Événement

Deux personnages debout l’un à côté de l’autre face au public, dans une attitude de recueillement un peu forcée.

Un – Tu as vu, c’est marrant ?

Deux – Quoi ?

Un – Il y a un papillon posé sur le cercueil.

Deux – Ah oui…

Un – C’est sûrement les fleurs qui l’attirent.

Deux – Le malheur des uns…

Un temps.

Un – Je me demande un peu ce que je fous là.

Deux – Oui, moi aussi.

Un – Ça fait tellement longtemps qu’on ne l’avait pas vu.

Deux – C’était quand, déjà ?

Un – Pour son mariage, non ?

Deux – Et maintenant on le revoit pour son enterrement.

Un – Enfin… revoir, c’est une façon de parler.

Deux – Oui…

Un – Tu l’as vu ?

Deux – Oui… Comme je n’avais jamais vu un mort, c’était l’occasion.

Un – L’occasion ?

Deux – On n’était pas vraiment proche… Je me suis dit que ce serait moins traumatisant. Pour une première fois…

Un – Comment ça, une première fois ?

Deux – Imagine que tu meurs demain, et que je veuille te rendre un dernier hommage… Ça me ferait un drôle d’effet, de voir ton cadavre. Je veux dire, nous on se connaît. Je t’aurais vu la veille, bien vivant… Alors forcément…

Un – Ouais…

Deux – Tandis que lui, depuis le temps qu’on ne l’avait pas vu…

Un – Mmm…

Deux – Tu as déjà vu un mort, toi ?

Un – Non… (Un temps) Et alors ?

Deux – C’est curieux… C’est comme si… il ne restait plus que l’emballage.

Un – L’emballage ?

Deux – L’enveloppe est là, mais… il n’y a plus rien à l’intérieur, tu vois ?

Un – Ouais…

Deux – Et son visage… Comme un masque, mais plus personne derrière.

Un – Oui, j’ai pigé l’idée générale.

Deux – En tout cas, moi, si je meurs le premier, je te dispense de rendre un dernier hommage à ma dépouille. Parce que là… je t’assure que j’ai bien compris ce que ça voulait dire.

Un – Quoi ?

Deux – Dépouille !

Un – Ah, oui…

Deux – C’est le nom qu’on donne à la peau d’un animal après avoir enlevé ce qui était à l’intérieur. Eh ben nous, c’est pareil. Quand on est mort, il ne reste plus que l’emballage.

Un – Je ne sais pas si l’emballage est consigné.

Deux – Non, franchement, ne t’emmerde pas à venir à mon enterrement, parce que moi, je n’y serai pas…

Un – Je me demande surtout ce qu’on est venu foutre au sien. Si tu ne m’avais pas prévenu… Je déménage au moins une fois par an, alors tu penses bien. Ils ne devaient plus avoir mon adresse.

Deux – C’est notre cousin, non ?

Un – Petit-cousin, il me semble.

Deux – C’est quoi, exactement, un petit-cousin ?

Un – Le fils d’un cousin, je crois… Comment ils t’ont retrouvé, toi ?

Deux – Par Facebook.

Un – D’accord…

Deux – C’est la première fois que je suis invité à un enterrement par Facebook.

Un – Ils n’ont pas créé un événement, quand même ?

Deux – Je ne crois pas.

Un – Il y a énormément de monde… Il était si populaire que ça, notre petit-cousin ?

Deux – Il avait quand même près de 5000 amis Facebook.

Un – Ah, ouais…

Deux – Ils ont peut-être créé un événement, finalement.

Un – Ses amis ont dû croire que c’était un spectacle. Et comme c’était gratuit.

Un – Tu es sûr que ce n’en est pas un ?

Deux – Un quoi ?

Un – Un spectacle !

Deux – Va savoir…

Un – En tout cas, il faut que je pense à le retirer de ma liste.

Deux – Ta liste ?

Un – Ma liste d’amis Facebook !

Deux – Attends au moins la fin de la cérémonie…

Noir

Minute, papillon !