Amériques

Deux personnages. Le premier est en train de pêcher. Un autre arrive.

Un – Ça mord ?

Deux – J’en ai déjà pris un, regarde.

Un – Ah oui, il est énorme.

Deux – On le fera griller pour midi.

Le premier regarde autour de lui, l’autre garde le regard rivé sur son bouchon.

Un – Regarde ce papillon, comme il est beau. Je n’en avais jamais vu de pareil, et toi ?

Deux – Non.

Un – Demain, il sera mort.

Deux – Comment tu le sais ?

Un – Les papillons ne vivent que quelques jours. Une seule journée, parfois. Certains ont une vie tellement brève qu’ils ne sont même pas pourvus d’une bouche pour se nourrir.

Deux – Eh ben moi, j’ai déjà les crocs…

Un – C’est une belle journée pour vivre. Et pour mourir. C’est un beau papillon…

Deux – Et c’est un beau poisson.

Un – Notre repas de midi est assuré.

Deux – On fera des patates avec.

Un – La mer est calme.

Deux – C’est bon les patates.

Un – Le soleil brille.

Deux – Et puis c’est vite fait.

Un – Alors on a bien une heure devant nous…

Deux – Une heure ? On a toute la vie, devant nous !

Un – On pourrait se baigner ?

Deux – J’en pêche encore un autre, pour ce soir, et on y va, d’accord ?

Un – Tu as toujours peur de manquer, toi. Les poissons ne vont pas s’en aller !

Deux – Je préfère en profiter, pendant que ça mord.

Un – D’accord.

Deux – Rien de neuf ?

Un – Non.

Deux – Une journée ordinaire, en somme.

Un – Oui.

Un temps. Le premier regarde vers l’horizon, tandis que l’autre surveille son bouchon.

Deux – Je crois que j’ai une touche… Ah non, c’est le vent…

Un – Le ciel est complètement dégagé. On voit jusqu’au bout du monde.

Deux – Oui.

Un – Tu crois vraiment que c’est la fin du monde ?

Deux – Quoi ?

Un – Là-bas, derrière l’horizon.

Deux – Je ne sais pas… C’est ce qu’on dit. Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ?

Un – Je ne sais pas… Le début d’un autre monde…

Deux – Tu réfléchis trop…

Un – Tu as raison.

Deux – Regarde ce lever de soleil !

L’autre regarde vers l’horizon.

Un – Ça au moins, ça ne changera jamais… (Il continue de regarder et son sourire se fige) C’est quoi, ce bateau, au loin ?

Deux – Où ça ?

Un – Là-bas, là où un nouveau jour se lève.

Deux – Je ne vois rien. Ça m’éblouit.

Un – Mets la main devant tes yeux.

Deux – Ah oui… Je le vois maintenant… Il est très loin, non ?

Un – Nos pêcheurs ne vont pas si loin.

Deux – On dirait qu’il se rapproche.

Un – Oui… On le voit un peu mieux que tout à l’heure.

Deux – Il est vraiment très grand…

Un – Nos bateaux de pêche ne sont pas aussi gros.

Deux – Qu’est-ce qu’on fait ? On va prévenir le chef ?

Un – Attends un peu… Il y en a un autre.

Deux – On dirait qu’il y en a trois.

Un – Un grand, un moyen et un petit.

Deux – Le plus grand a trois mâts.

Un – Les nôtres n’en ont qu’un seul.

Deux – C’est un bateau énorme.

Un – Il se rapproche.

Deux – Il faut donner l’alerte.

Un – Attends, j’essaie de voir ce qu’il y a de dessiné sur la coque.

Deux – Oui… On dirait que quelque chose est écrit.

Un – Dans une langue inconnue.

Deux – Je vais reproduire ça sur une ardoise pour le montrer au chef. Il saura peut-être ce que ça veut dire.

Il trace quelque chose sur une ardoise.

Un – Fais voir.

L’autre lui montre l’ardoise.

Deux – Ça ne veut rien dire.

Il montre l’ardoise à la salle. C’est inscrit « Santa Maria ».

Un – On va aller prévenir les autres.

Deux – Oui, j’ai l’impression qu’on a de la visite… Ça doit être une tribu voisine…

Un – On leur donnera quelques patates, et ils repartiront chez eux.

Deux – Et s’ils veulent pêcher. La mer est à tout le monde… et ce n’est pas le poisson qui manque.

Un – On ira se baigner après.

Deux – Le monde ne va pas s’arrêter de tourner.

Un – Et d’après notre calendrier, la fin du monde n’est pas pour tout de suite.

Ils sortent.

Noir

Minute, papillon !