme !
Madame Delamare arrive.
Chantal – Ah, Monsieur Picard. Je voulais vous voir.
Edmond – Bonjour Madame Delamare… et toutes mes condoléances pour votre époux. Mais je suis sûr qu’il approuverait votre choix.
Chantal – Pour le cercueil, vous voulez dire ? C’est vrai que c’était un homme très près du peuple, et qu’il avait des goûts très simples…
Edmond – Au sujet de votre candidature ! Pour lui succéder au parlement…
Chantal – Oh, vous savez, je n’ai pas beaucoup la tête à la politique en ce moment. (Elle en profite néanmoins pour gratifier Edmond et Samantha de deux tracts électoraux) Si les électeurs de mon mari n’avaient pas insisté pour que je me présente afin de sauver son siège à l’assemblée… Mais je voulais vous parler de l’organisation des obsèques, justement…
Edmond – Vous avez changé d’avis sur le modèle, peut-être… C’est vrai que le Sapin Basique, pour un député…
Chantal – Non, non, pas du tout. Le sapin, ça me convient très bien. D’autant que j’ai opté pour l’incinération…
Edmond – Ah, vous aussi…
Chantal – Pardon ?
Edmond – Non, je veux dire… C’est une pratique qui se développe beaucoup en ce moment… Vous ne voulez pas jeter un nouveau coup d’oeil sur notre catalogue ?
Samantha (commercial) – Un petit coup d’oeil, ça n’engage à rien…
Edmond (lui montrant le catalogue) – Regardez. Le modèle Louis Philippe, par exemple… En acajou… Garanti trente ans…
Chantal jette un regard distrait sur le catalogue.
Chantal – Non merci, vraiment… D’ailleurs, excusez-moi, mais… Louis Philippe, Elisabeth 2, Marie Antoinette… Ça ne fait pas très républicain, tout ça…
Samantha – D’un autre côté, Sapin Basique… Ça fait un peu Ikéa, non ?
Chantal – Le Sapin Basique, ça ira très bien…
Edmond – C’est à dire que…
Chantal – Il y a un problème ?
Edmond – Je suis vraiment désolé, Madame Delamare, mais nous sommes momentanément en rupture de stock sur ce produit…
Chantal – Mais… cette jeune femme m’a dit au téléphone tout à l’heure que…
Edmond – Entre temps, j’avais promis le dernier exemplaire qui me restait à Monsieur Martino…
Chantal – Martino ? Mon adversaire aux élections !
Edmond – C’est un regrettable malentendu, et je vous prie d’accepter toutes mes excuses… Cette jeune personne débute dans le métier et…
Chantal – Il n’en est pas question !
Edmond – Je peux vous proposer un autre modèle… Je vous ferai une ristourne… Un surclassement, en quelque sorte…
Chantal – Vous n’avez qu’à proposer ça à Martino.
Justement, Martino revient.
Francis – Je crois que j’ai oublié mon téléphone portable chez vous. (Il est surpris de reconnaître Chantal). Madame Delamare…
Edmond – Vous vous connaissez, je crois…
Chantal – Un peu… Madame Martino s’était déjà présentée aux dernières élections contre mon mari…
Edmond – Ah… C’est presque une histoire de famille, alors…
Francis – J’en profite pour vous présenter toutes mes condoléances…
Edmond – Monsieur Martino est un gentleman. Il acceptera sans doute de se désister en votre faveur…
Francis – Pardon ?
Chantal – Il semblerait que nous ne soyons pas concurrent seulement pour ce fauteuil de député…
Edmond – Sandra a promis le dernier Sapin Basique qui nous restait à Madame Delamare…
Samantha – Samantha…
Edmond (enjoué) – Allez, ne me dites pas que vous aussi, les politiques, il ne vous arrive pas quelque fois de promettre la même chose à tout le monde pour vous faire élire…
Samantha – Je suis vraiment désolée…
Francis – On va sûrement trouver un arrangement à l’amiable… N’est-ce pas, Monsieur Picard ?
Edmond – Mais bien sûr… On doit justement me livrer la nouvelle collection d’une minute à l’autre…
Le téléphone sonne et Samantha répond.
Samantha – Picard Sur… Pompes Funèbres Picard, j’écoute. Ne quittez pas, je vous le passe. (À Edmond) Pour vous…
Edmond – Pardonnez-moi un instant… (Prenant le combiné) Oui…? Non…! Votre livreur à la grippe ? C’est une plaisanterie ? Quand ? Cet après-midi ? Mais il sera trop tard ! Ah, vous entendrez parler de moi, je vous le garantis…
Il raccroche consterné.
Francis – Si cela peut rendre service à Madame Delamare, je suis tout à fait disposé à opter pour un autre modèle… Qu’est-ce que vous me proposez ?
Edmond – C’est à dire que… Je viens d’apprendre que la livraison que j’attendais ce matin est repoussée de quelques heures…
Francis – Et ?
Edmond – Le Sapin Basique, c’était le dernier cercueil qui nous restait en magasin…
Francis – Le dernier ?
Edmond – Désolé, je n’en ai plus aucun autre de disponible dans l’immédiat… À moins de remettre Madame Dumortier au frigo… Mais elle est déjà dans la chambre funéraire avec sa famille…
Consternation générale.
Chantal – Les obsèques de mon mari doivent avoir lieu ce matin à 11 heures !
Francis – Ceux de ma femme également.
Edmond (pour lui même accablé) – Un cercueil pour deux… Il ne manquait plus que ça…
Chantal – Vous ne voulez quand même pas qu’on place mon mari et la femme de monsieur dans le même cercueil ?
Francis – Ah, oui… Ce ne serait pas très convenable…
Edmond – On pourrait peut-être remettre une des deux cérémonies à demain…?
Samantha – Après tout, maintenant, ils ne sont pas si pressés…
Chantal – Mais moi, si !
Francis – Ah, non, demain, ça ne va pas être possible pour moi non plus…
Chantal – La presse est déjà prévenue… Il n’y a aucune raison pour que je laisse la vedette à mon adversaire !
Edmond – Cet après-midi, alors ?
Francis – Je vous rappelle que ce soir, on dépouille.
Edmond – On dépouille…?
Francis (à Samantha) – À propos, vous n’êtes pas libre ce soir ?
Samantha – Pour…?
Francis – Pour le dépouillement !
Noir.
ACTE 2
Francis et Chantal attendent ensemble à la réception avec une mine de circonstances. Francis jette un regard discret sur sa montre.
Francis – Vous pensez qu’il y en a encore pour longtemps…?
Chantal – Je ne sais pas… Je n’ai pas trop l’habitude…
Francis – C’est bizarre… Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression d’être à la maternité, en train d’attendre un heureux événement…
Chantal (lui jetant un regard inquiet) – Oui, c’est bizarre…
Francis – Vous savez déjà ce que vous allez en faire ?
Chantal – Pardon ?
Francis – Les cendres de votre mari… Vous allez les mettre où ?
Chantal – Je n’ai pas encore décédé… Décidé… (Un temps) C’est… C’est volumineux ?
Francis – Je ne sais pas… Ça tient dans une urne, en tout cas…
Chantal – Une urne…?
Francis – Une urne funéraire…
Chantal – Ah oui, bien sûr…!
Francis – Oui… Quelle ironie pour un député… Finir dans une urne…
Chantal – Et vous ?
Francis – Je ne vais pas les garder sur le rebord de la cheminée, en tout cas… Ce serait un peu spécial, non ?
Chantal – Oui…
Francis – Peut-être les répandre dans le jardin… On a le droit ?
Chantal – Je crois, oui… En tout cas, personne n’est jamais allé en prison pour avoir dispersé les cendres de son conjoint dans son jardin…
Francis – Sauf le Docteur Petiot, évidemment…
Chantal – Mmm…
Francis – En même temps, je ne sais pas… Savoir que son conjoint est répandu sur le gazon entre la niche du chien et le barbecue… C’est un peu spécial aussi, non ?
Chantal – Oui…
Francis – C’est une décision lourde de sens. Il vaut mieux bien y réfléchir avant. Parce qu’après, c’est trop tard…
Chantal – C’est sûr… À part l’aspirateur…
Francis – Et on est vraiment obligés de repartir avec ?
Chantal – Je crois, oui… C’est comme à la maternité…
Justement, Edmond et Samantha arrivent en portant chacun une urne.
Edmond – Je ne vois pas la plaque. Le député, c’est laquelle ?
Samantha – Mince… Les plaques…
Edmond – Quoi ?
Samantha – J’ai oublié de les mettre…
Edmond – Mais je vous avais dit de… J’avais mis un post it avec le nom sur chaque urne ! Vous n’aviez qu’à visser les plaques !
Samantha – Je suis vraiment désolé…
Edmond – Mais vous savez dans quelle urne se trouve le député ?
Le silence embarrassé de Samantha est un aveu. Mais Edmond n’a pas le temps de réagir. Francis et Chantal tournent vers eux un regard de circonstance. Après une petite hésitation, Edmond tend son urne à Chantal, et Samantha la sienne à Francis.
Edmond – Nous vous laissons vous recueillir un instant sur les cendres de vos conjoints respectifs…
Edmond sort en lançant un regard incendiaire à Samantha.
Edmond – Je ne sais pas ce qui me retient de vous incinérer vous aussi…
Samantha – En même temps, si je n’étais pas allée chez Leclerc pour qu’il nous dépanne d’un cercueil en sapin…
Edmond – Un cercueil à monter soi-même, je ne savais même pas que ça existait…
Samantha – Eux, ils n’étaient pas en rupture de stock, au moins…
Edmond – Oui, bon, ça va…
Samantha – Et puis maintenant, Picard ou Leclerc, hein ? On ne voit plus la différence…
Edmond – Oui, ça vous pouvez le dire… Il y a une chance sur deux pour qu’en ce moment, Madame Delamare soit en train de se recueillir sur les cendres de Madame Martino.
Samantha – Et Monsieur Martino sur celles de Monsieur Delamare…
Edmond – Pas facile à monter, d’ailleurs, ces cercueils en kit…
Samantha – Oui… De ce côté là aussi, ça ressemble beaucoup à du Ikéa…
Ils sortent. Francis et Chantal regardent leur urne respective, plongés dans leurs pensées.
Francis – Nous ne sommes que poussière…
Chantal – Et nous retournerons à la poussière.
Francis – Il est mort comment, exactement, votre mari ?
Chantal – Noyé…
Francis – Noyé…?
Chantal – C’était un grand pêcheur devant l’Éternel. Il a dû tomber de son bateau. On n’a retrouvé le corps que six semaines après…
Francis – Et il ne savait pas nager…
Chantal – Il ne me l’avait jamais dit… Mais c’est vrai que je ne l’ai jamais vu nager de son vivant.
Francis – Peu de gens se vantent de ne pas savoir nager…
Un temps.
Chantal – Et votre femme ?
Francis – Un accident de la route.
Chantal – Ah, oui…
Francis – À un passage à niveaux dangereux… Sa voiture a calé au milieu des rails… Elle n’a pas eu le temps de redémarrer…
Chantal – Si je suis élue, je vous promets de faire aménager ce passage à niveau.
Francis – Merci… De mon côté, si j’ai la faveur des électeurs, je vous promets de faire passer une loi pour obliger tous les pêcheurs à passer un brevet de natation…
Ils restent un instant silencieux, contemplant les urnes.
Chantal – Et dire qu’ils s’étaient présentés l’un contre l’autre aux dernières élections. Voilà où ils en sont. Chacun dans son urne…
Chantal – Oui…
Francis – Ça… On peut dire que la politique ne leur a pas réussi…
Chantal – Non…
Francis – J’espère qu’on ne finira pas de la même façon.
Chantal – Enfin pas tout de suite…
Francis – À propos, vous avez vu les derniers sondages sortie d’urnes ?
Chantal – Oui…
Francis – Le deuxième tour s’annonce très serré.
Chantal – Mais je devrais être en ballottage favorable… Mon mari peut reposer en paix…
Francis – Mmm… Au dernier scrutin, on avait soupçonné vos amis d’avoir bourré les urnes…
Edmond et Samantha reviennent.
Edmond – Ils ont l’air de sympathiser, finalement…
Samantha – Vous verrez, ça se terminera par un mariage. (Edmond lui lance un regard réprobateur) Ils sont veufs tous les deux, non ?
Francis et Chantal les aperçoivent.
Chantal – Bon, on va peut-être vous laisser…
Edmond – Prenez votre temps… Vous pouvez rester le temps que vous voulez…
Samantha – Et vous serez toujours les bienvenus chez nous…
Edmond lui lance un regard réprobateur.
Francis – Je peux vous déposer quelque part ? J’ai un break…
Chantal – Je ne sais pas si…
Francis – Vous avez raison, excusez-moi… Ça pourrait faire jaser…
Samantha s’approche de Chantal.
Samantha – Je vais vous aider… Parce que c’est quand même un peu lourd…
Chantal – Ça ira, merci.
Samantha fait un geste maladroit pour saisir l’urne de Chantal. Ce faisant, elle bouscule celle de Francis qui tombe par terre. Son contenu se répand en partie sur le sol. Edmond regarde la scène effaré.
Chantal – Oh mon Dieu !
Edmond (anéanti) – C’est un cauchemar…
Samantha – Je suis vraiment désolée… Je vais réparer ça tout de suite…
Edmond – Ne touchez à rien, je m’en occupe…
Edmond disparaît.
Samantha – C’est la première fois que ça m’arrive, je vous assure…
Edmond revient avec un tablier fantaisie, un balai et une pelle.
Edmond – Je vais arranger ça…
Sous le regard consterné des trois autres, il balaie les cendres, les pousse vers la pelle, et s’apprête à les remet dans l’urne. Mais il se trompe d’urne.
Francis – Euh, non, là c’est le mari de Madame.
Edmond – Autant pour moi… (Edmond remet les cendres dans l’autre urne). Voilà, ce petit accident est réparé…
Samantha se penche et ramasse quelque chose par terre.
Samantha – Tiens… Qu’est-ce que c’est que ça ?
Edmond (embarrassé) – Ça arrive parfois qu’il reste quelques… Des plombages, par exemple…
Samantha – Ah, oui, en effet… On peut dire que la personne qui est là-dedans s’est vraiment fait plomber. On dirait une balle… Et du gros calibre, encore…
Consternation générale.
Edmond (examinant la balle) – Ah, oui…? Votre femme est morte d’un accident de chasse ?
Francis – Euh, non… Je vous l’ai dit, d’un accident de vaccin…
Samantha – Ah, oui, mais là c’est un sacré suppositoire, hein ?
Edmond – Je dirais de la chevrotine…
Samantha – C’est que là, Monsieur Martino… Si c’est vous qui avez confondu votre femme avec un sanglier… Ce ne serait pas bon du tout pour votre élection à l’assemblée.
Francis prend la balle des mains de Samantha et la regarde.
Francis (embarrassé) – Je ne comprends pas, je vous assure…
Silence embarrassé.
Samantha – En même temps… Je vous avoue que je ne suis pas complètement sûr qu’il s’agisse des cendres de votre femme…
Francis – Pardon ?
Samantha – Je me suis un peu mélangée dans les plaques…
Edmond – Elle veut dire que ce pruneau pourrait aussi bien provenir de l’urne de Monsieur le Député…
Francis lance un regard vers Chantal, qui semble anéantie.
Francis – Je vois…
Chantal – Je peux tout vous expliquer…
Francis (étonnée) – Vraiment…?
Chantal (à Edmond et Samantha) – Veuillez nous laisser un instant, je vous prie.
Edmond et Samantha s’éclipsent discrètement.
Francis – Vous avez quelque chose à me dire ?
Chantal fait un geste pour arracher la balle des mains de Francis.
Chantal – Donnez-moi ça !
Francis – Pas si vite…
Chantal se décompose.
Chantal – Ok, c’est moi qui l’ai tué…
Francis – Vous ?
Chantal – Mon mari n’est pas mort noyé.
Francis – Et vous avez maquillé son meurtre en accident…
Chantal – Oui…
Francis – Mais pourquoi ?
Chantal – Pour qu’on ne me jette pas en prison, évidemment !
Francis – Non, je veux dire… Pourquoi l’avoir tué ?
Chantal – Ne me dites pas que vous n’étiez pas au courant ?
Francis – Au courant de quoi ?
Chantal – Mon mari me trompait.
Francis – Et pourquoi est-ce que je devrais être au courant.
Chantal – Mais parce qu’il me trompait avec votre femme ! Vous ne le saviez pas ?
Francis (consterné) – Non…
Chantal – J’ai tué mon mari avec son fusil de chasse. Et je me suis arrangée pour faire passer ça pour un accident de pêche…
Francis – Ah, oui, c’est tordu…
Chantal – Ça a failli marcher… Si le corps était resté au fond, comme prévu…
Francis – Malheureusement, le passé finit toujours par remonter à la surface…
Chantal – Je pensais qu’en choisissant la crémation, je serai tranquille une bonne fois pour toute… Hélas, apparemment, la balle a résisté à la chaleur…
Francis – Mais il n’y a pas eu d’autopsie ?
Chantal – C’est mon médecin de famille qui a signé le permis d’inhumer. Il est assez âgé. Plutôt myope. Il n’a pas été très regardant.
Francis – Je vois… Mais un crime passionnel, ça se plaide très bien, non ? Ce ne serait pas plutôt pour prendre sa place au parlement que vous auriez assassiné votre mari ?
Chantal – Si je me présente aux élections, c’est surtout pour bénéficier d’une immunité parlementaire, au cas où je viendrais à être inquiétée…
Francis – Une assurance tous risques, en quelque sorte… Les impunités électives…
Chantal – Vous allez me dénoncer ?
Francis – Ça dépend un peu de vous. (Montrant la balle) Il n’y a que moi qui suis au courant…
Chantal s’approche de lui avec un air lascif.
Chantal – Vous pouvez faire de moi ce que vous voulez… Je serai votre chose…
Poursuivant ses avances, Chantal renverse aussi l’urne de Francis dont le contenu se répand en partie sur le sol.
Francis – Si vous commenciez par vous désister en ma faveur…
Noir.
ACTE 3
Edmond est occupé à la réception. Samantha arrive.
Samantha – Bonjour, bonjour…!
Edmond – Il y a du progrès… Vous n’avez qu’une demi-heure de retard… Vous ne vous êtes pas rendormie dans le bus aujourd’hui ?
Samantha – Si… Mais je me suis réveillée un peu avant le terminus… Vous ne pouvez déjà plus vous passer de moi, c’est ça ?
Edmond – Mmm…
Samantha – Alors, Monsieur Picard ? Comment vont les affaires ?
Edmond – Plutôt calme en ce moment. Après le coup de feu de la semaine dernière.
Samantha – Le coup de feu ?
Edmond – C’est une façon de parler…
En retirant son manteau, elle jette un regard vers les panneaux électoraux.
Samantha – Ah, vous avez vu ? Finalement, c’est le centriste qui est passé au deuxième tour.
Edmond – Oui… Madame Delamare s’est désistée en sa faveur…
Samantha – Mais il l’a prise comme suppléante…
Edmond – Dommage pour vous. La place n’est plus à prendre.
Samantha – Je vous l’avais dit que ça finirait par un mariage.
Edmond – Vous êtes vraiment très perspicace…
Samantha – Votre femme est là ?
Edmond – Elle est à côté.
Samantha (déçue) – Vous n’avez plus besoin de moi alors.
Edmond – Enfin, je veux dire… Elle est là mais… Ma femme a succombé à la grippe finalement…
Samantha – Je suis vraiment désolée… Toutes mes condoléances…
Edmond – Merci.
Samantha – C’est arrivé quand ?
Edmond – Cette nuit. J’aurais peut-être dû la faire vacciner, finalement…
Samantha – Au moins, avec vous, elle aura un bel enterrement…
Edmond – Mouais…
Samantha – Vous pourrez lui prouver combien vous l’aimiez. Comme vous dites toujours : c’est au prix du cercueil qu’on évalue combien nos défunts nous étaient chers… Vous avez choisi quel modèle ?
Edmond – Sapin Basique…
Samantha – Ah, oui, c’est… Le bois naturel, c’est très chaleureux.
Edmond – Très calorifuge, surtout. J’ai opté pour l’incinération, moi aussi.
Samantha – Bien sûr.
Edmond – Alors maintenant, évidemment… Je vais devoir la remplacer… Définitivement.
Samantha – La remplacer…?
Edmond – Ici, à la boutique.
Samantha – Ah, oui, bien sûr… Vous me passez en CDI alors…?
Edmond – Je peux vous prendre à l’essai, en tout cas. Du coup, j’ai un poste de thanatopracteur qui se libère…
Samantha – Thanatopracteur…
Edmond – Moi ma spécialité, c’est plutôt le gros oeuvre. C’est que parfois, ça relève carrément du puzzle… Et encore, on n’a pas toujours toutes les pièces…
Samantha – Comme avec Madame Martino… C’est vrai que là, vous aviez fait des miracles…
Edmond – Vous pouvez le dire… Quand on nous l’a amenée, après qu’elle soit passée sous le train avec sa voiture… On aurait dit une sculpture de César…
Samantha – César… L’empereur romain ?
Edmond – Bref… C’était ma femme qui faisait la finition… Alors maintenant qu’elle n’est plus là… Si ça vous tente…
Samantha – Je ne sais pas si je saurais…
Edmond – Ce n’est pas très compliqué, vous savez. C’est un peu comme esthéticienne, mais les clientes sont toujours contentes…
Samantha – Pourquoi pas…
Edmond – Et puis c’est un métier plein d’imprévu, contrairement à ce qu’on pense. Vous avez pu en juger vous même, on ne s’ennuie jamais ici…
Samantha – Et on côtoie parfois du beau monde…
Edmond – C’est qu’un jour ou l’autre, riche ou pauvre, célèbre ou anonyme, tout le monde passe entre nos mains…
Samantha commence à passer un coup de balai.
Samantha – Et pour la balle qu’on a trouvée dans l’urne du député, vous allez faire quelque chose ?
Edmond – Pensez-vous… On n’est pas de la police… Et puis on est liés par le secret professionnel… Dans notre métier, forcément, on pénètre dans l’intimité des familles…
Samantha – Ah, oui…?
Edmond – Vous n’avez pas idée de tout ce qu’on peut trouver dans les poches des défunts… Une fois j’ai même trouvé un Tacotac gagnant.
Samantha – C’est la veuve qui a dû être contente…
Edmond – Vous pensez bien que j’ai préféré ne pas lui en parler. Ça m’aurait paru déplacé…
Samantha – Bien sûr…
Edmond – C’est comme ça que j’ai acheté la machine expresso, d’ailleurs… À propos, vous voulez un petit café ?
Samantha – Pourquoi pas…?
Edmond disparaît un instant pour aller chercher le café..
Edmond (off) – Tenez, pas plus tard que la semaine dernière, dans les cendres de Madame Dumortier, j’ai trouvé une paire de ciseaux…
Samantha – Elle a été assassinée, elle aussi ?
Edmond – Des ciseaux de chirurgien ! Elle venait de se faire opérer de l’appendicite… Et elle est morte des suites opératoires…
Samantha – Vous me donnerez quand même le nom de la clinique… Au cas où je doive subir une intervention…
Edmond revient avec le café.
Samantha – Merci de me donner ma chance, en tout cas. Vous verrez, vous ne serez pas déçu…
Edmond – J’ai déjà un aperçu de vos talents…
Samantha remarque quelque chose dans la poussière qu’elle est en train de balayer.
Samantha – Tiens, qu’est-ce que c’est que ça…
Edmond s’approche et regarde l’objet qu’elle lui tend.
Edmond – Une deuxième balle ?
Samantha (avec un air pénétré) – Il y aurait donc eu un deuxième tireur pour ce qui est de l’assassinat de Monsieur Delamare… Ce n’est plus un coup de feu, c’est une véritable fusillade !
Edmond – Vous regardez trop la télé, Samantha… Il était député, c’est vrai, mais ce n’était pas Kennedy, tout de même. (Réfléchissant à son tour) Et si cette balle provenait de la deuxième urne…
Samantha – Bravo inspecteur… Vous croyez que Monsieur Martino aussi aurait pu plomber sa dinde…
Edmond – Avant de s’arranger pour lui faire prendre le corail de cinq heures vingt-trois…
Samantha – De plein fouet… dans sa voiture.
Edmond – Oui, c’est une possibilité…
Samantha – Mais pourquoi…?
Edmond – La jalousie ! Vous savez ce qu’on disait de la femme de Martino, en ville ?
Samantha – Non ?
Edmond – Madame Martino, il n’y a que le train qui ne soit pas encore passé dessus…
Samantha – À moins qu’il ait tué sa femme seulement pour apitoyer les électeurs… et se faire élire plus facilement.
Edmond – Allez savoir…
Samantha – En tout cas, maintenant, il bénéficie de l’immunité parlementaire…
Edmond jette un regard du côté de la vitrine.
Edmond – Ah, quand on parle du loup…
Samantha – C’est qu’il y a un loup.
Francis et Chantal arrivent dans la boutique.
Samantha – On dirait que les affaires reprennent.
Edmond – Monsieur Martino, Madame Delamare. Quel bon vent vous amène ? Pas un autre décès dans la famille, j’espère ?
Francis – Non, non, rassurez-vous…
Edmond – Cela me donne en tout cas l’occasion de vous féliciter pour votre élection, Monsieur Martino.
Francis – Merci, Edmond.
Samantha (à Chantal) – Pas trop déçue ?
Chantal – Je suis quand même suppléante… Ce qui veut dire que s’il arrivait malheur à Monsieur Martino, son fauteuil de député me reviendrait d’office. C’est pourquoi je ne le quitte plus d’une semelle…
Edmond – Un viager, en quelque sorte, Monsieur Martino…
Samantha – Faites attention à vous… Une balle perdue, c’est si vite arrivé, quand on va à la pêche.
Edmond – Ou quand on attend tranquillement à un passage à niveau…
Chantal lance un regard suspicieux en direction de Francis, qui préfère changer de sujet.
Francis – Non, cette fois, c’est nous qui venions vous présenter nos condoléances, monsieur Picard.
Edmond – Pour…?
Chantal – Votre femme !
Edmond – Ah, oui, c’est vrai… Pardonnez-moi, je suis tellement bouleversé en ce moment…
Francis – Enfin, la vie continue…
Chantal – Et justement, nous venions aussi vous annoncer un heureux événement.
Samantha – Vous attendez un bébé ?
Chantal – Pas encore…
Francis – Chantal et moi-même allons nous marier.
Chantal – Sous le régime de la communauté réduite aux aguets, comme on dit.
On entend le signal sonore d’un four de cuisine dont la minuterie est arrivée à son terme.
Chantal – Vous faites de la cuisine ? Vous feriez bien d’aller voir, on dirait que c’est en train de brûler.
Edmond – Euh, non, c’est… ma femme.
Francis – Votre femme ?
Edmond – Ses cendres, en tout cas.
Chantal – Ah, d’accord…
Edmond – Vous voulez bien aller voir, Samantha ? Je n’ai vraiment pas le cœur à m’occuper de ça…
Samantha – Bien sûr, Monsieur Picard.
Francis – Bon, et bien je crois que nous allons vous laisser.
Chantal – Nous venions seulement pour la couronne.
Edmond – Une couronne ? Pour votre mariage ?
Chantal – Pour les obsèques de votre épouse.
Francis – Au nom de Monsieur le Député.
Chantal – Et de sa suppléante.
Edmond – Bien sûr.
Francis – Je vous laisse choisir… Vous n’aurez qu’à envoyer la facture à ma permanence.
Edmond – Merci Monsieur le Député. Madame la Suppléante. Croyez bien que je suis très sensible à cette délicate attention dans le malheur qui me frappe aujourd’hui.
Chantal – Au revoir Monsieur Picard.
Francis (lui serrant la main) – Edmond…
Francis et Chantal s’en vont.
Edmond – Bon ben ça c’est fait…
Samantha revient.
Samantha – Ils sont partis ?
Edmond – C’est vous qui aviez raison… Ça se termine par un mariage…
Samantha jette un regard par la vitrine.
Samantha – Ils vont tellement bien ensemble… Ça se voit tout de suite…
Edmond – Mmm… Et nous, on ne va pas trop mal ensemble, non ?
Samantha – Vous trouvez ?
Edmond – Et maintenant que je suis veuf…
Samantha – Ah, à propos, j’ai trouvé ça dans les cendres de Madame Picard… (Elle montre une troisième balle) Je croyais que votre femme était morte de la grippe…
Edmond – Je vous l’ai dit… la grippe est très virulente, cette année…
Noir.
Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison
Paris – Novembre 2011
© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-19-2
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