Authentification

Un personnage est assis à un bureau. Un autre arrive.

Un – Bonjour, c’est pour authentifier une signature.

Deux – Oui…

Un – C’est une procuration pour la vente de notre maison de campagne.

Deux – Très bien.

Un – On n’y allait presque plus de toute façon et… Enfin, je ne vais pas vous raconter ma vie.

Deux – Non.

Un – Je ne pourrai pas être présent pour la signature du compromis parce que… Bref, je dois faire une procuration, et le notaire m’a dit que la signature devait être authentifiée en mairie.

Deux – D’accord…

Un – Voici le document, et ma carte d’identité.

L’autre regarde la carte d’identité.

Deux – Monsieur Ramirez.

Un – C’est cela.

Deux – Bon… (Il jette aussi un coup d’œil à la procuration.) Jean-Claude Ramirez.

Un – Oui, vous voyez, c’est bien le même nom.

Deux – En effet…

Un – Alors je signe ?

Deux – Si vous voulez.

Un – Vous regardez bien, hein ? Parce que je n’ai pas de double. Il ne faut pas me dire après : excusez-moi, je regardais ailleurs, est-ce que vous pouvez recommencer ?

Deux – Je regarde.

L’autre signe le document.

Un – Et voilà, je paraphe chaque page… et je signe.

Deux – Parfait… Je peux faire autre chose pour votre service Monsieur… Ramirez ?

Un – Ben… oui, il me semble !

Deux – Et quoi donc ?

Un – Le tampon ! Vous aussi, vous devez signer. Et mettre le tampon de la mairie.

Deux – Bien sûr ! Où avais-je la tête ? Alors, où est-ce que je l’ai encore mis ce tampon de la mairie…

Un – Il est là, juste à côté de vous.

Deux – Ah oui, c’est vrai… Alors, l’encreur… (Il encre le tampon.) Et voilà… J’espère que j’ai mis assez d’encre… Vous savez ce que c’est, avec les tampons. Soit on ne met pas assez d’encre et c’est illisible, soit on en met trop et ça bave. Qu’est-ce que vous préférez ?

Un – Qu’est-ce que je préfère ?

Deux – Vous préférez que ce soit illisible ou que ça bave ?

Un – S’il faut vraiment choisir… je préfère que ça bave un peu.

Deux – Je vais faire de mon mieux… (Il encre à nouveau le tampon et s’apprête à tamponner le document avec un air concentré, mais au dernier moment il arrête son geste.) Mais attendez un peu…

Un – Quoi ?

Deux – Après tout… qu’est-ce qui me prouve que c’est vraiment vous ?

Un – Pardon ?

Deux – Je suis là pour authentifier cette signature, n’est-ce pas ?

Un – Oui.

Deux – Qu’est-ce qui me prouve que la personne que j’ai devant moi est bien celle qui est mentionnée sur cette procuration.

Un – Je viens de vous donner ma carte d’identité…

Deux – Bien sûr… Vous avez raison…

Un – OK.

L’autre s’apprête à mettre le tampon.

Deux – Attendez une minute…

Un – Quoi encore ?

Deux – Qu’est-ce qui me prouve que la personne que j’ai devant moi est bien celle qui est mentionnée sur cette carte d’identité ?

Un – Eh bien parce que… c’est moi qui viens de vous la donner.

Deux – Vous pourriez l’avoir volée.

Un – Parce que la signature que je viens d’apposer sur cette procuration est la même que celle qui figure sur ma carte d’identité.

Deux – Vous pourriez l’avoir imitée, cette signature. Surtout qu’entre nous, elle n’a pas l’air bien compliquée à imiter.

L’autre se met à douter.

Un – Vous avez raison… En fait, ça ne prouve rien…

Deux – Ben non.

Un – Mais alors… qu’est-ce que je peux faire pour vous prouver que… je suis bien Jean-Claude Ramirez ?

Deux – Même ça, ça ne prouverait rien.

Un – Comment ça ?

Deux – Vous pourriez être un homonyme.

Un – Un homonyme ?

Deux – Reconnaissez que des Jean-Claude Ramirez… il ne doit pas y en avoir qu’un. Malheureusement…

Un – Bien sûr…

Deux – Comment savoir si vous êtes le bon ?

Un – Moi-même je commencerais presque à en douter…

Deux – Alors comment on fait ?

Un – Les empreintes digitales ?

Deux – Il peut arriver que deux personnes aient exactement les même empreintes digitales.

Un – Vous croyez?

DeuxC’est rare, mais c’est possible.

Un – Quelle est la probabilité ?

Deux – Une chance sur 64 milliards.

Un – Nous ne sommes pas 64 milliards sur cette terre.

Deux – Sur cette terre, non, mais s’il y avait d’autres hommes, ailleurs, sur d’autres planètes.

Un – Je vois… Alors pour ma procuration, c’est foutu…?

Deux – Vous savez quoi ?

Un – Quoi ?

Deux – Votre tête m’est sympathique.

Un – Vraiment.

Deux – Oui… Une bonne tête de Jean-Claude.

Un – Et alors ?

Deux – Je vais vous accorder le bénéfice du doute. (Il tamponne le document, le signe, et le tend à l’autre.) Et voilà, Monsieur Ramirez !

Un – Merci de votre confiance ! Je ne sais pas comment vous remercier.

Il prend le document et y jette un coup d’œil.

Deux – Un problème ?

Un – Euh… vous êtes sûr que c’est bien le tampon de la mairie ?

Deux – Vous voulez insinuer que je pourrais… ne pas être celui que je prétends être ?

Un – Non, mais…

Deux – Alors c’est vous qui doutez de mon identité, maintenant ?

Un – Vous auriez pu vous tromper de tampon.

Deux – De tampon ?

Un – Ce n’est pas le tampon de la mairie.

Deux – Faites voir… (Il reprend le document et y jette un coup d’œil.) Vous avez raison, ce n’est pas le tampon de la mairie.

Un – Vous êtes sûr que vous êtes bien un employé de mairie ?

Deux – Sûr…? Non. À vrai dire… je serais même plutôt sûr du contraire.

Un – Vous n’êtes pas un employé de la mairie ?

Deux – Non.

Un – Mais alors… si je ne suis pas qui je prétend être, et vous non plus, qui sommes-nous ?

Deux – Être ou ne pas être, telle est la question… Mais pour y répondre, je vous conseille de vous adresser juste en face.

Un – En face ? Et pourquoi ça ?

Deux – Parce que c’est là que se trouve l’Annexe de la Mairie.

Un – Et ici, c’est quoi, alors ?

Deux – Ici, c’est une auto-école.

Un – Je vois ce que vous voulez dire…

Il hésite à partir.

Deux – Encore un problème, Monsieur Ramirez ?

Un – Je vous l’ai dit… (Montrant le document) Je n’avais pas de double…

Noir