Ça va

Deux personnages sont là, le deuxième semble perdu dans ses pensées.

Un – Ça va ?

Deux – Ça va.

Un – Ça n’a pas l’air d’aller.

Deux – Si, si, ça va… C’est juste que…

Un – Quoi ?

Deux – Tu vas me prendre pour un fou…

Un – Dis toujours.

Deux – Tu connais cette phrase : il ne lui manque plus que la parole.

Un – Oui.

Deux – Eh bien ce matin, mon chien m’a parlé.

Un – Et qu’est-ce qu’il t’a dit ?

L’autre lui lance un regard surpris.

Deux – Qu’est-ce qu’il m’a dit ?

Un – Oui.

Deux – Je te dis que mon chien parle, et toi tu me demandes ce qu’il dit ?

Un – Ben oui.

Deux – Euh… Le scoop, c’est que j’ai un chien qui parle, ce n’est pas ce qu’il dit, non ?

Un – Qu’est-ce que tu voulais que je te réponde, alors ?

Deux – Je ne sais pas, moi. Tu aurais pu de me dire… non mais c’est une blague, un chien ça ne parle pas.

Un – Excuse-moi.

Deux – Tu es vraiment prêt à croire n’importe quoi, toi.

Un – Donc ce n’est pas vrai.

Deux – Si ! C’est absolument vrai !

Un – Bon… Donc je répète ma question: qu’est-ce qu’il a dit ? Je serais curieux de savoir ce que les chiens pourraient bien avoir à nous dire.

Deux – Ce n’était pas une déclaration officielle, non plus. C’était juste une… banale conversation entre mon chien et moi.

Un – Une banale conversation ? À propos de quoi ?

Deux – Eh bien, j’avais commencé à lui dire que…

Un – Parce que tu parles à ton chien ?

Deux – Évidemment ! Tout le monde parle à son chien. Tu ne parles pas à ton chien, toi ?

Un – Je n’ai pas de chien. Il m’arrive de me parler à moi-même, comme tout le monde, mais… Donc tu parlais à ton chien. Et qu’est-ce que tu lui disais, au juste ?

Deux – Je lui disais… Je ne me souviens plus des mots exacts, mais… c’était à propos de sa pâtée.

Un – Sa pâtée ?

Deux – Oui, je lui donnais sa pâtée, comme tous les jours, et à un moment donné, j’ai dû lui dire quelque chose comme… alors elle est bonne la pâtée du chienchien ?

Un – Alors elle est bonne la pâtée du chienchien ?

Deux – Oui…

Un – Et alors ?

Deux – Alors il a répondu… « ça va ».

Un – « Ça va ? »

Deux – « Ça va ». Ça voulait dire j’imagine, ça va, elle n’est pas trop mauvaise.

Un – Et après ?

Deux – Après… il a mangé sa pâtée.

Un – C’est tout ce qu’il a dit ?

Deux – C’est déjà pas mal, non ?

Un – Tout de même. C’est un chien qui n’a pas beaucoup de conversation, non ?

Deux – Ouais.

Un – Et tu es sûr d’avoir bien entendu.

Deux – Je t’assure, il a dit « ça va ».

Un – Et depuis il n’a plus rien dit ?

Deux – Rien.

Un – D’un autre côté… si il a dit que ça allait.

Deux – Ouais.

Un – Tu devrais peut-être essayer de lui poser une question moins con, pour voir.

Deux – Comme quoi ?

Un – Je ne sais pas moi…

Deux – Je pourrais lui dire… il fait beau, aujourd’hui, non ?

Un – J’avais dit une question moins con…

Deux – Je ne vais quand même pas lui demander ce qu’il pense des élections américaines ! Ce n’est qu’un clebs, après tout.

Un – Je me demande si le plus simple, ce ne serait pas d’arrêter de lui parler.

Deux – Ouais, peut-être. Mais ça va me manquer de ne plus parler à mon chien. Jusque là je lui parlais, il ne répondait pas. Ça m’allait très bien comme ça.

UnL’interlocuteur idéal, quoi.

DeuxEt puis j’avoue que j’ai un peu peur.

Un – Peur ? De quoi ?

Deux – De ce qu’il pourrait me dire.

Un – Comment ça ?

Deux – C’est un clébard ! Il y a peut-être des choses que les clébards savent et que nous on ne sait pas.

Un – Des choses ? Quoi, par exemple ?

Deux – Je ne sais pas ! Si je le savais, ça ne me foutrait pas les jetons…

Un – Bon ben… oui. Tu n’as qu’à arrêter de lui parler.

Deux – Ouais… mais il va penser que je lui fais la gueule. Non, franchement, je ne sais plus comment m’en sortir, avec ce chien. Je ferais peut-être mieux de m’en débarrasser.

Un – T’en débarrasser ? Tu veux dire…

Deux – Tu as raison, je ne peux pas faire ça. Abandonner un chien sur une aire d’autoroute, c’est déjà une très mauvaise action, mais alors un chien qui parle…

Un – Ouais…

Deux – Enfin, ça m’a fait du bien de t’en parler.

Un – Tant mieux…

Deux – À plus tard, alors.

Un – C’est ça.

Il sort. L’autre reste un instant pensif, avant de s’adresser au public.

Un – Ouaf ! Ouaf, ouaf ! Ouaf, ouaf, ouaf !

Pour de vrai et pour de rire