Amants d’enfance

Il est là, elle arrive.

Elle – Tu me reconnais ?

Lui – Non… Je devrais ?

Elle – Marie !

Lui – Marie… Et on se connaît ?

Elle – On était ensemble à la maternelle.

Lui – À la maternelle ?

Elle – Je crois même que tu étais un peu amoureux de moi.

Lui – Ah oui, c’est…

Elle – Tu ne te souviens pas ?

Lui – Non… En même temps, la maternelle… Mais toi ? Comment tu peux me reconnaître après tout ce temps ? Ne me dis pas que je n’ai pas changé…

Elle – Oui, évidemment, on a beaucoup changé… Tous les deux.

Lui – Mais alors comment…? Si on ne s’est pas vus depuis la maternelle…

Elle – Ah mais parce que moi, je t’ai revu depuis. Pas tous les jours. Par intervalle. Mais je t’ai revu régulièrement.

Lui – Comment ça ?

Elle – J’habitais juste en face, à l’époque. J’y habite toujours. Quand mes parents sont décédés, il y a une dizaine d’années, j’ai repris la maison. Toi aussi, apparemment, tu es revenu habiter chez tes parents…

Lui – Oui, enfin… moi ça ne fait pas très longtemps.

Elle – Trois mois.

Lui – À peu près, oui.

Elle – Mais tu venais les voir régulièrement. Donc… je t’apercevais de loin, de temps en temps.

Lui – Et c’est seulement maintenant que tu m’adresses la parole.

Elle – Je n’osais pas… J’avais peur de te déranger…

Lui – Pourquoi aujourd’hui ?

Elle – Je ne sais pas… J’ai divorcé il y a six mois…

Lui – Ah oui…

Elle – Et toi ?

Lui – Il y a trois mois… (Un temps) Tu le savais ?

Elle – Oui.

Lui – Tu connaissais ma femme ?

Elle – De vue.

Lui – De vue ?

Elle – On était au lycée ensemble.

Lui – D’accord.

Elle – C’est une petite ville.

Lui – Oui.

Elle – Évidemment, ça doit te faire un choc.

Lui – Tu veux dire… mon divorce ?

Elle – De me revoir comme ça, des années après.

Lui – Ah oui… Marie…

Moment d’embarras. Ils ne savent plus trop quoi dire.

Elle – Ferme les yeux.

Lui – Pardon ?

Elle – Ferme les yeux et écoute ma voix.

Il ferme les yeux.

Lui – OK…

Elle lui susurre à l’oreille d’un voix qui se veut envoûtante.

Elle – Marie. Marie Desfossés. On était ensemble en moyenne section. J’avais un manteau rouge, un duffle-coat. J’avais des couettes, et un jour à la récréation… (Elle dépose un baiser sur ses lèvres.) Tu m’as embrassée sur la bouche. Tu ne te souviens vraiment pas ?

Lui (troublé) – Marie… Ah oui, peut-être.

Il rouvre les yeux.

Elle – Évidemment, de me revoir comme ça… Après autant d’années… Je sais bien que j’ai beaucoup changé…

Lui – Ben oui, forcément.

Elle – Moi, du coup… Je t’ai vu grandir…

Lui – Oui. Et même vieillir un peu. Alors évidemment… Ça ne fait pas le même choc.

Un temps.

Elle – On pourrait se revoir…

Lui – Si tu habites en face… On va forcément se revoir…

Elle – D’accord… Je vais y aller alors…

Elle s’apprête à repartir.

Lui – C’est vrai, cette histoire ?

Elle – Quoi ?

Lui – Qu’on était à la maternelle ensemble… et tout le reste.

Elle – À ton avis ?

Lui – Je ne sais pas…

Elle – Qu’est-ce que tu préfères ?

Lui – C’est une belle histoire.

Elle – Alors on n’a qu’à dire qu’elle est vraie…

Elle s’en va.

Noir.